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La justice commerciale filmée en direct… à l’Université Paris 1 Panthéon – Sorbonne

Ce lundi 24 novembre, je me livrerai pendant mon cours de droit des sociétés (Licence de droit, 3ème année) à une expérience pédagogique qui n’a pas encore été pratiquée, à ma connaissance: nous allons tenir une audience du Tribunal de commerce de Paris, sur un cas fictif (les faits de l’affaire sont reproduits ci-après), mais dans les conditions du réel.

Je recevrai dans l’amphithéâtre trois juges du Tribunal de commerce, qui sont Frank Gentin, Président du Tribunal de commerce de Paris, Didier Fahmy, président de la chambre de droit monétaire et financier et Laure Lavorel, juge de la chambre internationale.

Plaideront devant eux (et devant les étudiants) deux avocats, Me Annabelle Raguenet de Saint-Albin (counsel du cabinet Gide) et Me Stéphane Sylvestre.

Ils interrogeront et « cross examineront » devant les juges un témoin, rôle que M. Jean Gatty, président d’une société de gestion de portefeuille, a accepté de jouer.

Cette petite expérience permettra de montrer aux étudiants comment travaillent les avocats et les juges, de manière immédiate.

Parce que des caméras seront présentes et filmeront toute la séance, le fonctionnement de la justice commerciale française sera visible d’un écran d’ordinateur. Certes, ce n’est pas une affaire réelle qui sera jugée, mais à l’heure où l’on veut – une fois de plus – réformer les tribunaux de commerce, il n’est pas inutile d’avoir une idée de la manière dont fonctionne cette juridiction très importante dans la vie économique du pays. L’enregistrement, qui sera rendu accessible par l’Université Paris 1 dans les semaines qui suivront la séance en amphi, pourra ainsi servir aux étudiants, mais aussi aux professionnels, aux chercheurs et à tout justiciable curieux de voir vivre la justice.

L’affaire qui sera plaidée et jugée est la suivante:

La société BLINDAGES PALLADIUM est une société par actions simplifiée (SAS) qui commercialise des couvercles blindés, utilisés notamment dans la construction des chars d’assaut. Son chiffre d’affaires annuel est de 40 millions d’euros environ. Elle a eu besoin en 2011 d’un financement de cinq millions d’euros, que les associés présents (une famille de la région orléanaise) ne pouvaient fournir, et que les banques contactées ont refusé de donner, sauf à des conditions qui ne convenaient pas à BLINDAGES PALLADIUM.

C’est finalement un fonds d’investissement, FRANCE PARTENAIRES, qui a accepté d’apporter les sommes requises (des extraits du contrat d’investissement ont été communiqués aux étudiants).

La société BLINDAGES PALLADIUM a utilisé le financement, mais les contrats qu’elle a obtenus (essentiellement la fourniture de couvercles blindés à des Etats étrangers pour équiper leurs chars) n’ont pas été aussi rentables que les dirigeants de la SAS l’espéraient. Le résultat a été négatif en 2011, 2012 et 2013, même si 2014 devrait être un exercice légèrement bénéficiaire.

FRANCE PARTENAIRES vient cependant de présenter par le biais de son avocat Me Annabelle RAGUENET de SAINT-ALBIN une demande de remboursement immédiat de la somme de cinq millions d’euros, augmentés des intérêts (montant : 12,35%/an, avec capitalisation annuelle des intérêts, qui produisent donc eux-mêmes des intérêts).

FRANCE PARTENAIRES a saisi le Tribunal de commerce de Paris de sa demande. L’avocate du fonds est accompagnée du dirigeant de celui-ci, M. Jean GATTY.

BLINDAGES PALLADIUM est représentée par son avocat, Me Stéphane SYLVESTRE.

Question juridique centrale :

Quelle est la qualification à donner au financement apporté à BLINDAGES PALLADIUM par FRANCE PARTENAIRES : apport en capital ou prêt ?

Bruno DONDERO

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La franchise participative

A la Faculté de droit de l’Université de Montpellier s’est tenu le vendredi 12 septembre 2014 un colloque consacré à la franchise. L’un des thèmes abordés était celui du franchisé personne morale, et c’est l’occasion de revenir ici sur cette question et sur celle d’une pratique assez peu connue, qui est celle de la « franchise participative ». Il faut rappeler ce qu’est la franchise avant de comprendre comment fonctionne la franchise participative.

La franchise.

La situation « normale » voit un franchiseur proposer à d’autres personnes, entrepreneurs indépendants, d’intégrer un réseau et de devenir ses franchisés. Le franchiseur va signer avec eux un contrat, le contrat de franchise, et éventuellement d’autres conventions, comme un contrat d’approvisionnement. Les franchisés vont ainsi bénéficier de la possibilité d’exploiter la marque du franchiseur, ils vont bénéficier de la transmission de son savoir-faire, et ils vont pouvoir exploiter de ce fait la clientèle du franchiseur. Le franchiseur va de son côté recevoir des franchisés le paiement de différentes sommes, souvent un droit d’entrée, et des redevances, calculées généralement en fonction du chiffre d’affaires du franchisé. Le franchisé n’est pas le salarié du franchiseur, même s’il doit respecter les consignes liées à l’appartenance au réseau, et les salariés du franchisé sont ses salariés, et non ceux du franchiseur. Franchiseur et franchisé sont des entreprises distinctes, même si le franchisé exploite, à son niveau, niveau local, la clientèle du franchiseur. On évoque parfois une situation d’indivision sur la clientèle.

Le franchisé est une personne physique, mais il peut également être une personne morale, SARL par exemple, parce qu’il souhaite organiser son entreprise sous forme de société ou parce que le franchiseur le lui demande pour intégrer son réseau.

La franchise participative.

La franchise participative voit le franchiseur participer au capital de la société du franchisé – c’est-à-dire pour être exact, au capital de la société franchisée, puisque c’est cette société qui est partie au contrat de franchise.

Il est aussi possible que le franchiseur  ait constitué lui-même la société franchisée, qu’il ait conclu avec cette société le contrat de franchise, et que la personne qui souhaite intégrer le réseau du franchiseur se voie proposer non pas la signature d’un contrat de franchise mais celle d’une convention d’acquisition de parts sociales ou d’actions. Celui qui aurait été le franchisé, si le franchiseur n’avait pas constitué de société, va du coup ne jamais acquérir cette qualité de franchisé, mais simplement celle d’associé majoritaire d’une société, qui elle est franchisée. Le nouvel entrant dans le réseau va acheter un certain nombre d’actions ou de parts sociales et être majoritaire. Il va aussi diriger la société franchisée. On utilise ainsi le mécanisme de la société, non pour remplacer complétement le contrat de franchise, mais pour structurer la relation du franchiseur et de celui qui aurait, sinon, été son franchisé.

Ainsi, notre dirigeant et associé majoritaire va être accompagné d’un associé minoritaire qui est le franchiseur ou une société de son groupe. Les statuts ou un pacte d’associés pourront donner plus de pouvoirs à ce minoritaire, notamment en subordonnant certaines décisions importantes, comme celle de quitter le réseau, à l’accord du minoritaire.

Ce système comporte des avantages pour les deux parties, car la société franchisée obtiendra plus facilement du crédit que le franchisé n’en aurait obtenu seul ; le franchiseur pourra de son côté voir fonctionner la société franchisée de l’intérieur et s’assurer de la bonne exécution du contrat de franchise.

Il faut cependant comprendre que ce dispositif comporte aussi des inconvénients. Le franchisé doit composer avec son associé, certes minoritaire. En cas de difficulté, le franchisé pourra être écarté plus rapidement, car ce ne sera pas à une rupture du contrat de franchise que procédera le franchiseur, mais à un rachat des parts ou des actions de la société franchisée, ce qui pourra être facilité par les statuts, le pacte ou des conventions particulières. Le franchiseur s’expose aussi à des risques, comme celui d’être vu comme dirigeant de fait de la société franchisée et plus généralement de devoir agir dans l’intérêt de cette société dont il est l’associé.

Le mécanisme de la franchise participative n’est pas interdit, mais il a été fragilisé par une décision de la Cour de cassation du 30 mai 2012 non publiée au Bulletin (http://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000025963671&fastReqId=1067137526&fastPos=2) et par un avis de l’Autorité de la concurrence qui avait recommandé l’encadrement des prises de participation du franchiseur dans le capital du franchisé.

Bruno DONDERO

V. sur le sujet: L’instrumentalisation du droit des sociétés: la franchise participative, La semaine juridique, éd. E, 15 nov. 2012, n° 46

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Mise en examen de Christine Lagarde: le fondement juridique

Les dépêches tombent parlant de mise en examen de Mme Christine Lagarde pour « négligence » dans l’affaire de l’arbitrage Tapie. La « négligence » en tant que telle n’est cependant pas un délit pénal (sinon les tribunaux correctionnels seraient assaillis de procès en « négligence »!).

Le texte qui fonde la mise en examen de Mme Lagarde est l’article 432-16 du Code pénal.

C’est un texte sévère, car il sanctionne une négligence commise, notamment, par une personne dépositaire de l’autorité publique dans l’exercice de ses fonctions.

L’article 432-16 ne se comprend que lu avec l’article 432-15.

L’article 432-15 du Code pénal dispose que « Le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public, un comptable public, un dépositaire public ou l’un de ses subordonnés, de détruire, détourner ou soustraire un acte ou un titre, ou des fonds publics ou privés, ou effets, pièces ou titres en tenant lieu, ou tout autre objet qui lui a été remis en raison de ses fonctions ou de sa mission, est puni de dix ans d’emprisonnement et d’une amende de 1 000 000 €, dont le montant peut être porté au double du produit de l’infraction« . 

L’article 432-15 est ainsi une sorte d’abus de confiance ou d’abus de biens sociaux (ABS) touchant les dirigeants publics. Le fait de détourner des fonds de manière intentionnelle est lourdement condamné.

Mais l’article 432-16 du Code pénal prévoit un autre délit, qui est assez sévère, puisque ce texte dispose que « Lorsque la destruction, le détournement ou la soustraction par un tiers des biens visés à l’article 432-15 résulte de la négligence d’une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public, d’un comptable public ou d’un dépositaire public, celle-ci est punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende« .

En somme, et à la différence d’un ABS qui ne pourrait être sanctionné pénalement en cas de simple négligence, les dirigeants publics encourent des sanctions pénales lorsque des fonds sont « détruits, détournés, ou soustraits par un tiers » uniquement à cause de la négligence, c’est-à-dire du manque d’attention apporté par le dirigeant à sa mission. Il s’agit donc d’un délit non intentionnel.

Il faut encore évoquer un texte du Code pénal pour bien comprendre la situation: l’article 121-3.

Celui-ci dispose qu’ « Il y a également délit, lorsque la loi le prévoit, en cas de faute d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, s’il est établi que l’auteur des faits n’a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait.

Dans le cas prévu par l’alinéa qui précède, les personnes physiques qui n’ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n’ont pas pris les mesures permettant de l’éviter, sont responsables pénalement s’il est établi qu’elles ont, soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’elles ne pouvaient ignorer« .

En somme, il faudra établir que Mme Lagarde n’a pas accompli les diligences normales attendues d’elle dans cette situation particulière que constituait le litige avec Bernard Tapie. Dans Le Figaro du 28 août, l’avocat de Mme Lagarde est cité: « dans le Code pénal, ce délit s’applique au secrétaire de mairie qui emporte chez lui des dossiers par mégarde, c’est dire!« . C’est en effet une possible application de ce délit, qui est comme on l’a dit sévère, parce qu’il sanctionne des négligences, avec la subjectivité que cela implique. 

Comme je l’avais déjà indiqué au Point.fr, dans l’affaire de l’arbitrage Tapie, le préjudice moral très important reconnu par la sentence arbitrale à M. Tapie reste un élément peu compréhensible pour le juriste, d’autant que les délits de presse qui étaient à l’origine du préjudice moral, en admettant qu’ils aient existé, étaient sans doute très largement prescrits.

Bruno Dondero

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