Archives mensuelles : juin 2017

Les cours en ligne et les auto-étudiants

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Mais où sont passés mes étudiants ?

On s’interroge depuis longtemps maintenant sur les performances des cours en ligne par rapport aux cours traditionnels (débat qui recoupe partiellement celui sur les MOOCs, cours ouverts en ligne). Un rapport de deux chercheurs américains, du début du mois de juin, souligne les effets négatifs des cours en ligne. En synthèse, celui qui suit un cours en ligne a des notes moins bonnes, et plus de probabilités d’arrêter en cours de formation. Ces effets se concentreraient sur les étudiants aux performances les plus basses, précise l’étude. Pour les étudiants aux meilleurs résultats, les effets négatifs de la formation en ligne seraient en revanche imperceptibles.

Cela fait renaître les discussions sur la comparaison des cours traditionnels, présentiels, et des cours à distance, dits « en ligne » quand ils sont accessibles via internet.

 

 

Les éléments de comparaison.

Disons-le clairement: il est évident que l’étudiant est mieux pris en main, et apprend mieux un cours, s’il a la possibilité de se rendre physiquement à l’université, dans des conditions de travail idéales (salle de cours confortable, pas trop de monde, prise de notes au rythme de l’étudiant, etc.), que s’il est laissé à lui-même, avec des supports de cours qu’il doit découvrir, déchiffrer, décortiquer, etc.

Il est en outre évident que plus l’étudiant sera de faible niveau, plus il lui sera difficile d’exploiter seul ce type de support. On pourrait d’ailleurs voir un paradoxe dans cela, puisque les cours en ligne sont souvent présentés comme le moyen d’aider des étudiants dans des situations particulières: éloignement géographique, impossibilité de se déplacer, étudiants détenus, etc. Du coup, on propose à ces étudiants qui ont moins de facilité que les autres des dispositifs pédagogiques qui les accompagnent moins bien. Cherchez l’erreur…

Il faut tout de même relativiser les choses. Déjà, quand on parle de « cours en ligne », on peut avoir en tête plein de choses très différentes. Il peut s’agir d’un support écrit mis en ligne, avec ou sans possibilité pour l’étudiant d’interroger un enseignant sur ce qu’il a lu. « J’ai mis mon cours en ligne »: le support écrit de mon cours est accessible par internet. Cela veut-il dire que les étudiants ont accès à un cours en ligne ? Celui qui télécharge le document peut-il dire, quand il l’a vaguement lu, qu’il a « suivi un cours en ligne » ?

Il est certain que rien ne remplace l’interaction entre un étudiant et son enseignant. Dans un monde pédagogique idéal, l’étudiant a pris connaissance des éléments du cours avant, et il arrive pour confronter ses connaissances aux questions de l’enseignant, qui va le faire progresser. C’est ce que l’on fait, à la fac de droit, en séance de travaux dirigés (TD) dans les années de licence et master 1 ou en séminaire dans l’année de master 2. Il y a moins d’interaction, en revanche, voire pas du tout, dans les cours magistraux, en amphithéâtre et avec un grand effectif.

Pour ces derniers cours, on peut se demander si les remplacer en partie par des cours en ligne ne serait pas une bonne idée. J’avais fait cette suggestion il y a quelques années déjà.

 

Les auto-étudiants.

Le système économique français compte un grand nombre de personnes ayant le statut d’auto-entrepreneur. Il faut prendre conscience de l’existence dans notre système éducatif de ce qu’on peut appeler des « auto-étudiants ».

J’entends par là des étudiants qui se forment pour grande partie par leurs propres moyens.

Tout étudiant doit faire preuve d’autonomie dans son apprentissage. Mais il est des étudiants, dans les cursus traditionnels et plus encore dans les cursus à distance, qui se forment surtout par eux-mêmes.

Quand l’enseignement à distance se faisait par correspondance, l’étudiant qui recourait à ce système était essentiellement un auto-étudiant. Les dispositifs actuels de cours à distance visent à donner à l’étudiant des occasions d’échanges, en passant par des plateformes pédagogiques, des cours à des horaires aménagés, etc. C’est qu’un étudiant qui a suivi un cours en ligne a besoin, autant qu’un autre, et sans doute plus qu’un autre, de pouvoir se livrer à des échanges avec des enseignants.

Un étudiant motivé, surtout s’il a acquis une méthodologie efficace, est bien entendu tout à fait capable de réussir des examens en ayant seulement lu un cours en ligne ou un manuel. On peut donc réussir sans interaction avec un enseignant. Mais c’est beaucoup plus dur, cela demande une motivation considérable, et enfin, il est dommage que l’étudiant ne puisse pas profiter d’un enseignement au sens propre.

Il faut tout de même prendre conscience du fait que les étudiants qui se livrent à cet auto-apprentissage le font souvent parce que leur situation les contraint à cela. Tel étudiant de grande école qui veut faire une double formation et apprendre le droit en même temps pourra s’inscrire en droit, mais sa formation en école ne lui laissera pas le temps d’aller aux séances de TD.

Cet « auto-étudiant » là, avec une méthode de travail déjà bien rodée, sera souvent tout à fait à même de se former à partir des supports que l’on aura mis à sa disposition. Certes, il aurait été mieux formé s’il avait pu suivre des TD, échanger avec des enseignants, etc. Maintenant, il n’aurait pu faire en même temps les deux cursus en présentiel et à temps complet.

L’enseignement en ligne est souvent choisi parce qu’il permet à une personne – qui travaille, qui est en double cursus, qui est éloignée, etc. – de faire des études qui ne seraient pas réalisables autrement.

C’est un enseignement difficile à suivre pour ces personnes, qui doivent s’investir énormément.

C’est un enseignement qui demande aussi aux enseignants de revoir leurs méthodes pédagogiques et de sortir de leur zone de confort, pour reprendre une expression agaçante… et en admettant qu’il y ait une zone de confort dans un enseignement !

 

Le débat sur les méthodes pédagogiques et le numérique.

Les méthodes pédagogiques, justement, parlons-en. Il est tout à fait normal de s’interroger sur la pertinence du passage au numérique de nos enseignements. Dans quelle mesure le faire, comment le faire, pour quels étudiants, avec quel accompagnement ? Il n’est pas question de dématérialiser intégralement l’université, les cours, les enseignants, mais si internet offre des opportunités nouvelles, il serait dommage de ne pas les étudier.

En toute hypothèse, que l’enseignement en ligne ne soit pas exempt de faiblesses ne doit pas être un argument commode pour éviter d’avancer dans la réflexion sur l’évolution des méthodes d’enseignement.

En fac de droit, je trouve qu’il est sain d’essayer de ne pas s’en tenir au modèle « classique ». On peut essayer de recourir à des exercices divers: simulations de procès et autres jeux de rôles, serious games, etc.

On peut aussi faire des choses simples comme filmer les cours et les mettre en ligne.

Je l’ai fait cette année pour mon cours de droit des sociétés 1 et 2. Deux semestres de cours d’amphi sont donc accessibles sur YouTube, ici pour le semestre 1, et là pour le semestre 2. Je le referai sans doute l’année prochaine. Mon université, Paris 1 Panthéon – Sorbonne, a d’ailleurs créé une chaîne internet dédiée à ces cours en direct.

Ces cours filmés peuvent servir à la fois dans le cadre d’un enseignement présentiel, dans celui d’un cours à distance, comme moyen d’information sur le droit aux justiciables, comme moyen de diffusion du droit français, etc.

Mes étudiants se servent de ces cours, des étudiants d’autres universités, françaises ou étrangères s’en servent aussi, ainsi que des personnes qui ne sont pas étudiantes. On verra si la pratique se répand ou non.

Tentar non nuoce, comme disent nos amis italiens: essayer ne nuit pas !

Bruno Dondero

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Le dirigeant, payé à ne rien faire ? (Cass. com., 21 juin 2017, n° 1519593)

La société à responsabilité limitée (SARL) étant encore une société très répandue, les décisions relatives à son régime sont toujours intéressantes. L’arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 21 juin 2017 et destiné à publication aux deux Bulletins, déjà mis en ligne sur le site de la Cour, l’est d’autant plus qu’il enrichit la question de la rémunération des dirigeants, au-delà du seul cadre de la SARL.

Le 14 septembre 2006, M. X cédait les parts qu’il détenait dans le capital de la SARL (en l’occurrence une SELARL) dont il était associé et cogérant. Postérieurement à cette cession, il assignait son ancienne société, qu’il estimait lui devoir diverses sommes, particulièrement, selon les termes employés par la décision, au titre d’ « indemnités de gérance ».

La société défenderesse soulevait de son côté l’irrecevabilité des demandes formées par son ancien maître en se prévalant de l’existence d’un protocole d’accord.

La cour d’appel saisie du litige déclarait la demande en paiement recevable, mais mal fondée.

La question de la recevabilité était discutée par un pourvoi incident formé par la SELARL, rejeté pour des raisons qui n’intéressent pas le droit des sociétés.

En revanche, sur pourvoi formé par l’ancien associé et gérant, l’arrêt d’appel est cassé en ce qu’il avait rejeté la demande en paiement.

Voyons la question et la réponse qui lui est donnée par la Cour de cassation (I), avant de tenter de comprendre l’apport de la décision (II).

I – La question posée et la réponse apportée.

La cour d’appel avait rejeté la demande de l’ancien gérant en relevant que :

  1. l’assemblée générale ordinaire des associés avait fixé la rémunération à laquelle chaque gérant aurait droit à 6 000 euros par mois ;
  2. l’indemnité due à un gérant doit correspondre à un travail réalisé pour la société ;
  3. l’associé absent pour maladie ne pouvait accomplir ce travail, sauf à celui-ci à établir qu’il était demeuré à même d’exercer sa fonction de cogérant ;
  4. il ne rapportait pas cette preuve.

La Cour de cassation censure l’arrêt d’appel pour violation de l’article L. 223-18 du Code de commerce. Ce texte est relatif au gérant de SARL, mais il ne traite à aucun moment de la rémunération éventuellement due à celui-ci.

La Chambre commerciale juge par un attendu de principe que la SARL « est gérée par une ou plusieurs personnes physiques, associées ou non, dont la rémunération, fixée soit par les statuts soit par une décision collective des associés, est due tant qu’aucune décision la révoquant n’est intervenue ».

Plusieurs arrêts de la Cour de cassation avaient rappelé l’importance de la fixation de la rémunération du gérant de SARL par les statuts de celle-ci ou par une décision collective des associés (v. not. Cass. com., 25 sept. 2012, deux arrêts, n° 11-22337, Bull. IV, n° 169 ; BRDA 22/12, n° 5 ; D. 2012, p. 2301, obs. A. Lienhard ; BJS 2013, p. 26, note B. Dondero et n° 11-22754, Bull. IV, n° 171 ; BRDA 19/12, n° 1 ; D. 2012, p. 2302, obs. A. Lienhard ; BJS 2013, p. 22, note B. Dondero). Cette jurisprudence visait à combattre, particulièrement dans les petites sociétés, les pratiques d’auto-attribution d’une rémunération par le gérant sans l’accord des associés, ou les situations dans lesquelles le gérant étant également associé, le gérant (associé) s’attribuait des sommes avec l’accord tacite de l’associé (gérant)…

La détermination de la rémunération du gérant de SARL par les statuts ou par une décision des associés était jusqu’à présent une condition formelle de validité du versement d’une rémunération. La décision commentée semble déplacer le débat sur le terrain de la preuve.

Pour que la société soit tenue de verser la rémunération au gérant, faut-il que celui-ci établisse avoir fourni la prestation de direction attendue ? Si c’était là la solution retenue, le gérant qui aurait été absent – en l’occurrence il était indiqué par la cour d’appel que « l’associé » était « absent pour maladie » – et qui n’aurait pas pu diriger effectivement la société se verrait privé de rémunération.

La Cour de cassation juge cependant que la rémunération, déterminée par une clause des statuts ou par une décision des associés, est due sans que l’absence du gérant puisse s’opposer à cela.

II – L’apport de la décision.

On comprend de la décision commentée que, une fois la rémunération déterminée par les statuts ou par une décision des associés, le gérant n’a pas à établir la preuve de ce qu’il exerçait effectivement ses fonctions pour obtenir le versement de la rémunération.

On peut admettre que la charge de la preuve repose sur la société, et que l’on n’impose pas au dirigeant, une fois sa rémunération décidée, de prouver l’existence de son activité. Mais est-il possible à la société de refuser de verser à son gérant la rémunération prévue, motif tiré de l’absence du dirigeant ou, plus largement, du fait qu’il n’aurait pas fourni la prestation de direction attendue ?

L’arrêt commenté semble dire que non puisqu’il juge que « la rémunération, fixée soit par les statuts soit par une décision collective des associés, est due tant qu’aucune décision la révoquant n’est intervenue » (je souligne).

Il serait possible, mais l’on n’en doutait pas, qu’une décision des associés modifie pour l’avenir la rémunération convenue, en la réduisant ou en la supprimant complétement. Cela pourrait d’ailleurs aboutir, peut-on imaginer, à une révocation déguisée du dirigeant. Si la révocation du gérant de SARL suppose de démontrer un juste motif (art. L. 223-25 du Code de commerce), on pourrait, à défaut de juste motif, pousser le gérant rémunéré vers la sortie en instituant la gratuité de ses fonctions ou en le payant très peu.

Hors ce cas de « révocation » de la rémunération, pour reprendre les termes approximatifs de la Cour de cassation, la rémunération du gérant de SARL – et avec elle la rémunération des dirigeants sociaux en général – connaît peut-être une évolution avec l’arrêt du 21 juin 2017.

En indiquant que la rémunération est due peu important la maladie du dirigeant, la Cour de cassation éloigne le mandat social du contrat à titre onéreux classique, puisque si la rémunération est déterminée par les statuts ou par une décision des associés, elle est due, peu important la contrepartie reçue par la société… sous quelques réserves.

Tout d’abord, la rémunération excessive, qui recouvre l’hypothèse de sommes versées sans aucune contrepartie, pourra certainement donner lieu à restitution. Un fondement concevable est celui du traitement civil de l’abus de biens sociaux ; un autre est celui de l’abus de majorité.

Ensuite, et comme le rappelle l’arrêt commenté, la rémunération peut toujours être remise en cause. Si les associés estiment que la rémunération du dirigeant est excessive par rapport aux services fournis, il leur appartient de la revoir à la baisse… du moins si le dirigeant n’est pas en position de bloquer cette décision. Le principe est que le dirigeant associé peut voter, en qualité d’associé, sur la rémunération qui lui est due en tant que dirigeant.

Enfin, le fondement de ce statut particulier de la rémunération du dirigeant est sans doute à rechercher dans le caractère complexe des fonctions exercées. Même s’il est absent pour cause de maladie, le dirigeant n’en demeure pas moins tenu par son mandat social. Outre la possibilité de prendre des décisions à distance, il conserve notamment toutes les responsabilités attachées à la qualité de dirigeant (responsabilité pénale du chef d’entreprise notamment). La solution inverse à celle retenue, qui aurait consisté à admettre une direction par intermittence, suspendue au gré des empêchements et maladies du dirigeant, n’aurait été bonne pour personne : la société aurait été dépourvue de dirigeant, et la responsabilité de celui-ci aurait pu être écartée d’un coup d’arrêt-maladie opportun !

Bruno DONDERO

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Nouvel arrêt de la Cour de cassation anti-pactes d’actionnaires (Cass. com., 26 avril 2017, n° 15-12888)

L’essentiel: la Cour de cassation vient à nouveau fragiliser les pactes d’actionnaires par une décision qui laisse entendre que la clause du pacte qui prévoit la nomination d’une personne au poste de directeur général est dépourvue de valeur.

 

Les pactes d’actionnaires vivent une période contrastée.

D’un côté, l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 réformant le droit des contrats a conféré aux pactes une sécurité accrue et une efficacité renforcée, notamment en faisant disparaître le principe selon lequel les obligations de faire et de ne pas faire ne pouvaient pas donner lieu à exécution forcée en nature (ancien art. 1142 C. civ.).

De l’autre côté, la Cour de cassation rend des décisions qui sont de nature à troubler les rédacteurs et les utilisateurs de pactes d’actionnaires. On se souvient de l’arrêt du 25 janvier 2017, par lequel la Chambre commerciale avait affirmé que seuls les statuts d’une SAS fixent les conditions dans lesquelles la société est dirigée (Cass. com., 25 janv. 2017, n° 14-28792, P+B+R+I ; Dr. Sociétés 2017, comm. n° 60, note J. Heinich ; Rép. Defrénois 2017, p. 311, note B. Dondero). Cet arrêt à la très large diffusion ne concernait pas un pacte d’actionnaires mais la question de savoir si l’on pouvait être qualifié d’administrateur d’une SAS quand les statuts de celle-ci ne la dotaient pas d’un conseil d’administration. L’attendu de principe excluant qu’une autre convention que les statuts puisse toucher à la direction de la SAS avait suscité de l’inquiétude, et obligé à un travail d’interprétation de la décision afin de lui restituer sa juste portée. C’est à un travail identique qu’il convient de se livrer s’agissant de l’arrêt rendu par la même Chambre commerciale le 26 avril 2017.

Cet arrêt (Cass. com., 26 avril 2017, n° 15-12888) n’est pas destiné à publication aux Bulletins de la Cour de cassation, convient-il de préciser avant tout. Autre différence avec l’arrêt du mois de janvier, il concernait véritablement, pour le coup, l’exécution d’un pacte d’actionnaires, relatif à la désignation des mandataires sociaux d’une société. Dernière différence : la société en question était une société anonyme, et on pourra s’interroger sur le caractère transposable de la solution.

Les faits pertinents sont les suivants. Une fusion intervenait entre des sociétés X et Y ayant une activité de concessionnaire automobile. La société Z issue de la fusion voyait son fonctionnement encadré par un pacte, qui stipulait qu’elle serait administrée par un conseil d’administration composé par un nombre pair de membres, choisis à parité parmi les candidats présentés par les deux groupes d’actionnaires de Z correspondant aux anciens actionnaires de X, majoritaires, et Y, minoritaires. Il était stipulé que les fonctions de président du conseil d’administration seraient attribués à M. A, participant au groupe X, tandis que M. B, participant au groupe Y, assumerait celles de directeur général de la société.

Le directeur général était cependant révoqué. Précisément, les statuts de la société prévoyaient que le directeur général devait être administrateur, et la perte de cette seconde qualité entraînait automatiquement celle de la première. L’assemblée des actionnaires révoquait le mandat d’administrateur de M. B, ce qui lui faisait perdre automatiquement son mandat de DG. B se tournait alors vers M. A, auquel il reprochait d’avoir agi en violation du pacte d’actionnaires. Il lui demandait des dommages-intérêts à ce titre, à hauteur d’1,5 million d’euros, demande qui visait aussi un actionnaire personne morale du groupe A.

 

I – La question posée aux juges et les réponses apportées.

La demande de dommages-intérêts formée par le DG/administrateur révoqué avait semble-t-il fait l’objet d’un rejet en première instance. La cour d’appel saisie du litige rejetait la demande également, notamment au motif que les actions de M. A visant à évincer M. B de son poste de directeur général n’étaient pas établies, étant ajouté que ce grief faisait « double emploi avec la demande indemnitaire fondée sur la révocation abusive du mandat d’administrateur ».

La Cour de cassation sauve l’arrêt d’appel, mais en ayant préalablement opéré une substitution de motifs.

Le demandeur au pourvoi plaidait tout d’abord que son éviction du poste de DG, en contrariété du pacte, lui ouvrait droit à indemnisation, sans qu’il soit nécessaire de faire la preuve du caractère abusif de sa révocation. Il soutenait également que M. A, qui était majoritaire en capital, lui avait fait perdre ses fonctions de DG en votant la révocation de son mandat d’administrateur, les statuts de la société en cause liant le mandat de DG à celui d’administrateur.

Au vrai, il était contestable de faire masse du contentieux de la révocation abusive et de celui du non-respect du pacte, qui n’ont pas les mêmes protagonistes, d’ailleurs. Lorsqu’un engagement est pris de placer telle personne à telle fonction dans le cadre d’un pacte, le non-respect de cet engagement est une violation du pacte, dont les créanciers de l’engagement demanderont la réparation, s’ils ne peuvent obtenir l’exécution de l’obligation prise. Le contentieux concernera donc en principe les seuls signataires du pacte. Le mandataire social révoqué demandera réparation à la société, et éventuellement aux associés/actionnaires ayant commis une faute séparable de leurs prérogatives d’associé.

La Cour de cassation va trouver le moyen de sortir du débat les affirmations discutables de l’arrêt d’appel. Elle va pour cela rappeler un principe, selon lequel « est illicite toute stipulation ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à la libre révocabilité de l’administrateur d’une société anonyme ». Elle constate ensuite que les stipulations du pacte d’actionnaires étaient de cette nature, ce qui avait pour conséquence d’empêcher la demande formée par le dirigeant révoqué de prospérer.

La question de la portée se pose sous deux aspects : celle de son impact sur les pactes d’actionnaires, et celle de sa transposition aux formes sociales autres que celle de la société anonyme.

II – L’affaiblissement des pactes ?

Tout d’abord, la solution affaiblit-elle les pactes d’actionnaires ? Il faut craindre que oui.

L’une des stipulations que l’on rencontre fréquemment dans les pactes est bien celle consistant à désigner telle personne en qualité de dirigeant. Plus exactement, les signataires du pacte prennent l’engagement d’utiliser leurs prérogatives au sein des organes compétents pour atteindre l’objectif indiqué. Le pacte ne nomme pas une personne au poste de DG, mais il prévoit que les signataires s’engagent à voter en faveur de la nomination de cette personne au poste de DG.

Face à ce type de stipulation, on n’a jamais eu d’illusion sur le risque de voir le dirigeant nommé être ensuite révoqué. Si l’on peut prendre dans un pacte l’engagement de voter en faveur de l’accession d’une personne à un mandat social, la société pourrait par la suite mettre fin au mandat social concerné. L’engagement de faire accéder à un mandat social n’écarte pas la possibilité d’une révocation. Et qui a accepté en tant que signataire du pacte de favoriser la nomination de X au poste de dirigeant devra se souvenir lors du vote portant sur la possible révocation de X qu’il doit avoir égard avant tout à l’intérêt social (Cass. com. 7 janv. 2004, n° 00-11692: « les conventions entre actionnaires sont valables lorsqu’elles ne sont pas contraires à une règle d’ordre public, à une stipulation impérative des statuts ou à l’intérêt social »).

Simplement, on pouvait tout de même penser que le signataire d’un pacte qui 1) prenait l’engagement de faire nommer X au poste de DG et 2) votait ensuite sa révocation, pouvait tout de même avoir des comptes à rendre aux autres signataires du pacte. Sans que la question se résolve toujours de la même manière, on pouvait imaginer que l’actionnaire ayant voté la révocation doive ensuite démontrer en quoi ce vote était favorable à l’intérêt social, plutôt que le maintien du dirigeant, en conformité avec le pacte.

Ici, la Cour de cassation laisse entendre que l’on ne pourra jamais obtenir réparation du préjudice, puisque toute stipulation entravant la libre révocabilité du dirigeant serait illicite. En somme, le pacte ne vaudrait rien…

J’exagère, puisqu’il n’est pas dit que le signataire du pacte qui ne voterait pas la nomination ne verrait pas les autres signataires lui demander des comptes. Mais la décision semble tout de même donner peu de valeur aux pactes, puisqu’il n’y aura même pas de débat, une fois la révocation intervenue, sur la question de la conformité du vote du signataire du pacte à l’intérêt social.

 

III – La transposition à d’autres formes sociales ?

Le principe invoqué par la Cour de cassation est ancré dans une forme sociale bien déterminée : « est illicite toute stipulation ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à la libre révocabilité de l’administrateur d’une société anonyme » (je souligne). Qu’en est-il des autres formes sociales, et particulièrement de la SAS ?

On sait que la SAS étant régie par les statuts, il est concevable d’y placer un président ou d’autres dirigeants qui seraient inamovibles, irrévocables. Le principe connaît certainement des atteintes, directes ou indirectes, qui vont de l’abus de majorité aux interventions judiciaires permettant d’écarter le dirigeant pourtant… inamovible (v. M. Germain et P.-L. Périn, SAS – La société par actions simplifiée, 6ème éd., Joly, 2016, n° 567-2).

Maintenant, la règle inverse, à savoir celle selon laquelle un dirigeant serait toujours révocable, n’est pas dénuée de support. On discute encore pour savoir si le mandat social est bien un mandat, mais on rappellera que le mandat du Code civil est révocable par le mandant « quand bon lui semble » (art. 2004 C. civ.). Le mandat stipulé irrévocable est d’ailleurs toujours révocable (v. en ce sens Cass. civ. 1ère, 5 févr. 2002, Bull. I, n° 40). L’idée que l’intérêt social doit prévaloir, et permettre à la société à révoquer librement son mandataire, sans que ce pouvoir puisse être entravé par les statuts, doit être évoquée. Enfin, les juges pourraient être tentés de reconnaître dans d’autres sociétés le principe selon lequel le mandataire social peut être révoqué à tout moment (v. en ce sens, à propos d’une SAS, CA Paris, 2 oct. 2014, RG n° 13/24889, RJDA 2/15, n° 114 ; RTD com. 2015, p. 121, obs. P. Le Cannu).

En toute hypothèse, les clauses déclarant le président inamovible ne sont sans doute pas très fréquentes.

Reste à savoir si la Cour de cassation, qui n’a visé ici que le principe applicable à l’administrateur de société anonyme, envisage son extension à d’autres sociétés, ce qui contribuerait, du coup, à affaiblir aussi les pactes qui sont conclus entre actionnaires ou associés de ces autres sociétés.

En conclusion, il est dommage que la Cour de cassation ait à nouveau fragilisé les pactes d’actionnaires.

 

Bruno DONDERO

 

 

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L’intelligence artificielle est-elle à l’abri des biais cognitifs ?

L’intelligence artificielle (IA) est de plus en plus présente dans nos vies, que nous nous en rendions compte ou pas. L’IA est utilisée par de très nombreuses applications, sites, logiciels, etc. que nous utilisons quotidiennement. Mais l’évolution du rôle de l’IA dans notre société tient aussi aux « exploits » qu’elle accomplit, et qui sont largement médiatisés.

L’IA est tellement forte qu’un ordinateur bat les plus grands champions humains aux échecs ou au jeu de go. Ce ne sont que des activités ludiques, certes, mais la victoire de l’IA y est sans appel, et si l’ordinateur nous est supérieur dans ces activités intellectuelles, que va-t-il faire, que va-t-il nous faire bientôt ? Est-ce lui, par exemple, qui va nous juger dans un avenir proche, lorsque nos tribunaux humains auront été remplacés par une justice robotisée ?

Pour l’heure, contentons-nous de nous interroger sur les avantages, sur les forces de l’IA. Si elle est créée par l’homme, c’est bien pour l’aider dans son activité. Si une partie de cette activité implique de lourds travaux d’analyse et la prise de décisions nombreuses, la machine peut y aider.

L’humain garde pour lui la créativité, la sensibilité, là où l’IA ne devrait pas (pour le moment du moins!) pouvoir imiter cela. L’homme continuera donc à utiliser ses meilleures qualités.

Dans le même temps, l’IA pourra faire ce qu’elle fait le mieux, sans les faiblesses des humains. On pense bien entendu à ses capacités de procéder au traitement et à l’analyse de très nombreuses données. Récemment, l’intervention du logiciel Anacrim en a donné une illustration en permettant de – peut-être – avancer vers la résolution de l’affaire du « petit Grégory ».

L’IA n’a pas les faiblesses des humains, c’est-à-dire qu’elle ne devrait pas être affectée par les innombrables biais cognitifs qui altèrent le raisonnement de l’être humain. De nos différents préjugés aux biais mnésiques (comme l’effet de récence, qui consiste à mieux se souvenir des dernières informations auxquelles on a été confronté), en passant par les biais de raisonnement (comme le biais de confirmation, qui consiste à préférer les éléments qui confirment une hypothèse, plutôt que ceux qui pourraient l’infirmer), autant de risques de voir l’analyste humain se détourner de la vérité. Cela ne devrait pas arriver à la machine… enfin, on l’espère !

On peut en effet se demander s’il n’est pas possible que les programmeurs aient tout de même « contaminé » la machine, et que leurs biais de raisonnement soient reproduits par l’IA. Après tout, l’ordinateur ne sait pas faire davantage ou mieux que ce que ses programmeurs lui ont permis. On sait que l’IA est censée pouvoir progresser, mais n’est-il pas possible qu’elle soit incapable de se libérer de ses vices de programmation initiaux ?

La question est passionnante.

Une autre question qui se pose est celle de savoir si les biais cognitifs ne sont pas trop humains pour être analysés par l’IA. Si elle ne détecte pas ses propres biais, l’IA est-elle en mesure de les prendre en compte lorsqu’elle analyse les décisions des humains ?

Dernière question, liée au rôle de l’IA dans les activités juridiques (analyser la jurisprudence, produire des décisions). On connaît l’importance de l’intime conviction du juge (v. ainsi le Code de procédure pénale, lorsqu’il dispose en son article 427 que « Hors les cas où la loi en dispose autrement, les infractions peuvent être établies par tout mode de preuve et le juge décide d’après son intime conviction« ). La machine a-t-elle une « intime conviction », et peut-elle même comprendre cette notion ?

Bruno Dondero

 

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Les conflits d’intérêts: quel régime juridique?

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L’intérêt de mon client me ferait dire non, mon intérêt personnel me dit de dire oui…

 

Conflit d’intérêts… Les mots ont déjà l’air de désigner une infraction. « Il était en conflit d’intérêts… ». « – Et il a été condamné à combien? », est-on tenté de demander.

Il n’est pas inutile de revenir sur le régime juridique du conflit d’intérêts, pour essayer de comprendre les différentes « affaires » touchant des responsables politiques et dans lesquelles cette notion est invoquée.

Définition. Il y a conflit d’intérêts quand une personne est chargée d’effectuer une mission, d’intérêt public ou d’intérêt privé, et qu’elle est simultanément placée dans une situation dont on peut penser qu’elle va nuire au bon déroulement de la première mission.

Exemples. Ce peut être le député qui conseille des entreprises privées, parce que cela est autorisé sous certaines conditions, et qui va peut-être voter des lois favorisant ces entreprises. Ce peut être le salarié qui monte une entreprise concurrente de celle de son employeur. Ce peut être encore l’avocat qui conseille deux clients aux intérêts opposés. La liste est infinie.

Pas de régime général. En dépit de la fréquence avec laquelle ce genre de situation peut survenir, notre droit positif ne dispose pas d’un dispositif d’identification et de traitement des conflits d’intérêts universellement applicable. Du moins d’un point de vue formel. C’est-à-dire qu’il n’existe pas un texte général, applicable à toute relation de droit privé ou à toute relation de droit public, et imposant à une personne se voyant confier la défense d’un intérêt donné de mettre en œuvre un comportement déterminé, en présence d’un intérêt concurrent qu’elle serait également chargée de défendre, ou simplement au regard de son intérêt personnel.

De très nombreux régimes spéciaux. S’il n’y a pas de règle générale, il existe en revanche un nombre considérable de réglementations spéciales. Des avocats aux dirigeants de sociétés, de mutuelles et d’autres groupements, en passant par le mandataire, l’agent immobilier ou le député, des lois et des décrets particuliers imposent, dans telle ou telle situation de conflit d’intérêts, différents comportements:

  • obligation d’informer la ou les parties dont l’intérêt est en cause;
  • obligation d’obtenir une autorisation de la ou des parties dont l’intérêt est en cause;
  • interdiction de prendre part aux décisions relatives à la situation de conflit d’intérêts.

Il peut également être purement et simplement interdit de laisser la situation de conflit d’intérêts se constituer.

Aller au-delà des règles juridiques? Une difficulté vient de ce que le droit peut encadrer certaines situations de conflit d’intérêts seulement, et laisser les autres situations à l’appréciation des acteurs concernés. En clair, toute situation de conflit d’intérêts n’est pas réglementée ou interdite par un texte spécial. Cela n’empêchera pas le droit de s’appliquer. Le dirigeant de société qui n’a pas l’obligation d’appliquer une procédure particulière d’autorisation mais qui fait prendre à son entreprise des décisions qui l’avantagent personnellement ou l’un de ses proches engage sa responsabilité civile et pénale (délit d’abus de biens sociaux ou d’abus de confiance).

Après, la notion de conflit d’intérêts peut faire l’objet d’appréciations personnelles extensives ou réductrices, ce qui peut poser deux types de difficultés.

Appréciation personnelle extensive. Imaginons un dirigeant de société qui considérerait que toute relation impliquant sa société et une entreprise dirigée par l’un de ses amis est à proscrire, car suspecte. En adoptant cette politique « extrême », il priverait peut-être son entreprise de belles opportunités. Alternativement, notre dirigeant pourrait décider de ne pas participer directement aux décisions de sa société impliquant les entreprises dont il connaît personnellement le dirigeant, pour qu’on ne puisse lui reprocher de favoriser ses amis. Mais le problème viendrait alors du fait que le dirigeant n’exercerait plus pleinement ses attributions.

Appréciation personnelle réductrice. Un dirigeant pourrait aussi avoir une conception réductrice du conflit d’intérêts, et considérer que tout ce qui n’est pas interdit expressément par la loi est permis. Il est vrai que le principe est la liberté d’entreprendre et qu’une règle d’interprétation connue est celle selon laquelle les exceptions à un principe sont d’interprétation stricte. Mais l’on sait que le fait de se trouver en conflit d’intérêts peut être contesté, même si aucun texte ne l’interdit.

En synthèse, la question des conflits d’intérêts est très sensible à gérer. Elle l’est d’autant plus que les appréciations varient en fonction de la sensibilité personnelle de chacun. Le minimum est de respecter les règles légales régissant les conflits d’intérêts, mais cela peut ne pas suffire, la question n’étant pas uniquement juridique.

Bruno DONDERO

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La sauvegarde Tapie (jugement du Tribunal de commerce de Paris du 6 juin 2017)

Sauvegarde Tapie

J’ai eu le plaisir d’échanger hier soir avec Laurent Mauduit et Fabrice Arfi, de Mediapart, et avec Eric Alt, vice-président d’Anticor, sur la sauvegarde dont a bénéficié Bernard Tapie. Les discussions sont visibles ici sur YouTube.

Le plan de sauvegarde a été adopté par le Tribunal de commerce de Paris, par jugement du 6 juin 2017.

Un passage essentiel de la décision est celui (p. 8) où l’administrateur judiciaire fait observer que le Tribunal a le choix entre une sauvegarde et une liquidation judiciaire, mais que cela ne changera rien à la situation des créanciers, et qu’une sauvegarde permettra simplement aux sociétés du groupe Tapie de mieux liquider leurs actifs, si le besoin s’en fait sentir.

Bonne lecture!

Bruno DONDERO

 

 

 

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