Archives mensuelles : novembre 2015

Le gérant mort-vivant (Cass. civ. 1ère, 12 nov. 2015, n° 14-23340)

 

La première Chambre civile rend un arrêt destiné à publication au Bulletin et qui porte sur une question toujours sensible, qui est celle de la représentation des sociétés. En l’occurrence, un bail commercial avait été signé par une société civile immobilière (SCI), et elle réclamait à la société locataire le paiement d’un arriéré de loyers et de taxes. La locataire ripostait en plaidant la nullité du bail pour défaut de capacité de la SCI.

 C’est que le bail avait été signé le 1er juin 2008 par la SCI représentée par son gérant M. Jacques X…, alors que celui-ci était… décédé le 29 juin 2006.

 Par quel miracle avait-il réussi, par-delà la tombe, à signer un contrat au nom de la SCI ?

 L’explication est a priori simple : les statuts de la SCI stipulaient qu’elle avait deux associés, dont M. Jacques X…, et que celui-ci était nommé gérant pour une durée illimitée. C’était donc pour l’éternité qu’il était habilité à représenter la société: après le gérant vivant et le gérant mort, le gérant mort-vivant!

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Bonjour, je viens pour la signature du bail…

Plus sérieusement, M. Jacques X… n’ayant pu raisonnablement signer, cela signifiait qu’une autre personne avait représenté la SCI à la signature du bail, et que cette personne n’était pas son gérant.

Une nullité pour défaut de capacité ?

 La cour d’appel saisie du litige avait prononcé la nullité du bail en retenant « l’absence de capacité du bailleur », et elle avait par conséquent ordonné la restitution de tous les loyers perçus par la SCI. Celle-ci avait formé un pourvoi en cassation, fondé sur la violation des articles 1125 et 1304 du Code civil.

 Le second texte est relatif aux restitutions, et l’on comprend la critique : aux restitutions des loyers devait correspondre le versement d’une indemnité compensatrice mise à la charge de la locataire, du fait de l’occupation des lieux.

Le premier texte visé par le pourvoi, l’article 1125, est relatif à la capacité, puisque c’est cette notion qui avait été retenue par la cour d’appel. L’article 1125 dispose que le sujet de droit capable ne peut invoquer l’incapacité de son cocontractant, c’est-à-dire que la nullité déduite de l’incapacité est relative. La référence à ce texte était cependant surprenante, car la question de la signature du bail par un autre que le gérant ne posait pas une question de capacité, mais une question de pouvoir de représentation.

La Cour de cassation recentre le débat sur le pouvoir.

La Cour de cassation recentre le débat sur la question du pouvoir de représentation, puisque la cassation qu’elle prononce l’est sur un moyen relevé d’office, pour violation de l’article 1984 du Code civil. Ce texte est relatif au mandat, et la Cour de cassation en déduit une règle qu’elle avait déjà affirmée par d’autres décisions, à savoir que la nullité d’un contrat fondée sur l’absence de pouvoir du représentant ne peut être invoquée que par la partie représentée – ou précisément, non représentée.

Cela veut donc dire que la société peut toujours, après coup, ratifier les actes faits en son nom par une personne qui n’avait pas le pouvoir de la représenter.

Analyse.

Deux observations sur cette solution.

 La première observation est que la première Chambre civile de la Cour de cassation rend une solution rassurante pour les sociétés, la tendance apparue ces dernières années en jurisprudence étant plutôt de permettre aux tiers d’aller contester les actes faits pour le compte de la société lorsque ceux-ci ne respectaient pas les règles internes (statuts et pactes) dont les tiers avaient connaissance. Cette solution est fondée sur une lecture a contrario de la règle légale selon laquelle les limitations statutaires des pouvoirs des dirigeants sont inopposables aux tiers : ces limitations peuvent a contrario être invoquées par les tiers. C’est surtout en matière d’action en justice et de licenciement que la solution a été formulée par d’autres Chambres de la Cour de cassation.

On se souvient d’ailleurs que la Cour de cassation avait permis qu’une clause des statuts interdise aux tiers de s’en prévaloir.

La seconde observation tient à la formule retenue par la première Chambre civile dans son attendu de principe : « Attendu que la nullité d’un contrat fondée sur l’absence de pouvoir du mandataire social, qui est relative, ne peut être demandée que par la partie représentée ».

Il est déjà intéressant de voir que, comme d’autres décisions, l’arrêt du 12 novembre 2015 fait application au mandat social des règles sur le mandat du Code civil, ce qui ne va pas de soi, dès lors que l’on pourrait penser qu’il s’agit de deux relations juridiques de nature distincte. Surtout, on pourra s’étonner de ce que l’on évoque « l’absence de pouvoir du mandataire social » alors que c’est plutôt « l’absence de mandataire social » qui était en cause. La société n’avait plus de gérant au moment de la signature du contrat, ce n’était pas qu’une question d’absence de pouvoir, il n’y avait plus de mandataire social. A suivre l’arrêt, la société qui n’a plus de mandataire social peut toujours signer, quitte pour la société à reconnaître ensuite à la personne qui a signé en son nom le pouvoir de l’engager.

On peut simplement se demander comment cette solution jurisprudentielle se concilie avec la publicité de la nomination des dirigeants sociaux au registre du commerce et des sociétés. L’article L. 123-9 du Code de commerce dispose à cet égard que « La personne assujettie à immatriculation ne peut, dans l’exercice de son activité, opposer ni aux tiers ni aux administrations publiques, qui peuvent toutefois s’en prévaloir, les faits et actes sujets à mention que si ces derniers ont été publiés au registre ». La société avait pu se doter d’un nouveau gérant, mais si sa nomination n’avait pas été publiée, elle était inopposable au tiers, sauf connaissance personnelle de sa part.

En réalité, la solution formulée par la Cour de cassation est sans doute juste pour le mandataire : un mandataire ponctuel peut être désigné par la société, sans qu’une publicité au registre du commerce s’impose. S’agissant du mandataire social, l’opposabilité aux tiers de sa nomination suppose en revanche une publicité (art. R. 123-54 du Code de commerce).

 

Bruno DONDERO

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Rebondir sans l’examen d’avocat: une initiative utile (25 novembre)

Réussir l’examen d’avocat est l’objectif d’une grande partie des étudiants en droit, qui doivent pour cela parvenir au Master 1, et s’entraîner aux épreuves spécifiques à cet examen particulier.

Particulier, cet examen (ce n’est pas un concours) l’est en effet à plusieurs titres. Il maintient une phase d’admissibilité et une phase d’admission, il comporte une note de synthèse et un « grand oral », et il couvre de nombreux champs du droit. Une de ses particularités est aussi le fait qu’on ne peut pas s’y présenter plus de trois fois.

Pas de session de rattrapage, et on le passe une fois par an. Autant dire que celui qui n’a pas été admis va trouver le temps long pendant les dix mois ou à peu près qui vont s’écouler avant qu’il ne repasse l’examen… s’il décide de le faire.

Les statistiques IEJ par IEJ nous montrent que ce sont des effectifs importants d’étudiants qui sont laissés sur la touche chaque année, des étudiants qui sont à Bac + 4 ou Bac + 5.

Ces étudiants sont dans une situation particulière. Ils sont à la fois très qualifiés et en plein essor, et pourtant ils subissent un coup d’arrêt en n’ayant pas réussi l’examen du CRFPA. Cela sera en réalité peu sensible s’ils commencent à ce moment leur année de master 2, car l’investissement requis par leur année d’études les obligera à oublier leur échec pour un temps. Mais la situation est plus compliquée pour ceux qui ont déjà un master 2 et qui avaient prévu de s’investir dans l’apprentissage du métier d’avocat avant d’exercer cette profession. C’est ainsi tout le programme qu’ils avaient tracé qui est remis en cause.

Il faut donc à la fois digérer cet échec et prendre plusieurs décisions quant à la suite de sa carrière. La première décision est la plus importante: l’étudiant va-t-il repasser ou pas l’examen du CRFPA? S’il décide que non, il fait une croix sur le métier d’avocat… pour quelques années au moins, puisqu’il pourra y revenir quelques années plus tard, par l’une des passerelles qui existent, par exemple avec le métier de juriste d’entreprise.

S’il décide de repasser l’examen, notre étudiant doit occuper les dix mois qui le séparent de la prochaine session. Il doit donc se demander s’il veut se lancer dans un nouveau diplôme, rechercher un stage en entreprise ou en cabinet, ou bien effectuer une expérience à l’étranger, ou pourquoi pas tout cela à la fois! L’étudiant pourrait notamment profiter de ce break pour devenir un spécialiste de la réforme du droit des contrats qui sera adoptée par voie d’ordonnance dans les prochains mois!

Il était en tous les cas dommage que des milliers d’étudiants en droit se retrouvent dans cette situation difficile en même temps en devant la gérer seuls.

C’est donc une excellente initiative que celle mise en œuvre par Maître Stéphane Baller et le cabinet d’avocats Ernst & Young et qui consiste à réunir les étudiants se trouvant dans cette situation pour les mettre en contact avec des entreprises proposant des stages de six mois, et organiser, le 25 novembre prochain à 8h15 à la Défense, une matinée de réflexion collective avec des professionnels et des professeurs, et s’intéresser ensemble à l’avenir professionnel de ces étudiants.

Il faut que ces initiatives se multiplient, et pas seulement en région parisienne.

Bruno Dondero

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Apprendre le droit avec Myriam El Khomri: le renouvellement du CDD

Il n’est pas facile d’être ministre, et notamment d’être ministre du travail en 2015. On est ministre d’un monde scindé entre les salariés et les employeurs, ministre d’une relation qui, si elle n’est pas par principe conflictuelle, repose sur une opposition d’intérêts entre celui qui met sa force de travail à disposition, et attend en retour un moyen de subsistance, et celui qui utilise cette force de travail. Depuis quelques mois, il est question d’une refonte à venir du Code du travail, qui a été promené par les responsables politiques sur les plateaux télévisés, pour montrer combien il était devenu obèse et par conséquent difficile à comprendre et à appliquer. Passons sur le fait que c’est un Code du travail des éditions Dalloz qui a fait les frais de cette exposition en place publique, et que cet ouvrage rassemble des textes, et pas seulement ceux du Code du travail, mais aussi beaucoup de résumés de jurisprudence.

Bref, c’est une mission difficile, et elle suppose de connaître aussi le droit applicable au monde du travail. Pour être ministre du travail, faut-il alors être titulaire d’un master 2 de droit social ou avoir fait une thèse sur le contrat de travail ? On se dira que le droit du travail changeant très vite, cela n’est sans doute pas indispensable, car ce que l’on a appris est vite obsolète.

Mais il est tout de même des connaissances de base qu’il est indispensable d’avoir, surtout lorsque l’on va prendre des risques à la télévision.

Qui allumait son poste de télé jeudi 5 novembre au matin sur BFMTV, dans l’émission de Jean-Jacques Bourdin, ce discret journaliste aux questions posées avec subtilité et sans insistance, tombait sur une scène qui rappelle un peu les oraux à la Faculté de droit. Je dis « qui rappelle un peu », car il n’est pas si fréquent que ça de secouer les étudiants de cette manière.

Cette scène voit donc la ministre du travail, Myriam El Khomri, se faire interroger par le sympathique Jean-Jacques sur le nombre de renouvellements possibles d’un contrat de travail à durée déterminée (CDD). L’idée étant que le droit du travail français doit trancher entre deux impératifs. L’entreprise, d’un côté, doit pouvoir recruter des salariés en fonction de ses besoins, et si elle n’est pas assurée de conserver une activité de manière indéfinie, elle doit pouvoir recourir à des contrats dont la durée est limitée dans le temps, des CDD donc. Le salarié, de l’autre côté, se trouve dans une situation de dépendance à l’égard de l’entreprise, et il ne faut pas qu’il soit maintenu trop longtemps dans l’état de précarité relative que constitue le CDD. Si plusieurs CDD s’enchaînent, se pose alors la question de la conclusion d’un contrat à durée indéterminée (CDI), porteur de plus de stabilité pour le salarié.

Le grand mérite de la scène qui s’est jouée sur BFMTV et qui va continuer à se jouer quelque temps sur les réseaux sociaux est de permettre d’apprendre une règle de droit à tout un pays.

Précisons que l’article L. 1243-13 du Code du travail, tel que modifié par la loi du 17 août 2015, dispose :

« Le contrat de travail à durée déterminée est renouvelable deux fois pour une durée déterminée.

La durée du ou, le cas échéant, des deux renouvellements, ajoutée à la durée du contrat initial, ne peut excéder la durée maximale prévue à l’article L. 1242-8.

Les conditions de renouvellement sont stipulées dans le contrat ou font l’objet d’un avenant soumis au salarié avant le terme initialement prévu.

Ces dispositions ne sont pas applicables au contrat de travail à durée déterminée conclu en application de l’article L. 1242-3. »

On peut expliquer ce texte sur un blog, mais ce ne sera jamais aussi percutant, et cela ne marquera pas autant les esprits, que le genre d’échanges vus à la télé jeudi dernier.

Il est d’ailleurs drôle de retrouver ensuite, dans la bouche de la ministre, un peu les mêmes phrases que prononcent les étudiants qui viennent de rater un oral. Sur BFMTV, plus tard dans la journée, elle a indiqué que le chiffre de trois qu’elle citait était en fait la bonne réponse, car elle pensait non pas au nombre de renouvellements, mais en réalité au nombre total de contrats…

Ce vendredi matin, la presse indique qu’elle reconnaît avoir « merdé » (sic), ce qui est une appréciation assez honnête de l’effet rendu par sa prestation télé. Elle a indiqué aussi ne plus consulter les réseaux sociaux.

Le monde politique est d’ailleurs resté assez silencieux sur l’événement. Je pense que tous nos responsables sont occupés à réviser les chiffres de base qui ne manqueront pas de leur être demandés dans les prochains jours : quelle durée maximum pour une garde à vue ? Combien d’actionnaires au minimum dans une société anonyme ? Et ainsi de suite…

J’avoue ne pas avoir vu l’émission en son intégralité, mais je tremble pour la ministre, puisque la minute que dure l’extrait se termine par une nouvelle question de l’examinateur, dont on n’entend que le début : « Heures supplémentaires défiscalisées… ». En bref, notre étudiante malheureuse en droit du travail tombe sur un examinateur qui, en plus d’être peu commode, est particulièrement cruel, puisqu’il commence par les questions les plus faciles et enchaîne, quand la candidate est en difficulté, avec les plus complexes…

J’avais suggéré dans un article précédent qu’Enora Malagré et Cyril Hanouna fassent des cours de droit dans l’émission Touche pas à mon poste. Jean-Jacques Bourdin m’a visiblement entendu, mais attention M. Bourdin, il ne faut pas faire passer les examens avant d’avoir commencé les cours !

Bruno DONDERO

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