Archives mensuelles : janvier 2020

Parachute doré et performance

Le parachute doré est une institution qui fascine jusqu’à nos artistes. Orelsan en parle dans Suicide social, et avant lui c’était Alain Souchon qui avait consacré une chanson au sujet.

« Adieu tous ces grands PDG
Essaie d’ouvrir ton parachute doré quand tu t’fais défenestrer »

Orelsan, Suicide social

« La boîte a coulé, mais pouce
On va se la couler douce
La pilule on va se la dorer
J’ai le parachute, chut, doré »

Alain Souchon, Parachute doré

L’idée est de donner au dirigeant d’entreprise qui est révoqué de ses fonctions une somme d’argent qui compense la perte de son mandat. Au départ, on peut trouver que cela est juste. Le dirigeant n’a pas un contrat de travail pour diriger la société, comme nous l’avons vu en cours. Il n’a donc pas la protection du salarié licencié, que ce soit en termes de contrôle des motifs de licenciement ou en termes d’indemnités. Il n’apparaît pas absurde que la société et le dirigeant mettent en place une protection que la loi ne prévoit pas.

 

Une prime à la mauvaise gestion?

Si l’idée n’est pas incohérente, sa mise en œuvre a donné lieu à des abus, que ce soit en France ou à l’étranger. Si l’on révoque le dirigeant, c’est souvent parce que sa gestion n’est pas satisfaisante et que la société subit des pertes. On va demander des sacrifices à l’entreprise et à ses salariés, dont certains vont perdre leur emploi. Dans le même temps, le dirigeant qui est révoqué va quitter l’entreprise avec un « cadeau de départ » d’un montant qui peut atteindre plusieurs millions d’euros, voire plusieurs dizaines de millions d’euros.

La page Wikipédia consacrée au sujet comporte ainsi un tableau dont voici un extrait:

Parachutes

Cela fait envie: on n’a plus besoin de vos services, vous pouvez libérer votre  bureau et retrouver votre liberté, mais voici tout de même quelques millions d’euros pour nous excuser…

Plus sérieusement, on comprend bien le problème que peut poser le fait que des grands dirigeants d’entreprise soient « récompensés » pour leur mauvaise gestion par l’octroi de telles sommes (lorsque l’on ne les révoque pas pour d’autres raisons).

 

L’intervention du législateur.

En 2005, le législateur était intervenu une première fois pour soumettre ces engagements à la procédure des conventions réglementées, dans les sociétés cotées en bourse. De cette manière, les parachutes dorés étaient soumis à l’approbation de l’assemblée générale des actionnaires.

En 2007, nouvelle intervention, pour subordonner le versement de ces indemnités de départ à la satisfaction de conditions de performance.

225-42-1 old

 

Dans les sociétés cotées en bourse, il était donc exclu qu’un parachute doré soit versé au dirigeant si celui-ci n’avait pas satisfait à des conditions de performance, ce qui limitait le versement d’indemnités de départ au cas où le dirigeant était révoqué pour d’autres raisons que sa mauvaise gestion. Par exemple, si les actionnaires contrôlant la société changeaient, les nouveaux maîtres de la société pouvaient changer la direction, mais le dirigeant débarqué bénéficiait d’une protection.

La contrainte de la performance pouvait être contournée plus ou moins facilement, que ce soit en faisant verser les sommes par des sociétés plus ou moins éloignées de la société dirigée, ou en faisant naître artificiellement un contentieux post-révocation et en le soldant par une transaction avantageuse pour le dirigeant. Ces pratiques pouvaient cependant être contestées.

 

La situation actuelle.

Notre droit des sociétés cotées a été récemment modifié par une ordonnance n° 2019-1234 du 27 novembre 2019 relative à la rémunération des mandataires sociaux des sociétés cotées. Celle-ci transpose en droit français une directive de 2017 relative aux droits des actionnaires, et au passage, l’article L. 225-42-1 du Code de commerce est abrogé.

De manière assez discrète, la condition de performance qui était précédemment imposée par le législateur n’est donc plus applicable! Certes, un lien est encore fait entre le versement des indemnités de départ et la question des performances de la société.

L’article L. 225-37-3 du Code de commerce dispose en effet:

« I.-Les sociétés dont les actions sont admises aux négociations sur un marché réglementé présentent, de manière claire et compréhensible, au sein du rapport sur le gouvernement d’entreprise mentionné au dernier alinéa de l’article L. 225-37, s’il y a lieu, pour chaque mandataire social, y compris les mandataires sociaux dont le mandat a pris fin et ceux nouvellement nommés au cours de l’exercice écoulé, les informations suivantes :
(…) 7° L’évolution annuelle de la rémunération, des performances de la société, de la rémunération moyenne sur une base équivalent temps plein des salariés de la société, autres que les dirigeants, et des ratios mentionnés au 6°, au cours des cinq exercices les plus récents au moins, présentés ensemble et d’une manière qui permette la comparaison ;
8° Une explication de la manière dont la rémunération totale respecte la politique de rémunération adoptée, y compris la manière dont elle contribue aux performances à long terme de la société, et de la manière dont les critères de performance ont été appliqués« 

On parle encore de performance, certes, mais il n’est plus dit clairement qu’il faut constater que des performances prédéterminées ont été réalisées pour que le parachute doré puisse être versé.

Une autre question qui se pose est celle de la sortie des parachutes dorés de la sphère des conventions réglementées. S’ils sont rattachés à la rémunération du dirigeant, cela signifie que les parachutes dorés en suivent le régime, et notamment que la société peut les modifier unilatéralement!

On parle de tout cela demain en cours, et nous verrons si M. Ghosn, en tant que dirigeant de la société Renault, bénéficie ou non d’un parachute doré!

Ghosn parachute

« Attendez, je n’ai pas mon parachute doré! » (@SpaceCowboyFuku)

Bruno Dondero

 

 

 

 

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Cours de droit des sociétés 2 (2019-2020): le fascicule pédagogique

Chers étudiants, chers lecteurs de ce blog,

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Le TD va commencer!

Voici comme convenu le fascicule pédagogique de ce semestre.

Fascicule droit des sociétés semestre 2 – 2019-2020

Bon travail!

 

 

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La maison au Liban de Carlos Ghosn, ou comment bien loger son futur ex-dirigeant!

L’affaire Renault/Ghosn à laquelle nous nous intéressons ce semestre suscite une belle question juridique – parmi tant d’autres: celle de la maison sise au Liban dans laquelle est actuellement logé M. Ghosn.

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Précisément, la maison en question a été achetée, indirectement de ce que l’on comprend, par la société Nissan. Le Canard enchaîné du 15 janvier 2020 indique:

« En 2012, Ghosn avait chargé une société des îles Vierges britanniques, contrôlée par une discrète filiale de Nissan basée aux Pays-Bas, de lui dégoter un domicile dans sa ville natale. Ce sera une grande baraque en ruine dans le quartier chrétien huppé d’Achrafieh. Nissan paie le prix fort: plus de 15 millions de dollars, travaux compris« .

Un accord aurait été conclu, toujours d’après le Canard enchaîné, entre Nissan et Carlos Ghosn.

« Le document accordait à [Carlos Ghosn] non seulement la jouissance de la maison, mais aussi la possibilité de l’acheter lors de son départ à la retraite, envisagé pour 2022« .

 

Un contrat particulier… et modifié!

La société Nissan aurait donc conclu avec son dirigeant une convention, par laquelle:

  • la société donnerait au dirigeant la jouissance du bien immobilier acquis à l’étranger;
  • lui consentirait une option d’achat lors de son départ à la retraite.

Il serait vraiment intéressant de pouvoir consulter ce document, même si le Canard enchaîné indique:

« Les avocats de Nissan, eux, affirment qu’un contrat a bien été signé mais que Ghosn l’a tellement modifié – rayant des bouts de phrase, en ajoutant d’autres – que le document actuel n’a plus la moindre validité« .

On ne sait pas sous quel droit a été conclu le contrat, mais s’il a existé à un moment donné, il serait curieux qu’il ait été modifié par M. Ghosn unilatéralement, et que ces modifications aient porté atteinte à la « validité » du contrat. Un contrat est conclu par accord des parties, ou il n’est pas encore conclu. Et en règle générale, il peut être modifié seulement avec l’accord des parties. La situation décrite est donc pour le moins curieuse.

Il sera intéressant aussi de savoir quelles sont les conditions exactes de ce contrat, et notamment de comprendre si la jouissance de la maison est contractuellement liée aux fonctions de direction de Nissan. Une cessation anticipée des fonctions était-elle de nature à mettre fin au contrat?

Dans Paris Match du 16 janvier 2020, Carlos Ghosn dit:

« … quand j’ai commencé à dire que [je] prendrais ma retraite [au Liban], on a mis à ma disposition la maison de Beyrouth, avec la possibilité de la racheter au prix du marché le jour où j’aurais quitté Nissan« .

Ca veut dire qu’ici, à Beyrouth, vous habitez chez Nissan?

« Non, je suis chez moi. Il y avait un accord, je demande qu’il soit appliqué. La justice libanaise est saisie. En attendant sa décision, Carole et moi occupons légalement la maison. »

 

Des règles à respecter sur ce type de convention?

Quel que soit le droit applicable, il n’est sans doute pas interdit, par principe, à une société de conclure avec son dirigeant une convention par laquelle elle lui permettrait de racheter un bien immobilier à la cessation de ses fonctions.

Ce type de convention soulève cependant toute une série d’interrogations:

  • est-elle justifiée par l’intérêt de la société ou non?
  • rentre-t-elle dans l’objet social de la société qui la conclut?
  • constitue-t-elle un « parachute doré » pour le dirigeant qui en bénéficie?
  • doit-elle être soumise à des autorisations particulières en ce qu’elle serait une convention réglementée?
  • la période de jouissance « intermédiaire » doit-elle donner lieu à versement d’un loyer?

On comprend en effet que ce type de convention est sensible. On peut vraiment s’interroger, déjà, sur l’intérêt qu’avait la société Nissan à acheter un bien immobilier de ce type.

Nissan avait-elle d’autres intérêts au Liban que l’envie de M. Ghosn d’y prendre sa retraite? Du moins, des intérêts tels qu’il serait justifié d’acheter le bien pour lequel le Canard enchaîné parle d’un coût (achat du terrain + travaux) de 15 millions de dollars? Ces intérêts ont-ils disparu, ou étaient-ils à court terme, puisque Nissan est prête à se séparer du bien?

Les sociétés du groupe Nissan devraient d’ailleurs – aujourd’hui – s’inquiéter de la transaction réalisée, car si le coût a été de 15 millions de dollars pour acquérir et rénover le bien, le reportage de Paris Match indique que « La villa rose rue du Liban dans le quartier d’Achrafieh de Beyrouth est estimée à 5 millions d’euros. Elle est encore la propriété de Nissan« .

En somme, le bien immobilier, que M. Ghosn peut, d’après la convention, racheter au prix du marché, aurait coûté 15 millions de dollars, soit 13,5 millions d’euros… et risque d’être racheté aujourd’hui par son occupant pour 5 millions d’euros seulement!

On a compris que la justice libanaise a été saisie. Le Canard enchaîné indique qu’une décision du 21 janvier 2019 a donné raison aux Ghosn et leur a reconnu un droit à occuper la maison. Dans l’interview à Paris Match, Carlos Ghosn indique en revanche « attendre la décision de la justice libanaise ».

Il est donc possible qu’une société du groupe Nissan ait fait une très mauvaise affaire en engageant des frais pour 15 millions de dollars dans un bien immobilier qui ne pourra être revendu que pour un peu plus du tiers de cet investissement. Pire, le bien DOIT être revendu, s’il est confirmé que Carlos Ghosn a effectivement la possibilité de forcer la société propriétaire du bien à lui vendre celui-ci à sa valeur de marché actuelle!

La question de la valeur juridique du contrat qui aurait été conclu et de l’éventuel droit de rachat de M. Ghosn (droit de priorité? promesse de vente?) va réellement se poser.

On se retrouve demain pour le cours, où on parlera cette fois de la société Renault!

A demain en amphi et en Facebook Live!

Bruno Dondero

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Le cours de droit des sociétés 2 recommence lundi!

Chers étudiants,

Chers participants au cours via Facebook,

J’aurai le plaisir de vous retrouver à partir de lundi pour reprendre le cours de droit des sociétés. Nous aborderons au cours de ce second semestre le droit spécial des sociétés, et nous étudierons donc les différentes formes sociales, en commençant par les sociétés par actions (SA et SAS particulièrement), en continuant avec les SARL et en terminant avec les sociétés de personnes (sociétés civiles et SNC).

Le plan du cours est accessible ici: Plan II.

Plusieurs lois ou ordonnances importantes ont modifié la matière, et nous verrons ce qui a changé: loi PACTE du 22 mai 2019, loi Mohamed-Soilihi du 19 juillet 2019, ordonnance réformant l’offre au public de titres du 21 octobre 2019, ordonnance relative à la rémunération des dirigeants de sociétés cotées du 27 novembre 2019, etc.

Pour avoir un lien plus fort avec l’actualité, nous utiliserons les statuts d’une société existante: la société RENAULT SA.

Ses statuts sont accessibles ici: statuts Renault.

Cette société nous permettra à la fois de travailler sur ses statuts, et dans le même temps de suivre l’actualité récente et à venir de l’affaire Carlos Ghosn. Nous aurons peut-être même la possibilité d’avoir des invités pour nous éclairer sur le fonctionnement de la gouvernance de cette grande société au cours des dernières années!

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Rendez-vous lundi en amphi!

Bruno DONDERO

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