Archives mensuelles : décembre 2017

La bataille de l’article 1161 du Code civil

L’article 1161 du Code civil est l’un des textes issus de la réforme du droit des contrats (ordonnance du 10 février 2016) qui a, depuis son adoption, donné lieu aux interrogations les plus nombreuses.

En apparence, il s’agit « seulement » d’un texte relatif aux conflits d’intérêts qui peuvent affecter le représentant d’une partie à un contrat.

L’article 1161 dispose :

« Un représentant ne peut agir pour le compte des deux parties au contrat ni contracter pour son propre compte avec le représenté.

En ces cas, l’acte accompli est nul à moins que la loi ne l’autorise ou que le représenté ne l’ait autorisé ou ratifié ».

Un texte faussement simple.

Si je confie à un représentant la mission de vendre mon bien, avec mission de négocier le prix le plus élevé possible, je n’ai pas envie de découvrir que la vente a été finalement conclue avec le représentant lui-même, qui aura donc signé une fois en qualité de représentant du vendeur, et une seconde fois en son nom propre, comme acheteur.

Autre situation non souhaitable : l’intermédiaire que j’avais chargé de vendre le bien au meilleur prix était dans le même temps mandaté par l’acheteur pour signer le contrat de vente au prix le plus bas. L’intermédiaire était donc rémunéré par les deux parties au contrat, qui poursuivaient des intérêts opposés.

Dans les deux cas, le vendeur peut voir son intérêt lésé par cet « agent double ».

La jurisprudence et certains textes spéciaux (en réalité très nombreux) avaient déjà formulé des restrictions, mais l’on manquait d’une règle générale inscrite dans les textes.

Quand je dis que l’on manquait, cela signifie qu’une telle règle n’existait pas dans nos textes, mais pas nécessairement qu’elle était indispensable et qu’il s’imposait de la formaliser dans le Code civil.

Les rédacteurs de l’ordonnance du 10 février 2016 ont choisi de le faire, ce qui soulève essentiellement une difficulté, qui est celle de la conciliation de ce nouveau dispositif avec les dispositifs spéciaux.

La difficulté de l’articulation du nouveau dispositif avec les dispositifs spéciaux.

C’est surtout à propos du droit des sociétés que la question a été évoquée.

Lorsqu’une société veut conclure un contrat avec son dirigeant (qui est aussi son « représentant ») ou lorsque deux sociétés qui ont le même dirigeant / représentant concluent un contrat, on n’a pas attendu l’article 1161 pour encadrer l’opération.

Dans certains cas, des procédures sociétaires particulières doivent être suivies (autorisation préalable d’un organe, approbation postérieure d’un autre organe, rapport des commissaires aux comptes, notamment). C’est en principe le cas pour les conventions conclues par les sociétés par actions ou les SARL avec leurs dirigeants, par exemple.

Dans d’autres cas, le législateur soustrait expressément la conclusion des contrats à la procédure de contrôle normalement applicable. C’est notamment le cas, toujours dans le cadre des sociétés par actions et des SARL, pour les conventions portant sur des opérations courantes et conclues à des conditions normales – conventions dites « libres ».

Enfin, dans d’autres situations, rien n’a été précisé. Dans une société en nom collectif, par exemple, le contrat conclu par le gérant avec la société ne fait pas l’objet de règles particulières.

La question se pose alors de savoir si les conventions libres et les conventions qui ne sont pas soumises à contrôle ne doivent pas « retomber » dans le giron du droit commun, et relever alors du contrôle prévu par l’article 1161.

Le texte dit bien que les conventions qu’il contrôle ne sont pas nulles lorsque la loi les a autorisées, mais dans le cas des conventions libres et surtout dans le cas des conventions non contrôlées par le droit spécial, on peut se demander si elles sont bien « autorisées » par la loi.

Le spécial déroge au général.

Il est en droit une règle fondamentale, mais que l’on a un peu de mal à saisir avec précision, selon laquelle le spécial déroge au général (Specialia generalibus derogant).

Cette règle signifie que la règle spéciale écarte la règle générale, ce qui devrait aller dans le sens de dire que lorsqu’une règle de contrôle des conflits d’intérêts est prévue par le droit des sociétés, droit spécial, la règle du droit des contrats, droit général, est écartée.

Mais jusqu’où cette mise à l’écart de la règle générale vaut-elle ?

Par exemple, lorsqu’une société ne fait pas l’objet d’une règle spéciale de contrôle des conflits d’intérêts, comme c’est le cas de la SNC, la règle générale ne retrouve-t-elle pas à s’appliquer ?

Mon opinion est que le droit des sociétés tout entier doit être vu comme un droit spécial, et que si le législateur n’a pas encadré de manière particulière les conventions conclues par une SNC avec son gérant, ou par plusieurs sociétés dont une SNC représentées par le même dirigeant, c’est qu’il considère que ces situations sont « libres ».

Maintenant, lorsqu’une société est représentée par un mandataire (une personne dont le pouvoir provient d’un contrat et non des statuts de la société ou de la loi), ce n’est plus du droit des sociétés que la situation relève, mais du droit des contrats, et l’article 1161 du Code civil doit retrouver son autorité.

Une situation incertaine.

La question de l’article 1161 présente incontestablement des incertitudes.

Incertitudes quant au champ d’application du dispositif, dont on ne peut malheureusement affirmer avec la certitude la plus absolue s’il est écarté dans toutes les situations relevant du droit des sociétés (ce qui est mon analyse).

Incertitudes quant à son champ d’application résiduel, certains ayant estimé qu’il retrouverait à s’appliquer pour les conventions libres.

Incertitudes enfin quant à la mise en œuvre du dispositif, lorsque celui-ci est applicable.

Illustration : si le dirigeant d’une société civile souhaite conclure un contrat avec cette société et que l’on considère que l’article 1161 du Code civil joue, alors il faut que le « représenté » autorise ou ratifie la conclusion de la convention. Mais le texte précité n’indique pas par qui la société représentée doit agir dans cette situation. Cela semble aller de soi que ce n’est pas par la bouche du gérant « conflicté » que cette autorisation doit être donnée, mais est-on pour autant dans la situation où ce sont les associés qui doivent agir parce que la décision excéderait les pouvoirs du gérant, au sens de l’article 1852 du Code civil ? Ce texte dispose que « Les décisions qui excèdent les pouvoirs reconnus aux gérants [d’une société civile] sont prises selon les dispositions statutaires ou, en l’absence de telles dispositions, à l’unanimité des associés ». Parce que les statuts d’une société civile auront rarement envisagé la question de l’application de l’article 1161, ne risque-t-on pas d’être soumis à une exigence d’unanimité des associés (en admettant qu’ils aient compétence) ?

Clarification du droit…

Attaqué de toutes parts, l’article 1161 du Code civil a subi une réduction importante de son champ d’application lorsque le Parlement a discuté, en première lecture, de la loi de ratification de l’ordonnance du 10 février 2016.

Gouvernement, Sénat, Assemblée nationale : tous ont été d’accord pour restreindre le champ d’application de l’article 1161 du Code civil aux hypothèses de représentation des seules personnes physiques.

Les sociétés, les associations, les GIE et les autres personnes morales ne seraient donc plus concernées par le texte, du moins si celui-ci n’est pas modifié en seconde lecture.

… ou action de lobbying ?

Des auteurs – les professeurs Florence Deboissy et Guillaume Wicker – ont ouvert un débat de ceux qui mettent en effervescence le petit monde des professeurs de droit.

 

Par deux publications à la Semaine juridique édition Entreprise, l’une en février 2017, l’autre en décembre, ils prennent le contrepied des critiques qui ont pu être émises à l’égard de l’article 1161.

Ils estiment que si certaines critiques étaient portées par des plumes soucieuses de l’articulation technique des différentes dispositions, d’autres seraient le fait de membres de la doctrine « davantage préoccupés de satisfaire la revendication d’une partie des milieux d’affaires à une totale liberté d’action que viendrait remettre en cause le jeu de l’article 1161 dans les domaines non couverts par le droit spécial des sociétés ».

Pour ma part, je crois assez peu que certains de mes collègues seraient partis en campagne contre l’article 1161 du Code civil parce que les « milieux d’affaires » les auraient chargés d’aller défendre des situations de conflits d’intérêts menacées par le nouveau texte.

Il me semble que l’article 1161 soulève de redoutables questions d’articulation avec le droit des sociétés, et que les incertitudes relatives tant au champ d’application du texte qu’à la manière de requérir l’autorisation ou la ratification du « représenté » que prévoit le texte risquent d’entraver assez sérieusement le fonctionnement des entreprises pour que la doctrine s’en émeuve.

Bruno DONDERO

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L’abus de minorité ne « neutralise » pas les droits de vote de l’auteur de l’abus (Cass. civ. 3ème, 21 déc. 2017, n° 15-25267)

La troisième Chambre civile de la Cour de cassation vient de rendre le 21 décembre 2017 un arrêt qui a été aussitôt mis en ligne sur son site internet et qui sera publié aux deux Bulletins.

Cet arrêt juge que l’abus de minorité commis par un associé ne permet pas d’adopter une décision en l’absence de majorité suffisante. En somme, l’abus de minorité ne « neutralise » pas les droits de vote de l’auteur de l’abus.

Premières observations.

 

La question posée.

L’arrêt est relatif à une société civile immobilière (SCI), mais la solution retenue est transposable aux autres sociétés.

Les parts d’une SCI étaient réparties entre un couple, Julien X… et Simone Z…, et leurs cinq enfants. Après le décès des parents, 3.365 parts sur les 3.415 parts étaient dépendantes d’indivisions successorales.

Une « assemblée générale extraordinaire » (terme qui ne concerne stricto sensu pas les SCI, mais qu’importe) adoptait une résolution portant sur la mise en vente de deux biens – deux villas – appartenant à la société.

Une associée, Mme Y…, assignait la SCI en annulation des résolutions adoptées par cette assemblée.

Sa demande était rejetée par la cour d’appel saisie du litige, pour des motifs tenant au refus de l’associée (en réalité, de son représentant) de désigner un représentant de l’indivision.

Clarifions: il y avait deux indivisions, l’une portant sur les parts que détenaient précédemment Julien X…, l’autre sur les parts anciennement détenues par Simone Z…

Pour l’indivision Julien X…, un représentant avait été désigné à l’unanimité des associés, moins la voix du candidat (on peut supposer qu’il n’y avait pas de désaccord au sens de l’art. 1844 du Code civil).

En revanche, le représentant de Mme Y… s’était opposé à la désignation d’un candidat qui se proposait de représenter l’indivision Simone Z…, sans que ce refus soit motivé. L’associée avait par ailleurs reconnu avoir toujours accepté la désignation d’un mandataire pour les deux indivisions et ne donnait aucune explication sur son refus de faire de même lors de l’assemblée litigieuse. Il avait donc été jugé que l’absence de désignation d’un mandataire pour l’une des deux indivisions était imputable à l’associée (ici l’arrêt comporte une erreur, en l’appelant « Mme X… » et non plus « Mme Y… »), que ce refus était abusif en ce qu’il visait à bloquer toute décision sur la question de la mise en vente de certains biens et portait préjudice aux intérêts de la SCI. Il était par ailleurs relevé que l’associée en question avait donné son accord pour procéder à la vente des deux villas concernées lors d’une assemblée qui s’était tenue quelques mois auparavant.

L’associée déboutée formait un pourvoi en cassation.

 

La solution de la Cour de cassation

L’arrêt d’appel est cassé pour violation de l’article 1134 du Code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016, texte relatif à la force obligatoire des contrats, et à leur exécution de bonne foi.

La Cour de cassation formule un principe: « un abus de minorité n’est pas susceptible d’entraîner la validité d’une résolution adoptée à une majorité insuffisante« .

En clair, même si le refus de procéder à la désignation du représentant de l’une des indivisions était abusif (au sens où la décision était contraire à l’intérêt social et visait simplement à empêcher par blocage la prise d’une décision relative à la vente par la société), l’assemblée qui avait finalement pris quand même la décision, à une majorité qui n’était pas celle requise par la loi ou les statuts, n’était pas valable pour autant.

L’enseignement immédiat de l’arrêt est le suivant: les droits de vote que des associés refusent d’utiliser, commettant en cela un abus de leur droit de vote, ne sont pas automatiquement « neutralisés ».

La sanction d’un abus de minorité peut être, au-delà de dommages-intérêts, la privation des droits de vote de l’associé auteur de l’abus, au profit d’un mandataire judiciaire. Mais le juge ne peut rendre de décision valant vote. Cela avait déjà été jugé par la Cour de cassation (Cass. com., 9 mars 1993, publié). C’est cette solution que prolonge en réalité notre arrêt du 21 décembre 2017. On ne peut pas prendre en compte un vote « réputé positif » de l’auteur de l’abus, mais on ne peut non plus faire comme si ses droits de vote n’existaient pas.

Dernière observation: l’abus de minorité suppose selon la jurisprudence la plus fournie que soit empêchée une opération essentielle pour la société, voire indispensable à sa survie, et ce pour avantager le minoritaire au détriment des majoritaires, ou pour nuire à ces derniers. Il n’apparaît pas que ces éléments aient été relevés, et la Cour de cassation évoque tout de même un abus de minorité. Cet emploi des termes est intéressant, même si ce n’est pas pour sanctionner l’abus de minorité, et l’on rapprochera l’arrêt d’autres décisions ayant exprimé une approche plus ouverte de l’abus de minorité (v. notamment Cass. civ. 3ème, 16 déc. 2009, publié, prenant en compte le fait que l’opération empêchée était « essentielle à la survie financière de la société »). En réalité, ce n’était même pas son droit de vote d’associé que Mme Y… avait utilisé de manière abusive, mais son droit de participer à la désignation d’un représentant de l’indivision, qu’elle avait refusé de mettre en oeuvre. Son attitude était assimilable à un refus de se présenter à l’assemblée, ce qui peut constituer un abus du droit de vote, par refus de l’exercer – précisons que l’article 1844 du Code civil permet aux autres indivisaires de demander en justice la désignation d’un représentant.

 

Bruno DONDERO

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Fake news et conflits d’intérêts: même combat?

 

Deux thèmes très actuels.

Conflits d’intérêts et fake news: voilà deux thèmes dont on parle beaucoup.

Depuis quelques années, la question des conflits d’intérêts est très présente dans le débat public. Nous en avons déjà parlé sur ce blog, notamment pour évoquer les difficultés liées à la définition des conflits d’intérêts. La question est cependant aussi ancienne que l’homme.

Les fake news – informations fausses – ne sont pas une nouveauté non plus, mais Internet et les réseaux sociaux contribuent à leur diffusion ultra-rapide. Les fake news ont été mises sur le devant de la scène pendant les élections présidentielles américaines, qui ont vu des informations fausses – le prétendu soutien du Pape à Donald Trump, par exemple – reprises en boucle par des sites et pages Facebook. Même si elles sont démenties par la suite, ces informations marquent l’opinion, et souvent bien plus que le démenti.

Les fake news sont une arme. Pour être élu, pour vendre plus que mon concurrent, pour être recruté à tel poste, je peux être tenté de diffuser des fausses informations, encensant mon camp ou accablant ceux qui s’opposent à moi. Ce type de comportement encourt des sanctions, y compris pénales.

L’un des dangers des fake news est qu’elles sont généralement présentées comme… exactes. Les sites présentant systématiquement de fausses informations pour faire rire, comme l’excellent Gorafi, annoncent la couleur… ce qui n’empêche pas des journalistes étrangers ou des politiques de prendre occasionnellement pour argent comptant certaines de ces informations parodiques…

 

 

Point commun des fake news et des conflits d’intérêts: leur caractère sournois.

Le caractère sournois des fake news les rapproche des conflits d’intérêts.

Imaginons la situation du propriétaire d’un appartement qui souhaite le vendre au meilleur prix. Le prix de marché serait d’un million d’euros, mais les acheteurs potentiels proposent tous un prix plus faible.

Cela peut être dû au fait que des informations fausses, annonçant une dégradation du voisinage – la proximité immédiate d’une autoroute, par exemple – sont diffusées.

Cela peut être dû aussi au fait que l’intermédiaire que le vendeur a chargé de trouver un acheteur au prix le plus élevé possible est également rémunéré par l’acheteur, avec la mission de négocier l’appartement au prix le plus bas possible.

Dans les deux cas, l’information fausse ou le conflit d’intérêts peut altérer la prise de décision et conduire le vendeur à agir à l’encontre de son intérêt. Dans le cas de la fausse information, parce que le vendeur croit que cette information correspond à la réalité et que son bien se trouve affecté d’une caractéristique négative qu’il n’a pas en réalité. Dans le cas du conflit d’intérêts parce qu’il croit que l’intermédiaire a agi au mieux de son intérêt de vendeur, alors qu’il agit en réalité au détriment de cet intérêt.

Dans les deux cas, le vendeur ne découvrira qu’après la vente, s’il le découvre un jour, que le prix qu’il a perçu n’est pas aussi élevé qu’il aurait dû l’être en situation « normale », c’est-à-dire sans la diffusion de fausses informations ou sans l’incidence d’un conflit d’intérêts.

 

La lutte pour l’information juste.

Voilà pourquoi l’obtention d’informations exactes est essentielle.

Au-delà d’une affirmation de principe, prendre ses décisions sur la base d’informations inexactes ou incomplètes est dangereux dans tous les domaines: médical et scientifique, juridique, entrepreneurial, personnel…

J’ai évoqué dans un article récent le risque que des lois soient votées par le Parlement sur la base de fake news.

Le risque existe aussi que des lois soient votées, ne soient pas votées, ou soient différentes de ce qu’elles pourraient être, à cause d’une situation de conflit d’intérêts affectant des parlementaires.

Au-delà de la question du vote des lois, les fake news n’ont pas droit de cité dans notre société de l’information, sauf à titre humoristique ou parodique.

Les conflits d’intérêts doivent quant à eux, quand on ne peut les éviter, faire l’objet d’une information des parties intéressées. C’est d’ailleurs ce que prévoit de manière générale, depuis 2016, le Code civil par son article 1161 qui impose d’informer la personne représentée à un contrat du fait que le représentant pourrait représenter une autre partie.

Alors, fake news et conflits d’intérêts, même combat?

Les fake news sont de fausses informations qui ne devraient pas être diffusées, et qui lorsqu’elles l’ont été, doivent être signalées comme fausses.

Les conflits d’intérêts doivent donner lieu à une information permettant aux parties susceptibles d’être affectées par la situation de préserver leurs intérêts.

Dans les deux cas, la question de l’information est centrale.

 

PS: on rapprochera de cette question la diffusion d’informations scientifiques non vérifiées ou très discutables, qui fait l’objet d’une tribune intéressante, signée par de nombreux enseignants-chercheurs, chercheurs et journalistes.

Bruno DONDERO

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Les « fake news » au Parlement

L’adoption de lois de qualité est bien évidemment un objectif primordial dans une démocratie comme la nôtre.

On peut par conséquent espérer que les lois sont adoptées selon un processus à même d’identifier les possibles imperfections. Le processus législatif doit permettre notamment de repérer les mauvaises informations qui pourraient affecter la loi, de faire du « fact checking » en somme.

Bien entendu, la critique est aisée, et les rédacteurs des textes ne sont pas à l’abri d’erreurs.

Mais l’on se rend compte, de manière inquiétante, que le processus législatif ne met pas le Parlement à l’abri des « fake news » – à prendre ici comme des informations erronées et introduites en connaissance de cause dans le processus, ou simplement colportées sans qu’il ait été procédé à leur vérification.

L’exemple récent de Marine Le Pen à l’Assemblée nationale.

Lors du vote par l’Assemblée nationale de la loi ratifiant l’ordonnance de réforme du droit des contrats, Marine Le Pen a fait deux interventions au soutien d’amendements présentés par son groupe, l’un relatif à la notion d’objet du contrat, l’autre relatif à l’erreur de droit.

Nous en avons parlé sur ce blog, car la députée FN nous donnait l’occasion de présenter ces notions fondamentales du droit des contrats… précisément parce qu’elle ne maîtrisait ni l’une ni l’autre.

Dans un cas, elle soutenait la réintroduction dans le Code civil d’une notion que l’ordonnance fait disparaître – l’objet du contrat.

Dans l’autre, elle s’insurgeait contre l’introduction en droit français d’une notion qu’elle présentait comme issue du droit américain – la possibilité de faire annuler un contrat parce que l’une des parties aurait commis une erreur en droit sur sa situation.

Dans les deux cas, l’amendement soutenu n’a pas été adopté.

Mais dans les deux cas, les arguments donnés par Marine Le Pen au soutien desdits amendements étaient erronés. Précisément, ils étaient faux en droit.

Pour l’objet du contrat, Mme Le Pen confondait la notion d’objet avec celle de cause de l’obligation.

Pour l’erreur de droit, la notion est reconnue depuis la première moitié du 19ème siècle par la jurisprudence française. En termes de « nouveauté » et de nouveauté « venue du droit étranger », on fait mieux…

 

 

Ce n’est pas pour le plaisir de critiquer une parlementaire en particulier que je reviens sur ces événements, mais parce qu’il est intéressant de s’interroger sur les informations reçues des députés lorsqu’ils votent, et sur l’influence qu’elle peuvent avoir sur leur consentement.

Si l’amendement de Marine Le Pen sur l’erreur de droit avait été voté, le droit français aurait été modifié d’une manière qui n’aurait sans doute pas été en accord avec le souhait du législateur (lorsqu’il avait habilité le Gouvernement à réformer par ordonnance le droit des contrat): on aurait retiré du droit civil français une cause de nullité reconnue depuis très longtemps par la jurisprudence, mais ce retrait serait intervenu sur un fondement erroné. On aurait entendu préserver le droit français des contrats de l’introduction d’une règle nouvelle, alors que cette règle était en application de longue date devant nos tribunaux. On aurait donc tordu le cou à une jurisprudence bien établie, en voulant préserver la situation de notre droit…

 

Rappel de la nécessité du consentement

Notre droit connaît une notion très vaste, qui est celle des actes juridiques, c’est-à-dire les manifestations de volonté destinées à produire des effets de droit.

Le contrat est l’un des actes juridiques les plus importants, mettant en contact deux ou plusieurs parties qui s’engagent à exécuter des obligations déterminées ou déterminables.

Mais parmi les actes juridiques, on rencontre aussi une figure différente, qui est celle des actes juridiques collectifs. L’acte juridique collectif est celui « par lequel se manifestent les volontés d’un ensemble de personnes unies par une communauté d’intérêts ou impliquées par une action commune » (F. Terré, Introduction générale au droit, 10ème éd., Dalloz, 2015, n° 221). L’acte juridique collectif peut être notamment un vote en assemblée, qu’il s’agisse de l’assemblée des associés d’une société ou d’une assemblée parlementaire.

Le Code civil, dans sa rédaction la plus récente, définit utilement les actes juridiques et indique qu’ « ils obéissent, en tant que de raison, pour leur validité et leurs effets, aux règles qui gouvernent les contrats » (art. 1100-1).

L’article 1128 du Code civil définit les conditions de validité du contrat et il mentionne en premier « le consentement des parties », c’est-à-dire la volonté de réaliser l’acte juridique en question.

Ce consentement ne doit pas être vicié, ce qui signifie qu’il ne doit pas porter sur des informations erronées.

On connaît en droit des contrats l’erreur au sens strict, qui est une erreur qui trouve son origine chez la seule partie qui se trompe. En clair, elle se trompe toute seule. Je vous achète un objet que je crois en or, alors qu’il est en métal doré. Si cette erreur remplit certaines conditions – elle doit notamment être excusable – le contrat conclu par erreur peut être annulé.

On connaît aussi le dol, qui est l’erreur provoquée par l’autre partie, qui fournit intentionnellement des informations erronées. Par exemple un faux certificat attestant que l’objet vendu est en or, alors qu’il ne l’est pas.

Le dol législatif

Lorsque le Parlement vote la loi, les députés réalisent ensemble un acte juridique, au même titre que le ferait une assemblée réunissant les actionnaires d’une société ou les membres d’association.

Lorsqu’une assemblée d’actionnaires ou de sociétaires prend une décision sur la base d’informations fausses, cette décision peut faire l’objet d’une annulation. Cela n’est pas discuté en droit des groupements.

Mais si le Parlement vote de manière biaisée, c’est-à-dire influencée par de fausses informations, peut-on envisager que son vote soit nul ?

La nullité est effectivement, en droit privé, la sanction de l’erreur et du dol. Maintenant, on a un peu de mal à traiter le vote d’une assemblée parlementaire comme le premier contrat de consommation venu.

L’escroquerie à la loi

On connaît l’escroquerie au jugement. Cette forme particulière d’escroquerie ou de tentative d’escroquerie consiste à produire devant une juridiction des documents de nature à tromper le juge, pour obtenir qu’il prononce une décision favorable à l’auteur de la manipulation ou à une autre personne.

L’escroquerie à la loi pourrait être le fait de produire des informations fausses devant le Parlement pour conduire celui-ci à adopter un texte différent de celui qui serait voté sinon.

Mais au-delà d’éventuelles sanctions pénales, peut-on envisager que la loi elle-même soit remise en cause ?

Est-ce par le biais d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) que la loi adoptée à la suite de la transmission d’informations fausses doit être contestée ?

La Constitution dispose que la loi est votée par le Parlement (art. 24), mais ne doit-on pas considérer que cet article est violé quand l’Assemblée ou le Sénat ne donne son consentement que sur la base de fausses informations ?

Dans le cas de Marine Le Pen, le caractère erroné des informations données était aisément identifiable par n’importe quel juriste maîtrisant les bases du droit des contrats.

Mais le Parlement peut aussi travailler sur la base d’informations erronées relevant du domaine scientifique, notamment médical.

Imaginons qu’une loi autorise l’utilisation d’un pesticide sur le fondement d’études scientifiques présentant le produit comme dépourvu de danger pour l’homme, alors qu’il est extrêmement dangereux.

La loi ne pourrait-elle voir sa validité contestée du fait de l’absence de consentement du Parlement?

 

Bruno DONDERO

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Apprendre le droit avec Marine Le Pen (II): l’erreur de droit

 

Lors des débats qui ont eu lieu à l’Assemblée nationale lundi dernier, lors du vote en première lecture du projet de loi de ratification de l’ordonnance réformant le droit des contrats (ordonnance du 10 févr. 2016), Marine Le Pen s’est distinguée.

Elle a notamment réussi à manier le paradoxe par deux fois… à son détriment!

Le premier paradoxe de Marine Le Pen (rappel).

Une première fois, nous en avons parlé, lorsqu’elle a ardemment pris la défense de la notion d’objet du contrat, qui disparaît du Code civil du fait de la réforme. Malheureusement, en voulant défendre cette notion, elle a montré qu’elle la confondait avec une autre notion, la notion de cause.

Certes, on a souvent entendu : « Si vous avez compris la cause, c’est qu’on vous l’a mal expliquée », formule empruntée au défunt professeur Rouast.

Mais on a manifestement très bien expliqué l’objet et la cause à Marine Le Pen, tellement bien que la députée du Front national s’oppose avec vigueur (mais en vain) à la suppression de ces notions qu’elle confond !

Et l’erreur de droit, c’est quoi ?

L’ordonnance portant réforme du droit des contrats a consacré dans le Code civil, à l’article 1132, une notion que l’on connaissait depuis longtemps : l’erreur de droit comme cause de nullité d’un contrat.

En clair, si je conclus un contrat et que je commets une erreur sur les qualités essentielles de l’une des prestations, je n’ai pas donné valablement mon consentement et je peux demander en justice l’annulation du contrat.

Cette erreur peut porter sur des éléments de fait (je crois vous acheter un tableau certes vilain mais d’un grand peintre et c’est en réalité une croûte signée d’un parfait inconnu).

Elle peut aussi porter sur des éléments de droit (je crois acheter un véhicule autorisé à rouler sur les routes françaises, et celui-ci est d’un modèle qui a fait l’objet d’une interdiction ; je crois que la loi m’impose de rembourser le bien que vous aviez laissé chez moi et qui a été volé par un tiers, et je conclus avec vous une convention d’indemnisation alors que rien ne m’y oblige).

Tout n’est pas source d’annulation du contrat : il faut que l’erreur, de droit ou de fait, soit excusable.

Rien de nouveau, Maître Le Pen !

De manière étonnante (mais il faut bien vivre politiquement), lorsque Marine Le Pen présente l’article 1132 du Code civil contre lequel elle dépose un amendement, elle invoque, pour prétendre les combattre, toutes les forces qui représentent pour elle le Mal.

Ce pauvre article 1132 qui ne s’attendait pas à un tel traitement serait rien de moins qu’ « un nouvel exemple, assumé semble-t-il, de la globalisation du droit, à laquelle nous ne souscrivons pas ». Alors que « le droit est l’instrument premier de la souveraineté nationale, par laquelle chaque peuple, chaque pays, chaque nation peut déterminer ses propres règles normatives, régissant la vie de sa société », nous subirions aujourd’hui « l’influence considérable et croissante du droit américain », qui « du fait de la puissance économique américaine, impose à marche forcée l’introduction de concepts juridiques anglo-saxons dans notre droit ».

 

L’Europe est également du complot, sans doute là encore par le biais de l’infâme article 1132! Marine Le Pen rappelle que l’Union européenne impose « aux États membres une harmonisation du droit par l’introduction de la supériorité juridique des normes européennes sur toutes les normes nationales ». Si l’on excepte l’aspect dictatorial de l’Europe et le fait que le droit européen ne couvre que certains champs, c’est à peu près la seule chose juste dite par Marine Le Pen.

Surtout, les faiblesses de Marine Le Pen apparaissent lorsqu’elle expose que « l’erreur de droit, concept venant des pays anglo-saxons, est par définition totalement inconnue de notre droit français », et que « Parce que nul n’est censé ignorer la loi, l’erreur de droit n’existe pas »…

Il y a effectivement un principe en vigueur, qui est que par principe, nul ne peut se soustraire au droit en prétendant qu’il l’ignorait. Mais cela n’empêche pas les juges, depuis longtemps, de prononcer la nullité d’actes juridiques auxquels il n’a été consenti que du fait d’une conception erronée du droit applicable.

 

Le second paradoxe de Marine Le Pen.

Parce que Marine Le Pen n’a pas révisé son cours de droit des contrats de 2ème année, elle croit voir une nouveauté venue d’outre-Atlantique alors qu’il est admis depuis longtemps en droit français des contrats (comme dans d’autres droits européens) que l’erreur de droit peut être une cause de nullité du contrat.

Une recherche rapide dans la jurisprudence fait remonter des décisions qui dès la première moitié du 19ème siècle reconnaissent l’erreur de droit comme cause de nullité du contrat (Cass. civ., 12 mars 1845, par exemple).

Comme nouveauté et comme nouveauté venue de l’étranger, on fait mieux…

Surtout, Marine Le Pen nous offre un second paradoxe : en affirmant que l’erreur de droit n’existe pas, elle en commet une splendide !

Mais après tout, un avocat n’est pas censé tout connaître du droit, et Marine Le Pen pratiquait sans doute davantage le droit pénal que le droit des contrats.

Simplement, le Code pénal aussi connaît l’erreur de droit, à l’article 122-3 (« N’est pas pénalement responsable la personne qui justifie avoir cru, par une erreur sur le droit qu’elle n’était pas en mesure d’éviter, pouvoir légitimement accomplir l’acte »).

Alors « Nul n’est censé ignorer la loi », certes, mais on pourrait dire aussi que « Nul (député) n’est censé ignorer (autant) la loi (qu’il prétend faire modifier) » !

Bruno DONDERO

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Apprendre le droit avec Marine Le Pen: l’objet et la cause du contrat

 

L’examen en première lecture par l’Assemblée nationale du projet de loi de ratification de l’ordonnance du 10 février 2016 réformant le droit des contrats, de la preuve et le régime général des obligations a été l’occasion, lundi 11 décembre, de beaux échanges sur le droit des contrats.

Il a été question, comme on l’a évoqué hier sur ce blog, entre autres, du professeur Denis Mazeaud, de l’objet du contrat, de la simplification du droit, du doyen Carbonnier, de la cause, de la complexification du droit, des étudiants en droit, etc.

MLP

On a vu la France Insoumise prendre la défense de la théorie de la cause, pourquoi pas, mais on a aussi vu intervenir une députée qui devrait être particulièrement compétente pour parler du droit des contrats, puisqu’elle est avocate: Marine Le Pen.

Madame Le Pen est descendue dans l’arène pour dire qu’elle n’aimait pas le flou dans le droit, et pour défendre un amendement visant « à préciser que le contenu du contrat doit comporter un objet certain, c’est-à-dire l’existence réciproque d’une contrepartie à l’obligation de l’autre partie« . Elle ajoute: « En l’absence d’une contrepartie réelle, le contrat n’a plus d’objet« .

Ce faisant, notre juriste confond en réalité deux notions fondamentales du droit des contrats, à savoir l’objet (ce sur quoi portent les obligations des parties ou le contrat dans son ensemble) et la cause (ici la cause de l’obligation: l’obligation d’une partie constitue la contrepartie de l’obligation de l’autre partie – par exemple dans la vente, l’obligation du vendeur de transférer la propriété du bien vendu a pour contrepartie l’obligation de l’acheteur de payer le prix).

Lorsqu’on lit d’ailleurs « l’exposé sommaire » de l’amendement n° 11 que Marine Le Pen défend, on y retrouve mot pour mot la même confusion entre l’objet et la cause.

Ce sont là des notions fondamentales du droit des contrats, que l’on demandait jusqu’à présent aux étudiants en droit de maîtriser lors de l’étude du droit des contrats, en deuxième année. L’ordonnance du 10 février 2016 a fait disparaître ces notions pour les remplacer par le « contenu du contrat ». La notion a été critiquée, et l’avenir nous dira comment elle est interprétée.

Il reste que, de manière paradoxale, Marine Le Pen tente de barrer la route à un texte qui supprime du droit français des notions que manifestement elle ne maîtrise pas!

Bruno DONDERO

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Réforme du droit des contrats: l’Assemblée nationale en action !

Il est intéressant de suivre les évolutions du projet de loi de ratification de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

Le Sénat, on s’en souvient, avait apporté plusieurs modifications importantes au projet de loi initial, qui ne comportait il est vrai qu’un article unique, ratifiant purement et simplement l’ordonnance.

Le Gouvernement avait soutenu certains amendements, dont au moins deux très utiles:

  • celui ne faisant plus de l’utilité au regard de l’objet social un critère de validité des actes des personnes morales;
  • celui limitant à la représentation des personnes physiques le système de prévention des conflits d’intérêts de l’article 1161 du Code civil, qui posait la délicate question de sa coordination avec les règles applicables aux dirigeants des personnes morales, et notamment des sociétés.

Ces deux mesures sont maintenues dans le texte voté par l’Assemblée nationale en première lecture.

La lecture des discussions parlementaires est d’ailleurs passionnante, puisqu’on y cite abondamment Denis Mazeaud, qui avait déjà été mis à l’honneur avec le film d’Yvan Attal Le brio, et que l’on comprend que les réformes ne sont pas faites (que) pour les étudiants en droit…

On retiendra tout de même plusieurs modifications importantes:

  • tout d’abord, les contrats d’adhésion font l’objet d’une nouvelle définition, puisque les conditions générales, qui sont un élément du contrat d’adhésion, sont désormais définies comme « un ensemble de stipulations non négociable, déterminé à l’avance par l’une des parties et destiné à s’appliquer à une multitude de personnes ou de contrats » (art. 1119 nouveau);
  • ensuite, le pouvoir accordé au juge de réviser le contrat en cas d’imprévision est rétabli, là où le Sénat avait limité le pouvoir judiciaire à la seule résolution du contrat (l’exception pour les opérations portant sur des titres financiers ou des contrats financiers est maintenue).

Notons qu’un amendement de la France insoumise visant à introduire une disposition listant des règles d’ordre public a été rejeté, de même qu’un amendement présenté par Marine Le Pen visant à soustraire la conclusion du contrat à l’exigence de bonne foi, ceci pour éviter que des salariés ayant fourni des CV inexacts soient sanctionnés (?).

De même, les tentatives du député LFI Eric Coquerel de rétablir la cause n’ont pas eu plus de succès que celle de Marine Le Pen de rétablir l’objet…

 

Last but not least, les règles d’entrée en vigueur des textes modifiés par la loi de ratification ont été précisées.

Bruno Dondero

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Nicolas Hulot et le rôle social des entreprises

 

Hulot

Extrait du site du Monde

 

Intervenant hier lundi 11 décembre 2017 devant le MEDEF, Nicolas Hulot, ministre de l’Environnement, a annoncé que les entreprises allaient voir leur objet social modifié, élargi.

C’est une question qui n’est pas nouvelle, puisqu’il y a déjà quelques années, on avait envisagé une modification de l’article 1833 du Code civil, texte relatif à l’objet des sociétés.

Il n’est pas inutile de reprendre les termes du débat sur le rôle social de l’entreprise.

Entreprise et société.

Tout d’abord, lorsque Nicolas Hulot parle des « entreprises », c’est sans doute aux sociétés qu’il fait référence en réalité, car le Code civil ne contient pas véritablement de dispositions sur les entreprises, du moins pas de régime général. En revanche, le Code civil encadre les sociétés.

Une entreprise est une unité économique, qui peut avoir à sa tête une personne physique ou une personne morale, et particulièrement une société.

Une société est la structure juridique que des associés (de un à des centaines, des milliers, ou plus) peuvent employer pour exercer ensemble des activités économiques, et notamment pour exploiter une ou plusieurs entreprises.

Souvent, dans le langage courant ou dans la presse, on confond entreprise et société. C’est assez normal, car une société n’est souvent constituée que pour exploiter une entreprise. C’est son objet social.

Précisons cette notion d’objet à laquelle Nicolas Hulot a fait référence.

Finalité légale et objet social.

Les sociétés ont à la fois une finalité légale et un objet social.

La finalité légale est un objectif général : une société doit soit rechercher la réalisation d’un bénéfice à partager entre ses membres, soit d’une économie dont elle les fera profiter. Par comparaison, une association soumise à la loi du 1er juillet 1901 doit avoir un but autre que le partage d’un bénéfice entre ses membres.

L’objet social est plus individualisé, en fonction de chaque société, qui doit avoir dans ses statuts l’indication de son activité.

Cet objet peut être très large (« la commercialisation de biens mobiliers et immobiliers », « l’exercice de la profession d’avocat ») ou non (« l’exploitation d’un fonds de commerce de farces et attrapes sis au 43 rue de Dunkerque à Paris 10ème » – petite blague en forme de clin d’œil).

Un débat qui n’est pas nouveau.

En 2014, la première version du projet de loi Macron envisageait déjà de modifier l’article 1833 du Code civil, pour intégrer dans l’intérêt de la société des considérations environnementale.

Précisément, l’article 1833 du Code civil aurait été enrichi de la phrase : « [Toute société] doit être gérée au mieux de son intérêt supérieur, dans le respect de l’intérêt général économique, social et environnemental ».

Que l’on agisse sur l’objet social ou que l’on intervienne sur l’intérêt de la société, l’idée est la même : il faut faire prendre conscience au dirigeant qu’il n’y a pas de danger à ce que la société emprunte des chemins qui ne sont pas ceux du pur profit.

C’est une crainte parfois avancée par les dirigeants d’entreprise : ne pas pouvoir faire tel acte non tourné vers un gain économique, de peur de se trouver « hors sujet » par rapport à l’objet ou à l’intérêt de l’entreprise.

La question est en réalité plus large : quel doit être le rôle social de l’entreprise ?

Doit-elle se limiter à la réalisation de profit, à destination de ses actionnaires, et satisfaire pleinement de cette manière son rôle social ? Enrichir ses actionnaires serait le maximum du bien que peut faire la société ou l’entreprise. Business’ business is business, pour reprendre la thèse de l’économiste Milton Friedman.

A l’opposé, beaucoup estiment que l’entreprise (ou la société qui l’exploite) a un rôle plus large que la seule distribution de dividendes. Contribuer au développement de l’éducation, lutter pour l’égalité entre les femmes et les hommes et contre les discriminations, protéger l’environnement : autant de nobles causes auxquelles les entreprises devraient contribuer.

 

Les principes de l’ESS.

Dans sa courte déclaration, Nicolas Hulot évoque les « principes de l’économie sociale et solidaire ». Ceux-ci sont identifiés par la loi du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire (ESS).

L’article 1er de la loi énumère des règles qui, si elles devenaient obligatoires pour toutes les entreprises françaises, provoqueraient une révolution, à tous les sens du terme: « un but poursuivi autre que le seul partage des bénéfices », « une gouvernance démocratique prévoyant la participation des parties prenantes aux réalisations de l’entreprise définie et organisée par les statuts », ou encore le sort des bénéfices, qui verrait ceux-ci « majoritairement consacrés à l’objectif de maintien ou de développement de l’activité de l’entreprise ».

Mais il faut rappeler, avant de parler de révolution, que ces valeurs supposent, d’après l’article 1er de la loi ESS, que les personnes morales concernées y adhèrent.

En clair, on ne saurait être social et solidaire contre sa volonté… du moins selon les idéaux de l’ESS !

Notre législateur voit parfois les choses différemment, comme l’avait illustré la saga digne de Game of Thrones du droit d’information des salariés en cas de cession de leur entreprise.

Maintenant, Nicolas Hulot fait aussi référence à l’intérêt général et à l’environnement, ce qui nous fait sortir des seuls principes de l’ESS.

 

L a position intermédiaire de notre droit.

Entre les deux approches du rôle de l’entreprise, on peut dire que notre droit des affaires n’a pas encore choisi, ou plutôt qu’il a aujourd’hui une position intermédiaire, à mi-chemin entre le laisser-faire et le recrutement des entreprises comme agents de lutte pour les grandes causes.

Nous avons toujours dans le Code civil, à l’article 1832, une définition de la société tournée vers la réalisation d’un profit ou d’une économie.

Mais dans le même temps, de plus en plus de normes prennent en compte le fait que la société exploite une entreprise, que cette entreprise peut avoir des salariés, et qu’elle a un impact sur le milieu social et sur l’environnement.

On va ainsi demander progressivement de plus en plus aux entreprises, comme de favoriser l’égalité entre les sexes en nommant une proportion minimum de membres de chaque sexe dans les conseils d’administration. Ce ne sont aujourd’hui que certaines sociétés qui sont concernées – en synthèse, les plus importantes d’entre elles-

On va aussi leur demander de faire figurer dans le rapport de gestion présenté par les dirigeants aux actionnaires des informations sur les risques financiers liés au changement climatique, ainsi que les mesures prises par la société pour les réduire en mettant en œuvre une stratégie de « bas-carbone dans toutes les composantes de son activité » (art. L. 225-100-1 du Code de commerce).

Faut-il franchir un pas supplémentaire et faire entrer dans notre droit des groupements hybrides, poursuivant à la fois des objectifs économiques et des objectifs d’intérêt général, des sociétés proches des associations ?

On sait que des droits étrangers, les droit américain et anglais particulièrement, admettent des sociétés à finalité mixte : benefit corporation, flexible purpose corporation, etc.

C’est une étape que nous voulons peut-être franchir, mais il faut voir maintenant si cette mesure est destinée :

– à s’appliquer à toutes les entreprises, ou bien si elle ne touchera que les sociétés, et éventuellement seulement celles ayant une certaine taille ;

– à s’appliquer obligatoirement, en imposant un quota minimum d’activité « non-profit », ou seulement à ouvrir une possibilité nouvelle aux entreprises qui le souhaitent… mais alors, faut-il vraiment changer la loi pour cela?

Disons en conclusion qu’il est effectivement possible que l’apparition d’un nouveau « véhicule » d’investissement et de production, assorti d’avantages particuliers pour ses utilisateurs, contribue à diffuser les idéaux de l’ESS et à favoriser la protection de l’environnement.

Bruno DONDERO

 

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Le contrat ne peut instituer une présomption irréfragable (Cass. com., 6 déc. 2017, n° 16-19615)

 

La Cour de cassation a rendu hier mercredi 6 décembre 2017 un arrêt important, relatif à la preuve, immédiatement mis en ligne sur son site.

Une société RBI signe avec une autre société, BIT, un contrat de licence et de distribution portant sur un progiciel conçu par BIT. Le progiciel ne fonctionne pas comme il devrait, et RBI met fin unilatéralement au contrat.

BIT ne l’entend pas de cette oreille, et c’est elle qui saisit le juge pour réclamer des dommages-intérêts. Reconventionnellement, RBI demande la résolution judiciaire du contrat.

[A lire à voix haute] :

La cour d’appel saisie du litige déboute BIT, c’est bête. BIT n’a pas atteint son but, mais il faut que BIT se batte, et elle porte l’affaire devant la Cour de cassation.

[fin des assonances !]

La Chambre commerciale rejette le pourvoi formé par BIT.

Les contrats portant sur des logiciels donnent lieu à un contentieux intéressant, qui tient aussi aux pratiques des concepteurs de logiciels, qui tendent à commercialiser des versions imparfaites, une partie du travail étant fournie alors que le logiciel est déjà utilisé par le client. On ne s’appesantira pas sur ces conditions particulières, qui tiennent aussi aux questions techniques complexes qu’implique nécessairement la réalisation et l’utilisation d’un logiciel.

La clause en cause.

L’arrêt est intéressant en ce qu’il traite d’une clause particulière présente dans le contrat BIT-RBI.

Cette clause prévoyait les conditions de la « recette » du logiciel, c’est-à-dire de la procédure de réception de celui-ci. Le client avait un délai de quinze jours pour dénoncer tout dysfonctionnement en remplissant une « fiche individuelle d’identification écrite ». Si le client n’y procédait pas, le logiciel devait être considéré « tacitement recetté ».

En clair, si le client ne se manifestait pas dans les deux semaines suivant sa réception du logiciel, il ne pouvait plus se plaindre de dysfonctionnements, puisqu’il était présumé avoir reconnu que le logiciel fonctionnait correctement.

Les présomptions ne se rencontrent pas que dans les blagues de juriste.

La solution.

La Cour de cassation ne remet pas en cause la clause au regard du bref délai prévu – on peut se dire que quinze jours, c’est très court, et même trop court, pour découvrir que le logiciel qu’on a commencé à utiliser ne fonctionne pas correctement.

La Cour de cassation juge que « si les contrats sur la preuve sont valables lorsqu’ils portent sur des droits dont les parties ont la libre disposition, ils ne peuvent établir au profit de l’une des parties une présomption irréfragable ».

Il n’est pas possible de créer contractuellement une présomption qui ne supporte pas la preuve contraire.

Même si vous n’avez pas dressé la fiche de réclamation dans le délai contractuellement prévu, vous pouvez toujours rapporter la preuve du mauvais fonctionnement du logiciel.

La reconnaissance tacite de conformité que le contrat a mise à votre charge ne vous prive pas de tout moyen d’action.

Application anticipée de la réforme de 2016 ?

La Cour fait application d’une solution qui a été reconnue par l’article 1356 du Code civil, résultant de la réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations du 10 février 2016.

Ce texte dispose :

« Les contrats sur la preuve sont valables lorsqu’ils portent sur des droits dont les parties ont la libre disposition.

Néanmoins, ils ne peuvent contredire les présomptions irréfragables établies par la loi, ni modifier la foi attachée à l’aveu ou au serment. Ils ne peuvent davantage établir au profit de l’une des parties une présomption irréfragable. »

Est-on alors en présence d’une application anticipée de la réforme, comme on l’a déjà vu dans d’autres décisions  ?

En réalité, la solution était déjà, sinon affirmée clairement par la Cour de cassation (qui reconnaissait qu’une présomption simple pouvait être instituée par contrat, ce qui écartait a contrario l’institution d’une présomption irréfragable), pressentie par la doctrine.

On comprend que créer contractuellement, dans la relation entre A et B, une présomption bénéficiant à A et que B ne peut renverser, revient à priver B du droit correspondant.

Si avoir un droit et ne pouvoir le prouver sont la même chose (« Idem est non esse aut non probari »), avoir un droit et supporter une impossibilité contractuelle absolue de le prouver sont aussi la même chose !

Bruno DONDERO

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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