La première Chambre civile rend un arrêt destiné à publication au Bulletin et qui porte sur une question toujours sensible, qui est celle de la représentation des sociétés. En l’occurrence, un bail commercial avait été signé par une société civile immobilière (SCI), et elle réclamait à la société locataire le paiement d’un arriéré de loyers et de taxes. La locataire ripostait en plaidant la nullité du bail pour défaut de capacité de la SCI.
C’est que le bail avait été signé le 1er juin 2008 par la SCI représentée par son gérant M. Jacques X…, alors que celui-ci était… décédé le 29 juin 2006.
Par quel miracle avait-il réussi, par-delà la tombe, à signer un contrat au nom de la SCI ?
L’explication est a priori simple : les statuts de la SCI stipulaient qu’elle avait deux associés, dont M. Jacques X…, et que celui-ci était nommé gérant pour une durée illimitée. C’était donc pour l’éternité qu’il était habilité à représenter la société: après le gérant vivant et le gérant mort, le gérant mort-vivant!

Bonjour, je viens pour la signature du bail…
Plus sérieusement, M. Jacques X… n’ayant pu raisonnablement signer, cela signifiait qu’une autre personne avait représenté la SCI à la signature du bail, et que cette personne n’était pas son gérant.
Une nullité pour défaut de capacité ?
La cour d’appel saisie du litige avait prononcé la nullité du bail en retenant « l’absence de capacité du bailleur », et elle avait par conséquent ordonné la restitution de tous les loyers perçus par la SCI. Celle-ci avait formé un pourvoi en cassation, fondé sur la violation des articles 1125 et 1304 du Code civil.
Le second texte est relatif aux restitutions, et l’on comprend la critique : aux restitutions des loyers devait correspondre le versement d’une indemnité compensatrice mise à la charge de la locataire, du fait de l’occupation des lieux.
Le premier texte visé par le pourvoi, l’article 1125, est relatif à la capacité, puisque c’est cette notion qui avait été retenue par la cour d’appel. L’article 1125 dispose que le sujet de droit capable ne peut invoquer l’incapacité de son cocontractant, c’est-à-dire que la nullité déduite de l’incapacité est relative. La référence à ce texte était cependant surprenante, car la question de la signature du bail par un autre que le gérant ne posait pas une question de capacité, mais une question de pouvoir de représentation.
La Cour de cassation recentre le débat sur le pouvoir.
La Cour de cassation recentre le débat sur la question du pouvoir de représentation, puisque la cassation qu’elle prononce l’est sur un moyen relevé d’office, pour violation de l’article 1984 du Code civil. Ce texte est relatif au mandat, et la Cour de cassation en déduit une règle qu’elle avait déjà affirmée par d’autres décisions, à savoir que la nullité d’un contrat fondée sur l’absence de pouvoir du représentant ne peut être invoquée que par la partie représentée – ou précisément, non représentée.
Cela veut donc dire que la société peut toujours, après coup, ratifier les actes faits en son nom par une personne qui n’avait pas le pouvoir de la représenter.
Analyse.
Deux observations sur cette solution.
La première observation est que la première Chambre civile de la Cour de cassation rend une solution rassurante pour les sociétés, la tendance apparue ces dernières années en jurisprudence étant plutôt de permettre aux tiers d’aller contester les actes faits pour le compte de la société lorsque ceux-ci ne respectaient pas les règles internes (statuts et pactes) dont les tiers avaient connaissance. Cette solution est fondée sur une lecture a contrario de la règle légale selon laquelle les limitations statutaires des pouvoirs des dirigeants sont inopposables aux tiers : ces limitations peuvent a contrario être invoquées par les tiers. C’est surtout en matière d’action en justice et de licenciement que la solution a été formulée par d’autres Chambres de la Cour de cassation.
La seconde observation tient à la formule retenue par la première Chambre civile dans son attendu de principe : « Attendu que la nullité d’un contrat fondée sur l’absence de pouvoir du mandataire social, qui est relative, ne peut être demandée que par la partie représentée ».
Il est déjà intéressant de voir que, comme d’autres décisions, l’arrêt du 12 novembre 2015 fait application au mandat social des règles sur le mandat du Code civil, ce qui ne va pas de soi, dès lors que l’on pourrait penser qu’il s’agit de deux relations juridiques de nature distincte. Surtout, on pourra s’étonner de ce que l’on évoque « l’absence de pouvoir du mandataire social » alors que c’est plutôt « l’absence de mandataire social » qui était en cause. La société n’avait plus de gérant au moment de la signature du contrat, ce n’était pas qu’une question d’absence de pouvoir, il n’y avait plus de mandataire social. A suivre l’arrêt, la société qui n’a plus de mandataire social peut toujours signer, quitte pour la société à reconnaître ensuite à la personne qui a signé en son nom le pouvoir de l’engager.
On peut simplement se demander comment cette solution jurisprudentielle se concilie avec la publicité de la nomination des dirigeants sociaux au registre du commerce et des sociétés. L’article L. 123-9 du Code de commerce dispose à cet égard que « La personne assujettie à immatriculation ne peut, dans l’exercice de son activité, opposer ni aux tiers ni aux administrations publiques, qui peuvent toutefois s’en prévaloir, les faits et actes sujets à mention que si ces derniers ont été publiés au registre ». La société avait pu se doter d’un nouveau gérant, mais si sa nomination n’avait pas été publiée, elle était inopposable au tiers, sauf connaissance personnelle de sa part.
En réalité, la solution formulée par la Cour de cassation est sans doute juste pour le mandataire : un mandataire ponctuel peut être désigné par la société, sans qu’une publicité au registre du commerce s’impose. S’agissant du mandataire social, l’opposabilité aux tiers de sa nomination suppose en revanche une publicité (art. R. 123-54 du Code de commerce).
Bruno DONDERO