Archives mensuelles : novembre 2020

Les assemblées d’actionnaires à huis clos: faille spatio-temporelle?

On se souvient qu’un dispositif spécial a été mis en place au printemps dernier pour permettre aux sociétés et aux autres personnes morales et groupements non personnifiés de droit privé de tenir leurs assemblées pendant la crise sanitaire. C’est une ordonnance n° 2020-321 du 25 mars 2020 qui a mis en place de dispositif, que nous avions analysé ici pour le Club des Juristes.

Ce dispositif arrive à expiration dans les jours qui viennent, et même s’il est prorogé, il ne va pas l’être sans un « trou » de quelques jours, qui soulève de délicates questions de droit.

I – L’ordonnance n° 2020-321 du 25 mars 2020.

La possibilité de participer aux assemblées « à huis clos » s’est faite au détriment des droits des associés, actionnaires et autres participants à ces assemblées, puisque le cœur du dispositif a consisté à permettre la tenue des assemblées sans participation physique de ces personnes.

L’article 4 de l’ordonnance a en effet prévu que :

Lorsqu’une assemblée est convoquée en un lieu affecté à la date de la convocation ou à celle de la réunion par une mesure administrative limitant ou interdisant les rassemblements collectifs pour des motifs sanitaires, l’organe compétent pour la convoquer ou le représentant légal agissant sur délégation de cet organe peut décider qu’elle se tient sans que les membres et les autres personnes ayant le droit d’y assister ne soient présents physiquement ou par conférence téléphonique ou audiovisuelle.

Dans ce cas, les membres participent ou votent à l’assemblée selon les autres modalités prévues par les textes qui la régissent tels qu’aménagés et complétés le cas échéant pas la présente ordonnance. Les décisions sont alors régulièrement prises.

Les membres de l’assemblée et les autres personnes ayant le droit d’y assister sont avisés par tout moyen permettant d’assurer leur information effective de la date et de l’heure de l’assemblée ainsi que des conditions dans lesquelles ils pourront exercer l’ensemble des droits attachés à leur qualité de membre ou de personne ayant le droit d’y assister.

En substance, quand une assemblée est convoquée en un lieu affecté à la date de la convocation ou à celle de la réunion par une mesure administrative limitant ou interdisant les rassemblements collectifs pour des motifs sanitaires, cette assemblée peut se tenir « sans que les membres et les autres personnes ayant le droit d’y assister ne soient présents physiquement ou par conférence téléphonique ou audiovisuelle », la participation se faisant « selon les autres modalités prévues par les textes » régissant cette assemblée, et « Les décisions sont alors régulièrement prises ».

Ce texte d’exception avait été pris pour une durée expirant le 31 juillet 2020, prorogée ensuite au 30 novembre.

A défaut de prorogation supplémentaire ou de nouvelle ordonnance, une AG qui se tiendra à compter du 1er décembre ne pourra donc pas bénéficier de ce dispositif, et elle devra réunir physiquement les associés ou actionnaires, sauf possibilité de participer à distance ou de tenir l’assemblée autrement qui résulterait de la loi ou des statuts.

II – L’ordonnance de prorogation attendue.

La loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 autorisant la prorogation de l’état d’urgence sanitaire et portant diverses mesures de gestion de la crise sanitaire a habilité le Gouvernement à prendre « toute mesure relevant du domaine de la loi en vue de prolonger ou de rétablir l’application des dispositions prises, le cas échéant modifiées, par voie d’ordonnance et à procéder aux modifications nécessaires à leur prolongation, à leur rétablissement ou à leur adaptation, le cas échéant territorialisée, à l’état de la situation sanitaire, sur le fondement (…) du I de l’article 11 (…) de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 ». Un certain nombre de champs, prévus par la loi du 23 mars 2020, sont exclus par la loi du 14 novembre 2020 dont celui consistant à prendre un texte « adaptant, interrompant, suspendant ou reportant le terme des délais prévus à peine de nullité, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, déchéance d’un droit, fin d’un agrément ou d’une autorisation ou cessation d’une mesure, à l’exception des mesures privatives de liberté et des sanctions » et qui avait conduit à l’adoption de la très riche ordonnance n° 2020-306.

N’est pas exclu en revanche le f) du 2° du I de l’article 11 de la loi du 23 mars 2020 qui avait permis de prendre au printemps dernier une ordonnance « simplifiant et adaptant les conditions dans lesquelles les assemblées et les organes dirigeants collégiaux des personnes morales de droit privé et autres entités se réunissent et délibèrent ainsi que les règles relatives aux assemblées générales ». On aura reconnu l’ordonnance n° 2020-321.

Est donc attendue une deuxième ordonnance permettant la tenue des assemblées sans la présence physique des associés / actionnaires, qui devrait prendre la forme d’une ordonnance modifiant le texte préexistant.

Des projets d’ordonnance et de décret ont circulé, mais le Conseil des ministres qui s’est réuni hier, le 25 novembre 2020, n’avait pas mis à son ordre du jour d’ordonnance traitant des assemblées.

Cela va-t-il poser un problème ?

III – Un problème de continuité ?

Le 30 novembre à minuit, l’ordonnance n° 2020-321 va donc devenir inactive.

Il est probable qu’il faudra attendre le Conseil des ministres du 2 décembre pour que soit présentée la nouvelle ordonnance, ce qui devrait conduire à une publication de ce texte au Journal officiel le 3 décembre, éventuellement le 4.

Sans envisager les éventuelles différences qui pourront exister entre le régime résultant de l’actuelle ordonnance n° 2020-321 et celui résultant du texte qui prendra sa suite, quelle sera la conséquence du « trou » de quelques jours pendant lequel les assemblées ne pourront pas se tenir à huis clos ? Les AG vont-elles être prises dans une faille spatio-temporelle?

« Oh non! Notre AG est prise dans une faille spatio-temporelle! »

Précisons d’emblée que la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 prévoit dans son article 10 que les ordonnances qui vont être adoptées peuvent s’appliquer de manière rétroactive… ou quelque chose d’approchant!

C’est dans le sens d’une application rétroactive que l’on est tenté de lire le passage selon lequel « Les mesures mentionnées aux 1° et 2° du présent I peuvent entrer en vigueur, si nécessaire, à compter de la date à laquelle les dispositions qu’elles rétablissent ont cessé de s’appliquer et dans la mesure nécessaire à la continuité du bénéfice de droits et prestations ouverts par ces dispositions et relevant des collectivités publiques ».

La référence finale aux « collectivités publiques » est cependant assez troublante, et pourrait écarter l’application rétroactive de l’ordonnance sur les AG à huis clos, a priori totalement étrangères aux collectivités publiques.

Le danger principal sera celui d’une AG qui se tiendrait à huis clos pendant la période de « vacance » (c’est-à-dire entre le 1er décembre et le 3 ou le 4 décembre). Il n’y aura de véritable risque que si la période de vacance n’est pas couverte par la nouvelle ordonnance. Si celle-ci ne précise pas qu’elle rétroagit, l’assemblée aura été tenue sans permettre aux associés / actionnaires d’y participer physiquement, avec des risques divers (annulation, responsabilité civile et pénale). Pour rappel, le droit français sanctionne toujours de deux ans d’emprisonnement et 9.000 euros d’amende le fait « d’empêcher un actionnaire de participer à une assemblée d’actionnaires« .

Notons que dans le même temps, il n’est pas certain qu’une assemblée puisse se tenir en présentiel, puisque le décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 interdit, sauf exception, « Les rassemblements, réunions ou activités sur la voie publique ou dans un lieu ouvert au public (…) mettant en présence de manière simultanée plus de six personnes« …

Ce même texte dispose par ailleurs que « Tout déplacement de personne hors de son lieu de résidence est interdit à l’exception des déplacements pour les motifs suivants en évitant tout regroupement de personnes« , lesdits motifs ne concernant a priori pas la participation à une AG.

Une difficulté moins visible concerne les assemblées qui sont convoquées pour le mois de décembre 2020 ou janvier 2021, c’est-à-dire sans visibilité claire de ce que sera l’ordonnance applicable au jour où l’assemblée se tiendra. Il est probable qu’un texte permettra la tenue à huis clos de l’AG, mais les modalités précises de cette tenue ne seront connues que lorsque le texte sera publié au Journal officiel

Bruno DONDERO

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Apprendre le droit avec « Potiche »: les conseils d’administration

Trop peu de films et de séries nous ouvrent les portes des conseils d’administration. Merci à François Ozon de l’avoir fait avec le film Potiche. Catherine Deneuve, P-DG, s’oppose à son mari, joué par Fabrice Luchini.

Le petit extrait qui est présent dans la vidéo mise en ligne sur notre chaîne YouTube nous permet de repérer un petit « faux-raccord » juridique, qui ne gâchera absolument pas le plaisir de voir ou revoir Potiche!

En effet, alors que les conseils d’administration des sociétés anonymes statuent selon l’article L. 225-37 à la majorité « par tête » des administrateurs, celui que nous voyons délibérer dans l’extrait du film prend en compte le pourcentage du capital social détenu. Précisons que cela serait possible aujourd’hui dans une SAS dont les statuts le prévoiraient… mais cette forme de société n’existait pas en 1977, année où se déroule le film!

Article L. 225-37 du Code de commerce (extraits):

A moins que les statuts ne prévoient une majorité plus forte, les décisions sont prises à la majorité des membres présents ou représentés.

(…)

Sauf disposition contraire des statuts, la voix du président de séance est prépondérante en cas de partage.

On se retrouve sur YouTube pour notre prochain cours lundi prochain à 9h30!

Bruno Dondero

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Cours (confiné) de droit des sociétés: les assemblées à huis clos – prorogation du dispositif

Nous nous retrouvons comme chaque lundi matin à 9h30 sur notre chaîne YouTube: la séance se passera ici.

Nous terminerons l’étude de la situation des associés.

Nous verrons un élément lié à l’actualité, qui est celui des assemblées qui peuvent, en raison de la crise sanitaire, se tenir « à huis clos ». Au printemps dernier, une ordonnance a été adoptée, qui est encore en vigueur aujourd’hui, et dont l’article 4 dispose:

Lorsqu’une assemblée est convoquée en un lieu affecté à la date de la convocation ou à celle de la réunion par une mesure administrative limitant ou interdisant les rassemblements collectifs pour des motifs sanitaires, l’organe compétent pour la convoquer ou le représentant légal agissant sur délégation de cet organe peut décider qu’elle se tient sans que les membres et les autres personnes ayant le droit d’y assister ne soient présents physiquement ou par conférence téléphonique ou audiovisuelle.

Dans ce cas, les membres participent ou votent à l’assemblée selon les autres modalités prévues par les textes qui la régissent tels qu’aménagés et complétés le cas échéant pas la présente ordonnance. Les décisions sont alors régulièrement prises.

Les membres de l’assemblée et les autres personnes ayant le droit d’y assister sont avisés par tout moyen permettant d’assurer leur information effective de la date et de l’heure de l’assemblée ainsi que des conditions dans lesquelles ils pourront exercer l’ensemble des droits attachés à leur qualité de membre ou de personne ayant le droit d’y assister.

Il est donc possible de tenir des assemblées sans que les associés soient présents et même sans qu’ils participent par conférence téléphonique ou audiovisuelle. C’est donc une dérogation considérable à l’article 1844 du Code civil, qui rappelons-le permet à tout associé de participer aux décisions collectives!

Cette ordonnance va être prorogée dans les jours prochains.

En effet, la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 autorisant la prorogation de l’état d’urgence sanitaire, qui a été publiée au Journal officiel hier, comporte un article 10 selon lequel:

I. – Dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution et pour faire face aux conséquences de la propagation de l’épidémie de covid-19 et des mesures prises pour limiter cette propagation, le Gouvernement est autorisé à prendre par ordonnances, jusqu’au 16 février 2021, toute mesure relevant du domaine de la loi en vue de prolonger ou de rétablir l’application des dispositions prises, le cas échéant modifiées, par voie d’ordonnance et à procéder aux modifications nécessaires à leur prolongation, à leur rétablissement ou à leur adaptation, le cas échéant territorialisée, à l’état de la situation sanitaire, sur le fondement :

1° Du I de l’article 11, à l’exception du h du 1° et des a, b, d, e et h du 2°, et de l’article 16 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 ;

2° De l’article 1er de la loi n° 2020-734 du 17 juin 2020 relative à diverses dispositions liées à la crise sanitaire, à d’autres mesures urgentes ainsi qu’au retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne.

Les mesures mentionnées aux 1° et 2° du présent I peuvent entrer en vigueur, si nécessaire, à compter de la date à laquelle les dispositions qu’elles rétablissent ont cessé de s’appliquer et dans la mesure nécessaire à la continuité du bénéfice de droits et prestations ouverts par ces dispositions et relevant des collectivités publiques.

Parmi les dispositions qui peuvent donc être prorogées et adaptées, on trouve l’article 11, I, 2°, f) de la loi du 23 mars 2020, qui est donc le texte dont est issue l’ordonnance n° 2020-321 du 25 mars dernier;

Est donc attendue une ordonnance qui prorogera le dispositif en vigueur jusqu’au 16 février 2021, avec éventuellement des adaptations.

On en parle tout à l’heure!

Bruno DONDERO

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Cours (confiné) de droit des sociétés: les droits des associés

Ce matin, nous nous retrouvons à 9h30 sur notre chaîne YouTube comme chaque lundi, pour continuer notre cours de droit des sociétés. Nous verrons un point très important qui est celui des droits des associés et actionnaires.

L’un de ces droits est le droit aux bénéfices, que nous avons déjà étudié quand nous avons passé en revue les différents éléments du contrat de société. Vous vous souvenez que l’intention de participer aux résultats, positifs ou négatifs, est l’un des trois éléments constitutifs du contrat de société.

Pour éclairer notre propos de ce matin, je reproduis ici un extrait d’un article du journal Libération du 13 février 2009.

Le président de la République de l’époque reprend une idée entendue régulièrement avant et après son intervention.

Nous nous demanderons ce qu’il faut penser de cette idée.

Une première observation sur le tiers du bénéfice dont l’investissement est le moins « politique », à savoir le tiers qui doit être réinvesti dans l’entreprise « pour financer son développement« . On comprend que c’est un minimum qui est envisagé, puisque les actionnaires pourraient décider d’investir leur part, le tiers qui leur reviendrait, dans le développement de l’entreprise. Mais déjà cela signifierait que, sauf à trouver un accord avec les salariés, l’entreprise ne disposerait plus que de 2/3 de son bénéfice à réinvestir. Ensuite et surtout, imposer qu’1/3 du bénéfice soit réinvesti dans toutes les sociétés ignore absolument la grande diversité des entreprises.

Pour une société de commerce de détail, ou pour une société assurant des conférences rémunérées comme celle de l’ancien Président François Hollande, dont nous avions parlé ici et dans le cours, est-il utile d’affecter un tiers du bénéfice au développement? Et que faire si les associés ne souhaitent pas développer la société, estimant que son volume d’activité est déjà au meilleur niveau?

Enfin, n’est-ce pas plutôt à un développement durable de plus grande qualité qu’il faut consacrer une partie du bénéfice, le cas échéant?

Je mets aussi le lien vers « l’engagement de responsabilité pour les grandes entreprises bénéficiant de mesures de soutien en trésorerie ». Ce texte, lié à la crise du Covid-19, fait interdiction aux grandes sociétés et aux sociétés de grands groupes de distribuer un dividende en 2020 quand elles bénéficient de mesures de soutien (report d’échéances fiscales ou sociales, prêt garanti par l’Etat).

On se retrouve pour discuter de tout cela, entre autres, à 9h30!

Bruno Dondero

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Bourvil et Gabin étaient-ils en société en participation dans la « Traversée de Paris »? Réponse dans le cours (confiné) de droit des sociétés d’aujourd’hui!

Nous avons évoqué hier le film de Claude Autant-Lara, la Traversée de Paris, tiré d’une nouvelle de Marcel Aymé. Nous nous sommes interrogés sur la possible existence d’une société en participation entre les deux personnages principaux, joués par Bourvil et Jean Gabin.

La scène suivante nous éclaire sur la nature juridique de leurs relations.

On se retrouve à 11h30 pour comprendre si nos deux personnages sont les associés d’une société en participation ou non.

Mais peut-être sont-ils comme Artie Bucco et son ami français dans les Sopranos, et peut-être n’ont-ils pas l’un et l’autre la même compréhension de leur relation.

A tout à l’heure, on se retrouve à 11h30 pour notre direct, accessible ici!

Bruno DONDERO

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Cours (confiné) de droit des sociétés: société en formation, en participation, créée de fait

Chers étudiants et chers participants au cours,

Nous nous retrouvons à 9h30 pour notre séance en direct sur YouTube.

Chut, ça va commencer!

Nous allons parler de la société en formation, de la société en participation et de la société créée de fait. Nous sillonnerons Paris en 1942 et en 2020, en nous demandant si Bourvil et Gabin, dans La traversée de Paris, sont en société, et si les livreurs Deliveroo et autres Uber Eats sont réellement des indépendants!

On pourrait lancer un système de livraison de repas par Internet… Ah zut, ça n’existe pas encore!

A tout de suite sur YouTube!

Bruno Dondero

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