Archives mensuelles : décembre 2014

La loi interprétée par blog ministériel (à propos de la FAQ ESS)

L’application des nouvelles technologies aux activités juridiques suscite un grand nombre de questions et de défis. Quelle est l’incidence d’une « amitié » Facebook au regard des règles sur les conflits d’intérêts ? Ne peut-on opposer à un professionnel du droit une interprétation formulée dans un post de blog ? Plus substantiellement, les avocats et les autres professions juridiques doivent-ils éviter les réseaux sociaux et se priver de ce formidable instrument de communication ? Au-delà des professions, c’est la pratique du droit elle-même qui peut être affectée par les nouvelles technologies, comme l’illustre la FAQ relative à la loi ESS.

Pour rappel, la loi du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire (ESS) s’est surtout fait connaître du grand public pour le dispositif d’information des salariés en cas de cession de leur entreprise, plus que pour les mesures concernant les entreprises du secteur de l’ESS proprement dite, et qui amènent les acteurs de cette économie à voir dans la loi une « bonne nouvelle » comme l’illustre cette publicité du Crédit coopératif.

CCOOP_AP_Loi_ESS_def

On peut aussi se réjouir de l’adoption de la loi ESS…

La loi a été publiée le 31 juillet, et a été suivie d’un décret d’application, assez surprenant puisqu’il a créé une exception à l’application de la loi (art. 2 du décret). Après le décret est paru un guide pratique, prenant position sur un certain nombre de points. Ces précisions sont parfois intéressantes, comme lorsque ce guide indique que n’est pas considéré comme une cession « un transfert de propriété dans le cadre d’une transmission universelle de patrimoine ». Dommage qu’il soit dit juste après que « Les donations et libéralités dans le cadre familial ne sont donc pas concernées », ce qui enlève un peu de crédibilité au document, la donation avec TUP restant encore à créer…

Au mois de décembre, est apparue une « FAQ », c’est-à-dire une « Foire Aux Questions » (traduction des Frequently Asked Questions), en deux livraisons. L’une des réponses données intéressera particulièrement les praticiens, puisqu’à la question « Le droit d’information s’applique–t-il lorsqu’il y a une cession de 50% du capital réalisée par plusieurs associés, aucun ne détenant seul plus de 50% de ce capital ?« , il est répondu que « La loi prévoit l’obligation d’information des salariés lorsque le propriétaire d’une participation représentant plus de 50% du capital veut la céder. Elle ne s’applique donc pas lorsque plusieurs propriétaires de participations, représentant chacune moins de 50% du capital, veulent les céder« .

Tant le guide que la FAQ posent une question délicate, qui est celle de savoir quelle valeur accorder à ce type de source. On pense à les rapprocher des réponses ministérielles, qui avaient été étudiées il y a quarante ans maintenant par Bruno Oppetit (Les réponses ministérielles aux questions écrites des parlementaires et l’interprétation des lois, Dalloz 1974, chr., p. 107). En substance, ces écrits n’ont pas une valeur contraignante pour l’administration dont ils émanent, sauf en matière fiscale (v. aujourd’hui art. L. 80 A du Livre des procédures fiscales, et précédemment art. 1649 quinquies E du Code général des impôts). Le juge judiciaire n’est en tous les cas pas lié par les réponses ministérielles, mais lorsque la loi est restée silencieuse sur une question, au moins ces réponses constituent-elles une interprétation provenant d’une source proche du législateur. Tant le guide pratique que la FAQ auront sans doute une influence sur la pratique, et peut-être aussi sur les décisions judiciaires à intervenir en ce domaine, les juges pouvant être tentés de prendre en compte le fait que les rédacteurs d’actes et leurs clients auront eux-mêmes pris en compte ces interprétations.

Mais il y a une différence entre les réponses ministérielles et le guide pratique et la FAQ relatifs à la loi ESS. Les premières sont publiées au Journal officiel, tandis que le guide et la FAQ sont apparus sur une page du site du Ministère de l’économie et des finances… (http://www.economie.gouv.fr/droit-d-information-prealable-salaries-cas-cession-entreprise#FAQ) et pourraient en théorie en être retirés aussi facilement, ou être modifiés sans avertissement. Une réponse ministérielle pourrait toujours opérer un revirement par rapport à une autre, mais l’on garderait au moins au Journal officiel la trace de cette évolution. Il est moins évident et moins parlant de conserver la trace des évolutions successives d’une page internet, d’autant que l’on ne sait pas encore à quel rythme sera modifié ou enrichi ce « blog ministériel » qu’est la FAQ.

Une question pour conclure: viendra-t-il un jour où le droit sera fait et défait, loin du Parlement et des ministères, par toute personne ayant les moyens techniques de modifier les pages du site Legifrance ?

Bruno DONDERO

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MOOC Sorbonne Droit des entreprises, saison 2 !

Difficile d’avoir échappé aux MOOCs, ces Massive Open Online Courses, cours ouverts en ligne et massif, en bon français.

En clair, les universités et d’autres entités mettent en ligne des cours, recourant beaucoup à des vidéos, et ces cours sont utilisables par tous, généralement gratuitement.

Pourquoi investir dans des cours gratuits?

Je ne répondrai ici que du point de vue du MOOC Sorbonne Droit des entreprises de l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne que j’ai le bonheur d’animer avec Sevim Essiz, David Lorente, les community managers Anne-Charlène Bezzina, Chantal Donzel et Julien Delvallée, et avec le soutien des équipes de Paris 1.

La première session de ce MOOC a vu plus de 11.000 personnes participer, et plus du quart de ces personnes obtenir l’attestation de réussite liée à ce MOOC.

Photo Direct

Lors d’un direct, avec les professeurs Louise-Hélène Richard et Guy Lefebvre, de l’Université de Montréal, venus nous éclairer sur le droit canadien de l’entreprise.

Cela veut dire que ces milliers de personnes ont bénéficié d’une formation faite par des professionnels, avec des instruments pédagogiques de qualité, et qu’elles ont pu travailler à leur rythme. Certains ont découvert le droit pour la première fois, d’autres ont actualisé leurs connaissances, d’autres encore ont pu trouver la réponse à une question juridique qui les concernait et qu’ils se posaient.

Des personnes dont la vie familiale ou professionnelle ne leur permettait pas d’aller suivre des cours à l’Université, ou qui vivent ailleurs qu’en France (un certain nombre de participants étaient basés en Afrique) ont ainsi pu accéder à cette formation.

Ce MOOC a contribué à la diffusion du droit, du droit français et de la langue française.

Il nous a semblé important de proposer une deuxième session, en espérant qu’elle touche plus largement encore que la première des personnes qui n’ont pas d’autre accès à une formation juridique, et en apportant à notre MOOC un certain nombre d’enrichissements.

L’inscription est ici: https://www.france-universite-numerique-mooc.fr/courses/Paris1/16001S02/Trimestre_1_2015/about

La formation commence le 28 janvier 2015.

Bruno Dondero

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Enseigner le droit différemment: l’audience du Tribunal de commerce de Paris filmée… à la Sorbonne

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L’audience est ouverte!

Le lundi 24 novembre 2014, dans l’amphithéâtre II A de l’Université Paris 1 Panthéon – Sorbonne, le cours de droit des sociétés ne se présentait pas comme d’habitude, c’est-à-dire sous la forme d’un enseignement magistral donné par un professeur, les trois cent étudiants présents prenant des notes pendant ce temps.

J’avais en effet invité différents professionnels du droit et de l’économie à participer au cours, d’une manière inédite.

C’était tout d’abord trois juges du Tribunal de commerce de Paris qui étaient venus à l’Université. Frank GENTIN, le président du Tribunal, était accompagné de Didier FAHMY, président de la chambre de droit monétaire et financier, et de Laure LAVOREL, juge à la chambre internationale.

Les trois juges ont pu tenir dans l’amphithéâtre une audience, comme ils l’auraient fait au tribunal dans la réalité… mais ils jugeaient ici un cas fictif inventé pour les besoins de l’exercice. Le cas était assez simple : un fonds d’investissement demandait le remboursement d’un financement à une société industrielle, qui tentait de démontrer que la demande était injustifiée, ou que si elle l’était, des délais devaient lui être accordés. Des documents écrits relatifs au cas (des extraits du contrat d’investissement sur lequel était fondé le litige, notamment) avaient été mis à disposition des étudiants sur l’EPI (espace pédagogique interactif) de l’Université.

Pour juger une affaire, il fallait aussi des avocats. Deux d’entre eux avaient accepté de se prêter à l’exercice, en plaidant, là encore, comme ils le font dans leur vie professionnelle de tous les jours. Me Annabelle RAGUENET de SAINT-ALBIN, avocate counsel au cabinet Gide Loyrette Nouel, plaidait en demande pour le fonds d’investissement. Elle était accompagnée, pour rendre le cas encore plus réaliste, de son client. En réalité, c’était le président d’une société de gestion de portefeuille, M. Jean GATTY, qui avait accepté de jouer ce rôle difficile. Car l’avocat de la défense, rôle tenu par Me Stéphane SYLVESTRE, avait choisi de recourir à toute une gamme d’arguments déstabilisants, commençant par contester le choix de la juridiction parisienne (le cas indiquait que la société avait pour actionnaires une famille orléanaise) et allant jusqu’à mettre en doute la légalité de l’activité du fonds d’investissement.

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Plaidoirie en demande. (Me Annabelle Raguenet de Saint-Albin)

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La parole est à la défense. (Me Stéphane Sylvestre)

La partie adverse ne s’en laissait pas conter, et comme dans la réalité, les avocats échangeaient des arguments. Comme dans une véritable audience du Tribunal de commerce de Paris, les juges posaient ensuite des questions, interrogeant tant les deux avocats que la partie présente à l’audience, c’est-à-dire le représentant du fonds d’investissement. Les juges échangeaient ensuite entre eux, et faisaient rentrer les étudiants dans le secret du délibéré, en leur expliquant comment ils auraient appréhendé ce cas s’il s’était réellement présenté à eux.

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Le délibéré… (Didier Fahmy, Frank Gentin, Laure Lavorel)

Les étudiants en droit de Paris 1 qui étaient présents ont pu ainsi être transportés, sans quitter leur amphithéâtre, au cœur de la justice commerciale, et voir comment les notions du cours de droit des sociétés qu’ils apprennent ne sont pas seulement théoriques mais constituent à la fois le fondement des relations d’affaires entre les entreprises et les armes qu’utilisent les avocats dans les contentieux.

Les trois juges et les autres intervenants ont profité de l’occasion pour donner des explications concrètes sur la manière dont ils intervenaient dans le cas pratique, et je reprenais parfois la parole pour apporter des précisions et permettre aux étudiants de faire le lien avec les notions déjà vues en cours.

Enfin, l’intégralité de la séance a été filmée par le réalisateur Philippe CRAVE et son équipe de l’Université Paris 1 et sera bientôt rendue accessible sur internet. Cela permettra à toute personne (étudiant, élève avocat, entrepreneur, justiciable) intéressée de voir concrètement comment travaille la justice française – en l’occurrence la justice commerciale.

Bruno DONDERO

Photos prises par M. Julien POMPEY et disponibles sur le fil twitter de l’Université Paris 1 : https://twitter.com/SorbonneParis1

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La rémunération du président de SAS: contractuelle ou non ? (Cass. com., 4 nov. 2014, n° 13-24889)

Par cet arrêt qui sera publié au Bulletin (http://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000029741588&fastReqId=782671367&fastPos=1), La Chambre commerciale de la Cour de cassation tranche une question qui se pose souvent aux praticiens: la rémunération accordée au président de SAS est-elle de nature conventionnelle ou non ? L’enjeu était ici l’application de la procédure des conventions réglementées. Un autre enjeu de la reconnaissance de cette nature conventionnelle, c’est qu’une convention ne peut être remise en cause qu’avec l’accord des deux parties. Si l’on n’est pas en présence d’une convention, mais d’une décision prise par un organe de la société en application de la loi ou des statuts, la rémunération n’est plus conventionnelle mais institutionnelle, ce qui a) la rend modifiable de manière unilatérale par l’organe l’ayant décidée et b) doit écarter la procédure des conventions réglementées.

La Cour de cassation applique cette distinction depuis longtemps à propos des compléments de retraite versés aux dirigeants d’une société anonyme (v. not. Cass. com., 3 mars 1987, UBP c. Lebon, Bull. civ. IV, no 64) et plus récemment, elle s’en est servi à propos de la rémunération du gérant de SARL. Lorsque celle-ci donne lieu à une décision des associés, il fallait déterminer s’il s’agit d’une décision « normale » d’attribution de la rémunération, non prévue par la loi mais soumise au droit commun des décisions ordinaires, ou si l’on était en présence d’une décision d’approbation d’une convention réglementée, prise conformément à l’article L. 223-19 du Code de commerce et donc sans la participation au vote du gérant, lorsqu’il a la qualité d’associé. C’est la première solution qui a été retenue par la Cour de cassation (Cass. com., 4 mai 2010, no 09-13205 ; Bull. civ. IV, no 84).

Qu’en est-il de la SAS ? Il est possible que cette société conclue une convention avec son dirigeant, et que cette convention porte sur la rémunération due au mandataire social. On pourrait d’ailleurs être tenté de croire que ce mode conventionnel de détermination de la rémunération du dirigeant est plus fréquemment utilisé dans la SAS, qui est vue comme une société « contractuelle ». Une telle opinion a pu être exprimée en doctrine. Le mandat social, quel que soit la société concernée, est aussi de nature contractuelle. Mais les dirigeants d’une SAS, comme ceux des autres sociétés, sont plus souvent des organes que des mandataires. Leur statut est défini par la loi, ou par les statuts de la société intervenant dans le cadre qui leur est tracé par la loi. Même en l’absence d’un texte légal traitant de manière spécifique de la rémunération du président de SAS, le fait que l’article L. 227-5 dispose que « Les statuts fixent les conditions dans lesquelles la société est dirigée » nous semble suffire à faire passer la rémunération du dirigeant de SAS dans la sphère institutionnelle et organique, dès lors que les statuts se sont prononcés sur la question (v. cependant la solution retenue par la Compagnie nationale des commissaires aux comptes il y a quelques années, qui avait estimé que la procédure des conventions réglementées demeurait applicable lorsque le président se voyait reconnaître par les statuts le droit de fixer lui-même sa propre rémunération – Bull. CNCC, déc. 2006, p. 712).

Le deuxième angle d’attaque du minoritaire, dans le litige qui l’opposait au majoritaire, était celui de l’abus de majorité, et les éléments de réponse que fournit ici la Cour de cassation sont transposables à toute société. L’abus est écarté essentiellement au motif que le président assumait la responsabilité inhérente à ses fonctions et que la rémunération accordée par la société à son dirigeant n’était pas disproportionnée au regard de son résultat.

Bruno DONDERO

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