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Remise du rapport Rocher

A été rendu public hier, 19 octobre 2021, le rapport qui avait été demandé à M. Bris Rocher, président-directeur général du Groupe Rocher, par Bruno Le Maire, ministre de l’Economie, des Finances et de la Relance, et Olivia Grégoire, secrétaire d’Etat chargée de l’Economie sociale, solidaire et responsable. Plus de 200 acteurs ont été auditionnés dans le cadre de cette mission qui se sera déroulé sur six mois.

https://www.economie.gouv.fr/files/files/2021/RAPPORT_ROCHER_EXE_PL.pdf

La lettre de mission demandait à M. Rocher de procéder à une évaluation de l’impact des outils issus de la loi PACTE du 22 mai 2019 (intérêt social élargi, raison d’être, statut de société à mission, fonds de pérennité), et de formuler des propositions pour tirer le meilleur parti de ces outils et en renforcer la diffusion. Il était également demandé que les propositions permettent de développer des initiatives au niveau européen, et avant cela qu’un panorama international des meilleures pratiques soit dressé.

I – Le contenu des 14 recommandations.

Ce sont 14 recommandations qui sont formulées.

Certaines visent à assurer une diffusion des bonnes pratiques : sur les modalités de prise en considération des enjeux sociaux et environnementaux dans le processus de décision des organes sociaux pour les TPE/PME (R1) et sur les dispositifs de raison d’être et de société à mission (R2).

Plusieurs recommandations visent à développer la raison d’être et son suivi. Cela concerne d’abord les établissements publics et sociétés où l’Etat est actionnaire (R3 et R4). Deux mesures remarquables concernent toutes les sociétés dotées d’une raison d’être, auxquelles il est recommandé de décliner celle-ci dans la stratégie de la société et la conduite opérationnelle de ses activités, avec un compte-rendu annuel aux actionnaires (R8), ainsi que de faire dépendre une fraction de la rémunération variable des salariés et dirigeants d’entreprise de critères extra-financiers en lien avec la raison d’être (R9).

S’agissant des sociétés à mission, il est recommandé d’étendre leur statut aux sociétés civiles et, au-delà des sociétés, aux GIE, ainsi que de réfléchir à l’inclusion des associations dans le périmètre des groupements à mission (R5). Des mesures à destination des greffiers des tribunaux de commerce doivent permettre de mieux connaître les pratiques des sociétés en ce domaine et de les homogénéiser (R6 et R7). Plusieurs recommandations visent à encadrer davantage le suivi de la mission (R10, R11, R12).

Une recommandation spécifique porte sur la fiscalité des apports de titres à un fonds de pérennité, qui devraient être exonérés de droits de mutation, ou à défaut bénéficier d’un régime de report d’imposition des droits, doublé d’une clarification des conditions d’applicabilité du pacte Dutreil (R13).

Il est enfin recommandé de consacrer l’intérêt social élargi au niveau européen, dans le cadre de la proposition législative de la Commission européenne sur la gouvernance durable d’entreprise et d’inciter toute société européenne à se doter d’une raison d’être (R14).

II – Premières observations.

Le rapport s’intéresse successivement, par ses différentes recommandations, à chacune des créations de la loi PACTE, et il comporte des chiffres à la fois intéressants et récents. Revenons rapidement sur les trois étages de la fusée PACTE, comme on avait désigné le triptyque intérêt social élargi / raison d’être / société à mission.

L’intérêt social élargi consacré depuis 2019 par l’article 1833 du Code civil, impliquant de prendre en considération les enjeux sociaux et environnementaux de l’activité de la société, était une mesure de la loi PACTE à l’impact considérable : elle concernait immédiatement les millions de sociétés civiles et commerciales de droit français, indépendamment de leur taille, de leur forme sociale, et sans qu’aucune démarche ne soit requise. Le rapport Rocher relève cependant que cette obligation est mal connue des PME, la RSE étant d’ailleurs souvent perçue par les dirigeants d’entreprises comme concernant seulement les plus importantes d’entre elles. Les recommandations portent ici essentiellement sur une meilleure diffusion de la connaissance du dispositif.

C’est surtout la dernière recommandation du rapport qui pourrait nourrir de grands débats, lorsqu’il est envisagé que l’intérêt social élargi soit consacré au niveau européen (R14).

La raison d’être concerne la majorité des sociétés du SBF 120, est-il relevé, mais le chiffre doit être précisé : 10 sociétés ont inclus une raison d’être dans le corps de leurs statuts, 5 la font figurer au sein d’un préambule (ce qui n’est juridiquement sans doute pas différent de l’hypothèse précédente, sauf manifestation claire de volonté des rédacteurs de formuler autre chose que des règles contraignantes) et… 55 sociétés se sont dotées d’une raison d’être extrastatutaire. On regrettera de ne pas disposer encore de chiffres sur les sociétés hors SBF 120.

C’est sans doute ici, à destination des sociétés qui ont fait la démarche de se doter d’une raison d’être, que le rapport Rocher est le plus énergique, puisque deux recommandations portent sur des engagements très concrets. Les sociétés dotées d’une raison d’être sont invitées à la décliner dans leur stratégie ainsi que dans la conduite opérationnelle de leurs activités et à en rendre compte aux actionnaires (R8). Par ailleurs, c’est la rémunération variable des « salariés et dirigeants d’entreprises » qui devrait dépendre, à hauteur de 20% au moins, de « critères extra-financiers objectifs en lien avec la raison d’être » (R9).

La rapport relève que les auditions conduites font ressortir le risque juridique associé à l’adoption d’une raison d’être. Mieux encadrer la traduction concrète de la raison d’être devrait limiter les risques.

Au plan européen, il est recommandé d’ « inciter toute société européenne à se doter d’une raison d’être » (R14). On comprend que ce ne sont pas les seules SE qui sont visées, mais les sociétés soumises au droit d’un Etat membre, ce qui n’est pas le même périmètre, puisqu’on passe de quelques milliers de sociétés pour les seules SE à plusieurs dizaines de millions !

Le statut de société à mission a quant à lui tenté un peu plus de 200 sociétés à ce jour. Le rapport Rocher relève que 4 d’entre elles sont cotées, Danone étant la plus importante. Mais à côté de ces grandes entreprises, le rapport note que 70% des sociétés à mission ont moins de 50 salariés. Il relève également une prédominance des SAS/SASU parmi les sociétés à mission. Les auditions font ressortir le regret de l’absence de contreparties financières immédiates telles qu’un régime fiscal propre ou un accès privilégié à la commande publique.

Le rapport relève que le statut de société à mission est « à crédibiliser » et il décline plusieurs recommandations en ce sens, particulièrement à destination des plus petites sociétés à mission (R10). De manière très intéressante, le rapport estime utile de clarifier les rôles respectifs des organes d’administration et de direction et du comité de mission (R11), ainsi que de clarifier le champ d’intervention de l’organisme tiers indépendant.

En conclusion, un rapport qui pourrait nourrir une possible loi PACTE 2, à l’instar du rôle joué par le rapport Notat-Senard de 2018 pour la loi PACTE !

Bruno DONDERO

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