Archives mensuelles : février 2017

Le dirigeant salarié… d’une société concurrente (Cass. com., 8 févr. 2017, n° 15-17904)

Une cour d’appel retient à bon droit que le fait que le gérant d’une société ait accepté un emploi au sein d’une société concurrente ne suffit pas à caractériser une déloyauté de sa part dans l’exercice de son mandat social.

En 2008, quatre associés, A, I, T et Y, constituaient la SARL Dream Team Sport. A et Y étaient cogérants. Ces quatre associés fondaient en 2009 une association Sport and Live, qui avait pour objet la création d’un site internet dédié au sport. Ils envisageaient par ailleurs l’exploitation de terrains de football en salle au travers d’une société du nom de “Sport and live Indoor”. Ce dernier projet n’allait pas à terme, car un désaccord opposait les parties.

Le petit groupe éclatait alors. Y démissionnait de son mandat de gérant de la SARL Dream Team en 2010. Lui et T créaient en 2011 la société Sport and Five, devenue la société S Arena. De leur côté, A et I travaillaient ensemble : I constituait avec son frère – célèbre joueur de football, jouant au sein de l’équipe de France – une nouvelle société, Dack Sport, qui engageait A.

A n’avait cependant pas quitté son poste de gérant de la société Dream Team Sport, et il avait donc à la fois ce mandat social et un contrat de travail avec la société Dack Sport.

La société Dream Team Sport et deux de ses associés, Y et T, reprochaient à leur gérant des fautes de gestion. Ils reprochaient également à la société Dack Sport des actes de concurrence déloyale, et ils assignaient en réparation l’un et l’autre.

Les juges de première instance accueillaient ces demandes, mais la cour d’appel infirmait le jugement et refusaient d’accorder les indemnisations demandées.

La Chambre commerciale de la Cour de cassation rejette le pourvoi de Y et T et de la société Dream Team.

Les demandeurs au pourvoi plaidaient que le mandataire social est tenu d’une obligation particulière de loyauté à l’égard de l’entreprise qu’il dirige. En étant embauché par une société concurrente – Dack Sport – alors qu’il était encore gérant de Dream Team Sport, il avait manqué à son devoir de loyauté. En refusant de leur accorder une indemnisation, la cour d’appel avait violé l’article 1382 ancien du Code civil, désormais l’article 1240.

La Cour de cassation approuve cependant la cour d’appel (« l’arrêt retient à bon droit ») d’avoir jugé que le fait que M. A ait accepté un emploi au sein de la société Dack sport créée par M. D. ne suffisait pas à caractériser une déloyauté de sa part dans l’exercice de son mandat social.

C’était donc encore la question du devoir de loyauté et des conflits d’intérêts qui était posée.

Même si la Cour de cassation ne formule pas d’attendu de principe, et même si son arrêt n’est pas destiné à une large publication, il revient tout de même à autoriser le gérant d’une société à exercer en qualité de salarié une activité au sein d’une société concurrente.

On se souvient qu’un important arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation avait censuré pour défaut de base légale au regard de l’article L. 223-22 du Code de commerce l’arrêt d’appel qui avait rejeté une demande d’indemnisation formée par une société contre son dirigeant en jugeant qu’elle avait statué « par des motifs impropres à exclure tout manquement [du gérant] à l’obligation de loyauté et de fidélité pesant sur lui en raison de sa qualité de gérant de la [société], lui interdisant de négocier, en qualité de gérant d’une autre société, un marché dans le même domaine d’activité » (Cass. com., 15 nov. 2011).

Selon cet arrêt, on ne pouvait donc pas être gérant de plusieurs sociétés concurrentes.

L’arrêt du 8 février 2017 considère quant à lui que l’on peut être gérant d’une société et salarié d’une autre, alors même qu’elles seraient concurrentes.

La relation particulière qu’entretenaient les sociétés en cause contribue sans doute à expliquer la solution. Elles ne faisaient pas partie d’un groupe au sens où elles n’agissaient pas de manière coordonnée, et c’était même le contraire, puisqu’elles étaient concurrentes. Simplement, la première société avait réuni les quatre associés. Puis deux d’entre eux avaient monté un projet concurrent, tandis qu’un autre créait à son tour une nouvelle structure, et faisait travailler le gérant de la toute première société.

Ainsi, les demandeurs étaient finalement assez malvenus à reprocher au gérant d’être un agent double alors qu’eux-mêmes avaient monté une structure concurrente.

Il serait cependant imprudent de voir dans cet arrêt non publié une autorisation absolue faite au dirigeant d’une société d’exercer une activité salariée au sein d’une autre société concurrente.

Bruno DONDERO

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L’effet immédiat de la loi nouvelle (Cass. civ. 3ème, 9 févr. 2017, n° 16-10350)

L’arrêt rendu par la troisième Chambre civile de la Cour de cassation le 9 février dernier a suscité l’intérêt de plusieurs commentateurs, et il mérite certainement qu’on le lise avec attention.

Un auteur, sur un blog référencé par l’Express, intitule son commentaire : « La Cour de cassation bouscule la réforme du droit des contrats ». Du coup, j’ai relu l’arrêt, que j’avais vu passer sur le blog de mon cher collègue Daniel Mainguy, avec plus d’attention.

L’arrêt sera publié aux deux Bulletins de la Cour de cassation, et il a été mis en ligne sur son site internet.

Il n’est cependant pas, à mon sens, si inquiétant que cela.

I – Que dit l’arrêt ?

L’arrêt est relatif à l’application d’une disposition du Code de commerce, l’article L. 145-7-1. Ce texte est issu d’une loi du 22 juillet 2009, et il dispose que « Les baux commerciaux signés entre les propriétaires et les exploitants de résidences de tourisme mentionnées à l’article L. 321-1 du code du tourisme sont d’une durée de neuf ans minimum, sans possibilité de résiliation à l’expiration d’une période triennale ».

Il vient déroger à l’article L. 145-4, qui prévoit quant à lui que « La durée du contrat de location ne peut être inférieure à neuf ans. Toutefois, le preneur a la faculté de donner congé à l’expiration d’une période triennale, au moins six mois à l’avance, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou par acte extrajudiciaire (…) ».

En 2009, est donc apparue une règle particulière pour les baux relatifs à une résidence de tourisme.

Avant 2009, il était possible au bailleur de mettre fin au bail tous les trois ans.

Après 2009, cela n’est plus possible, puisque l’article L. 145-7-1 nouvellement créé écarte cette possibilité.

La question posée à la Cour de cassation était celle de savoir quel était le régime de la résiliation d’un bail conclu antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi de 2009, et encore en cours à cette date.

Deux baux relatifs à des appartements situés dans une résidence de tourisme étaient conclus en 2007. Le 26 décembre 2012, la locataire donnait congé pour le 1er juillet 2013, à l’expiration de la deuxième période triennale.

Le bailleur estimait que le congé était nul, la locataire ne pouvant résilier les baux.

La cour d’appel validait les congés, en retenant que « les baux, conclus avant l’entrée en vigueur de l’article L. 145-7-1 du code de commerce, sont régis par les dispositions de l’article L. 145-4 du même code prévoyant une faculté de résiliation triennale pour le preneur » et que « l’article L. 145-7-1 créé par la loi du 22 juillet 2009, qui exclut toute résiliation unilatérale en fin de période triennale pour l’exploitant d’une résidence de tourisme, n’est pas applicable au litige ».

Son arrêt est cassé pour violation de l’article L. 145-7-1 du Code de commerce, issu de la loi du 22 juillet 2009, et de l’article 2 du Code civil.

Rappelons que l’article 2 du Code civil dispose : « La loi ne dispose que pour l’avenir ; elle n’a point d’effet rétroactif ».

La Cour de cassation juge par un attendu de principe que « l’article L. 145-7-1 précité, d’ordre public, s’applique aux baux en cours au jour de son entrée en vigueur ».

Donc, dès lors que les baux étaient en cours au 25 juillet 2009, date d’entrée en vigueur de la loi, ils étaient soumis au texte nouveau, et la résiliation ne pouvait plus intervenir à l’expiration d’une période triennale.

II – Pourquoi il n’est pas particulièrement inquiétant ?

Qui conclut un bail relatif à une résidence de tourisme en 2007 pense pouvoir résilier son contrat tous les trois ans. Simplement, quand la loi de 2009 est promulguée, voici qu’il serait privé de cette possibilité.

Commençons par dire qu’il n’y a pas là, selon nous, d’application rétroactive de la loi nouvelle. La loi nouvelle ne remet aucunement en cause la validité d’un bail antérieurement conclu.

Simplement, il y a application de la loi nouvelle à un bail conclu antérieurement. C’est ce que l’on appelle l’effet immédiat de la loi nouvelle.

En matière contractuelle, le principe est que le contrat reste soumis au droit en vigueur au jour de sa conclusion.

Mais la loi nouvelle peut venir régir les effets du contrat conclu antérieurement à son entrée en vigueur dans deux cas :

  • soit quand ce sont les « effets légaux » du contrat qui sont en cause ;
  • soit quand la loi nouvelle est vue comme relevant d’un ordre public justifiant son application immédiate.

Il n’apparaît pas si choquant que cela de voir le régime de certains baux encadré et modifié par le législateur.

Enfin, s’agissant de la réforme du droit des contrats, je ne crois pas que l’arrêt conduise à remettre en cause la règle, clairement formulée par l’article 9 de l’ordonnance du 10 février 2016, selon laquelle les contrats conclus avant le 1er octobre 2016 demeurent soumis à la loi ancienne.

Bruno DONDERO

 

 

 

 

 

 

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Cumul mandat parlementaire / contrat de travail ou activité de conseil: que dit le droit ?

C’est maintenant au député Thierry Solère d’être mis en cause à propos d’une question de conflit d’intérêts. Il travaillerait comme conseil pour une entreprise, et pour le coup, il aurait signé – cosigné, et avant d’être embauché – un amendement exonérant d’une taxe les entreprises du secteur de son futur employeur.

Que dit le droit sur ce type de situation ?

Le problème, comme on va le voir, est que la question n’est pas réglée par des textes précis, et laisse beaucoup de place à la subjectivité.

Rappelons d’abord que le principe est celui de la liberté d’entreprendre, comme on l’a déjà écrit ailleurs. Pour qu’une situation de cumul soit interdite, il faut donc qu’un texte édicte une telle interdiction. Après, on peut vouloir éviter de se trouver en situation de conflit d’intérêts, même si celui-ci est autorisé expressément ou n’est pas interdit.

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Le Code électoral encadre ou interdit un certain nombre de situations de cumul d’activités privées ou publiques avec un mandat parlementaire.

Paradoxalement, certaines activités sont encadrées comme l’activité de conseil, qui doit être antérieure à celle de parlementaire, mais le Code électoral n’envisage pas la question du député qui serait en même temps salarié.

Une question qui se pose est la suivante: quand on dit que l’activité de conseil doit être antérieure, parle-t-on de l’activité en général, ou parle-t-on d’une relation avec un client donné ? La première interprétation semble s’imposer, mais la situation de M. Solère, qui d’après les informations rapportées a été « embauché » en cours de mandat parlementaire, et pour des montants dépassant son traitement de député, va poser la question de manière plus sensible.

Le Code de déontologie de l’Assemblée nationale aborde la question, mais il n’a pas, à ma connaissance, valeur législative et il le fait en termes larges, qui ne visent pas expressément le contrat de travail.

Son article 2 dispose que « En aucun cas, les députés ne doivent se trouver dans une situation de dépendance à l’égard d’une personne morale ou physique qui pourrait les détourner du respect de leurs devoirs tels qu’énoncés dans le présent code« .

Un autre article dispose que « Les députés ont le devoir de faire connaître tout intérêt personnel qui pourrait interférer dans leur action publique et prendre toute disposition pour résoudre un tel conflit d’intérêts au profit du seul intérêt général« .

Comme on le voit, ces deux textes laissent une large place à l’appréciation personnelle du député concerné, qui pourrait considérer que ses relations avec une entreprise ne le détournent en aucun cas de ses devoirs de parlementaire.

Rappelons enfin que le Code pénal édicte des infractions qui pourraient, si les comportements visés par ces textes étaient constatés, couvrir la situation du député qui serait rémunéré par une entreprise pour déposer des amendements favorables à cette entreprise.

Le délit de corruption passive serait alors applicable, puisqu’il vise le cas du titulaire d’un « mandat électif public [qui demande ou reçoit] sans droit, à tout moment, directement ou indirectement, des offres, des promesses, des dons, des présents ou des avantages quelconques pour elle-même ou pour autrui : 1° Soit pour accomplir ou avoir accompli, pour s’abstenir ou s’être abstenue d’accomplir un acte de sa fonction, de sa mission ou de son mandat ou facilité par sa fonction, sa mission ou son mandat« .

Bruno Dondero

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Que voulons-nous faire de notre classe politique?

Après François Fillon, puis sa famille, c’est sur ses soutiens politiques que les soupçons divers commencent à peser. Ce que l’on peut appeler « les affaires » se répandent dans la presse, à quelques semaines du premier tour de l’élection présidentielle… et quelques mois après la primaire qui avait consacré François Fillon comme candidat.

Cela invite à se poser la question de savoir ce que nous voulons faire de notre classe politique.

Deux analyses de la situation actuelle sont possibles.

On peut se dire :

  • 1) soit que François Fillon est attaqué par la presse dans le cadre d’une manœuvre politique;
  • 2) soit que la presse fait son travail d’investigation et qu’il est normal qu’elle s’intéresse de près à celui qui pourrait être le prochain président de la République.

En réalité, quelle que soit la réponse retenue, François Fillon est pris dans une nasse. Il se voit reprocher des choses qui sont peut-être « légales », mais qui sont considérées comme n’étant plus admissibles par une partie de l’opinion publique.

On va ainsi lui reprocher ce que beaucoup reprochent, consciemment ou non, aux membres de la classe politique lorsqu’ils accèdent au pouvoir : être trop payés et trop aimer l’argent, pratiquer le népotisme, être peu regardants sur les situations de conflits d’intérêts, etc.

Cela fonctionne d’autant mieux que le camp Fillon se défend jusqu’à présent très mal, entre les déclarations semant le trouble sur l’activité réelle de Pénélope Fillon et les approximations sur celles des autres membres de la famille.

Ces critiques porteront d’autant plus que même quand l’on croit respecter la loi, on peut se heurter à des difficultés. Par exemple, s’il est possible à un député d’exercer une activité de conseil en même temps que son mandat parlementaire, le Code électoral exige que l’activité de conseil soit antérieure au mandat parlementaire. Est-ce vraiment le cas pour François Fillon dont la société de conseil a été immatriculée quelques jours seulement avant son élection aux législatives de 2012 ? Peut-on assimiler la constitution d’une société à l’exercice d’une activité ?

Mais quittons un instant le droit.

En réalité, si François Fillon est aujourd’hui visé, c’est parce qu’il a été présenté comme déjà élu.

Notre pays a organisé à l’automne dernier, avec un certain enthousiasme, une primaire « de la droite et du centre » qui a mobilisé des millions de votants.

Cette primaire n’était pas seulement l’affaire d’un parti, puisqu’elle était ouverte à tous.

Elle a en réalité joué le rôle d’un premier tour électoral, et les Français ont, d’une certaine manière, déjà élu François Fillon.

Ils ne l’ont certes pas encore élu président de la République, mais ils lui ont accordé une forme de consécration, de légitimité démocratique.

Malheureusement pour lui, il se trouve de ce fait placé dans une position idéale pour recevoir le mauvais traitement que les Français entendent réserver à leur classe politique, dont ils découvrent, ou font semblant de découvrir, que ses pratiques sont discutables.

Discutables, cela ne veut pas dire qu’elles soient illégales – certaines peuvent l’être, bien entendu – mais cela veut dire qu’elles sont en décalage avec les mœurs actuelles.

Demandez aux Français s’il est normal d’embaucher ses proches lorsqu’on est un élu. Beaucoup vous diront que cela n’est pas admissible, qu’il y a du favoritisme, etc.

Mais cette pratique n’est pas exceptionnelle parmi les politiques. On peut la relativiser, en relevant que beaucoup d’entrepreneurs font travailler leurs proches. Mais la situation n’est pas la même, car l’on ne parle que de l’administration d’une entreprise privée, alors que le parlementaire ou l’élu local n’est pas « propriétaire de son entreprise », il n’est qu’en situation d’agent, chargé d’administrer au mieux les fonds de la collectivité, locale ou nationale.

François Fillon est aussi le seul à qui l’on puisse appliquer ce traitement.

Les socialistes ou Emmanuel Macron ne sont pas, ou pas encore, des cibles exploitables à cet égard, pour différentes raisons.

Quant au Front National, il se nourrirait de telles attaques, qui ne feraient qu’accroître ses forces. Regardez, pourraient dire ses dirigeants, on nous craint, on voit que nous approchons du pouvoir, voyez ce qu’ils tentent de faire contre nous.

Oui, François Fillon est donc bien à bien des égards le mieux placé pour pouvoir faire l’objet d’un tel traitement.

On pourra se dire que cela est justifié, mais on peut aussi se demander si l’on ne déplace pas le curseur de nos exigences morales pour mettre « hors jeu » François Fillon.

J’imagine que cela doit sembler particulièrement injuste à François Fillon lui-même.

On peut se servir d’une métaphore, celle de la course automobile que M. Fillon affectionne.

La primaire qu’il a remportée lui a donné le droit de participer à la grande course, et l’a même placé en pole position. Et puis voilà qu’on l’accuse d’avoir une voiture trafiquée, et de ne pouvoir participer à la course. Il lui faut descendre du véhicule, pour qu’on puisse le contrôler. Le plus injuste, pensera-t-il, c’est que lorsqu’il a préparé son bolide pour la course, celui-ci était conforme aux normes habituellement appliquées. Mais il semblerait qu’elles ne soient plus les mêmes maintenant… Et pendant ce temps, le compte à rebours a commencé, et la course va bientôt être lancée, avec ou sans le pilote Fillon…

Mais François Fillon écarté, le cas échéant, n’allons-nous pas trouver des défauts inacceptables à un autre candidat, puis à un autre encore, au risque de ne plus avoir de classe politique sérieuse ?

Bruno Dondero

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Défense Fillon: juridiquement solide, mais politiquement erronée ?

Depuis que la presse égrène les informations relatives à François Fillon / aux contrats de ses proches / à ses activités de conseil, et que M. Fillon et ses avocats répondent par des conférences de presse, ce qui donne lieu à de nombreux commentaires, les Français découvrent de redoutables questions juridiques.

Ainsi, il existe un parquet national financier, et sa compétence pourrait être discutée dans cette affaire. La séparation des pouvoirs pourrait faire obstacle à tout contrôle sur l’emploi par un député des « crédits collaborateur », mais cela peut être discuté. Un parlementaire en fonction peut exercer des activités de conseil au profit de clients privés… mais il ne faut pas que cela le place en situation de conflit d’intérêts.

Ce cours accéléré et pratique de droit pénal / procédure pénal / droit parlementaire / droit constitutionnel / droit du travail est certainement passionnant.

Il est dommage qu’il ait lieu à un moment où le débat devrait être politique, et qu’il rende en partie inaudible le discours d’un candidat qui a été élu à la suite d’une primaire ayant mobilisé des millions de votants.

La défense de M. Fillon et de ses avocats est juridiquement solide. Elle est solide, car les différents points évoqués par ses avocats lors de la conférence de presse tenue jeudi 9 février apparaissent fondés. Cela ne veut pas dire que tout débat est écarté, et que le PNF doive nécessairement rendre les armes immédiatement.

Mais une réponse juridiquement fondée n’est peut-être pas la meilleure réponse à faire du point de vue politique.

Si on laisse de côté les questions de violation du secret et de séparation des pouvoirs pour se concentrer sur la compétence du PNF, cela donne:

  1. Le PNF serait incompétent: POSSIBLE

Il existe un article 705 du Code de procédure pénale qui liste les infractions pour lesquelles le PNF est compétent. Parmi celles-ci figure le délit de détournement de fonds publics (ou privés remis pour l’exercice d’une mission donnée) visé par l’art. 432-15 du Code pénal.

Problème: ce texte ne vise que des personnes ayant une qualité particulière: « personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public, un comptable public, un dépositaire public ou l’un de ses subordonnés ». Un député ne serait pas inclus dans cette liste.

Et il est vrai que d’autres textes vont mentionner le titulaire d’un mandat électif, ce que ne fait pas l’article précité.

Cela ne veut pas dire pour autant qu’il n’y a pas d’infraction si un député rémunère sciemment son épouse à ne rien faire… si le caractère fictif de l’emploi est établi. Il pourrait y avoir abus de confiance.

Mais le délit d’abus de confiance n’est pas de ceux pour lesquels le PNF a compétence.

Le délit de recel d’abus de biens sociaux (la collaboration avec la Revue des deux mondes) tomberait aussi, puisque le PNF n’a pas compétence pour l’ABS ou le recel d’ABS. Sa compétence tenait cependant à la connexité avec le détournement de fonds publics. Mais si ce délit ne peut viser un parlementaire…

2. Les conséquences d’une incompétence du PNF:  JURIDIQUEMENT INCERTAINES

Si le PNF était incompétent, il devrait se dessaisir au profit du parquet de droit commun.

Soit. Il ne serait cependant pas exclu que les éléments d’information rassemblés soient tout de même utilisés par la suite, comme cela a été bien expliqué par mon collègue Didier Rebut.

3. Les effets de la défense adoptée: POLITIQUEMENT MAUVAIS

On peut continuer à faire du droit pendant des mois, voire des années.

Des juges seront saisis. Ils diront s’il y a eu diffamation, violation du secret de l’instruction/enquête, si les informations recueillies par le PNF sont exploitables, si un parlementaire peut commettre le délit de détournement de fonds publics, etc.

L’élection présidentielle sera passée depuis longtemps, et un candidat aura été rendu inaudible par la « révélation » d’informations survenue au plus mauvais moment.

Plutôt que de contester la compétence du PNF et de prétendre échapper à tout contrôle au nom de la séparation des pouvoirs, n’était-il pas plus simple de faire parler publiquement un grand témoin pour attester de l’existence d’un contrat de travail effectif ? Ou mieux: ne pouvait-on demander à la bénéficiaire du contrat de travail de déclarer publiquement qu’elle avait une activité, si c’était le cas ? Cela aurait pu et dû être fait très rapidement.

Certes, il y a peut-être une impossibilité juridique pour l’autorité judiciaire de contrôler l’emploi des « crédits collaborateurs » par le député. Et encore, il apparaît que cela peut être discuté.  

Mais se défendre en disant « ceux qui enquêtent n’ont pas le droit de le faire » n’est pas politiquement la meilleure défense, surtout quand les délais sont aussi serrés…

Il est regrettable que ces informations « sortent » maintenant. Elles sont là, notre pays a une décision politique à prendre. Il doit la prendre sans que la prise de décision soit perturbée par ce type d’embrouillamini juridico-médiatique. Si le candidat Fillon a commis un délit ou pense avoir commis un délit, qu’il se retire. Sinon, que le débat redevienne politique et c’est tout. L’idée d’un devoir de réserve dans la période précédant immédiatement une grande élection pourrait, avec toutes les précautions requises, être étudiée.

L’étape suivante d’une défense juridiquement fondée mais politiquement erronée pourrait consister à invoquer la prescription, sans doute acquise. Il n’est pas en effet pas sûr que la « révélation » puisse être datée aux articles parus en 2017 dans le Canard enchaîné…

Bruno DONDERO

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La justice prédictive

On parle de plus en plus de « justice prédictive », ce qui désigne non la justice elle-même (« M. le Juge, que pouvez-vous me dire de mon avenir judiciaire ? », « Eh bien, je vois une longue période passée au même endroit, et une dépense importante », « Ah… ») mais des instruments d’analyse de la jurisprudence et des écritures des parties, instruments qui permettraient de prédire les décisions à venir dans des litiges similaires à ceux analysés, c’est-à-dire d’identifier quelle solution sera donnée à un litige X par un juge Y, soit au vu des données du litige X, soit par une analyse des écritures des parties (ce n’est pas de graphologie qu’il est question mais d’analyse textuelle, comme on le verra un peu plus loin !).

En France, les entreprises qui proposent ce type d’instruments sont les sociétés Case Law Analytics et Predictice. Aux Etats-Unis, un acteur de ce secteur est la société Lex Machina.

 On peut se dire que prédire les décisions de justice est depuis toujours l’objectif de tout avocat et de tout universitaire consultant. Qui se tourne vers l’un ou l’autre de ces acteurs attend d’eux, avec plus ou moins d’espoir, une prescience de la jurisprudence. A un niveau plus personnel, le « profilage » des juges est fait depuis toujours par les avocats. La pratique américaine de la sélection des membres des jurys, popularisée par le cinéma et la littérature, rejoint les tentatives de forum shopping des avocats de par le monde. Mais la justice prédictive ne repose pas tant sur le « nez » d’un praticien du droit que sur des instruments d’analyse différents, statistiques ou d’exploration du texte.

J’ai rédigé un article sur le sujet destiné à paraître au Recueil Dalloz dans les semaines à venir, mais il est intéressant de présenter déjà ce dont on parle.

 

L’utilisation la plus évidente pour les juristes : l’analyse statistique en fonction du contenu des décisions.

Pour faire de la justice prédictive, il faut avoir créé et alimenté une base de données jurisprudentielles (on l’appellera la BDJ).

La première utilisation possible de la BDJ, et la plus évidente pour les juristes, habitués à lire et analyser les décisions de justice, consiste à procéder à une analyse statistique des décisions qu’elle contient. Par exemple, si l’on introduit dans la BDJ toutes les décisions rendues en France en matière de contestation de son licenciement par un salarié, on aura le moyen de dire dans quelle proportion l’action a été accueillie ou rejetée, combien de dommages-intérêts ont pu être accordés en moyenne, quels ont été les indemnisations les plus élevées, et ainsi de suite.

La régularité observée pour tel ou tel résultat doit aussi mettre les utilisateurs de la BDJ en mesure de connaître les chances de succès de tel ou tel argument devant les tribunaux en général, ou pourquoi pas devant tel ou tel juge. La loi des grands nombres trouve ici à s’appliquer.

Il pourrait ainsi être révélé que telle formation du conseil de prud’hommes de telle ville a accordé des dommages-intérêts dans 63% des cas dans lesquels elle a été saisie d’une demande reposant sur un licenciement discriminatoire. Des décisions analysées, on pourrait également déduire que la moyenne des dommages-intérêts accordés par les formations où siégeait le juge X était de 12.552 euros, ou que ces dommages-intérêts n’ont jamais dépassé 20.000 euros.

Des précisions devront être apportées, si l’on veut que ces données aient un sens et une utilité. Il faut par exemple savoir si la moyenne de dommages-intérêts doit tenir compte des cas dans lesquels la demande a été rejetée (et considérer alors que la somme des dommages-intérêts octroyés par la décision concernée est égale à zéro), ou si l’on ne prend en compte, pour établir la moyenne, que les décisions accordant effectivement une indemnisation au salarié.

D’autres utilisations : l’analyse textuelle.

Une autre utilisation de la BDJ passe par d’autres instruments d’analyse, comme les logiciels d’analyse sémantique, d’analyse textuelle. Une expérimentation a ainsi été menée par quatre chercheurs sur des décisions de la Cour européenne des droits de l’Homme, à partir d’une analyse des mots employés par les juges et par les parties. Se fondant sur une base constituée de quelques centaines de décisions, portant sur trois articles de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, les auteurs de l’étude estiment parvenir à une prédiction exacte dans 79% des cas (N. Aletras, D. Tsarapatsanis, D. Preotiuc-Pietro et V. Lampos, Predicting judicial decisions of the European Court of Human Rights : a Natural Language Processing perspective, 24 oct. 2016, étude accessible sur https://peerj.com/articles/cs-93).

On peut considérer que ce résultat n’est pas satisfaisant, puisque le logiciel se trompe plus d’une fois sur cinq, mais on peut considérer que l’on dispose déjà d’un instrument complémentaire par rapport à l’analyse traditionnelle.

Une idée ancienne ?

L’idée d’une analyse statistique et probabiliste des décisions de justice n’est pas nouvelle (v. E. Barbin et Y. Marec, Les recherches sur la probabilité des jugements de Simon-Denis Poisson, in Histoire et Mesure, 1987, vol. 2, n° 2, p. 39).

L’informatique permet cependant d’aller très loin dans l’exploration et l’analyse des données – c’est à ce titre qu’on peut parler de « Big Data Judiciaire ». Dès 1963, un avocat américain, Reed C. Lawlor, décrivait déjà ce que les ordinateurs pouvaient faire pour les juristes, à une époque où l’informatique n’était bien sûr encore qu’embryonnaire (R. C. Lawlor, What computers can do : analysis and prediction of judicial decisions, American Bar Association Journal 1963, 49, p. 337).

Mais au-delà de la question des possibilités offertes par l’informatique, cet auteur donnait un point de vue qui demeure d’actualité, puisqu’il écrivait « There is no way that the law can avoid the scrutiny of science. If the lawyers and judges do not participate in this work, it will all be done by others ». Si les avocats et les juges ne participent pas au travail d’analyse scientifique – informatique précisément – ce sont d’autres qui le feront.

Un instrument en développement.

Plusieurs facteurs convergent actuellement pour favoriser l’émergence de la justice prédictive, sinon comme instrument immédiatement opérationnel, à tout le moins comme sujet d’étude digne d’intérêt pour les praticiens et les théoriciens du droit.

Un premier facteur est bien sûr celui de l’ouverture des données jurisprudentielles, mouvement dit de l’Open Data, concrétisé en France par la loi Lemaire. La loi pour une république numérique (n° 2016-1321 du 7 oct. 2016) a ajouté au Code de l’organisation judiciaire un art. L. 111-13 qui dispose notamment que « les décisions rendues par les juridictions judiciaires sont mises à la disposition du public à titre gratuit dans le respect de la vie privée des personnes concernées ».

D’autres facteurs sont technologiques : le développement de l’intelligence artificielle (IA), la capacité croissante à analyser des masses de données gigantesques (le Big Data).

Le dernier facteur est à la fois humain et plus général. Il tient au développement des nouveaux acteurs du droit connus sous le nom de start-ups juridiques ou LegalTech.

On l’aura compris, la question est passionnante et mérite un vrai débat.

Bruno DONDERO

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SAS: les pactes relatifs à la direction sont-ils interdits ? (Cass. com., 25 janv. 2017, n°14-28792)

L’arrêt rendu le 25 janvier 2017 par la Chambre commerciale de la Cour de cassation est une décision importante, au sens où cet arrêt pourrait fort bien perturber considérablement la pratique.

A le prendre à la lettre, cet arrêt interdit de placer dans un pacte d’actionnaires des règles relatives à l’organisation de la direction d’une SAS. Excusez du peu.

En attendant les nombreux commentaires que suscitera cet arrêt (je le commenterai au Répertoire Defrénois), observons déjà qu’il est destiné à une très large publication : publication aux deux Bulletins, site internet de la Cour de cassation, et mention dans son rapport annuel.

I – Les faits de l’espèce et la question posée.

Les faits étaient assez simples, même si la clause qui donne lieu à l’affaire n’est sans doute pas courante.

Une personne physique, M. X, cédait à une société les actions qu’il détenait dans une société anonyme (SA), la SA Cabinet Rexor. Une clause particulière figurait dans le protocole de cession, ou dans le SPA comme on dit dans les cabinets internationaux (à prononcer « Esse-Pi-Hey »). Cette clause prévoyait une possible réduction du prix de cession des actions « en cas de baisse du chiffre d’affaires au cours des exercices 2005 et 2006 dans la mesure où M. X… serait maintenu à son poste d’administrateur ».

Ce n’était pas une clause de complément de prix, d’ earn out, où celui qui vend ses actions a droit à un complément de prix si les résultats sont meilleurs qu’attendus pendant la période qui suit la cession. C’était une clause de loose out, si l’on peut dire. Si les résultats étaient moins bons que précédemment, le vendeur devait rendre une partie du prix.

Pour que la clause joue, une autre condition devait être remplie : le cédant devait être encore administrateur de la société.

M. X était-il encore administrateur de la société ?

Répondre à cette question était compliqué par le fait que peu après la cession des actions de M. X, l’assemblée générale de la société avait décidé de changer de forme sociale. La SA avait été transformée en société par actions simplifiée (SAS).

Une différence entre ces deux formes sociales tient à ce que la SA, dans sa version la plus utilisée, a nécessairement un conseil d’administration et donc des administrateurs, tandis que la SAS n’est dotée d’administrateurs que si ses statuts l’ont prévu.

Les statuts de la SAS Cabinet Rexor ne prévoyaient pas de conseil d’administration… mais la pratique de la société avait été de conserver un tel organe. Et M. X avait siégé au sein de cet organe « de fait ».

Les magistrats de la cour d’appel en avaient déduit que M. X était resté administrateur. La seconde condition de la clause était donc remplie, et il devait restituer une partie du prix.

L’arrêt d’appel est cependant censuré.

II – La solution de la Cour de cassation.

L’arrêt d’appel est cassé pour violation des articles L. 227-1 et L. 227-5 du Code de commerce. Le premier texte exclut notamment des dispositions régissant la SAS les articles du Code de commerce relatifs au conseil d’administration de la SA, tandis que le second texte dispose que « Les statuts fixent les conditions dans lesquelles la société est dirigée ».

La Cour de cassation formule un attendu de principe, selon lequel « il résulte de la combinaison [des articles L. 227-1 et L. 227-5] que seuls les statuts de la société par actions simplifiée fixent les conditions dans lesquelles la société est dirigée ».

Ainsi, dès lors que les statuts de la SAS ne parlaient pas d’un conseil d’administration, M. X ne pouvait avoir conservé sa qualité d’administrateur.

On peut comprendre que laisser les statuts définir la manière dont une société est organisée, plutôt que de mettre en place une organisation légale (c’est le cas de la SA) est source de complications, puisque chaque SAS est susceptible d’être différente de sa voisine. En pratique, il existe une certaine standardisation des statuts de SAS, mais la Cour de cassation a sans doute voulu rappeler que si la loi donne compétence aux statuts, ce n’est pas pour que des pratiques apparaissent, à côté de l’organisation statutaire, pratiques conduisant à un fonctionnement de la SAS différent de celui prévu par les statuts.

Mais là où la solution surprend, c’est que si l’on prend l’attendu à la lettre, la Cour de cassation semble interdire les pactes d’actionnaires dans les SAS lorsqu’ils sont relatifs à la direction de la société. La pratique recourt de longue date à des conventions qui viennent compléter les statuts, et la création de la SAS, en 1994, visait notamment à faire remonter les pactes d’actionnaires dans les statuts. L’arrêt du 25 janvier 2017 conduit-il à ce que les pactes ne puissent plus encadrer la direction de la société ? Cela serait pour le moins gênant, car beaucoup de pactes ont été signés qui encadrent les pouvoirs des dirigeants de SAS, créent des organes de contrôle, etc. Faut-il considérer que ces pactes ne sont plus valables ?

En réalité, la SAS avait en l’espèce (comprend-t-on en lisant le moyen de cassation qui reprenait l’arrêt d’appel) conservé des administrateurs, alors que ses statuts ne le prévoyaient pas. C’est pour faire primer l’organisation statutaire sur celle, différente, retenue dans les faits que la Cour de cassation formule de manière énergique sa solution. Il est tout de même regrettable que les pactes s’en trouvent menacés…

D’autant que la très large diffusion de l’arrêt laisse entendre, me semble-t-il, que la Cour de cassation a un message à faire passer.

Dernière observation : si l’organisation statutaire prime, celui qui n’est pas dirigeant de par les statuts mais se comporte en fait en dirigeant doit prendre garde à la responsabilité particulière attachée à cette qualification, qui concerne aussi le dirigeant de fait. Rappelons que si une société est mise en liquidation judiciaire, ses dirigeants (et l’administrateur en est un, même s’il n’est pas un dirigeant exécutif) sont personnellement responsables des fautes de gestion ayant contribué à l’insuffisance d’actif de la société (art. L. 651-2 du Code de commerce). Précisons que la loi Sapin 2 a allégé cette responsabilité, comme je l’ai expliqué précédemment.

Bruno DONDERO

 

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Le mal insidieux qui frappe François Fillon a aussi une composante juridique

François Fillon, candidat à une élection majeure, désigné après une primaire ayant fait se déplacer des millions de personnes, est depuis deux semaines au centre d’un tourbillon politico-médiatique que lui et ses soutiens n’ont pas été capables de dissiper.

Un mal insidieux affecte celui qui apparaissait déjà comme le prochain président de la République, et c’est un mal qui est lié – aussi – au droit et à ses complexités.

La tempête dans laquelle François Fillon est pris contient en effet des éléments juridiques.

On parle d’emploi fictif, de conflit d’intérêts, de corruption, mais ces éléments sont à la fois diffus et imprécis, ce qui les rend particulièrement difficiles à saisir pour le public, autrement que d’une manière très négative pour François Fillon, et très difficiles à combattre pour celui-ci.

Le débat porte essentiellement sur une accusation d’emploi fictif et de manière sous-jacente, sur une question de conflit d’intérêts.

Un emploi fictif… ou une relation de travail insuffisamment formalisée ?

On a rapidement parlé d’emploi fictif à propos de l’activité d’assistante parlementaire de Pénélope Fillon. Là où la meilleure défense aurait été la présentation faite avec autorité d’éléments concrets illustrant le caractère réel d’une activité d’assistante, rien de tel n’a été fourni. L’effet politique et médiatique a été désastreux. Mais du point de vue du droit, il n’est pas sûr que la situation soit si critiquable.

L’article 432-15 du Code pénal, texte sur le détournement de fonds par une personne dépositaire de l’autorité publique, est rédigé de manière assez large pour que l’infraction soit constituée si un parlementaire verse consciemment des rémunérations à une personne qui ne fournit aucune activité en contrepartie. Le bénéficiaire des sommes, dans cette situation, commettrait quant à lui l’infraction de recel. Ce serait une situation d’emploi fictif. Mais est-ce vraiment de cela qu’il s’agit ?

Les déclarations de Mme Fillon montrent surtout qu’elle n’était manifestement pas au courant de son statut de salariée de son mari. Mais c’est que la relation de travail est brouillée par le statut de conjoint.

Il est très fréquent que les époux, les concubins, les pacsés, travaillent ensemble, sans que le droit trouve à y redire. Mieux, il favorise ce genre de situation. Si le travail nous occupe tant, au détriment de nos vies familiales, la solution ne serait-elle pas d’encourager le travail en famille ?

Cet encouragement a pris, en droit, différentes formes. Le conjoint du chef d’entreprise fait depuis longtemps l’objet de règles particulières, au sein du Code civil, du Code du travail ou du Code de commerce, règles qui visent notamment à prendre en compte le travail qu’il va fournir, pour aider sa moitié, quand bien même ce travail ne serait pas formalisé par un contrat en bonne et due forme, ou par l’attribution d’un statut d’associé au sein de l’entreprise familiale.

C’est que le droit a compris depuis longtemps que le cumul de la qualité de conjoint et de collaborateur du chef d’entreprise pouvait créer des incertitudes.

Etre en couple, c’est partager la vie quotidienne, et c’est aussi, pour beaucoup de conjoints, partager les tâches administratives, les appels téléphoniques, la gestion d’un agenda, les dîners et rendez-vous avec les tiers, bref, beaucoup de choses qui pourraient rentrer dans une activité d’assistant parlementaire… ou dans celle d’une « femme au foyer » qui donnerait régulièrement un coup de main à son époux député…

Si Pénélope Fillon n’avait pas conscience de son statut de salariée, c’est peut-être que son employeur ne l’avait pas suffisamment informée sur ses droits… La défense de François Fillon, qui a dans un premier temps parlé de la misogynie des journalistes qui évoquaient l’activité de son épouse, n’a en tous les cas pas aidé à clarifier la situation.

Mais ce qui « plombe » la situation du candidat des Républicains, c’est aussi le venin du conflit d’intérêts, réel ou présumé.

Une situation de conflit d’intérêts ?

Les conflits d’intérêts sont partout, ou plutôt, on peut en voir partout.

Si l’employeur et sa salariée sont mari et femme, par exemple, il y a un conflit d’intérêts, lié au cumul de qualités d’employeur et d’époux. L’employeur aura peut-être pour la salariée absentéiste ou incompétente dans son travail une complaisance excessive, qui pourra nuire à l’entreprise. Il est aussi possible que l’entreprise soit parfaitement gérée, et que l’employeur traite son épouse salariée comme tout autre salarié de l’entreprise. Il n’empêche : la situation recèle un conflit d’intérêts, puisque tout époux est naturellement porté à favoriser son conjoint.

En réalité, toute relation entre deux êtres humains est potentiellement conflit d’intérêts, dès lors que l’un d’eux exerce une activité où l’objectivité, l’indépendance, l’impartialité sont requises. Les policiers ont des amis, les hommes politiques ont des fournisseurs, les juges ont des voisins, etc.

Reste simplement à savoir comment nous traitons, en droit, les conflits d’intérêts. Certaines situations sont interdites, parce qu’elles constituent des faits de corruption, d’atteinte au bon fonctionnement de la justice, etc. D’autres situations sont encadrées, tandis que d’autres encore sont tolérées, c’est-à-dire qu’elles sont laissées à la discrétion des personnes concernées.

L’emploi par un député de son conjoint comme assistant parlementaire était initialement toléré. Par la suite, le législateur a limité les sommes que le député peut verser à son conjoint, et il a aussi imposé plus de transparence sur ces pratiques.

Même si cela n’est pas interdit par la loi française, est-il souhaitable pour autant que les parlementaires salarient leur famille ? La pratique est répandue, mais elle fait peser sur les parlementaires le soupçon de népotisme. Il est possible que la loi française évolue vers une interdiction, et l’on peut se dire aujourd’hui, au vu de la curée médiatique à laquelle on assiste, que dans le doute, mieux vaut éviter d’employer sa famille lorsque l’on est député ou sénateur. Mais le problème est que l’on trouvera toujours plus vertueux que soi. Le café offert par un électeur n’est-il pas le premier pas dans la corruption ?

Si l’on reproche aujourd’hui les emplois attribués aux proches des parlementaires, ne trouvera-t-on pas demain des liens d’amitié, de voisinage, etc. entre les parlementaires et leurs assistants, liens que l’on qualifiera d’inadmissibles ? N’ira-t-on pas, éventuellement, leur reprocher leur appartenance à la même famille… politique ?

Ce qui frappe aujourd’hui François Fillon pourrait en frapper bien d’autres demain.

Le conflit d’intérêts est une notion subjective, et c’est bien de cette subjectivité que souffre François Fillon aujourd’hui. La situation peut être tolérée par le droit, ou l’avoir été, si l’on est pointé du doigt comme ayant profité d’un « conflit d’intérêts », alors on n’est plus irréprochable. Et si l’on ne met pas en place très tôt une ligne de défense ferme…

Bruno DONDERO

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Eléments de procédure pénale utiles pour comprendre l’affaire Fillon

Le Club des Juristes est un think tank juridique, qui regroupe comme son nom l’indique des professionnels du droit: avocats, juges, directeurs juridiques, universitaires, etc. Ce cercle (qui accueille aussi l’auteur de ce blog) a la bonne initiative de mettre en ligne sur son propre blog des éléments de réponse sur l’affaire Fillon, donnés par mon éminent collègue pénaliste, le professeur Didier Rebut.

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Je vous renvoie à la lecture de ce billet, qui répond à trois questions, et exprime notamment l’idée que si la procédure d’enquête diligentée par le parquet va si vite, ce n’est sans doute pas pour nuire à François Fillon, mais au contraire pour perturber le moins possible la campagne présidentielle. Si l’affaire se révélait infondée, mieux vaudrait qu’elle soit déclarée comme telle le plus en amont des élections.

Surtout, le professeur Rebut fait un point de procédure pénale qui mérite d’être souligné.

François Fillon avait dit que s’il était mis en examen, il retirerait sa candidature. Certains, dans son propre camp, n’attendent d’ailleurs pas pour brandir une notion juridique que les civilistes connaissent bien (car consacrée récemment par la réforme du droit des contrats), et qui est celle de caducité, caducité de la primaire de la droite et du centre.

Mais, nous dit Didier Rebut dans l’article précité, il y a trois issues possibles à l’enquête actuelle, et la mise en examen, c’est-à-dire le renvoi de l’affaire à un juge d’instruction  (scénario n° 1) , chargé de faire des investigations supplémentaires, est selon lui la moins vraisemblable. Il est aussi possible (scénario n° 2) que le parquet décide qu’aucune infraction n’a été commise et procède à un classement sans suite. Il est enfin possible  (scénario n° 3) que le parquet national financier saisisse directement la juridiction de jugement, c’est-à-dire le tribunal correctionnel.

Cette procédure de citation directe verrait un ou plusieurs des protagonistes de l’affaire renvoyé(s) devant le tribunal correctionnel.

Le scénario du retrait s’imposerait sans doute d’autant plus dans cette situation.

Bruno DONDERO

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