Archives mensuelles : février 2014

La suspension des droits de vote des actions non déclarées n’est pas inconstitutionnelle (CC 28 févr. 2014, 2013-369 QPC)

Le Conseil constitutionnel avait été saisi d’une QPC relative à l’article L. 233-14 du Code de commerce, qui prévoit une sanction de privation des droits de vote en cas de non-respect des règles de franchissement de seuils dans les sociétés cotées.

En clair, l’actionnaire d’une société cotée qui dépasse, agissant seul ou de concert, certains seuils significatifs en termes de droits de vote ou de capital (5%, 10%, etc. – v. art. . 233-7 du Code de commerce) doit informer la société et l’AMF, celle-ci informant à son tour le public. Cette information permet aux autres actionnaires et au marché de savoir qui contrôle une société cotée, la finalité du dispositif étant la transparence des marchés. Cela permet aussi de mettre en oeuvre le dispositif des offres publiques d’acquisition.

Si l’actionnaire qui dépasse un seuil ne le déclare pas, il encourt une sanction particulière prévue par l’article L. 233-14 du Code de commerce. Cette sanction est celle de la privation des droits de vote attachés aux actions excédant le seuil non déclaré, pour toute assemblée d’actionnaires se tenant dans les deux ans de la régularisation de la notification. C’était la constitutionnalité de cette sanction qui était discutée devant le Conseil constitutionnel.

Le Conseil constitutionnel vient de juger le 28 février 2014 que:

« 9. Considérant que la suspension des droits de vote instituée par les dispositions contestées a pour objet de faire obstacle aux prises de participation occultes dans les sociétés cotées afin de renforcer, d’une part, le respect des règles assurant la loyauté dans les relations entre la société et ses membres, ainsi qu’entre ses membres et, d’autre part, la transparence des marchés ; qu’ainsi, ces dispositions poursuivent un but d’intérêt général ;
10. Considérant que l’actionnaire détenteur des actions soumises aux dispositions contestées en demeure le seul propriétaire ; qu’il conserve notamment son droit au partage des bénéfices sociaux et, éventuellement, les droits qui naîtraient pour lui de l’émission de bons de souscription d’actions ou de la liquidation de la société ; qu’il peut librement céder ces actions sans que cette cession ait pour effet de transférer au cessionnaire la suspension temporaire des droits de vote ; que la privation des droits de vote cesse deux ans après la régularisation par l’actionnaire de sa déclaration ; qu’elle ne porte que sur la fraction des actions détenues par l’actionnaire intéressé qui dépasse le seuil non déclaré ; que l’actionnaire dispose d’un recours juridictionnel pour contester la décision le privant de ses droits de vote ;
11. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que, d’une part, les atteintes au droit de propriété qui peuvent résulter de l’application des dispositions contestées n’entraînent pas de privation de propriété au sens de l’article 17 de la Déclaration de 1789 ; que, d’autre part, compte tenu de l’encadrement dans le temps et de la portée limitée de cette privation des droits de vote, l’atteinte à l’exercice du droit de propriété de l’actionnaire qui résulte des dispositions contestées ne revêt pas un caractère disproportionné au regard du but poursuivi, ; que, par suite, les griefs tirés de l’atteinte au droit de propriété doivent être écartés ;
12. Considérant que les dispositions contestées, qui ne sont contraires à aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit,
doivent être déclarées conformes à la Constitution ».

La sanction prévue par l’article L. 233-14 du Code de commerce n’est donc pas inconstitutionnelle.

Une question délicate que soulève cette décision, et que relève Maître Martin Laprade dans son commentaire ci-dessous, c’est qu’il est possible que le Conseil ne lise pas le texte de l’article L. 233-14 comme il figure pourtant dans le Code de commerce. Le texte fait comprendre que la suspension des droits de vote vaut pour les assemblées se tenant avant la régularisation et jusqu’à deux ans après celle-ci. En revanche, tel que le Conseil constitutionnel semble lire le texte, la suspension ne vaudrait que dans la période de deux ans suivant la régularisation. Si cette lecture de la décision était la bonne, ladite décision pourrait avoir un impact sur l’interprétation à donner à l’article L. 233-14…  

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Acte juridique contresigné par expert-comptable: la loi ALUR devant le Conseil constitutionnel

Des sénateurs UMP viennent de former un recours devant le Conseil constitutionnel relatif à la loi ALUR (http://www.ump-senat.fr/spip.php?article7721).

 

Le recours porte sur quatre aspects de la loi :

–          l’encadrement des loyers, que les auteurs du recours estiment contraire au droit de propriété ;

–          les dispositions relatives au mécanisme d’autorisation relatif à la location de meublés, auquel différents reproches sont faits ;

–          les dispositions relatives aux agences de listes, auxquelles une atteinte excessive à la liberté d’entreprendre est reprochée ;

–          le régime de la cession de parts de SCI, sur lequel nous revenons ici.

 

Nous avons pu précédemment relever les critiques que suscite la mesure résultant de l’art. 70 quater de la loi ALUR (https://brunodondero.wordpress.com/2014/02/20/quand-le-legislateur-invente-lacte-juridique-contresigne-par-expert-comptable-loi-alur-et-cession-de-parts-de-sci/).

 

La mesure consiste, rappelons-le, à imposer pour la cession de la majorité des parts d’une SCI propriétaire d’un bien soumis au droit de préemption urbain « un acte reçu en la forme authentique ou (…) un acte sous seing privé contresigné par un avocat ou par un professionnel de l’expertise comptable dans les conditions prévues au chapitre Ier bis du titre II de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques ». Or si l’on sait ce qu’est un acte authentique ou un acte contresigné par avocat, l’acte contresigné par un professionnel de l’expertise comptable « dans les conditions prévues au chapitre Ier bis du titre II de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques » est absolument inconnu, sans doute parce que la profession d’expert-comptable ne relève pas des professions judiciaires et juridiques ! En clair, la loi de 1971 ne régit que l’acte contresigné par avocat, auquel les experts-comptables s’étaient d’ailleurs opposés.

 

Les auteurs du recours adressent deux reproches à cette mesure de la loi ALUR.

 

Tout d’abord, il est reproché à la loi de contrevenir au principe d’intelligibilité de la loi et à la sécurité juridique. Les requérants estiment que les avocats semblent plus particulièrement en mesure de participer au renforcement de la sécurité juridique que doit permettre de réaliser l’acte contresigné, et qu’en consacrant un acte juridique contresigné par une autre profession, qui n’exerce pas à titre principal l’activité de conseil juridique, le législateur a remis en cause la place même du droit et a nié les spécificités des professions réglementées.

 

Les auteurs du recours invoquent par ailleurs le principe d’incompétence négative développé par la jurisprudence du Conseil constitutionnel, qui doit conduire à invalider l’acte juridique ouvert aux professionnels de l’expertise comptable institué par la loi ALUR. Par ces termes, il est reproché au législateur de ne pas avoir exercé pleinement sa compétence en se référant à un acte juridique contresigné par expert-comptable sur lequel il n’a pas autrement légiféré (v. sur l’incompétence négative http://www.senat.fr/ej/ej03/ej030.html).

 Bruno DONDERO

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Une société peut empêcher les tiers d’invoquer ses propres statuts contre elle!

Lorsqu’une société est partie à un litige, il arrive fréquemment que son adversaire invoque contre elle sa propre organisation. Le plaideur, ayant pris connaissance des règles créées par la société ou ses associés (statuts, règlement intérieur, pacte d’actionnaires si le tiers en a connaissance, etc.), mettra le comportement de la société à l’épreuve de ces règles. Ainsi, si les statuts subordonnaient l’exercice d’une action en justice à une autorisation d’un organe particulier, conseil d’administration par exemple, l’adversaire de la société pourra contester la validité des actes de procédure faits pour le compte de celle-ci, en ce qu’ils auront été faits par une personne dépourvue du pouvoir d’agir.

Il peut arriver plus souvent qu’on ne croit qu’une société commette une violation de sa propre organisation, et ce, aussi bien dans une PME que dans un très grand groupe. Dans une société de grande taille, il ainsi possible que l’équipe contentieux n’ait que de lointains contacts avec l’équipe « corporate ». La PME pourra de son côté vivre avec des statuts que les dirigeants ne connaissent finalement pas parfaitement. C’est particulièrement à propos d’une action en justice ou d’une déclaration de créance que l’argument est utilisé, mais le cocontractant d’une société pourrait tout autant lui reprocher de ne pas avoir suivi la procédure statutairement prévue pour conclure le contrat, ou pour mettre en œuvre celui-ci, par exemple au moment d’en demander l’exécution.

Les sociétés ont-elles dès lors intérêt à se limiter à une organisation simple et pas nécessairement adaptée à leurs souhaits en matière de gouvernance, afin d’éviter de se voir reprocher de n’avoir pas respecté leur propre organisation ?

Un arrêt non publié de la Chambre commerciale de la Cour de cassation du 13 novembre 2013, passé assez inaperçu (v. cependant note au Dalloz 2014, p. 183 et éditorial à la Gazette du Palais des 2/4 février 2014, p. 3; v. aussi les obs. de P. Le Cannu à la RTD com. 2013, p. 765) donne une solution simple, ou plutôt confirme l’efficacité d’une solution simple que des sociétés mettent déjà en œuvre. L’arrêt est consultable ici: http://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000028208374&fastReqId=429252773&fastPos=14 .

La Cour de cassation censure l’arrêt d’appel qui avait permis à un tiers de se prévaloir du non-respect de la procédure statutaire par une SARL. Les statuts de cette société prévoyaient qu’une décision collective des associés devait autoriser le gérant à exercer une action en justice au nom de la société, et la décision des associés n’avait pas été obtenue. La cour d’appel en avait déduit l’irrecevabilité de la demande faite au nom de la société. L’arrêt d’appel est cassé: il lui est reproché de ne pas avoir tenu compte de la clause statutaire selon laquelle la limitation des pouvoirs du gérant ne valait qu’ « à titre de règlement intérieur » et ne pouvait être opposée aux tiers ou être invoquée par eux .

L’arrêt est donc une invitation à généraliser, dans les statuts, la clause selon laquelle « les limitations aux pouvoirs légaux des dirigeants contenues dans les présents statuts sont inopposables aux tiers et ne peuvent être invoquées par eux ». On ajoutera qu’un pacte d’actionnaires ou un autre acte relatif au fonctionnement de la société ou aux droits des associés pourrait utilement comporter une telle stipulation.

Bruno DONDERO

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Quand le législateur invente l’acte (juridique) contresigné par expert-comptable (loi ALUR et cession de parts de SCI)

 

Après un vote au Sénat intervenu aujourd’hui 20 février (faisant suite à l’intervention d’une commission mixte paritaire), la loi « Accès au logement et urbanisme rénové » (ALUR) a été adoptée. Cette loi complète l’article 1861 du Code civil par un alinéa rédigé ainsi :

« Toute cession de la majorité des parts sociales d’une société civile immobilière, lorsque le patrimoine de cette société est constitué par une unité foncière, bâtie ou non, dont la cession est soumise au droit de préemption prévu à l’article L. 211-1 du code de l’urbanisme, doit être constatée par un acte reçu en la forme authentique ou par un acte sous seing privé contresigné par un avocat ou par un professionnel de l’expertise comptable dans les conditions prévues au chapitre Ier bis du titre II de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques. Le rédacteur de l’acte met en œuvre à cet effet les dispositions prévues à l’article L. 213-2 du même code. »

Rappelons que l’article 1861 est relatif aux cessions de parts de société civile, la « société civile immobilière » n’étant pas une forme juridique autonome. Ce n’est toutefois pas le seul souci que pose le nouveau texte, comme on va le voir.

Lorsqu’intervient une cession de (i) la majorité des parts (ii) d’une société civile immobilière, (iii) dont le patrimoine est constitué par une unité foncière dont la cession est soumise au droit de préemption urbain (DPU) de l’article L. 211-1 du Code de l’urbanisme, alors le législateur impose la participation d’un professionnel.

Cela peut se comprendre sur le principe, car désormais (art. 149 du nouveau texte) les cessions de parts de SCI sont inclues dans le champ d’application du DPU.

 

Initialement, l’Assemblée nationale (texte adopté en première lecture le 17 sept. 2013 : http://www.assemblee-nationale.fr/14/ta/ta0207.asp) avait proposé d’ajouter à l’article 1861 un alinéa disposant que « Toute cession de parts sociales d’une société civile immobilière ou d’une société à prépondérance immobilière est soumise à l’article 710-1 », c’est-à-dire que toute cession de parts de SCI devait se faire par acte authentique. On pouvait soutenir qu’indirectement, ce sont des biens immobiliers que l’on transmet en cédant les parts de SCI, mais cela revenait à ôter un de ses avantages à la SCI, étant précisé que juridiquement, l’immeuble ne change pas de mains dans l’hypothèse d’une cession de parts.

Par la suite, cette modification de l’article 1861 avait été supprimée par le Sénat, mais elle est revenue lors de la seconde lecture devant l’Assemblée nationale le 16 janvier 2014 (http://www.assemblee-nationale.fr/14/ta/ta0274.asp), sous la forme adoptée dans le texte final, et prévoyant le recours à un acte authentique, ou à un acte d’avocat ou d’expert-comptable.

La question, qui n’est pas insignifiante, que pose la nouvelle loi est la suivante. On sait ce qu’est un acte reçu en la forme authentique, qui émane en premier lieu des notaires (F. Terré, Introduction générale au droit, 9ème éd., Dalloz, 2012, n° 621). Arrive ensuite l’acte sous seing privé « contresigné par un avocat ou par un professionnel de l’expertise comptable dans les conditions prévues au chapitre Ier bis du titre II de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques ». Ce sont là les dispositions de l’acte contresigné par avocat qui sont visées… mais on ne savait pas que cet acte accueillait aussi l’expert-comptable parmi ses auteurs possibles. Le législateur procède donc en faisant de la « loi-fiction », puisqu’il suppose que la loi de 1971 est modifiée alors qu’elle ne l’est pas (et l’on ne peut soutenir que la loi ALUR modifie par voie de conséquence la loi de 1971).

Notre propos n’est pas de prendre ici parti pour une profession contre une autre. Simplement, on ne peut ouvrir de manière incidente l’acte contresigné par avocat, par lequel celui-ci « atteste avoir éclairé pleinement la ou les parties qu’il conseille sur les conséquences juridiques de cet acte » (art. 66-3-1 de la loi du 31 déc. 1971) à une profession dont le conseil juridique n’est pas la première activité. Cela laisse peut-être présager un « acte contresigné par l’expert-comptable », mais outre qu’un tel acte reste à créer, et qu’il n’aurait pas sa place dans une loi sur les professions judiciaires et juridiques, il faut préciser que l’ordonnance du 19 sept. 1945 modifiée qui régit la profession d’expert-comptable précise dans son article 22 la possibilité pour un professionnel du chiffre de faire des actes relevant du domaine juridique : les experts-comptables « peuvent également donner des consultations, effectuer toutes études et tous travaux d’ordre statistique, économique, administratif, juridique, social ou fiscal (…) mais sans pouvoir en faire l’objet principal de leur activité et seulement s’il s’agit d’entreprises dans lesquelles ils assurent des missions d’ordre comptable de caractère permanent ou habituel ou dans la mesure où lesdites consultations, études, travaux ou avis sont directement liés aux travaux comptables dont ils sont chargés ».

On peut être étonné qu’un type d’acte juridique tout entier soit ainsi ouvert à la profession d’expert-comptable sans lien avec son activité première. Il est sans doute possible au législateur de réaliser cela, mais la loi adoptée aujourd’hui procède par référence à un acte – l’acte juridique contresigné par expert-comptable – qui n’existe pas encore !

S’agissant de la délimitation du champ d’activité des deux professions d’avocat et d’expert-comptable, la question n’est pas nouvelle, mais il n’est pas sûr que les mots de Mme Duflot en réponse à la sénatrice qui soulevait le caractère contestable de la création d’un acte juridique d’expert-comptable (« Évitons une bataille d’Hernani sur cet article… ») fassent beaucoup pour apaiser le débat.

 

Bruno DONDERO

 

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Le salarié qui utilise son temps de travail pour son entreprise personnelle commet un abus de confiance!

L’arrêt rendu par la Chambre criminelle de la Cour de cassation le 19 juin 2013 mérite d’être signalé aux lecteurs de ce blog, s’ils ne l’ont pas déjà vu ailleurs (il a été beaucoup commenté, et notamment à la Revue Droit social 2014, p. 1008, par mon cher collègue Laurent Saenko; v. aussi Dalloz, 2013, p. 1936, note G. Beaussonie). L’arrêt peut être lu ici: http://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000027594822&fastReqId=1217411546&fastPos=1

Il donne une solution qui intéresse à la fois le droit pénal et le droit du travail.

Les faits étaient les suivants : un salarié était prothésiste chef de groupe au sein d’un Centre de rééducation (prothèses orthopédiques semble-t-il). Les fonctions du salarié le conduisaient à faire pour les patients admis au centre des moulages de prothèses provisoires, des essayages et des retouches. Les patients restituaient les prothèses lorsqu’ils quittaient le centre, et ils faisaient l’acquisition d’une prothèse définitive auprès d’un prothésiste libéral.

 

Le salarié avait créé une société dont il était le gérant et l’associé unique, et dont le siège était à son domicile. Rien de gênant dans tout cela, si ce n’est que la société avait pour unique client un prothésiste libéral auquel étaient facturées des « prestations d’études », et qu’il apparaissait que sur une période donnée, de 1999 à 2003, le prothésiste libéral avait réalisé la quasi-totalité des prothèses et orthèses des patients suivis par le centre, la facturation précitée apparaissant être la contrepartie de l’organisation de ce quasi-monopole. C’est que le salarié ne se contentait pas d’aiguiller les patients vers le prothésiste, mais il fournissait aussi à celui-ci des moulages qu’il fabriquait pendant ses heures de travail avec le matériel du Centre.

 

La cour d’appel saisie du litige déclarait le salarié coupable d’abus de confiance et de corruption, et le prothésiste coupable de recel d’abus de confiance et de corruption. Le salarié était condamné à dix mois d’emprisonnement avec sursis et 50.000 euros d’amende, et le prothésiste à huit mois avec sursis et 50.000 euros d’amende également. Le salarié et le prothésiste étaient par ailleurs condamnés à verser plus de 131.000 euros de dommages et intérêts au Centre.

La Chambre criminelle de la Cour de cassation rejette les pourvois qu’avaient formés le salarié et le prothésiste contre l’arrêt qui les avait condamnés, et la décision intéresse autant le droit pénal que le droit du travail (d’autant qu’elle est publiée au Bulletin des arrêts, mais aussi mentionnée au Rapport annuel de la Cour de cassation).

 

Du point de vue du droit pénal, l’arrêt innove en jugeant que le délit d’abus de confiance, sanctionné par l’article 314-1 du Code pénal, et qui consiste à détourner un bien qui a été remis pour être rendu ou pour être utilisé pour un but déterminé, peut porter sur le temps de travail du salarié.

 

Des décisions antérieures avaient jugé que l’abus de confiance pouvait porter sur des biens incorporels (numéro de carte bancaire par exemple : Cass. crim., 14 nov. 2000 : http://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000007070782&fastReqId=981983873&fastPos=1) mais la solution n’avait pas été retenue pour la force de travail du salarié (CA Toulouse, 26 avril 2001). C’est désormais le cas.

 

Du point de vue du droit du travail, le salarié doit savoir que s’il utilise son temps de travail pour des fins autres que celles pour lesquelles il est rémunéré par son employeur, il commet un abus de confiance, délit qui est sanctionné rappelons-le d’un maximum de 3 ans d’emprisonnement et 375.000 euros d’amende.

La Cour de cassation donne donc une coloration pénale à cette situation de conflit d’intérêts.

Les faits ont pu avoir une influence sur la solution retenue. Il n’est pas dit que les patients qui avaient besoin de prothèses, et qui étaient directement concernés par l’entente conclue entre le salarié et le prothésiste, aient subi un préjudice. Mais le fait que la victime soit un centre de rééducation exploité par une association a pu jouer. Cet employeur a subi un préjudice puisque le salarié qu’il rémunérait employait une partie de son temps de travail pour œuvrer à son enrichissement personnel et non pour exécuter son contrat de travail.

 

Il demeure que la solution est formulée en termes très larges : « l’utilisation, par un salarié, de son temps de travail à des fins autres que celles pour lesquelles il perçoit une rémunération de son employeur constitue un abus de confiance ». Le salarié qui utiliserait son temps de travail pour au choix, faire fonctionner sa propre entreprise, travailler pour un autre employeur, ou à des fins de loisir, s’expose donc non seulement aux sanctions prévues en cas d’inexécution de son contrat de travail (licenciement) mais également, nous apprend la Chambre criminelle de la Cour de cassation, aux peines d’amende et d’emprisonnement prévues par l’article 314-1 du Code pénal !

Bruno DONDERO

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75% des Français mécontents de la Justice ?

Un sondage de BVA a beaucoup été repris ces derniers jours dans la presse et sur internet, qui voyait 75% des sondés compléter par « mal » la question « Estimez-vous qu’en France la justice fonctionne globalement…? ».

D’autres questions étaient posées, relatives respectivement à l’indépendance des juges d’instruction (estimés ne pas l’être par rapport au pouvoir politique par la majorité des sondés, ce qui est un peu curieux, dès lors que le juge d’instruction ne semble pas la voie d’accès la plus simple pour influencer la justice) et à la popularité de Mme Taubira, comparée à ses prédécesseurs et à M. Valls.

Si l’on s’intéresse à la première question, la réponse est assez troublante. Trois personnes sur quatre n’auraient pas confiance dans l’institution judiciaire. Nos juges seraient-ils corrompus ? incompétents ? Ce n’est certainement pas le cas, nous avons en France une justice à la fois indépendante et d’une très grande qualité.

Ce n’est donc vraisemblablement pas la justice en tant que telle qui est visée en premier lieu, c’est-à-dire l’institution judiciaire, mais plutôt le droit qu’appliquent les tribunaux, qu’il s’agisse des règles de fond ou de la procédure. A cet égard, il est dommage que la question porte sur « la justice », même s’il est compliqué de demander au citoyen de séparer, dans l’image ou l’expérience qu’il a de la justice, l’institution judiciaire, les règles de fond, et la procédure. En revanche, des questions plus précises (qui figuraient peut-être dans le sondage mais ne sont pas reprises, une fois que le chiffre-massue de 75% est asséné!) auraient été utiles: les Français trouvent-ils la justice trop lente ? La trouvent-ils compliquée ? Coûteuse ?

Le problème de ce type d’interrogation est qu’il est difficile et sans doute peu utile de parler tout à la fois de la justice civile, commerciale, pénale, sociale, des petites et des grandes juridictions, des petits et des grands litiges…

 

Bruno DONDERO

 

 

 

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Principe d’irresponsabilité civile du dirigeant de société à l’égard des tiers : la règle et ses limites

En droit français, lorsqu’une personne commet une faute et cause un préjudice à autrui, elle engage sa responsabilité civile et doit indemniser la victime du préjudice causé (art. 1382 C. civ.). Cette solution se retrouve lorsque la faute consiste en un manquement à un contrat, la partie ayant commis une inexécution devant indemniser son partenaire (art. 1137 et 1147 C. civ.).

 

Ces principes bien établis reçoivent une nuance de taille lorsque l’auteur de la faute est le dirigeant d’une société et que le préjudice est causé à un tiers (salarié, client, partenaire de la société). Dans cette hypothèse, ce n’est en effet pas l’auteur de la faute qui engage sa responsabilité à l’égard de la victime, mais la seule société.

La règle n’est pas consacrée par les dispositions du Code civil et du Code de commerce, qui prévoient au contraire que le dirigeant d’une société est responsable à l’égard des tiers des fautes commises dans sa gestion (v. par ex. art. 1850 C. civ. pour le gérant de société civile et art. L. 223-22 pour le gérant de SARL). C’est la jurisprudence qui a institué cette « immunité » au bénéfice du dirigeant, à partir des années 1970.

 

La solution se comprend bien lorsque c’est un contrat qui est mal exécuté par le dirigeant (par ex. : la société ne paye pas l’un de ses créanciers), puisque c’est la société qui est partie au contrat. L’inexécution du dirigeant n’est donc que celle de la société. Il est en revanche plus étonnant de voir que la faute commise hors d’un contrat (de la blessure causée par imprudence à un dommage moral, une atteinte à l’image, etc.) par le dirigeant engage non pas sa responsabilité mais celle de la société. On pourra justifier la solution en considération du fait que la société a commis une imprudence en nommant à sa tête une personne non fiable, et qu’elle doit en supporter les conséquences. Il demeure que l’on est en présence d’un sujet de droit qui peut commettre des fautes sans en être responsable, ce qui est plutôt inquiétant : ne risque-t-on pas d’encourager les comportements à risque en soustrayant les dirigeants de société à leur responsabilité civile ?

 

Il faut cependant apporter quelques nuances à cette immunité.

D’une part, le dirigeant n’est pas responsable à l’égard des tiers, seule la société supportant les conséquences des fautes du dirigeant, mais elle peut ensuite se retourner contre lui et lui reprocher la commission de ces fautes, et lui demander réparation du préjudice qu’il lui aura causé, lui dirigeant, à elle société, en l’amenant à engager sa responsabilité à l’égard de tiers et à les indemniser.

D’autre part, la jurisprudence écarte l’immunité lorsque le dirigeant a commis une faute « séparable de ses fonctions » ou « détachable de ses fonctions », ce qui désigne la faute commise intentionnellement, d’une particulière gravité, incompatible avec l’exercice normal des fonctions sociales (v. Cass. com., 20 mai 2003, http://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000007047369&fastReqId=92502310&fastPos=1). D’ailleurs, lorsque la faute constitue une infraction pénale intentionnelle, il y a faute séparable, dit également la jurisprudence majoritaire (Cass. com., 28 sept. 2010, http://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000022879867&fastReqId=1313662299&fastPos=3), ce qui est rassurant : à défaut, le dirigeant de société pourrait se rendre coupable de violences volontaires à l’égard des tiers ou de tout autre acte d’intimidation et faire peser sur la société la charge de la réparation ! En toute hypothèse, l’immunité ne décharge pas le dirigeant de sa responsabilité pénale.

 

Le fondement de cette solution est semble-t-il à chercher dans la personnalité morale de la société. Cette personnalité morale – la qualité de sujet de droits et d’obligations qui est reconnue à la société lorsqu’elle est immatriculée au registre du commerce et des sociétés – attire à elle les fautes des dirigeants, en quelque sorte. Les dirigeants sont vus à cet égard comme des « organes » de la personne morale. La confirmation de cette explication est fournie par la Chambre commerciale de la Cour de cassation lorsqu’elle refuse au dirigeant d’une société sans personnalité morale le bénéfice de l’immunité, comme elle l’a fait le 4 février 2014 (http://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000028575218&fastReqId=275257682&fastPos=2).

 Bruno DONDERO

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Le préjudice affectif des fans de Michael Jackson… en attendant celui des amis Facebook ?

 

Une juridiction française, précisément un juge de proximité d’Orléans, compétent pour les plus petits litiges, vient de condamner le médecin de Michael Jackson, qui lui avait administré une trop forte dose d’anesthésique et avait causé sa mort (ce pour quoi la justice américaine avait condamné le praticien à une peine d’emprisonnement pour homicide involontaire). Le juge français a condamné le médecin à verser un euro symbolique de dommages-intérêts à cinq fans de Michael Jackson, au titre du préjudice d’affection. On ne sait pas si le médecin était représenté devant cette juridiction, ni s’il avait été valablement invité à participer, mais le fond de la décision retient davantage l’attention.

 

Les demandeurs étaient une trentaine, mais seuls cinq d’entre eux ont été en mesure d’établir la réalité de leur préjudice à l’aide de témoignages et de certificats médicaux. La décision est qualifiée de « première mondiale » dans la presse, mais il faut tout de même relativiser.

 

La réparation d’un préjudice d’affection est reconnue depuis très longtemps par notre droit de la responsabilité civile. Simplement, les tribunaux ont toujours été très exigeants pour accorder des dommages-intérêts réparant le préjudice causé indirectement à des tiers par le décès ou les souffrances de la victime directe. Le préjudice d’affection dont il est question est en effet un préjudice indirect, « par ricochet ». Jusqu’à présent, la jurisprudence française avait réservé aux proches de la victime le droit d’invoquer un préjudice d’affection. Les juges ont ainsi reconnu un préjudice d’affection réparable aux enfants en cas de décès des parents, aux parents en cas de décès des enfants, aux époux et concubins, à la fiancée en cas de décès du futur mari, et même, en 1973, à la gouvernante d’un ecclésiastique victime d’un accident mortel !

 

Le juge de proximité qui indemnise les fans du chanteur décédé le fait de manière semble-t-il prudente et modérée, mais au-delà du caractère médiatique de la décision, il faut signaler les dangers de la trop grande admission des préjudices indirects. Les médecins oseront-ils encore soigner leurs patients célèbres si un cortège d’admirateurs traumatisés est susceptible de les traîner en justice sur la planète entière ? Au-delà, si on accepte d’indemniser la souffrance morale des admirateurs, ne faut-il pas indemniser a fortiori celle des amis, potentiellement très nombreux ? Et pourquoi pas aussi celle des amis Facebook ?

 

La décision rendue s’agissant des fans de Michael Jackson a été modérée, mais le juge aurait pu aussi considérer que le préjudice subi était d’un montant supérieur. Il n’est d’ailleurs pas dit que d’autres juges, en France ou ailleurs, n’ont pas été saisis de demandes d’un montant très élevé, auxquelles ils pourraient être tentés de donner satisfaction… L’arbitrage Tapie nous a enseigné qu’un préjudice moral peut être évalué à un peu plus qu’un euro !

 

Dans le sillage de cette décision, ne risque-t-on pas d’ailleurs de voir le supporter de football déçu intenter un procès au joueur qui n’aura pas marqué un but, ou les spectateurs attristés par la fin d’une émission demander réparation aux producteurs, au titre de leur préjudice moral ? On se plaint souvent de l’encombrement des tribunaux, qui ralentit la justice. La décision du juge de proximité d’Orléans, de ce point de vue, ne va pas dans le bon sens !

 

Bruno DONDERO

Professeur de droit à l’Université Paris 1 (Panthéon – Sorbonne)

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L’associé de SNC peut faire l’objet d’une procédure collective (Cass. civ. 2ème, 5 déc. 2013).

 

 

Un arrêt de la deuxième Chambre civile de la Cour de cassation du 5 décembre 2013 publié au Bulletin des arrêts (n° 11-28092, http://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000028291103&fastReqId=802356594&fastPos=1), juge que les associés gérants d’une société en nom collectif (SNC) peuvent faire l’objet d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire.

 

Les textes définissant les personnes susceptibles de faire l’objet d’une procédure collective visaient jusqu’à une période récente les « commerçants », entre autres sujets possibles d’une sauvegarde, d’un redressement judiciaire ou d’une liquidation judiciaire (v. ainsi l’art. L. 631-2 du Code de commerce, avant sa modification par l’ordonnance du 18 déc. 2008 : http://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do;jsessionid=6CF75EE8781874F7BBBA0CC12AFFEB1A.tpdjo14v_3?idArticle=LEGIARTI000006238072&cidTexte=LEGITEXT000005634379&categorieLien=id&dateTexte=20090214). Le législateur a cependant remplacé ces termes par ceux de « personne exerçant une activité commerciale », ceci afin d’appréhender aussi les auto-entrepreneurs exerçant une activité commerciale (http://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do;jsessionid=6CF75EE8781874F7BBBA0CC12AFFEB1A.tpdjo14v_3?idArticle=LEGIARTI000019984699&cidTexte=LEGITEXT000005634379&categorieLien=id&dateTexte=20101210). Notons d’ailleurs que l’opportunité de la modification était discutable, car si l’auto-entrepreneur est dispensé d’inscription au registre du commerce et des sociétés, il est envisageable qu’il exerce une activité commerciale à titre de « profession habituelle », ce qui doit en faire un commerçant par application de l’article L. 121-2 du Code de commerce.

 

Rappelons que ce texte dispose que « Sont commerçants ceux qui exercent des actes de commerce et en font leur profession habituelle ». L’associé de société en nom collectif (SNC) est commerçant, parce que l’article L. 221-1 du Code de commerce le dit : « Les associés en nom collectif ont tous la qualité de commerçant… ». Mais il n’est pas dit que cet associé exerce véritablement une activité commerciale ! Rappelons aussi qu’en 2005, la loi de sauvegarde des entreprises avait supprimé la règle qui consistait à ouvrir automatiquement, en cas de redressement ou de liquidation judiciaire d’une SNC, une procédure identique pour chacun des associés.

 

Si l’on appliquait les textes à la lettre, il fallait donc distinguer, lorsqu’un associé de SNC se trouvait en situation de cessation des paiements, et par conséquent de faire l’objet d’un redressement ou d’une liquidation judiciaire, ou lorsqu’il rencontrait une difficulté susceptible d’entraîner l’ouverture d’une sauvegarde, entre l’associé exerçant réellement une activité commerciale (ou l’associé personne morale de droit privé, aussi visé parmi les sujets possibles d’une procédure collective) et celui qui n’était commerçant que parce que l’article L. 221-1 l’affirme. La Cour d’appel de Paris avait d’ailleurs confirmé cela en jugeant un associé de SNC non éligible à une procédure de redressement judiciaire (CA Paris, 6 juil. 2010, Rev. Sociétés 2010, p. 534, obs. Ph. Roussel Galle).

 

La deuxième Chambre civile de la Cour de cassation, par son arrêt rendu après avis de la Chambre commerciale, vient donc de juger que « les associés gérants d’une société en nom collectif qui ont de droit la qualité de commerçants sont réputés exercer une activité commerciale au sens des articles L. 631-2 et L. 640-2 du code de commerce qui disposent, dans leur rédaction issue de l’ordonnance n° 2008-1345 du 18 décembre 2008, que les procédures de redressement et liquidation judiciaires sont applicables à « toutes personnes exerçant une activité commerciale ou artisanale » » et qu’il en découle qu’ « en application de l’article L 333-1 du code de la consommation, ils sont exclus du bénéfice des dispositions relatives au surendettement des particuliers ».

 

La décision vise les « associés gérants », alors que l’avis de la Chambre commerciale visait plus simplement les « associés », comme le relève Philippe Roussel Galle dans sa note à la Semaine juridique sous l’arrêt (JCP éd. G 2014, 96), qui estime que la solution doit valoir pour tout associé de SNC. On sera d’accord avec lui sur ce point, la précision apportée par la deuxième Chambre civile de la Cour de cassation s’expliquant sans doute par le fait qu’en l’espèce, la question de l’ouverture d’une procédure collective était posée pour des associés gérants. La solution a le mérite de traiter de la même manière tous les associés de SNC, puisque précédemment, ceux qui ne pouvaient pas faire l’objet d’une  procédure collective du Code de commerce se trouvaient éventuellement soumis aux procédures de surendettement du Code de la consommation.

 

On peut penser que la solution vaut aussi pour la procédure de conciliation et pour la sauvegarde, même elles apparaissent peu opportunes pour l’hypothèse de l’associé de SNC qui n’aurait pas d’activité commerciale réelle (v. Ph. Roussel Galle, note préc.).

 

 

Bruno DONDERO

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L’associé (indivisaire) représenté deux fois à l’assemblée ! Cass. com., 21 janvier 2014

La Cour de cassation a rendu le 21 janvier 2014 un arrêt destiné à être publié au Bulletin et relatif au droit de l’indivisaire de droits sociaux à participer à l’assemblée générale de la société, alors que le représentant de l’indivision est également présent. L’arrêt (http://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000028515006&fastReqId=591832934&fastPos=3) est assez intéressant en ce qu’il touche à des questions fondamentales du droit des sociétés (sans opérer de révolution).

Pour mieux le comprendre, on rappellera le texte de l’article 1844 du Code civil, qui permet de comprendre l’arrêt :

« Tout associé a le droit de participer aux décisions collectives.

Les copropriétaires d’une part sociale indivise sont représentés par un mandataire unique, choisi parmi les indivisaires ou en dehors d’eux. En cas de désaccord, le mandataire sera désigné en justice à la demande du plus diligent.

Si une part est grevée d’un usufruit, le droit de vote appartient au nu-propriétaire, sauf pour les décisions concernant l’affectation des bénéfices, où il est réservé à l’usufruitier.

Les statuts peuvent déroger aux dispositions des deux alinéas qui précèdent. »

 

Des parts d’une EARL (exploitation agricole à responsabilité limitée – une forme de société civile à objet agricole) étaient démembrées, et la nue-propriété était en indivision entre trois personnes. La société faisait assigner une indivisaire et son conjoint (le couple Y). Alors que la première avait donné mandat au second de la représenter lors des assemblées d’associés, la société prétendait qu’il soit dit que l’épouse n’avait aucune qualité pour assister à ces assemblées, qu’il lui soit fait défense de s’y faire assister ou représenter par son conjoint et enfin qu’il soit fait défense audit conjoint de pénétrer au siège social. La cour d’appel saisie du litige donnait raison à la société et jugeait qu’un mandataire commun des indivisaires ayant été désigné, il n’y avait pas lieu de « dissocier artificiellement la discussion préalable des points soumis au vote et le vote lui-même, qui participent d’une seule démarche intellectuelle, en sorte que la présence des indivisaires eux-mêmes aux assemblées générales [était] nécessairement exclue par la désignation d’un mandataire commun pour représenter l’indivision ».

 

Etait donc posée la question de savoir si, alors que l’indivision avait déjà un représentant commun à l’assemblée, un indivisaire pouvait encore être présent lors de celle-ci, et au besoin se faire représenter (Mme Y prétendait être représentée par son conjoint). En somme, pouvait-on cumuler la représentation collective des indivisaires prévue par l’article 1844 et la représentation individuelle des associés ?

 

La Cour de cassation répond de manière affirmative, au motif que « les copropriétaires indivis de droits sociaux ont la qualité d’associé » et que tout associé a le droit de participer aux décisions collectives (y compris en se faisant représenter). La cour d’appel avait donc violé l’article 1844 du Code civil en privant l’associée qu’était Mme Y, titulaire de la nue-propriété de droits sociaux en indivision, du droit de se faire représenter par son conjoint aux assemblées générales… ce qui revient à reconnaître le droit d’un associé à bénéficier simultanément de deux représentants !

 

Il faut rappeler ici plusieurs choses, qui permettent de comprendre la décision.

 

L’arrêt porte sur les droits de l’associé.

 La qualité d’associé du titulaire de la nue-propriété de droits sociaux est affirmée depuis longtemps par la Cour de cassation (Cass. com., 4 janv. 1994, n° 91-20256, Bull. IV, n° 10, http://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000007032261&fastReqId=1878753352&fastPos=1). Il en est de même pour l’indivisaire de droits sociaux (Cass. civ. 1ère, 6 févr. 1980, n° 78-12513, Bull. I, n° 49, http://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000007005038&fastReqId=1916137025&fastPos=1).

 Le nu-propriétaire indivis a donc incontestablement la qualité d’associé, dès lors qu’il détient en indivision des droits conférant la qualité d’associé. Ce point étant réglé, on pouvait tout de même s’interroger sur la possibilité que le nu-propriétaire indivis soit représenté deux fois à l’assemblée.

 L’arrêt rappelle l’importance du droit de l’associé à participer aux décisions collectives.

 Le pourvoi en cassation formé par les conjoints qui avaient été bannis des assemblées est accueilli par la Chambre commerciale pour violation de l’article 1844, al. 1er du Code civil, dont l’énoncé constitue le chapeau de l’arrêt : « Attendu que tout associé a le droit de participer aux décisions collectives ».

 Il n’est bien entendu pas question que le même droit de vote soit utilisé deux fois pour voter sur la même décision, une fois par le mandataire commun des indivisaires et une fois par le représentant individuel de l’indivisaire pris individuellement. La Cour de cassation reprend en réalité la distinction du droit de vote et du droit de participer aux décisions collectives, déjà retenue par d’autres arrêts (Cass. com., 2 déc. 2008, n° 08-13185, http://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000019882804&fastReqId=1202648634&fastPos=1).

 En somme, si le droit de vote des indivisaires est exercé par un mandataire, cela ne saurait priver l’associé qu’est par ailleurs l’indivisaire de son droit de participer aux décisions collectives, que ce soit personnellement ou par le biais d’un représentant.

 En matière de société anonyme, la Cour de cassation autorise un actionnaire à confier simultanément à plusieurs mandataires la mission de le représenter (Cass. com., 19 sept. 2006, n° 05-13264, http://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000007511024&fastReqId=1276720158&fastPos=1), tandis qu’en matière de SARL, l’article L. 223-28 du Code de commerce interdit expressément à un associé de « constituer un mandataire pour voter du chef d’une partie de ses parts et voter en personne du chef de l’autre partie »…

 Mais ne pourrait-on admettre qu’un associé nomme un mandataire pour le représenter dans l’exercice de son droit de vote et se rende tout de même à l’assemblée pour exercer son droit de participer aux décisions collectives ? Si un indivisaire peut le faire, un « plein associé » ne pourrait-il a fortiori scinder son droit de vote et de participer aux décisions collectives ? La réponse nous semble cependant négative en principe, et ce pour deux raisons au moins. D’une part, les droits sociaux sont indivisibles à l’égard de la société, ce qui doit interdire de les écarteler ainsi. D’autre part, si l’indivisaire se trouve autorisé à voter par mandataire tout en participant directement par ailleurs (éventuellement par un autre mandataire), il faut se souvenir que la loi lui impose de passer par le mandataire commun de l’article 1844 du Code civil ou de l’article L. 225-110 pour exercer son droit de vote, sans qu’il puisse donc le mettre en œuvre personnellement. En revanche, il doit être possible à un associé, lorsque la loi ne l’interdit pas comme elle le fait pour la SARL, d’être présent pour une partie de ses parts ou actions et d’être représenté pour le reste.

 Bruno DONDERO

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