« Humour » en amphi et lynchage sur les réseaux sociaux

Mardi 17 janvier 2017, un enseignant-chercheur de l’Université de Lille 2 règle son micro pendant son cours, et dit que « C’est comme les femmes, il faut taper dessus« , puis « C’est comme les femmes, il faut taper dessus deux fois pour qu’elles comprennent« . Des étudiants quittent l’amphithéâtre. L’enseignant leur dit « Ça, c’est les féministes qui se lèvent (…). Ça ne me dérange pas tant qu’il n’y a pas des Femen, manquerait plus que ça… Enfin quoique !« . Les propos sont confirmés par leur auteur.

L’Université annonce déjà une sanction disciplinaire.

Pourquoi parler de cela ?

Ce type de propos, on peut ne pas même vouloir l’entendre. Pas mon genre d’humour, alors dire ça devant un amphi… Si un de mes collègues le fait, cela ne m’intéresse pas, je ne vais pas servir de caisse de résonance à cela.

On peut aussi se dire qu’il faut en parler, au contraire, parce que ce n’est pas normal. Les femmes battues, ce n’est pas un sujet de plaisanterie. Point. Un artiste peut en parler (voir l’affaire Orelsan et la pertinente analyse de Jean-Claude Magendie). Mais qu’un enseignant plaisante avec cela, choque des étudiants/étudiantes et se moque en plus, non, on ne peut pas ne pas réagir. Si j’avais été présent, je ne serais pas resté sans réaction, je pense. Un enseignant, avec l’influence qu’il a sur ses étudiants, n’a pas à leur faire comprendre que la violence faite aux femmes, vrai problème de société, n’est pas si grave.

L’enseignant est libre dans son propos, dans sa mission d’enseignant. L’article L. 952-2 du Code de l’éducation dispose ainsi: « Les enseignants-chercheurs, les enseignants et les chercheurs jouissent d’une pleine indépendance et d’une entière liberté d’expression dans l’exercice de leurs fonctions d’enseignement et de leurs activités de recherche, sous les réserves que leur imposent, conformément aux traditions universitaires et aux dispositions du présent code, les principes de tolérance et d’objectivité« . Mais cette liberté ne vaut que dans l’exercice des fonctions: que l’enseignant assortisse son propos de considérations personnelles et se voulant humoristiques sur les femmes, les religions ou les comportements sexuels, cela n’est tout simplement pas admissible. Ici, on ne rentre sans doute pas dans l’infraction d’incitation ou d’apologie sanctionnée par la loi sur la liberté de la presse de 1881, mais les propos choquent tout de même.

Maintenant, on peut faire trois observations complémentaires.

1) Les faits qui nous intéressent ne laissent pas place à la nuance. On ne plaisante pas avec la violence faite aux femmes devant ses étudiants. Mais ne risque-t-on pas d’aller trop loin dans l’interdiction de s’exprimer ? Si l’enseignant qui fait le cours de droit pénal passe trop vite sur certaines infractions, en considérant qu’elles ne sont pas importantes, ne va-t-on pas l’accuser de mépriser les victimes de ces infractions ? On comprend que la liberté de parole de l’enseignant joue alors à plein, lorsqu’il est dans son rôle d’enseignant.

2) Ensuite, on peut quand même se demander si l’enseignant auteur des propos précités (il demande l’anonymat, indique le site de LCI, mais cela n’est pas très réaliste) mérite le lynchage dont il fait l’objet sur les réseaux sociaux. Ce phénomène de cyber-shaming n’est pas inédit. L’un des premiers articles de ce blog, il y a trois ans, était consacré à l’affaire Justine Sacco. Des propos inadmissibles, certes, mais qui entraînent pour leur auteur un déversement de haine qui peut être très difficile à vivre. On a encore assez peu de recul sur les traces qu’on peut laisser sur internet, mais le risque est que le nom d’une personne soit, plusieurs années après, toujours associé à des propos rapportés par internet, au-delà de toute prescription ou oubli (d’où l’utilité du droit à l’oubli reconnu par la Cour de Justice de l’Union européenne).

3) Enfin, on notera que c’est par Twitter que les propos de l’enseignant ont été rapportés. Ce peut être là un danger de l’utilisation des réseaux sociaux pour faire un enseignement ou pour l’enrichir. En l’espèce, l’enseignant n’utilisait pas lui-même Twitter, d’ailleurs, mais c’est un étudiant qui a signalé le fait. Il faut que l’enseignant soit conscient, qu’il utilise lui-même ou non les réseaux sociaux, que son amphithéâtre n’est souvent pas limité à ses quatre murs!

Bruno DONDERO

4 Commentaires

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4 réponses à “« Humour » en amphi et lynchage sur les réseaux sociaux

  1. F. Kaplan

    Je vous rejoins cher collègue dans votre constat et votre condamnation des propos déplorables de ce collègue.
    Mais je vous rejoins également sur les dangers des réseaux sociaux et leur capacité à s’enflammer, sur des braises sans cesse ranimées par des professionnels de l’indignation qui lorsqu’on les connait, hormis leurs cris d’orfraie sur les réseaux sociaux où ils veulent passer pour des héros, ne font pas grand chose d’autre (aucune implication associative, aucune implication sociétale, etc.).
    De fait, il devenu de plus en plus difficile de discuter sur les réseaux sociaux, d’essayer d’apporter nuance et contradiction lorsqu’on est un homme blanc. On est de suite accusé des pires mots alors qu’on ne fait qu’apporter de la contradiction ou un avis différent.
    Nous sommes rentrés dans une ère qui, à mon avis, est très dangereuse pour la liberté d’expression, les tenants du politiquement correct (ici compris dans sa dimension militante, importée des USA) cadenassant tout débat, principalement en lançant des anathèmes et en diffusant une doxa intolérable lorsqu’on aime le débat et la confrontation des idées.
    C’est d’autant plus inquiétant que ces deux éléments sont le socle même de notre métier d’enseignant-chercheur et que ceux qui cherchent à l’éteindre sont issus du même milieu.
    Personnellement, ce triste constat me rend à la fois très sceptique et très triste.

  2. C. Desmaris

    Humour de mauvais goût certes, mais n’en faisons pas une affaire d’Etat. Nous avons tous nos jours sans. Une société avec l’Incorruptible a déjà été expérimentée… Cool, comme dit ma petite cousine.

  3. bpn

    Bientôt une loi qui interdira de pratiquer toute forme d’humour, de dérision ou de provocation. On attend avec impatience!!! Au moins, l’humour hors-la-loi, plus de problèmes.
    Du temps où j’étais étudiante, on aurait fait quelques huées, sur le ton de l’humour nous aussi, et le cours aurait repris.
    Quand on fait de l’humour, on exagère, il finira par y avoir une loi qui assimilera tout propos dit sur le ton de l’ironie, de la moquerie, de la provocation ou de la dérision, pour un avis personnel.

    Certes, ce n’est pas non plus mon genre d’humour, mais la violence du lynchage sur les réseaux sociaux est bien plus brutale et animale que le trait d’humour raté.

  4. ALBERT BIKOLIMANA

    Je pensais que être enseignant mérite un minimum de niveau intellectuel, celui-ci ne mérite pas sa place dans l’enseignement bien que son niveau de connaissance soit sans discussion, je pense qu’il d’autres enseignant quand même capable d’occuper ce poste.

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