Archives mensuelles : mai 2014

Le rachat d’actions par les sociétés non cotées (décret n° 2014-543 du 26 mai 2014)

La loi n° 2012-354 du 14 mars 2012 (qui n’est pas la loi Warsmann II, mais la loi de finances rectificative pour 2012, adoptée quelques jours avant) avait inséré dans le Code de commerce, à l’article L. 225-209-2, un dispositif permettant aux sociétés non cotées de procéder au rachat de leurs actions, sous réserve de respecter une série de conditions et de limites.

Ce dispositif n’était pas encore opérationnel, et un décret n° 2014-543 du 26 mai 2014, paru au JO du 28 mai (http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000028990435&dateTexte=&categorieLien=id), rend effectif ce que le législateur avait voulu il y a plus de deux ans maintenant. Le décret procède en outre à quelques retouches de dispositions réglementaires du Code de commerce, notamment relatives au registre des achats et des ventes que doivent tenir la société ou la personne chargée du service de ses titres et portant sur les opérations de rachat (art. L. 225-211 C. com.).

I – Rappel sur le rachat d’actions des sociétés non cotées prévu par l’article L. 225-209-2 du Code de commerce.

Pour mémoire, sont concernées les sociétés dont les actions ne sont pas admises aux négociations sur un marché réglementé ou sur un système multilatéral de négociation qui se soumet aux dispositions législatives ou réglementaires visant à protéger les investisseurs contre les opérations d’initiés, les manipulations de cours et la diffusion de fausses informations. Précisons que le rachat d’actions peut intervenir dans ces sociétés sur le fondement d’autres dispositifs, comme le rachat faisant suite à une réduction de capital non motivée par des pertes (art. L. 225-207), le rachat en vue de l’attribution aux salariés et dirigeants bénéficiaires de certains dispositifs (participation, stock options, AGA, art. L. 225-208) ou le rachat faisant suite à un refus d’agrément (art. L. 228-24).

Dans les sociétés visées par l’article L. 225-209-2, l’assemblée générale ordinaire (le texte s’applique aux autres sociétés par actions, et notamment à la SAS, dont les statuts pourraient prévoir autre chose qu’une décision collective des associés, dès lors que le rachat d’actions n’est pas dans la liste de l’article L. 227-9) peut autoriser le conseil d’administration ou le directoire (qui peuvent eux-mêmes déléguer ce pouvoir) à racheter les actions de la société. L’AGO précise les finalités de l’opération, définit le nombre maximal d’actions rachetables, le prix ou les modalités de fixation du prix ainsi que la durée de l’autorisation, qui ne peut excéder douze mois. Le tout doit se faire dans le respect de l’égalité des actionnaires, et si les actions rachetées ne sont pas utilisées pour l’une des finalités et dans les délais ci-dessous, le texte prévoit que « les actions rachetées sont annulées de plein droit », ce qui surprend un peu ! Les actions rachetées peuvent encore être annulées dans la limite de 10% du capital par périodes de 24 mois, avec intervention de l’AGE pour réduire le capital.

Le rachat doit respecter l’une des trois finalités suivantes. Les actions sont rachetées pour les offrir ou les attribuer :

1. dans l’année de leur rachat, aux bénéficiaires d’un certain nombre d’opérations (participation, plans d’épargne salariale, stock options, AGA);

2. dans les deux ans de leur rachat, en paiement ou en échange d’actifs acquis par la société dans le cadre d’une opération de croissance externe, de fusion, de scission ou d’apport ;

3. dans les cinq ans de leur rachat, aux actionnaires qui manifesteraient à la société l’intention de les acquérir à l’occasion d’une procédure de mise en vente organisée par la société elle-même dans les trois mois qui suivent chaque AGO annuelle.

En plus de ces finalités, il y a une condition de seuil. Le nombre d’actions acquises par la société ne peut excéder : 

― 10 % du capital de la société lorsque le rachat est autorisé en vue d’une opération 1. ou 3.

― 5 % du capital de la société lorsque le rachat est autorisé en vue d’une opération 2.

Le décret nouveau vient préciser la mission de l’expert indépendant qui statue sur le prix de rachat. L’article L. 225-209-2 dispose en effet que l’assemblée définit le prix ou les modalités de fixation du prix, comme on l’a dit. Le texte légal ajoute qu’elle « statue au vu d’un rapport établi par un expert indépendant, dans des conditions définies par décret en Conseil d’Etat, et sur un rapport spécial des commissaires aux comptes faisant connaître leur appréciation sur les conditions de fixation du prix d’acquisition » et que « le prix des actions ne peut, à peine de nullité, être supérieur à la valeur la plus élevée ni inférieur à la valeur la moins élevée figurant dans le rapport d’évaluation de l’expert indépendant communiqué à l’assemblée générale ».

II – L’apport du décret nouveau.

Le décret du 26 mai 2014 crée trois nouveaux articles au sein de la partie réglementaire du Code de commerce.

Le premier texte (article R. 225-160-1) est relatif à la désignation de l’expert. Il est désigné à l’unanimité des actionnaires ou, à défaut, par le président du tribunal de commerce statuant sur requête à la demande des dirigeants sociaux. Il est choisi parmi les commissaires aux comptes inscrits sur la liste prévue à l’article L. 822-1 du Code de commerce ou parmi les experts inscrits sur les listes établies par les cours et tribunaux. Il ne doit pas présenter avec la société des liens portant atteinte à son indépendance au sens de l’article L. 822-11.

Le deuxième texte (article R. 225-160-2) est relatif au contenu du rapport. Il doit mentionner les actions faisant l’objet de l’offre de rachat en application du huitième alinéa de l’article L. 225-209-2, et indiquer les modalités d’évaluation adoptées pour déterminer la valeur minimale et la valeur maximale du prix de rachat de ces actions et les motifs pour lesquels elles ont été retenues.

Le dernier texte (article R. 225-160-3) est relatif à la diffusion du rapport. Celui-ci est déposé au siège social quinze jours au moins avant la date de l’assemblée générale appelée à se prononcer sur le rachat. Il est tenu à la disposition des actionnaires et des commissaires aux comptes qui peuvent en prendre connaissance ou obtenir la délivrance d’une copie intégrale ou partielle.

III – Observations.

On comprenait déjà à la lecture de l’article L. 225-209-2 que le rapport devait indiquer une fourchette de prix, c’est-à-dire une valeur maximale et une valeur minimale, ce que confirme donc le décret, comme cela était attendu.

Une question intéressante sera de voir dans quelle mesure les statuts ou d’autres conventions pourront influer sur la détermination des valeurs à définir par l’expert, et ce à la lumière de l’ordonnance à intervenir au mois de juillet et procédant à la réforme de l’article 1843-4 du Code civil.

On notera enfin qu’il aura fallu attendre plus de deux ans entre la création du dispositif légal de rachat d’actions et son entrée en vigueur effective, avec la parution du décret nécessaire à l’application de l’article L. 225-209-2. Le décret entre en vigueur le 29 mai 2014.

Bruno Dondero

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Entretien avec Frank Gentin dans le cadre du MOOC Sorbonne Droit des entreprises

Hier soir, pour le direct de la 3ème semaine du MOOC Sorbonne Droit des entreprises, j’ai eu le plaisir de recevoir Frank Gentin, le président du Tribunal de commerce de Paris. Je l’accueillais avec Chantal Donzel, l’une des « community managers » (gérante de communauté ?) du MOOC.

La vidéo est visible ici: http://youtu.be/0MCf2DQp6Bo

Le président Gentin a expliqué le rôle du juge du tribunal de commerce, le « juge économique », pour reprendre son expression, en évoquant des affaires jugées récemment ou en cours de jugement.

Nous avons ensuite parcouru avec lui les thèmes que nous avions retenus, et qui étaient liés au programme de travail de cette semaine pour les participants au MOOC:

1) L’intérêt social, l’entreprise et le juge;

2) Le mandat social;

3) Gouvernement d’entreprise et RSE.

Les participants sont intervenus via twitter et Facebook pour poser des questions, auxquelles nous avons répondu… en partie, car les questions étaient très nombreuses.

Personnellement, je suis très content que des professionnels du niveau de Frank Gentin acceptent de se prêter à l’exercice.

Bruno Dondero

 

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Le MOOC Sorbonne droit des entreprises: vidéo du direct et bilan de la semaine 1

A l’issue de cette première semaine du MOOC Sorbonne droit des entreprises, un premier bilan rapide, et très positif.

Je rappelle que c’est une formation ouverte à tous, gratuite, en droit des entreprises, qui dure six semaines et ne nécessite que quelques heures de travail hebdomadaires. Il suffit de s’inscrire ici avant le 18 juin (https://www.france-universite-numerique-mooc.fr/courses/Paris1/16001/Trimestre_2_2014/about)

Nous avons plus de 8.000 inscrits, dont beaucoup sont très actifs, comme l’illustre le corrigé du cas pratique de la semaine 1, que je viens de mettre en ligne sur la plate-forme FUN, et qui tient compte des interventions de certains des contributeurs.

Nous avons fait notre premier direct, assorti de quelques difficultés techniques au démarrage (de sombres histoires de navigateur pas compatible…), ce qui s’est traduit par un lancement avec 5 mn de retard. Nous avons eu beaucoup de questions posées par le biais de twitter et Facebook pendant le direct, et nous avons répondu à certaines de ces questions. La vidéo est consultable ici: http://www.youtube.com/watch?v=rBgBZO9Tvic

De nombreux échanges sur les forums, une équipe formidable, des participants motivés, bref, un grand plaisir à animer ce MOOC.

Vivement la semaine 2!

 

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SAS : la distinction entre promesse de vente des actions contenue dans un pacte et clause d’exclusion statutaire (Cass. com., 6 mai 2014, n° 13-17349)

La Cour de cassation a rendu le 6 mai 2014 (n° 13-17349) une décision qui tranche une question à la fois simple et redoutable, comme c’est souvent le cas en droit des affaires (et qui n’est au surplus pas nouvelle pour beaucoup de praticiens) : la promesse de vendre ses actions, consentie par un associé dans le cadre d’un pacte, constitue-t-elle une clause d’exclusion ?

 Précisons que l’arrêt ne sera pas publié au Bulletin.

 En l’espèce, trois personnes physiques avaient constitué une SAS en janvier 2009. Les associés se partageaient les différents aspects du développement de la société, l’un d’eux, M. V., se voyant confier la responsabilité du marketing. Moins de quarante jours plus tard, ayant peut-être réalisé qu’ils ne couvraient pas certains champs d’activité, nos trois associés décidaient une augmentation de capital, et ils étaient rejoints par deux nouveaux associés, dont un fonds commun de placement. Ce fonds signait (par le biais suppose-t-on de sa société de gestion) un pacte d’associés avec les associés fondateurs. Ce pacte mettait à la charge de M. V l’engagement de céder ses actions dans certaines circonstances.

 Trois mois plus tard, un autre associé (il faisait partie du trio initial), M. P., estimant que les conditions requises pour faire jouer la promesse étaient satisfaites, levait l’option d’achat des actions de M. V. Celui-ci répondait en faisant assigner P. ainsi que la société en annulation de la clause, et en plaidant, subsidiairement, que les conditions d’application de la promesse n’étaient pas réunies. La cour d’appel saisie du litige donnait tort à M. V. et le déboutait de ses demandes.

 La partie la plus importante du débat, devant la cour d’appel et devant la Cour de cassation, portait sur la question de l’assimilation de la promesse contenue dans le pacte à une clause d’exclusion. Nous ne reviendrons pas sur la question des conditions de déclenchement de l’engagement du promettant de céder ses titres. On peut estimer que trois thèses étaient en présence.

 Le demandeur au pourvoi plaidait une assimilation totale des deux. La promesse de vente contenue dans le pacte était pour lui une « clause d’exclusion-sanction qui comme telle était nulle, faute d’avoir été insérée dans les statuts de la société, de prévoir les motifs d’exclusion de façon suffisamment précise ainsi que les conditions de sa mise en œuvre dans le respect des droits de la défense de l’associé évincé ».

 La Cour d’appel de Paris, dans son arrêt, avait pris le parti d’une assimilation limitée. La cour d’appel avait en effet retenu la validité de la clause, mais elle avait en outre relevé des éléments de nature à conforter cette validité, et ce faisant, elle rapprochait finalement cette promesse contenue dans un pacte d’une clause d’exclusion statutaire. Les juges du fond avaient ainsi relevé que la clause poursuivait « un but d’intérêt social », qu’elle résultait d’une décision unanime des associés, qu’elle répondait « à des motifs justes et précis en faisant reposer la levée d’option (…) sur des conditions objectives » et que « l’option d’achat [respectait] l’égalité des associés ».

 La Cour de cassation distingue quant à elle clairement les deux institutions. La cour d’appel avait relevé que « chacun des associés fondateurs s’était engagé, dans l’hypothèse où il viendrait à quitter ses fonctions au sein de la société, dans les cas visés par cette clause, à céder à un prix déterminé, à l’investisseur et aux autres fondateurs, si l’un ou plusieurs d’entre eux en faisaient la demande avec l’accord de l‘investisseur, ou, à défaut, à la société, si celle-ci en faisait la demande, tout ou partie des actions qu’il détiendrait à la date effective de départ ». De ce constat, la cour d’appel « a exactement déduit que l’engagement ainsi souscrit par M. V., conférant aux autres parties, aux conditions qu’il prévoit, une option d’achat de ses droits sociaux en cas de cessation de ses fonctions, devait recevoir la qualification de promesse unilatérale de vente ».

 Quant aux éléments relevés par la cour d’appel pour conforter la validité de la promesse au regard des conditions exigées d’une clause d’exclusion, la Cour de cassation juge qu’ils sont surabondants, ce qui confirme bien que promesse de vente et clause d’exclusion sont distinctes.

 A quoi se résume cette distinction ?

 Une clause d’exclusion est insérée dans les statuts d’une SAS et modifiée à l’unanimité (art. L. 227-19 C. com.), la décision d’exclusion est généralement prise par un organe social mais ce n’est pas un critère de validité, et le caractère déterminable ou déterminé du prix qui sera versé à l’exclu n’est pas une condition de validité de la clause – à défaut de fixation par les statuts ou par un accord des parties, il sera déterminé par application de l’article 1843-4 du Code civil, et donc par un expert nommé au besoin par le juge. La jurisprudence impose le respect des droits de la défense de l’exclu, qui doit participer à la décision collective des associés statuant sur son exclusion, si c’est ainsi que l’exclusion est décidée.

 Une promesse unilatérale de vente est quant à elle une convention qui ne lie pas nécessairement tous les associés, qui peut figurer dans les statuts, mais aussi dans un pacte ou dans un acte ne liant que le promettant et le bénéficiaire. Elle ne suppose que l’accord des parties à la promesse, et pas nécessairement de tous les associés. Le prix doit être déterminé ou déterminable ; si c’est un tiers qui fixe le prix, cela doit être prévu par l’accord des parties. La promesse ne suppose pas que l’on respecte les droits de la défense du promettant, la question ne se posant pas, dès lors que celui-ci ne fait pas l’objet d’une sanction, comme l’est en revanche l’exclusion. L’exécution forcée en nature de la promesse unilatérale de vente n’est en revanche pas assurée, en l’état de notre jurisprudence, comme on le sait.

 Le doute sur la distinction entre les deux institutions naît de deux éléments. D’une part, l’exécution d’une promesse unilatérale de vente produit in fine le même effet que le jeu d’une clause d’exclusion, l’associé devant quitter la société. D’autre part, la formulation de l’article L. 227-16 du Code de commerce, relatif à la clause d’exclusion dans la SAS, entretient le doute, car le texte dispose que « dans les conditions qu’ils déterminent, les statuts peuvent prévoir qu’un associé peut être tenu de céder ses actions », ce qui pourrait définir aussi une promesse statutaire.

 On sait que la jurisprudence de la Cour de cassation a paralysé les clauses d’exclusion présentes dans les statuts de nombreuses SAS, en invalidant dans un premier temps la clause statutaire, très fréquente jusqu’alors, selon laquelle l’associé dont l’exclusion était en discussion était écarté de la décision collective (Cass. com., 23 oct. 2007) et en jugeant dans un second temps que la clause en question devait être régularisée, donc à l’unanimité des associés, et que l’on ne pouvait se contenter de faire voter aussi l’associé dont l’exclusion était en cause (Cass. com., 9 juil. 2013, deux arrêts). La promesse de vente, en dépit de sa faiblesse en cas de refus d’exécution, pourrait être une solution alternative intéressante. Peut-être pourrait-on tenter de sauver certaines clauses d’exclusion en les qualifiant de promesses statutaires, cette position statutaire pouvant d’ailleurs renforcer de manière générale les promesses unilatérales ?

Bruno DONDERO

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Les MOOCs: une opportunité formidable pour l’Afrique et pour la francophonie

Je reprends le contenu de ce post, qui a disparu pour des raisons informatiques m’échappant. J’en profite pour l’actualiser au vu des très intéressants échanges de ces derniers jours avec des participants au MOOC Sorbonne DE de plusieurs pays africains.

J’y écrivais les deux raisons pour lesquelles les MOOCs étaient particulièrement adaptés à l’Afrique, ou l’inverse, d’ailleurs. Je faisais suite en cela à un article très intéressant paru dans le Monde, sous la plume de M. Serge Michel, et intitulé (beaucoup est déjà dit): « les MOOCs donnent des ailes aux Africains » (http://www.lemonde.fr/afrique/article/2014/05/04/les-moocs-donnent-des-ailes-aux-africains_4411192_3212.html).

La première raison, c’est que les MOOCs permettent un accès au savoir libéré des contraintes matérielles. Vous habitez très loin de l’Université, les transports en commun sont défaillants, vous travaillez aux heures de cours, vous avez des enfants qu’il vous faut garder et qu’il est difficile de garder silencieux dans l’amphithéâtre bondé ? Les MOOCs apportent une solution, au moins partielle, à ces problèmes. Vous pouvez suivre des cours à distance, par le biais de votre ordinateur. Oui, il faut un ordinateur, et une connexion internet qui fonctionne. Parmi les échanges que j’ai eus avec des étudiants, certains me disent que les vidéos en direct que nous proposons dans le cadre du MOOC Sorbonne DE s’interrompent fréquemment du fait de leur connexion. C’est dommage, mais  vous pouvez consulter les vidéos en bas débit, et nous mettons même en ligne une version audio.

là, on peut évoquer le partenariat entre l’Université Paris 1 et l’école Esam à Lomé, au Togo: http://www.village-justice.com/articles/Etudier-Sorbonne-depuis,15447.html

 

La seconde raison tient à la diffusion de la culture juridique française, du droit français et de la langue française. Un MOOC permet de faire connaître le droit français, ce qui est aussi à l’avantage de celui-ci.

Un droit qui n’est pas connu n’est pas pratiqué, et c’est un droit qui disparaît. Ensuite, c’est la culture juridique française et l’usage de la langue française qui réunissent les juristes francophones, en France et hors de France. Si votre droit n’est pas le droit français mais qu’il est d’inspiration française, et si vous l’exprimez en français, alors vous avez beaucoup de valeurs communes et de points de rapprochement avec le droit français. Il est très intéressant de confronter le droit français aux autres droits d’inspiration française, à cet égard.

Les MOOCs peuvent aussi être d’une grande aide à la francophonie, même si celle-ci n’a pas encore, me semble-t-il, saisi cette opportunité.

 

Bruno DONDERO

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Apprendre le droit par la fiction pédagogique ?

Je réfléchis depuis longtemps à des moyens différents d’enseigner le droit des affaires. J’ai proposé de transformer les arrêts de la Cour de cassation en fables (https://brunodondero.wordpress.com/2014/01/26/fabliau-jurisprudentiel-la-societe-le-dirigeant-mal-paye-et-le-juge-cass-com-17-dec-2013/). La vidéo est aussi un support que j’affectionne. En attendant le démarrage du MOOC Sorbonne droit des entreprises, voici une autre forme « alternative » d’enseignement: la fiction pédagogique.

Cela faisait une heure que le conseil d’administration de la société STAR avait commencé sa séance. L’ordre du jour avait été suivi, et la préparation de l’assemblée générale des actionnaires se faisait sereinement. Il allait bientôt être temps de procéder à l’arrêté des comptes et de rédiger la convocation qui serait adressée aux actionnaires. L’exercice 2013 avait été bon, en dépit de la crise. La société était en mesure de distribuer un dividende substantiel à ses actionnaires. Cela n’était pas si fréquent dans ce secteur économique, surtout avec la crise. Jean-Pierre Yoda, l’un des cinq administrateurs, sentait un léger assoupissement le gagner. Il avait déjà calculé à plusieurs reprises le montant du dividende auquel les trois pour cent d’actions STAR qu’il détenait lui donneraient droit, et l’exercice avait perdu son attrait. Il passa la main sur son crâne dégarni, auquel la lumière ambiante donnait une teinte verdâtre, et réprima un bâillement. Le président du conseil d’administration, Dirk Vader, prit alors la parole, d’un ton solennel qui tranchait avec les échanges précédents.

« Mes chers amis », commença-t-il, puis il marqua une pause. Etait-ce un effet voulu ? Jean-Pierre Yoda nota que les mains du président tremblaient légèrement. « J’allais oublier de vous parler de ceci, ç’aurait été dommage », dit-il en dépliant une feuille qu’il venait de sortir de la poche intérieure de son blazer. Il la tendit à Yann Soleau, le directeur financier, qui l’examina aussitôt en fronçant les sourcils. Il passa le document à Jean-Baptiste Le Hut, qui le remit ensuite à Leila Aurignac, qui était la fille du président et connaissait visiblement déjà le contenu du feuillet. Elle le tendit à Jean-Pierre Yoda. Chacun des administrateurs, à l’exception de Leila, avait marqué sa surprise en lisant le feuillet.

C’était une facture, et une facture d’un montant considérable, d’un montant tellement considérable qu’il rendait très improbable, voire impossible, avec ce qui resterait de la trésorerie, la distribution de tout dividende. La facture émanait d’une société Paul Patine Management SARL et elle portait la date du jour. Elle indiquait que la société STAR avait bénéficié de prestations de « conseils en management », au cours des dernières semaines et des honoraires conséquents étaient facturés pour chacune de ces prestations. Enfin, et le détail avait son importance, la facture portait en sa partie inférieure un tampon bleu indiquant « Acquitté », accompagné de la signature du gérant de Paul Patine Management, qui se trouvait être le fils du président de STAR, Luc…

Yann Soleau réagit le premier. Il interpella le président de manière si vive que l’assistante de celui-ci, Anne Akine, qui prenait des notes dans un coin de la pièce, sursauta.

« Qu’est-ce que cela veut dire, Dirk ? », cria-t-il. « Tu crois qu’on a besoin de ça ? Tu crois que ce n’est pas assez compliqué comme ça ? C’est toi qui va aller expliquer aux gens de chez Bespin qu’on ne va pas distribuer de dividende parce qu’il faut payer tes ‘honoraires’ ? ». Bespin était un fonds d’investissement britannique qui avait racheté quelques années auparavant au président Vader et à sa fille Leila la majorité du capital de STAR.

« Avant tout, je ne crois pas qu’il faille prendre les choses comme cela, Yann », répondit le président, en demandant à son assistante de quitter la pièce. « Vous êtes tous ici entièrement investis dans STAR, et vous n’en possédez pourtant que quelques actions. Jean-Pierre en a trois pour cent, les autres deux pour cent, et avec celle de Luc et Leila, j’atteins moi-même péniblement quinze pour cent. Avec Paul Patine, mon ami d’enfance, j’ai constitué une SARL, de manière très simple, et vous pouvez tous en être associés ».

– « Où veux-tu en venir, Dirk ? »

– « Je crois que tu as parfaitement compris où je veux en venir, Yann. Je veux faire de la justice distributive. Je veux faire en sorte que ceux qui ont permis que la société réalise de bons résultats en 2013 soient justement récompensés. Est-il juste que notre actionnaire, qui n’habite même pas en France, et qui ne siège même pas avec nous au conseil d’administration, et qui connaît à peine la société, gagne des millions juste parce qu’il est actionnaire ? »

– « C’est tout de même ce que dit l’article 1832 du Code civil… »

Tous les regards se tournèrent vers Jean-Baptiste, qui pianotait ostensiblement sur son smartphone depuis quelques secondes. La cinquantaine bedonnante mais épanouie, il se prévalait souvent des quelques années de droit qu’il avait faites autrefois. Il venait d’accéder à un site donnant accès aux codes et autres textes de loi. Regardant l’écran par-dessus ses lunettes de presbyte, il leur donna lecture des premiers mots du texte qu’il venait d’évoquer.

– « Je suis sur Legifrance, sur le Code civil, article 1832. Le texte dit : ‘La société est instituée par deux ou plusieurs personnes qui…’ ».

– Pourquoi t’arrêtes-tu ? intervint Yann Soleau, excédé.

– C’est que c’est écrit petit… ‘qui conviennent par un contrat d’affecter à une entreprise commune des biens ou leur industrie en vue de partager le bénéfice ou de profiter de l’économie qui pourra en résulter ».

– C’est ça, ils veulent faire des économies sur notre dos, à nous, les petits administrateurs ! s’exclama Leila, citant sans le savoir Thierry Breton (http://www.liberation.fr/politiques/2005/06/30/rhodia-breton-denonce-une-manipulation_525120).

– Non, c’est bien une question de bénéfice, dit Yann. Les actionnaires ont droit au bénéfice, et nous aussi, d’ailleurs, mais dans la mesure de nos actions, pas plus. Avec le système de Dirk, nous mettons la société dans l’impossibilité de verser aux actionnaires leur dividende. La société a réalisé un bénéfice au cours de l’exercice 2013, et l’assemblée qui va se réunir bientôt décidera peut-être de distribuer l’intégralité de ce bénéfice aux actionnaires. Le problème, c’est qu’entre la date où le bénéfice est réalisé et celle où il est constaté, la société a disposé des sommes qui lui auraient permis de payer le dividende. En bref, il faudrait qu’elle emprunte pour payer le dividende, et nous savons tous que la banque ne nous prêtera pas d’argent pour cela. Cela représente une trop grosse somme, et en dépit de nos bons résultats, nous aurons du mal à expliquer à la BROC (Banque Régionale d’Octroi de Crédit) que cet argent va être viré en Angleterre dès que nous l’aurons.

– C’est quand même gênant ton système, Dirk, reprit Jean-Baptiste. En fait, tu veux qu’on soit rémunérés par le biais d’une société que tu as créée, mais finalement, on ne fera pas plus d’activité qu’avant. C’est un peu frauduleux, tout ça, non ? C’est même une forme d’abus des biens sociaux, si je ne me trompe.

– Mais pas du tout ! On ne fait que donner à notre activité de managers – car c’est bien ça qu’on est – une forme juridique diversifiée. On était administrateurs, on touchait des jetons de présence, assez modestes, et on recevait quelques miettes du bénéfice. Moi je t’ajoute à cela de la prestation de services. Pas la peine d’avoir tout de suite tes gros mots de juriste à la bouche, Jean-Baptiste. Cela correspond bien à quelque chose que l’on fait pour la société, non ?

– Mais on le fait déjà et on n’est pas payé pour de la prestation de services, répondit Jean-Pierre.

– Alors si tu travailles sans être payé, et que tu demandes à l’être, tu commettrais un ABS, selon toi ?

Les administrateurs convinrent que le propos n’était pas dénué de bon sens.

(à suivre)

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Manier le porte-fort avec prudence (Cass. com., 1er avril 2014, n° 13-10629)

La promesse de porte-fort est une institution ancienne, encadrée par l’article 1120 du Code civil. Elle concerne initialement la seule formation du contrat. Alors que l’on ne peut en principe que s’engager soi-même, l’on peut « se porter fort pour un tiers, en promettant le fait de celui-ci », le texte précisant que « celui qui s’est porté fort ou qui a promis de faire ratifier [peut être tenu d’une indemnité], si le tiers refuse de tenir l’engagement ». Traditionnellement, la promesse de porte-fort concerne la formation du contrat, puisque l’on se porte fort de ce que telle ou telle personne, que l’on n’a pas le pouvoir de représenter, acceptera de s’engager dans un contrat. C’est ce que l’on appelle le « porte-fort de ratification », et il faut souligner que cette pratique n’est pas sans danger pour la sécurité des relations formées par ce moyen, car il n’est pas exclu que contre toute attente, celui dont on a garanti le consentement ne veuille finalement pas ratifier l’acte. Dans le cadre d’une cession de droits sociaux, on pourrait ainsi voir un certain nombre d’actionnaires, dont le consentement à la cession n’était donné que par le biais d’une promesse de porte-fort, refuser ensuite de céder leur participation, empêchant peut-être ainsi le cessionnaire d’acquérir le contrôle de la société.

La pratique recourt aussi à ce que l’on appelle le « porte-fort d’exécution », où ce n’est pas le consentement à un acte mais l’exécution d’une obligation qui est garantie, ou plus généralement le fait d’un tiers. Par exemple, et c’est ce type d’engagement que la Cour de cassation examinait dans son arrêt du 1er avril 2014 (destiné à publication au Bulletin et consultable ici : http://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?idTexte=JURITEXT000028826027&fastReqId=1434214912&fastPos=2&oldAction=rechJuriJudi), une société A peut se porter fort envers une société B de ce que les associés de A ne démarcheront pas les clients composant la clientèle que A cède à B. Dans l’espèce ayant donné lieu à cet arrêt, l’engagement voyait la cédante « [se porter] fort pour chacun de ses associés, qu’ils s’abstiendraient de toute intervention, directe ou indirecte, auprès de cette clientèle ». Or, l’un des associés de A acceptait de traiter les dossiers de clients qui avaient été cédés à B (il s’agissait d’une clientèle demandant des prestations d’expertise comptable). B assignait A en résolution de la cession et en dommages-intérêts, ce que la cour d’appel saisie du litige lui refusait.

La Cour de cassation casse cet arrêt pour violation de l’article 1120 du Code civil, car la société A avait promis à la société B « que les associés n’effectueraient pas de travaux d’expertise comptable pour les clients cédés ». La Cour juge en outre par un attendu de principe que « le porte-fort, débiteur d’une obligation de résultat autonome, est tenu envers le bénéficiaire de la promesse, des conséquences de l’inexécution de l’engagement promis ». En synthèse, l’arrêt d’appel est cassé parce qu’il avait rejeté les demandes de la bénéficiaire du porte-fort au motif que la société A avait effectivement cessé toute activité d’expertise comptable, que son associé n’avait pas pris l’engagement de cesser lui-même son activité, et que s’il avait pu donner suite à des sollicitations de clients entrant dans le champ de la cession, il n’était pas démontré qu’il les aurait démarchés, ni qu’il aurait utilisé des moyens déloyaux, et il n’était donc pas sanctionnable. C’était ainsi ignorer que le résultat qu’avait promis la société A, par son engagement de porte-fort, n’avait pas été atteint. Parce qu’elle n’avait pas fourni le résultat promis, A engageait sa responsabilité sans qu’elle puisse s’y soustraire en invoquant son absence de faute ou l’absence de faute de son associé.

La solution peut sembler rigoureuse, mais elle ne fait que donner effet à l’engagement qui avait été contracté. Si la société A n’avait pas une vue claire sur ce que feraient ses associés postérieurement à la cession, il lui appartenait de ne pas s’engager sur le comportement de ses personnes. Elle aurait pu contracter un engagement différent. Par exemple, la société pouvait se porter fort de ce que ses associés souscriraient un engagement de ne pas exploiter la clientèle cédée. En l’espèce, la société avait pris un engagement plus étendu, puisqu’elle avait promis purement et simplement que ces mêmes associés n’exploiteraient pas ladite clientèle. Le porte-fort est donc à manier avec prudence, et il faut notamment être attentif au type de porte-fort que l’on utilise.

Dernière observation : il ne nous semble pas exclu, même si l’arrêt parle d’obligation de résultat, que l’engagement pris ne soit que de moyens, et consiste à faire de son mieux pour parvenir au résultat promis. Là encore, ce sont les parties qui définiront, par leurs stipulations, l’étendue de l’engagement. On retombe dans une problématique proche de celle des lettres de confort.

 

Bruno Dondero

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