Archives mensuelles : novembre 2014

La justice commerciale filmée en direct… à l’Université Paris 1 Panthéon – Sorbonne

Ce lundi 24 novembre, je me livrerai pendant mon cours de droit des sociétés (Licence de droit, 3ème année) à une expérience pédagogique qui n’a pas encore été pratiquée, à ma connaissance: nous allons tenir une audience du Tribunal de commerce de Paris, sur un cas fictif (les faits de l’affaire sont reproduits ci-après), mais dans les conditions du réel.

Je recevrai dans l’amphithéâtre trois juges du Tribunal de commerce, qui sont Frank Gentin, Président du Tribunal de commerce de Paris, Didier Fahmy, président de la chambre de droit monétaire et financier et Laure Lavorel, juge de la chambre internationale.

Plaideront devant eux (et devant les étudiants) deux avocats, Me Annabelle Raguenet de Saint-Albin (counsel du cabinet Gide) et Me Stéphane Sylvestre.

Ils interrogeront et « cross examineront » devant les juges un témoin, rôle que M. Jean Gatty, président d’une société de gestion de portefeuille, a accepté de jouer.

Cette petite expérience permettra de montrer aux étudiants comment travaillent les avocats et les juges, de manière immédiate.

Parce que des caméras seront présentes et filmeront toute la séance, le fonctionnement de la justice commerciale française sera visible d’un écran d’ordinateur. Certes, ce n’est pas une affaire réelle qui sera jugée, mais à l’heure où l’on veut – une fois de plus – réformer les tribunaux de commerce, il n’est pas inutile d’avoir une idée de la manière dont fonctionne cette juridiction très importante dans la vie économique du pays. L’enregistrement, qui sera rendu accessible par l’Université Paris 1 dans les semaines qui suivront la séance en amphi, pourra ainsi servir aux étudiants, mais aussi aux professionnels, aux chercheurs et à tout justiciable curieux de voir vivre la justice.

L’affaire qui sera plaidée et jugée est la suivante:

La société BLINDAGES PALLADIUM est une société par actions simplifiée (SAS) qui commercialise des couvercles blindés, utilisés notamment dans la construction des chars d’assaut. Son chiffre d’affaires annuel est de 40 millions d’euros environ. Elle a eu besoin en 2011 d’un financement de cinq millions d’euros, que les associés présents (une famille de la région orléanaise) ne pouvaient fournir, et que les banques contactées ont refusé de donner, sauf à des conditions qui ne convenaient pas à BLINDAGES PALLADIUM.

C’est finalement un fonds d’investissement, FRANCE PARTENAIRES, qui a accepté d’apporter les sommes requises (des extraits du contrat d’investissement ont été communiqués aux étudiants).

La société BLINDAGES PALLADIUM a utilisé le financement, mais les contrats qu’elle a obtenus (essentiellement la fourniture de couvercles blindés à des Etats étrangers pour équiper leurs chars) n’ont pas été aussi rentables que les dirigeants de la SAS l’espéraient. Le résultat a été négatif en 2011, 2012 et 2013, même si 2014 devrait être un exercice légèrement bénéficiaire.

FRANCE PARTENAIRES vient cependant de présenter par le biais de son avocat Me Annabelle RAGUENET de SAINT-ALBIN une demande de remboursement immédiat de la somme de cinq millions d’euros, augmentés des intérêts (montant : 12,35%/an, avec capitalisation annuelle des intérêts, qui produisent donc eux-mêmes des intérêts).

FRANCE PARTENAIRES a saisi le Tribunal de commerce de Paris de sa demande. L’avocate du fonds est accompagnée du dirigeant de celui-ci, M. Jean GATTY.

BLINDAGES PALLADIUM est représentée par son avocat, Me Stéphane SYLVESTRE.

Question juridique centrale :

Quelle est la qualification à donner au financement apporté à BLINDAGES PALLADIUM par FRANCE PARTENAIRES : apport en capital ou prêt ?

Bruno DONDERO

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La contrepartie financière de la clause de confidentialité pesant sur l’ancien salarié (Cass. soc., 15 oct. 2014, n° 13-11524)

Cet arrêt de la Chambre sociale de la Cour de cassation (http://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechExpJuriJudi&idTexte=JURITEXT000029607805&fastReqId=27681599&fastPos=2), qui sera publié au Bulletin des arrêts, apporte une précision intéressante: la clause de confidentialité qui impose au salarié de ne pas révéler d’informations sur son ancien employeur ne nécessite pas le versement d’une contrepartie financière au salarié, à la différence donc de la clause de non-concurrence. La question est complexe, car les clauses de non-concurrence et les clauses de confidentialité sont proches. Dans les deux cas, on cherche à limiter l’accès du nouvel employeur à la clientèle de l’ancien employeur par le biais du salarié. La différence réside dans ce que la clause impose au salarié.

Dans l’affaire qui a donné lieu à l’arrêt du 15 octobre 2014, était concernée une personne qui avait été engagée en 1978 par une société appartenant à un groupe EPC avant de travailler, de 2001 à 2009, pour une autre société de ce groupe, puis d’être licencié pour motif économique. Les fonctions, dans la seconde société, étaient celle de « directeur marketing-division explosifs industriels ».

La cour d’appel saisie du litige avait dit que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse, et le pourvoi formé par l’employeur sur ce point est rejeté. La cour d’appel avait constaté que l’employeur, n’ayant proposé aucun poste de reclassement, ne justifiait pas que le reclassement ne pouvait être opéré dans l’entreprise ou dans les entreprises du groupe auquel il appartenait, et avait légalement justifié sa décision.

Mais le salarié avait également formé un pourvoi en cassation, car il contestait l’arrêt d’appel en ce qu’il l’avait débouté de la demande d’indemnisation qu’il avait faite au titre de la clause de discrétion qui figurait dans son contrat de travail. Il soutenait que cette clause l’empêchait, à l’instar d’une clause de non concurrence, de retrouver un emploi, notamment en raison du fait qu’il avait toujours travaillé dans le même domaine d’activité sur lequel il y avait très peu d’intervenants et aussi parce que l’obligation de discrétion résultant de la clause n’était limitée ni dans le temps, ni dans l’espace.

La Chambre sociale rejette cependant le pourvoi en cassation et approuve la cour d’appel d’avoir déduit que la clause n’ouvrait pas droit à contrepartie financière dès lors que « la clause litigieuse ne portait pas atteinte au libre exercice par le salarié d’une activité professionnelle, mais se bornait à imposer la confidentialité des informations détenues par lui et concernant la société ». A contrario, une clause qui limiterait davantage la liberté de communication des informations détenues par le salarié, ou simplement la liberté d’utilisation du savoir acquis par lui auprès de son ancien employeur, serait assimilable à une clause de non-concurrence et supposerait une contrepartie financière due par l’employeur au salarié.

L’arrêt du 15 octobre est intéressant en ce qu’il permet de comprendre que les clauses qui supposent une contrepartie financière sont celles qui limitent la liberté du salarié après la cessation du contrat de travail. Cela vaut pour la clause de non-concurrence, on le savait depuis les arrêt de la Chambre sociale du 10 juillet 2002. Cela vaut pour la clause de non-réaffiliation qui interdirait à un franchisé toute activité (Cass. com., 31 janv. 2012, n° 11-11071, publié au Bull.). Cela vaudrait aussi pour une clause de confidentialité qui limiterait l’exercice de son activité par le salarié.

On complétera ces rapides observations en rappelant que l’article L. 1227-1 du Code du travail sanctionne de deux ans d’emprisonnement et 30.000 euros d’amende le fait pour un directeur ou un salarié de révéler ou de tenter de révéler un secret de fabrication. Ce texte sanctionné pénalement doit s’interpréter de manière restrictive; les sanctions pénales prévues par l’article L. 1227-1 ne concernent par conséquent pas un ancien salarié. Cela ne veut cependant pas dire que celui-ci puisse utiliser sans aucune limite les informations confidentielles dont il aurait eu connaissance auprès de son ancien employeur. Il faut sans doute distinguer entre l’utilisation du savoir-faire acquis auprès de son ancien employeur, que le salarié doit pouvoir utiliser librement en l’absence de restriction contractuelle, et la diffusion d’informations, à manier avec davantage de précautions.

V. aussi Cass. soc., 29 oct. 2014, où il était soutenu qu’une clause visait à garantir la confidentialité exigée par l’AMF des organismes de gestion financière, alors que les juges y voient une clause de non-concurrence: http://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechExpJuriJudi&idTexte=JURITEXT000029683208&fastReqId=27681599&fastPos=1.

Bruno DONDERO

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La prescription des crimes suspendue en cas d’obstacle insurmontable aux poursuites (Assemblée plénière de la Cour de cassation, 7 nov. 2014)

L’Assemblée plénière de la Cour de cassation, formation réunissant des magistrats de toutes les chambres de la Cour, vient de rendre le 7 novembre 2014 un arrêt important en matière de prescription pénale (n° 14-83739): http://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/assemblee_pleniere_22/613_14_30461.html .

Il est jugé par un attendu de principe que « si, selon l’article 7, alinéa 1er, du Code de procédure pénale, l’action publique se prescrit à compter du jour où le crime a été commis, la prescription est suspendue en cas d’obstacle insurmontable à l’exercice des poursuites ».

L’affaire qui a donné lieu à cette décision était terrible. Une aide-soignante avait étouffé huit enfants auxquels elle avait donné naissance, pour certains du fait d’une relation incestueuse. Parce qu’elle était obèse, les grossesses étaient passées inaperçues, y compris auprès de médecins consultés pour d’autres motifs. L’aide-soignante avait accouché chez elle, sans témoins, et avait supprimé les nouveau-nés de même, avant de dissimuler leurs corps. Personne ne connaissait donc l’existence des crimes.

Les infanticides ont eu lieu entre 1989 et 2006. La majorité d’entre eux ne pouvaient normalement plus être poursuivis. Et pourtant, l’arrêt de la Cour de cassation permet les poursuites. Pour comprendre la décision, il faut revenir sur le contexte juridique de la prescription (I) puis sur la solution formulée par l’arrêt (II).

I – Le contexte juridique de la prescription.

L’article 7 du Code de procédure pénale dispose qu’en matière de crime, l’action publique se prescrit en principe dix ans à compter du jour où le crime a été commis. Si pendant que ce délai de dix ans court, un acte d’instruction ou de poursuite est accompli, alors il repart à zéro.

Ce principe étant posé, la loi et la jurisprudence lui apportent des exceptions.

Le Code de procédure pénale prévoit une prescription par 20 ans pour certains crimes contre les mineurs. Notamment, les violences ayant entraîné une mutilation sont prescrites par 20 ans lorsque la victime est un mineur. Il semblerait logique que la règle s’applique à plus forte raison à l’infanticide, mais les textes ne disent rien à ce sujet.

La jurisprudence a créé par ailleurs une règle particulière en matière d’abus de biens sociaux et d’abus de confiance. Le dirigeant qui fait des prélèvements indus sur les comptes de la société en les dissimulant (en maquillant les comptes sociaux, en faisant passer la dépense pour une dépense licite, etc.) ne peut plus être poursuivi après l’écoulement d’un délai de 3 ans. Mais le point de départ prévu par l’article 8 du Code de procédure pénale qui devrait normalement être celui de la commission du délit est retardé par la Cour de cassation au jour de la découverte du délit, c’est-à-dire au jour où le délit a pu être constaté et faire l’objet de poursuites.

Ces exceptions complexifient le régime de la prescription. Elles obéissent cependant à des idées assez simples : a) plus l’infraction est grave, plus longtemps son auteur doit pouvoir être poursuivi, d’une part ; b) le fait de dissimuler son méfait ne doit pas mettre l’auteur à l’abri des poursuites, d’autre part.

II – La solution.

La prescription est une institution importante, en matière pénale comme en matière civile. Les droits de créance et vu de l’autre côté, les dettes, la responsabilité civile, la responsabilité pénale, tout cela se périme. Si l’on ne met pas en œuvre une prérogative juridique (demander son dû, rechercher la condamnation, etc.), celle-ci perd son efficacité au bout d’un certain temps. Cela a différentes utilités, et en pratique, l’écoulement du temps rend progressivement plus difficile le travail de la justice, parce que les preuves disparaissent, les témoins oublient, etc.

La Chambre criminelle décide cependant de créer une exception nouvelle à la prescription, pour « obstacle insurmontable », qui suspend le délai de prescription.

On rencontre une règle proche en matière civile, puisque l’article 2234 du Code civil dispose que « La prescription ne court pas ou est suspendue contre celui qui est dans l’impossibilité d’agir par suite d’un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure ». L’obstacle insurmontable retenu par l’Assemblée plénière en matière pénale est proche de la force majeure, qui doit être un fait irrésistible. Le Code civil a consacré ainsi l’adage « Contra non valentem agere non currit praescriptio », selon lequel la prescription ne court pas contre celui qui ne peut agir

La règle se comprend bien. La prescription traduit aussi le fait que celui qui pouvait exercer un droit, mettre en œuvre une poursuite, a renoncé à le faire. Cette inaction se traduit au bout d’un certain temps par la disparition du droit d’agir ou de poursuivre. Mais on ne peut considérer que la société a renoncé à poursuivre, s’agissant d’une infraction pénale, si la société est absolument dans l’ignorance de la commission de l’infraction.

Reste cependant à savoir si la Cour de cassation ne va pas voir sa solution critiquée au regard de l’exigence de sécurité juridique, à valeur constitutionnelle et conventionnelle (Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales). L’arrêt du 7 novembre est tout de même audacieux, puisqu’il introduit une exception assez large dans une règle qui doit être définie avec précision, si l’on veut conserver à notre système juridique le respect de l’exigence de sécurité juridique. L’obstacle insurmontable à l’exercice des poursuites, que peut-il être ? La dissimulation par l’auteur de l’infraction, rendant impossible la constatation de celle-ci, c’est une chose. Mais il faudra voir si les décisions qui suivront ne retiennent pas une conception extensive de la notion. Il ne faudrait pas, par exemple, que le manque de moyens chronique de la Justice en France soit vu comme un obstacle insurmontable, rendant de ce fait imprescriptible un certain nombre d’infractions.

Notons cependant que la solution de la Cour, qui est liée à l’article 7 du Code de procédure pénale, doit être limitée aux crimes, donc aux infractions les plus graves.

Bruno DONDERO

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La loi yaourt, à consommer dans les 3 jours qui suivent son ouverture… (abrogation du dispositif d’information des salariés de la loi ESS votée par le Sénat)

Le 5 novembre, le Sénat a adopté le projet de loi sur la simplification des entreprises, que l’Assemblée avait déjà adopté en première lecture le 22 juillet dernier: http://www.senat.fr/petite-loi-ameli/2014-2015/60.html

Un amendement particulier a été inséré par les Sénateurs, dans un article 12 A (qui vient avant l’article 12, ce qui surprend toujours).

Le projet de loi dispose:

« Article 12 A (nouveau)

I. – Les sections 3 et 4 du chapitre Ier du titre IV du livre Ier et le chapitre X du titre III du livre II du code de commerce, tels qu’ils résultent de la loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire, sont abrogés.

II. – L’article 98 de la loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014 précitée est abrogé.

III. – Les cessions de fonds de commerce ou de parts sociales, actions ou valeurs mobilières intervenues dans les cas prévus par les dispositions mentionnées au I avant la publication de la présente loi ne peuvent être annulées sur le fondement de ces dispositions.« 

C’est donc le dispositif d’information des salariés en cas de cession de leur entreprise, dont il a été beaucoup question ces derniers jours, qui est rayé d’un trait de plume, avec la précision que ce sont bien tels que ces textes résultent de la loi ESS qu’ils sont abrogés, au cas où l’on aurait un doute!

Politiquement, on peut discuter de l’opportunité du dispositif d’information qu’a mis en place la loi ESS. Nous n’ouvrons pas ce débat ici.

Juridiquement et économiquement, on peut trouver que le dispositif est beaucoup trop lourd, que la sanction de la nullité, même facultative, est très gênante, et l’on peut aussi penser que ce n’est que dans de rares cas que la loi atteindra ses objectifs, à savoir conduire les salariés à reprendre leur entreprise alors qu’ils ne l’auraient pas fait autrement. Ces rares cas méritent-ils que l’on impose à toutes les cessions de PME (entendues largement, comme on le sait) des contraintes et incertitudes telles qu’elles résultent de la loi ESS ?

Sans sacraliser la loi, on peut surtout être ému du fait qu’une loi dont le décret d’application a été publié mercredi 29 octobre et qui est effective depuis le lundi 3 novembre, voit son abrogation adoptée par le Sénat  le mercredi 5 novembre.

Le Sénat est bien entendu libre, au gré des orientations politiques, de voter l’abrogation de la loi, et l’Assemblée nationale sera libre de s’y opposer (on sait qu’en cas de désaccord, c’est elle qui aura le dernier mot). Mais le citoyen peut tout de même s’étonner du fait que la loi ait, aux yeux des politiques, une durée de validité inférieure à la date limite de consommation d’un yaourt… Certes, il ne faut pas garder une loi juste parce que c’est une loi et qu’il ne serait pas convenable d’abroger un texte dont l’encre est à peine sèche. Mais une fois que l’on a embarqué nos entreprises, nos salariés, et les professionnels qui les conseillent dans des dispositifs aussi compliqués, est-ce leur donner confiance en la loi que de leur dire que tout cela va disparaître prochainement ?  Conduit-on vraiment les citoyens à respecter la loi et à croire en elle dans ces conditions?

En conclusion, on pourra se demander si la plus mauvaise idée était celle de l’introduction du dispositif légal dans la forme retenue par la loi ESS, ou si c’est celle de son abrogation pure et simple…

Bruno DONDERO

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