Archives mensuelles : février 2018

Apprendre le droit avec Jean-Marie Le Pen: exclusion d’une association et « présidence d’honneur »

La vie des partis politiques donne souvent l’occasion de voir vivre des règles juridiques intéressantes, comme nous l’avions vu il y a quelques mois avec le quorum du bureau politique des Républicains.

C’est aussi le Front national qui nous donne l’occasion d’étudier plusieurs mécanismes juridiques.

Le 10 mars 2018, le Front national réunira à Lille son « congrès », pour lui soumettre d’importantes modifications des statuts du mouvement politique d’extrême-droite, et discuter de la possibilité de changer de dénomination.

Le congrès du FN est en réalité l’assemblée des membres de l’association soumise à la loi de 1901 qu’est le Front national. C’est bien cette forme juridique qu’a le FN, d’après l’article 1er de ses statuts.

Depuis quelques mois, un ex-membre de l’association menaçait de se rendre au congrès pour s’y exprimer, et cet ex-membre n’était pas n’importe lequel, puisqu’il s’agissait du premier président du mouvement, Jean-Marie Le Pen.

 

La question risquait de dégénérer en trouble à l’ordre public, puisque les organisateurs du congrès n’entendaient pas le laisser y participer, tandis que les soutiens de Jean-Marie Le Pen évoquaient la possibilité de le faire « escorter par 300 bikers bretons » ( !). Du point de vue du juriste, on aurait suggéré d’ajouter au tableau un huissier de justice !

Très récemment, Jean-Marie Le Pen a annoncé qu’il renonçait à se rendre au congrès, mais il est intéressant de réfléchir à la question du point de vue juridique : M. Le Pen aurait-il le droit de s’exprimer devant le congrès du FN ?

L’exclusion d’un parti politique.

Les statuts du FN stipulent aujourd’hui que l’on peut perdre la qualité de membre « par radiation ou exclusion pour motif grave, prononcée par le Conseil d’Administration, par son Bureau, ou par le Président, le membre intéressé ayant été appelé auparavant à fournir toutes explications ». Ces même statuts stipulent que « Les décisions du Conseil d’Administration, du Bureau ou du Président en matière disciplinaire sont sans appel, et de convention expresse, ne peuvent donner lieu à aucune action judiciaire quelconque sur les biens de l’Association ».

Cette dernière interdiction n’a sans doute pas une grande valeur juridique. Imaginons qu’un membre du FN soit exclu, et qu’il conteste en justice son exclusion, par exemple parce qu’on ne lui aura pas permis de « fournir toutes explications », c’est-à-dire de présenter sa défense, les raisons pour lesquelles il ne devrait pas être exclu. Le tribunal saisi du litige pourrait tout à fait condamner le Front national, pris en tant que personne morale, à verser des dommages-intérêts au membre exclu, et l’exclusion conventionnelle de responsabilité contenue dans les statuts ne devrait pas brider les juges. Mais stipuler ce type de clause a son utilité, puisque même si la clause n’est en définitive pas valable, elle intimide l’autre partie et l’oblige à faire la démonstration de la nullité ou de l’inefficacité de la clause.

Le Front national étant comme on l’a dit une association soumise à la loi de 1901, l’exclusion de l’un de ses membres est soumise au régime juridique que l’exclusion du sociétaire de toute autre association. L’exclusion de M. Le Pen a en l’occurrence fait l’objet d’une contestation en justice, et il lui a été donné tort, puisque son exclusion a été reconnue régulière par les juges, d’abord en première instance, puis en appel (arrêt de la Cour d’appel de Versailles du 9 février 2018).

A la date où se réunira le congrès du FN, M. Le Pen aura donc perdu depuis plusieurs mois la qualité de membre, et ce n’est pas en montrant sa carte de membre, s’il l’a encore, qu’il pourrait s’il le souhaiter, assister et participer au congrès.

Mais il avait aussi une autre carte à jouer, qui était celle de son statut de « président d’honneur ».

Le statut du « président d’honneur ».

En 2011, les statuts du FN ont été modifiés pour y insérer un article 11 bis consacré à la « Présidence d’honneur » du mouvement. Cela ne correspond pas à un statut légal particulier, mais il s’agit là d’une création des rédacteurs des statuts du FN, parfaitement licite. Comme d’autres formes juridiques de notre droit, les SAS par exemple, les associations peuvent se doter d’organes qui n’existent nulle

Il est prévu que « L’Assemblée générale ordinaire (Congrès) peut nommer un président d’honneur sur proposition du Conseil d’administration (Bureau politique) », et que « Pour pouvoir être nommé, il devra avoir accompli deux mandats comme Président du Front national, et ce pendant une durée d’au moins cinq ans ».

On comprend que l’on a voulu donner à M. Le Pen une place particulière dans l’organisation du mouvement politique.

S’agissant des prérogatives du président d’honneur, l’article 11 bis des statuts précise que le président d’honneur est « membre de droit de toutes les instances du mouvement (Conseil national, Comité central, Bureau politique, Bureau exécutif, Commission nationale d’investitures) ».

Il n’est pas indiqué que le président d’honneur peut participer au congrès, mais si l’on parle de « toutes les instances du mouvement », il semble cohérent de considérer que le président d’honneur peut participer au congrès, même s’il n’est pas dit qu’il puisse y voter, s’il n’est pas membre. Mais l’on comprend bien que la situation d’un président d’honneur qui aurait conservé cette fonction tout en ayant été exclu du mouvement n’a pas été envisagée par les rédacteurs des statuts…

La fin du président d’honneur ?

M. Le Pen avait contesté en justice la mesure d’exclusion prise à son encontre par le Front national, et les juges lui avaient donné tort, mais avec une précision importante. Les magistrats versaillais avaient en effet précisé que l’exclu conservait la qualité de président d’honneur.

Malheureusement pour le président d’honneur, cette fonction est appelée à disparaître dans les statuts du FN, si du moins le congrès les adopte (ils ont déjà été adoptés le 23 janvier 2018 par le bureau politique). Dans le projet de nouveaux statuts, l’article 11 bis instituant le président d’honneur disparaît en effet purement et simplement.

Ce n’est pas là une décision de révocation à proprement parler, même si l’effet produit est le même : Jean-Marie Le Pen ne sera plus président d’honneur à l’issue de l’assemblée, si les nouveaux statuts sont adoptés.

Reste à savoir s’il ne faut pas tout de même permettre à M. Le Pen de présenter devant le congrès les arguments qui s’opposeraient à la suppression de la fonction de président d’honneur.

En droit, la Cour de cassation a déjà jugé que la modification des statuts d’une société, entraînant un changement d’organisation, n’était pas une révocation.

Mais la situation de la suppression de la présidence d’honneur du FN est un peu différente. On ne réorganise pas la gouvernance dans son ensemble, et l’on pourrait soutenir que la modification de l’article 11 bis, bien que n’étant pas formellement une révocation, s’apparente à une révocation. Si cela était reconnu, ne faudrait-il pas, conformément à la jurisprudence sur la révocation du mandataire social, dirigeant de société ou d’association, respecter les droits de la défense du président d’honneur et lui permettre de présenter les arguments s’opposant à la révocation ? Le tableau est compliqué par le fait que l’on ne parle pas d’un véritable dirigeant, mais d’un mandataire social sans pouvoirs clairement définis.

La question, très intéressante en droit, ne sera cependant pas tranchée cette fois-ci, dès lors que M. Le Pen a indiqué qu’il ne souhaitait pas participer au congrès… ou au moins tenter de le faire !

Bruno DONDERO

 

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Radio France: président à retardement et autres belles questions juridiques

Les sociétés France Télévisions et Radio France (France Culture, France Info, France Inter, etc.) sont des sociétés anonymes à statut particulier. La loi Léotard du 30 septembre 1986 définit les règles applicables à ces sociétés, ainsi qu’à d’autres sociétés comme Arte.

L’article 47 de la loi est important, puisqu’il indique que l’Etat détient directement la totalité du capital de la société Radio France, et que celle-ci est soumise « à la législation sur les sociétés anonymes, sauf dispositions contraires de la loi ».

Cela donne à ces sociétés un statut complexe, puisqu’elles sont soumises à la fois au droit commun des sociétés et à des règles spéciales. En plus, des règles supplémentaires peuvent encore s’appliquer, comme celle obligeant les dirigeants à procéder à une déclaration d’intérêts sous peine d’annulation de leur nomination, comme l’a expérimenté récemment une dirigeant de France Médias Monde.

L’une des dispositions contenues dans la loi Léotard dérogeant à la législation sur les sociétés anonymes (SA) est celle relative à la désignation du président du conseil d’administration de la société.

Dans une SA de droit commun, le président serait nommé par le conseil d’administration. Mais dans la société Radio France, c’est un tiers, si l’on peut dire, qui procède à cette nomination, puisque la loi donne ce pouvoir au Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA).

L’art. 47-4 de la loi prévoit quant à lui la manière dont le président de Radio France est nommé. Ce n’est pas le conseil d’administration qui nomme le président, mais le CSA, par une décision prise à la majorité de ses membres, étant précisé que la nomination « fait l’objet d’une décision motivée se fondant sur des critères de compétence et d’expérience ».

On discute actuellement de la restitution au conseil d’administration de Radio France et France Télévisions du pouvoir de nommer le président.

Ces conseils comportent certes des parlementaires et des représentants de l’Etat (pour moitié des administrateurs, les autres étant des personnalités indépendantes et des représentants du personnel), mais on peut penser que l’on renforcerait la relation de confiance entre le conseil d’administration et le président en permettant que le premier choisisse directement le second.

Une nomination à retardement.

Le président de Radio France, Mathieu Gallet, a vu le CSA mettre fin à ses fonctions, et nous avons déjà évoqué dans les colonnes de ce blog certains aspects juridiques de cette révocation.

Le CSA a diffusé récemment sur son site le calendrier de nomination du successeur de Mathieu Gallet.

Il est indiqué :

« Les candidatures seront reçues au siège du Conseil, à compter du 15 février 2018 et jusqu’au 16 mars 2018, par courrier ou dépôt. Le Conseil procèdera à l’ouverture des enveloppes le 21 mars 2018 et établira au plus tard le 4 avril 2018 la liste des candidats auditionnés. Les auditions auront lieu au cours de la semaine du 9 au 13 avril 2018 et le Conseil nommera la Présidente ou le Président de Radio France au plus tard le 14 avril 2018 ».

Simplement, une précision mériterait d’être donnée, qui tient à la date à laquelle ce nouveau dirigeant entrera en fonctions à la tête de la société Radio France.

L’article 47-4 de la loi Léotard dispose en effet que « Les nominations des présidents de la société France Télévisions, de la société Radio France et de la société en charge de l’audiovisuel extérieur de la France interviennent trois à quatre mois avant la prise de fonctions effective » (je souligne).

Ce délai très long est assez curieux. On comprend l’intérêt de préparer à l’avance la succession à la tête d’une société importante, en prévoyant que sa nomination interviendra avec un délai confortable, plutôt qu’à la veille de sa prise de fonctions.

Mais le délai devient gênant quand la société en question n’a plus de président, comme c’est le cas de Radio France. Précisément, ce sera bientôt le cas, puisque la décision du CSA mettant fin aux fonctions de M. Gallet, intervenue le 31 janvier dernier, prévoit une prise d’effet au 1er mars 2018.

Concrètement, le nouveau président, s’il est nommé le 14 avril, ne prendra ses fonctions, au plus tôt, que le 14 juillet 2018 !

S’il voulait accomplir des actes en sa nouvelle qualité de président entre le 14 avril et le 14 juillet, on pourrait lui opposer l’illégalité de ses décisions, puisque la loi Léotard nous fait bien comprendre que la prise de fonctions n’est pas encore « effective » dans cette période.

Il est dommage que l’article 47-4, qui est sans doute une mesure de bonne organisation (le fait que le délai soit de « trois à quatre mois » le confirme), se révèle ici contre-productif, en retardant l’entrée en fonctions du nouveau président.

Un président intérimaire sans base légale ?

Dans l’intervalle, c’est l’administrateur le plus ancien parmi les administrateurs nommés par le CSA qui assure la présidence de Radio France.

Les statuts de Radio France stipulent en effet en leur article 13 que « En cas d’empêchement temporaire du président ainsi que dans le cas où le président cesserait définitivement d’exercer son mandat pour quelque cause que ce soit, il est suppléé de plein droit par le doyen en âge des administrateurs nommés par le Conseil supérieur de l’audiovisuel ».

On peut s’interroger sur la valeur juridique de cette solution, en réalité.

La loi Léotard de 1986 ne prévoit pas la possibilité d’un tel intérim.

Mais dans la mesure où Radio France est une société anonyme, si la solution est prévue par le Code de commerce, elle trouve alors son fondement juridique dans cette dernière source.

Sauf que ce n’est pas le cas, puisque l’article L. 225-50 du Code de commerce, texte applicable aux sociétés anonymes, dispose qu’ « En cas d’empêchement temporaire ou de décès du président, le conseil d’administration peut déléguer un administrateur dans les fonctions de président ».

C’est donc une solution différente qui est prévue par les statuts de Radio France, puisque l’administrateur le plus âgé parmi ceux nommés par le CSA assure « de plein droit » la fonction de président dans l’intervalle.

Maintenant, la situation est rendue plus complexe par le fait que les statuts de Radio France sont approuvés par décret.

Il demeure qu’on peut s’interroger sur la validité de la désignation automatique par les statuts, seraient-ils approuvés par décret, d’un président par intérim de manière non conforme à ce que prévoit le droit des SA, et hors du cadre d’une exception prévue par la loi Léotard.

Bruno DONDERO

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Nouvelles juridiques de la semaine: EIRL, Jean-Marie Le Pen, documentaires d’avocat

Pour qui s’intéresse au droit, on signalera trois « nouvelles juridiques » intéressantes de ces derniers jours.

 

L’EIRL devant la Cour de cassation (Cass. com., 7 févr. 2018)

La Cour de cassation a rendu son premier arrêt sur l’Entrepreneur Individuel à responsabilité Limitée (EIRL). Cette création du législateur remonte à 2010, et l’idée est assez étonnante. L’entrepreneur individuel, qui n’a pas choisi de constituer une société, peut fractionner son patrimoine et créer par une déclaration à un registre de publicité légale (registre du commerce et des sociétés, notamment) un ou plusieurs patrimoines affectés à une activité professionnelle. Notre entrepreneur se trouve alors à la tête de plusieurs patrimoines en principe étanches, ce qui doit empêcher que les créanciers de son activité professionnelle saisissent les biens qui relèvent de la sphère personnelle de l’entrepreneur, par exemple sa résidence secondaire (la résidence principale est protégée depuis la loi Macron du 6 août 2015 – art. L. 526-1 et s. du Code de commerce).

En 2010, beaucoup de commentateurs se sont interrogés sur la pertinence de créer une nouvelle structure juridique pour l’entreprise, là où les sociétés unipersonnelles comme l’EURL devraient déjà donner une sécurité patrimoniale et une organisation suffisantes aux entrepreneurs.

On se demandait qui avait pu se constituer EIRL. Les allergiques aux sociétés? Des personnes mal intentionnées souhaitant organiser leur insolvabilité avec un patrimoine professionnel affecté garni simplement de dettes? Quoiqu’il en soit, cette institution juridique hybride n’a séduit – on ne sait pas trop comment – que quelques milliers de personnes, et vraisemblablement toujours pour de très petites entreprises. C’est un peu le paradoxe de l’EIRL: l’institution soulève des questions juridiques redoutables, et les enjeux économiques seront sans doute toujours faibles et concernent des entreprises en « faillite ».

Mon collègue et ami Didier Valette peut à juste titre qualifier l’EIRL de « yéti » du droit des entreprises: tous en parlent, mais on ne l’a jamais vu!

 

La Cour de cassation a vu ce yéti, et elle a rendu son premier arrêt sur l’EIRL le 7 février 2018. L’arrêt, destiné à publication aux Bulletins et déjà mis en ligne sur le site de la Cour, juge que  le dépôt d’une déclaration d’affectation ne mentionnant aucun des éléments affectés au patrimoine personnel constitue un manquement grave, de nature à justifier la réunion des patrimoines, par application de l’article L. 526-12 du Code de commerce. L’entrepreneur se trouve alors responsable de son passif professionnel sur la totalité de ses biens, donc y compris des biens qui n’étaient pas affectés à cette activité. Son compte bancaire personnel pourra donc faire l’objet d’une saisie par exemple.

Jean-Marie Le Pen exclu du Front national… mais président d’honneur quand même

Les partis politiques sont des groupements proches des associations soumises à la loi de 1901, voire sont des associations de ce type. Les problématiques juridiques qu’ils rencontrent sont assez classiques, comme nous l’avions vu par exemple avec le quorum du bureau politique des Républicains.

Le Front national avait exclu, après différents démêlés, Jean-Marie Le Pen qui après avoir été le premier président du mouvement, en était devenu « président d’honneur ».

Cela ne correspond pas à un statut légal, mais à une création des rédacteurs des statuts de cette association politique.

M. Le Pen avait contesté la décision en justice, et la Cour d’appel de Versailles lui a donné tort par un arrêt du 9 février 2018, confirmant la décision de première instance.

Simplement, les magistrats versaillais ont précisé que l’exclu pouvait toujours être président d’honneur. La fonction disparaît dans les nouveaux statuts qui ont été adoptés par le bureau politique le 23 janvier… mais n’ont pas encore été adoptés par les adhérents, qui doivent se réunir en « congrès » les 10 et 11 mars.

Se posera la question de la possibilité pour M. Le Pen de participer au congrès, au moins pour présenter les arguments excluant selon lui que l’on mette fin à la fonction de président d’honneur. Il est vrai que ce n’est pas une « révocation », mais ne faut-il pas respecter les « droits de la défense » ?

 

Les documentaires d’avocat

La question des rapports entre la justice et la vidéo est passionnante. La justice est rendue publiquement en France, mais elle n’est généralement pas filmée, ce qui réduit drastiquement son audience. On sent bien, à voir le succès des scènes de prétoire dans les films ainsi que des documentaires sur la justice, qu’il y a en France une curiosité profonde, un besoin de savoir comment la justice est rendue.

L’Université contribue parfois à ce mouvement. A Paris 1 Panthéon-Sorbonne, nous avions ainsi fait entrer le Tribunal de commerce de Paris dans l’amphithéâtre du cours de droit des sociétés de 3ème année il y a quelque temps. Une audience sur un cas fictif et lié au cours avait été tenue au milieu des étudiants, avec des plaidoiries d’avocats et un délibéré rapide des juges. Nous en avions tiré des vidéos pédagogiques.

Le cheminement inverse est aussi à l’œuvre. On apprend ainsi à la lecture du Magazine du Monde que les avocats américains adressent aux juges, dans les affaires pénales, des vidéos destinées à humaniser leur client, en le présentant sous un jour favorable, avec des interviews de ses proches, des photos de son enfance, etc.

D’après les personnes interrogées par le journal, ces documentaires produisent la plupart du temps leur effet, en permettant d’obtenir une décision plus favorable.

On imagine aisément que l’avocat joue un rôle important dans la conception du documentaire, et c’est normal puisque c’est généralement la liberté de son client qui est en jeu.

Alors, réalisateur de films judiciaires: un nouveau métier du droit ?

Bruno DONDERO

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La perte des « amis » Facebook: un préjudice réparable?

On se souvient que la Cour de cassation avait rendu au tout début de l’année 2017 un arrêt qui abordait la question du statut de « l’ami » que l’on se fait sur le réseau social Facebook. La Cour ne prenait pas position sur la question, mais elle renvoyait au pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond (tribunaux de première instance et cours d’appel). La solution a depuis été réitérée par la Cour de cassation, en septembre 2017.

La justice, en l’occurrence le Tribunal de Grande Instance de Paris, est à nouveau saisie d’une question relative au réseau Facebook. La question est passionnante, car il s’agit de savoir si le réseau social engage sa responsabilité en désactivant le compte d’un utilisateur. L’affaire est déjà très médiatisée, puisqu’elle concerne rien de moins que… L’Origine du Monde!

 

 

Facebook et l’Origine du Monde

C’est du tableau de Gustave Courbet dont il est question, puisqu’un utilisateur de Facebook, M. Durand, avait mis en ligne une reproduction du tableau, ce que les modérateurs de la plate-forme avaient estimé être un acte contraire aux règles d’utilisation. Ils avaient sanctionné la diffusion de cette image en privant l’utilisateur de l’accès à son compte.

L’affaire remonte à 2011, mais la bataille procédurale a été très intense, Facebook ayant tenté en vain de contester la compétence des tribunaux français. Il a donc fallu attendre que cette question de compétence soit réglée pour que soit abordé le fond de l’affaire.

L’affaire touche bien entendu à des principes essentiels, puisqu’elle pose la question de la liberté d’expression. La plate-forme peut-elle sanctionner l’utilisateur qui diffuse la reproduction d’un sexe ? La question est-elle différente quand la reproduction en question est en réalité une œuvre d’art très connue ?

Mais la question très intéressante posée par l’action en justice de l’utilisateur Facebook « radié » est aussi celle de son préjudice.

« J’avais 800 amis… »

Dans la chanson, Eddy Mitchell dit qu’il avait deux amis. L’utilisateur Facebook en avait lui… 400 fois plus, puisque les avocats de M. Durand indiquent qu’il avait 800 amis!

Mais ce n’était pas des amis au sens classique, mais des « amis Facebook ».

Certes, on sait qu’un ami Facebook ne cache pas nécessairement un véritable ami, comme cela avait été évoqué à propos de l’affaire du début de l’année 2017, qui concernait une « amitié Facebook » entre le membre d’une formation disciplinaire professionnelle et l’une des parties à une instance disciplinaire.

Mais ne peut-il y avoir un préjudice à perdre d’un seul coup ses centaines de relations sur le réseau social ? Et si c’est le cas, comment réparer ce préjudice ?

On comprend que les avocats du demandeur vont soutenir que celui-ci avait des relations suivies avec ces « amis ». Difficile d’imaginer des relations continues et individualisées avec l’intégralité de ces 800 personnes, mais elles pourraient être comparables au public d’un artiste, ou à la clientèle d’une entreprise.

La jurisprudence a déjà abordé la question, en réalité. Un jugement du TGI de Paris du 28 novembre 2013 a tranché un litige qui opposait la créatrice d’une page Facebook consacrée à la série TV « Plus belle la vie » à la société produisant la série. La page comptait 605.200 fans, et la société de production en avait obtenu la « fusion » avec la page de la société, « récupérant » du coup les centaines de milliers de fans. Le TGI de Paris a ordonné à la société Facebook France de rétablir sa page et ce, sous astreinte de 500 euros par jour de retard, et a condamné la société à l’origine du retrait de la page à verser 10.000 euros à la demanderesse au titre du préjudice moral.

Dans l’affaire en attente d’être jugée, à écouter les arguments des avocats du demandeur, cités par Le Monde, on croit comprendre que le préjudice consiste en autre chose que la perte des amis, en réalité. « Il avait 800 amis sur Facebook, 800 amis qui se sont demandé pourquoi son compte avait été supprimé. Qui se sont dit que M. Durand avait peut-être des mœurs douteuses, qui lui ont demandé, je cite, s’il traînait dans ‘des affaires louches’« .

 Il a été pointé du doigt, meurtri, heurté. Comment expliquer après ça à ses 800 amis qu’on est quelqu’un de bien?« .

 Ou bien s’agit-il d’une évaluation globale du préjudice moral de M. Durand ?

Les avocats de Facebook soulignent quant à eux que M. Durand a créé un deuxième compte sous un pseudonyme, et que « ses amis, il les a récupérés« .

Mais il faut bien comprendre si le préjudice dont on parle est une atteinte à l’image de M. Durand, ou bien la suppression du réseau d’amis qu’il avait bâti.

Jugement attendu en mars…

Bruno Dondero

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