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La déclaration des bénéficiaires effectifs doit indiquer le pourcentage de capital détenu (CA Lyon, 12 sept. 2019)

Sur une impulsion européenne, des millions de sociétés françaises ont été contraintes, depuis le 1er avril 2018, de déclarer leurs bénéficiaires effectifs, c’est-à-dire les personnes physiques profitant de l’activité de la société ou exerçant une influence sur elle. Cette obligation a déjà été évoquée ici, notamment pour s’étonner des coûts qu’elle implique pour les sociétés qui y sont tenues, et qu’on ne recoure pas à une automatisation des déclarations.

Vient d’être portée à notre connaissance le premier arrêt d’appel rendu sur la question.

La décision est accessible ici: CA Lyon 12 IX 2019 BE

Cette décision répond à la question de savoir jusqu’où le déclarant doit aller dans l’indication de la situation du bénéficiaire effectif.

I – Rappel du dispositif concerné et de la question.

Les dispositions du Code monétaire et financier imposent à la société de déposer au greffe du tribunal « un document relatif au bénéficiaire effectif contenant les éléments d’identification et le domicile personnel de ce dernier ainsi que les modalités du contrôle qu’il exerce ».

La question s’était déjà posée de savoir comment ces « modalités du contrôle » devaient être interprétées.

Deux interprétations sont possibles :

  • Interprétation 1 : il suffit d’indiquer qu’une personne est bénéficiaire effectif en rattachant cette qualité à l’une des situations visées par les textes, mais sans précision particulière.

Par exemple, on indiquera qu’une personne est bénéficiaire effectif car elle « détient directement plus de 25% du capital » ou « exerce un pouvoir de contrôle sur la société au sens du 4° du I de l’article L. 233-3 du Code de commerce ».

 

  • Interprétation 2 : il faut indiquer précisément la situation du bénéficiaire effectif, en donnant les détails de cette situation.

Par exemple, on indiquera que le bénéficiaire effectif « détient directement 43% des actions émises par la société », ou bien qu’il « est actionnaire à hauteur de 2% du capital social et dispose en vertu d’un pacte d’actionnaires en date du XX XX 20XX du pouvoir de nommer 2/3 des administrateurs de la société ».

 

La différence est importante, et il y a plusieurs conséquences à retenir l’Interprétation 2.

Tout d’abord, la charge de travail imposée à la société déclarante est plus lourde si l’on retient l’Interprétation 2.

Ensuite, si l’on impose à la société de fournir une information détaillée, on peut supposer que l’information doit être actualisée lorsque la situation change. Par exemple une évolution du nombre d’actions détenues, ou une évolution du capital social de la société, devrait imposer de procéder à une modification de la déclaration.

Enfin, les informations données seront accessibles à différentes personnes, et ce mouvement va s’accélérer puisque la directive  2018/843 du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2018, qui doit être transposée le 10 janvier 2020 au plus tard, rend ces informations accessibles au public.

Alors que c’est aujourd’hui la « personne justifiant d’un intérêt légitime et autorisée par le juge commis à la surveillance du registre du commerce et des sociétés » qui peut avoir accès aux informations sur les bénéficiaires effectifs, ce sera prochainement, aux termes de l’article 20 bis de la directive de 2018, « tout membre du grand public« . Cette directive précise d’ailleurs: « Les personnes visées au point c) sont autorisées à avoir accès, au moins, au nom, au mois et à l’année de naissance, au pays de résidence et à la nationalité du bénéficiaire effectif, ainsi qu’à la nature et à l’étendue des intérêts effectifs détenus« .

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Comment le groupe Picsou va-t-il faire pour déclarer ses bénéficiaires effectifs?

II – La solution majoritairement retenue : Interprétation 2.

Une première décision, rendue par le Tribunal de commerce de Bobigny, et dont nous avions parlé ici, avait privilégié l’Interprétation 2.

En revanche, une décision du TGI de Marseille en date du 25 juin 2019 a jugé qu’en l’absence d’indication d’un pourcentage précis dans les textes, les exigences du greffier, qui avait rejeté la déclaration faite conformément à l’Interprétation 1, étaient « certes conformes à l’esprit de la loi », mais étaient « néanmoins allées au-delà de ce que la loi a strictement prévu ». La déclaration avait donc été jugée conforme à la loi.

La décision rendue par la Cour d’appel de Lyon le 12 septembre 2019 retient quant à elle l’Interprétation 2, à la suite d’une décision du Tribunal de commerce de Saint-Etienne du 14 février 2019 statuant dans le même sens, et l’arrêt de la juridiction lyonnaise appelle trois commentaires.

Tout d’abord, l’Interprétation 2 n’est pas réellement justifiée, si ce n’est par le fait que les bénéficiaires effectifs sont dans des situations très variables, et que l’indication du pourcentage de détention doit permettre de distinguer l’associé qui ne détient qu’une minorité de blocage de l’associé majoritaire, soit.

Ensuite, l’argument du coût supporté par la société déclarante, tenue d’actualiser la déclaration en cas d’évolution de la situation, n’est pas retenu. « La nécessité de telles démarches au coût d’ailleurs relatif (entre 23,71 € et 54,51 € l’acte tels que justifiés par la requérante) ne peut jamais exclure l’application d’une exigence légale »…

Enfin, la décision est la première à notre connaissance à s’intéresser à la valeur juridique d’une opinion du comité juridique de l’Association nationale des sociétés par actions (ANSA). Ce comité juridique avait rendu un avis écartant l’Interprétation 2 au profit de l’Interprétation 1, mais il est jugé que la société déclarante « ne peut pas se référer à l’avis du Comité juridique de l’ANSA du 7 novembre 2018 n° 18-054 qui n’a pas la valeur d’une norme contraire ».

 

III – Et ensuite?

Si les textes n’imposent pas de retenir l’une ou l’autre des interprétations, on peut se demander tout de même si, une fois le bénéficiaire effectif identifié et déclaré, et une fois indiqué dans quelle situation générale il se trouve, il est réellement utile de préciser encore toutes les particularités de sa situation.

Retenons enfin que l’on s’est jusqu’à présent interrogé sur la question du pourcentage de détention, mais l’étape suivante ne pourrait-elle voir les greffiers exiger communication, par exemple, des informations relatives à un pacte d’actionnaires, pour mieux faire comprendre la situation d’un bénéficiaire effectif?

Bruno DONDERO

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Nouvelles juridiques de la semaine: EIRL, Jean-Marie Le Pen, documentaires d’avocat

Pour qui s’intéresse au droit, on signalera trois « nouvelles juridiques » intéressantes de ces derniers jours.

 

L’EIRL devant la Cour de cassation (Cass. com., 7 févr. 2018)

La Cour de cassation a rendu son premier arrêt sur l’Entrepreneur Individuel à responsabilité Limitée (EIRL). Cette création du législateur remonte à 2010, et l’idée est assez étonnante. L’entrepreneur individuel, qui n’a pas choisi de constituer une société, peut fractionner son patrimoine et créer par une déclaration à un registre de publicité légale (registre du commerce et des sociétés, notamment) un ou plusieurs patrimoines affectés à une activité professionnelle. Notre entrepreneur se trouve alors à la tête de plusieurs patrimoines en principe étanches, ce qui doit empêcher que les créanciers de son activité professionnelle saisissent les biens qui relèvent de la sphère personnelle de l’entrepreneur, par exemple sa résidence secondaire (la résidence principale est protégée depuis la loi Macron du 6 août 2015 – art. L. 526-1 et s. du Code de commerce).

En 2010, beaucoup de commentateurs se sont interrogés sur la pertinence de créer une nouvelle structure juridique pour l’entreprise, là où les sociétés unipersonnelles comme l’EURL devraient déjà donner une sécurité patrimoniale et une organisation suffisantes aux entrepreneurs.

On se demandait qui avait pu se constituer EIRL. Les allergiques aux sociétés? Des personnes mal intentionnées souhaitant organiser leur insolvabilité avec un patrimoine professionnel affecté garni simplement de dettes? Quoiqu’il en soit, cette institution juridique hybride n’a séduit – on ne sait pas trop comment – que quelques milliers de personnes, et vraisemblablement toujours pour de très petites entreprises. C’est un peu le paradoxe de l’EIRL: l’institution soulève des questions juridiques redoutables, et les enjeux économiques seront sans doute toujours faibles et concernent des entreprises en « faillite ».

Mon collègue et ami Didier Valette peut à juste titre qualifier l’EIRL de « yéti » du droit des entreprises: tous en parlent, mais on ne l’a jamais vu!

 

La Cour de cassation a vu ce yéti, et elle a rendu son premier arrêt sur l’EIRL le 7 février 2018. L’arrêt, destiné à publication aux Bulletins et déjà mis en ligne sur le site de la Cour, juge que  le dépôt d’une déclaration d’affectation ne mentionnant aucun des éléments affectés au patrimoine personnel constitue un manquement grave, de nature à justifier la réunion des patrimoines, par application de l’article L. 526-12 du Code de commerce. L’entrepreneur se trouve alors responsable de son passif professionnel sur la totalité de ses biens, donc y compris des biens qui n’étaient pas affectés à cette activité. Son compte bancaire personnel pourra donc faire l’objet d’une saisie par exemple.

Jean-Marie Le Pen exclu du Front national… mais président d’honneur quand même

Les partis politiques sont des groupements proches des associations soumises à la loi de 1901, voire sont des associations de ce type. Les problématiques juridiques qu’ils rencontrent sont assez classiques, comme nous l’avions vu par exemple avec le quorum du bureau politique des Républicains.

Le Front national avait exclu, après différents démêlés, Jean-Marie Le Pen qui après avoir été le premier président du mouvement, en était devenu « président d’honneur ».

Cela ne correspond pas à un statut légal, mais à une création des rédacteurs des statuts de cette association politique.

M. Le Pen avait contesté la décision en justice, et la Cour d’appel de Versailles lui a donné tort par un arrêt du 9 février 2018, confirmant la décision de première instance.

Simplement, les magistrats versaillais ont précisé que l’exclu pouvait toujours être président d’honneur. La fonction disparaît dans les nouveaux statuts qui ont été adoptés par le bureau politique le 23 janvier… mais n’ont pas encore été adoptés par les adhérents, qui doivent se réunir en « congrès » les 10 et 11 mars.

Se posera la question de la possibilité pour M. Le Pen de participer au congrès, au moins pour présenter les arguments excluant selon lui que l’on mette fin à la fonction de président d’honneur. Il est vrai que ce n’est pas une « révocation », mais ne faut-il pas respecter les « droits de la défense » ?

 

Les documentaires d’avocat

La question des rapports entre la justice et la vidéo est passionnante. La justice est rendue publiquement en France, mais elle n’est généralement pas filmée, ce qui réduit drastiquement son audience. On sent bien, à voir le succès des scènes de prétoire dans les films ainsi que des documentaires sur la justice, qu’il y a en France une curiosité profonde, un besoin de savoir comment la justice est rendue.

L’Université contribue parfois à ce mouvement. A Paris 1 Panthéon-Sorbonne, nous avions ainsi fait entrer le Tribunal de commerce de Paris dans l’amphithéâtre du cours de droit des sociétés de 3ème année il y a quelque temps. Une audience sur un cas fictif et lié au cours avait été tenue au milieu des étudiants, avec des plaidoiries d’avocats et un délibéré rapide des juges. Nous en avions tiré des vidéos pédagogiques.

Le cheminement inverse est aussi à l’œuvre. On apprend ainsi à la lecture du Magazine du Monde que les avocats américains adressent aux juges, dans les affaires pénales, des vidéos destinées à humaniser leur client, en le présentant sous un jour favorable, avec des interviews de ses proches, des photos de son enfance, etc.

D’après les personnes interrogées par le journal, ces documentaires produisent la plupart du temps leur effet, en permettant d’obtenir une décision plus favorable.

On imagine aisément que l’avocat joue un rôle important dans la conception du documentaire, et c’est normal puisque c’est généralement la liberté de son client qui est en jeu.

Alors, réalisateur de films judiciaires: un nouveau métier du droit ?

Bruno DONDERO

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L’effet immédiat de la loi nouvelle (Cass. civ. 3ème, 9 févr. 2017, n° 16-10350)

L’arrêt rendu par la troisième Chambre civile de la Cour de cassation le 9 février dernier a suscité l’intérêt de plusieurs commentateurs, et il mérite certainement qu’on le lise avec attention.

Un auteur, sur un blog référencé par l’Express, intitule son commentaire : « La Cour de cassation bouscule la réforme du droit des contrats ». Du coup, j’ai relu l’arrêt, que j’avais vu passer sur le blog de mon cher collègue Daniel Mainguy, avec plus d’attention.

L’arrêt sera publié aux deux Bulletins de la Cour de cassation, et il a été mis en ligne sur son site internet.

Il n’est cependant pas, à mon sens, si inquiétant que cela.

I – Que dit l’arrêt ?

L’arrêt est relatif à l’application d’une disposition du Code de commerce, l’article L. 145-7-1. Ce texte est issu d’une loi du 22 juillet 2009, et il dispose que « Les baux commerciaux signés entre les propriétaires et les exploitants de résidences de tourisme mentionnées à l’article L. 321-1 du code du tourisme sont d’une durée de neuf ans minimum, sans possibilité de résiliation à l’expiration d’une période triennale ».

Il vient déroger à l’article L. 145-4, qui prévoit quant à lui que « La durée du contrat de location ne peut être inférieure à neuf ans. Toutefois, le preneur a la faculté de donner congé à l’expiration d’une période triennale, au moins six mois à l’avance, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou par acte extrajudiciaire (…) ».

En 2009, est donc apparue une règle particulière pour les baux relatifs à une résidence de tourisme.

Avant 2009, il était possible au bailleur de mettre fin au bail tous les trois ans.

Après 2009, cela n’est plus possible, puisque l’article L. 145-7-1 nouvellement créé écarte cette possibilité.

La question posée à la Cour de cassation était celle de savoir quel était le régime de la résiliation d’un bail conclu antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi de 2009, et encore en cours à cette date.

Deux baux relatifs à des appartements situés dans une résidence de tourisme étaient conclus en 2007. Le 26 décembre 2012, la locataire donnait congé pour le 1er juillet 2013, à l’expiration de la deuxième période triennale.

Le bailleur estimait que le congé était nul, la locataire ne pouvant résilier les baux.

La cour d’appel validait les congés, en retenant que « les baux, conclus avant l’entrée en vigueur de l’article L. 145-7-1 du code de commerce, sont régis par les dispositions de l’article L. 145-4 du même code prévoyant une faculté de résiliation triennale pour le preneur » et que « l’article L. 145-7-1 créé par la loi du 22 juillet 2009, qui exclut toute résiliation unilatérale en fin de période triennale pour l’exploitant d’une résidence de tourisme, n’est pas applicable au litige ».

Son arrêt est cassé pour violation de l’article L. 145-7-1 du Code de commerce, issu de la loi du 22 juillet 2009, et de l’article 2 du Code civil.

Rappelons que l’article 2 du Code civil dispose : « La loi ne dispose que pour l’avenir ; elle n’a point d’effet rétroactif ».

La Cour de cassation juge par un attendu de principe que « l’article L. 145-7-1 précité, d’ordre public, s’applique aux baux en cours au jour de son entrée en vigueur ».

Donc, dès lors que les baux étaient en cours au 25 juillet 2009, date d’entrée en vigueur de la loi, ils étaient soumis au texte nouveau, et la résiliation ne pouvait plus intervenir à l’expiration d’une période triennale.

II – Pourquoi il n’est pas particulièrement inquiétant ?

Qui conclut un bail relatif à une résidence de tourisme en 2007 pense pouvoir résilier son contrat tous les trois ans. Simplement, quand la loi de 2009 est promulguée, voici qu’il serait privé de cette possibilité.

Commençons par dire qu’il n’y a pas là, selon nous, d’application rétroactive de la loi nouvelle. La loi nouvelle ne remet aucunement en cause la validité d’un bail antérieurement conclu.

Simplement, il y a application de la loi nouvelle à un bail conclu antérieurement. C’est ce que l’on appelle l’effet immédiat de la loi nouvelle.

En matière contractuelle, le principe est que le contrat reste soumis au droit en vigueur au jour de sa conclusion.

Mais la loi nouvelle peut venir régir les effets du contrat conclu antérieurement à son entrée en vigueur dans deux cas :

  • soit quand ce sont les « effets légaux » du contrat qui sont en cause ;
  • soit quand la loi nouvelle est vue comme relevant d’un ordre public justifiant son application immédiate.

Il n’apparaît pas si choquant que cela de voir le régime de certains baux encadré et modifié par le législateur.

Enfin, s’agissant de la réforme du droit des contrats, je ne crois pas que l’arrêt conduise à remettre en cause la règle, clairement formulée par l’article 9 de l’ordonnance du 10 février 2016, selon laquelle les contrats conclus avant le 1er octobre 2016 demeurent soumis à la loi ancienne.

Bruno DONDERO

 

 

 

 

 

 

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L’ « ami » sur les réseaux sociaux devant la Cour de cassation

La deuxième Chambre civile de la Cour de cassation vient de rendre un arrêt intéressant (Cass. civ. 2ème, 5 janv. 2017, n° 16-12394), qui concerne l’impact des réseaux sociaux. Ce n’est pas l’opinion que l’on peut exprimer sur son mur Facebook ou par un tweet dont il était question, mais la relation d’ « ami » sur les réseaux sociaux (le réseau visé précisément dans l’affaire n’est pas mentionné par l’arrêt).

Il est en effet possible que cette relation soit connue des tiers. X peut ainsi découvrir que Y est ami avec Z. Si X et Y sont adversaires dans un procès, et que Z est le juge appelé à trancher ce procès, on comprendra l’émotion de X lorsqu’il apprendra que le juge Z est ami – ne serait-ce que sur Facebook ! – avec son adversaire Y, ou bien avec son avocat Y’.

La Cour de cassation intervient dans une affaire de ce type, qui concernait l’impact d’une relation d’ « ami » sur un réseau social sur le devoir d’impartialité qui pèse sur les magistrats (en l’occurrence, il ne s’agissait pas de magistrats professionnels, mais d’avocats, membres de l’instance disciplinaire compétente pour statuer sur les manquements à la déontologie).

Voyons l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt (I), puis l’arrêt lui-même (II), avant d’évoquer quelques éléments de comparaison (III).

I – L’affaire ayant donné lieu à l’arrêt de la Cour de cassation.

Un avocat avait fait l’objet de poursuites devant le Conseil de l’Ordre des avocats, siégeant comme conseil de discipline. Il avait saisi la Cour d’appel de Paris d’une demande de récusation de plusieurs des membres de cette instance, avocats comme lui, en invoquant qu’ils étaient « des amis sur les réseaux sociaux de l’autorité de poursuite ainsi que de la plaignante ».

La Cour d’appel de Paris, par un arrêt du 17 décembre 2015 (RG n° 15/23692), rejette la demande de récusation.

Il est jugé que :

« …ce terme d’ami employé pour désigner les personnes qui accepte[nt] d’entrer en contact par les réseaux sociaux ne renvoie pas à des relations d’amitié au sens traditionnel du terme et l’existence de contacts entre ces différentes personnes sur le web ne suffit pas à caractériser une partialité particulière, le réseau social étant simplement un moyen de communication spécifique entre des personnes qui partagent les mêmes centres d’intérêt, et en l’espèce la même profession. Aussi le seul fait que les personnes objet de la requête soient des ‘amis’ du bâtonnier, autorité de poursuite, ne constitue pas une circonstance justifiant d’entreprendre des vérifications ».

Et aussi que le demandeur « verse aux débats un message électronique dans lequel Mme H. proposait à M. S. de devenir l’ami de M Jérôme M., désigné en qualité de rapporteur mais ce fait ne concerne pas les membres de la formation de jugement ».

L’avocat saisissait alors la Cour de cassation qui rendait une décision de rejet.

II – L’arrêt de la Cour de cassation.

L’arrêt de la Cour de cassation a été publié aujourd’hui même 5 janvier sur le site de cette juridiction, ce qui montre sa volonté de donner une large diffusion à l’arrêt (seule une petite fraction des arrêts de la Cour bénéficie d’une telle publicité).

Il est intéressant de constater que la Cour de cassation ne prend pas position sur la question, puisqu’elle juge que « c’est dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation de la pertinence des causes de récusation alléguées que la cour d’appel a retenu que le terme d’ « ami » employé pour désigner les personnes qui acceptent d’entrer en contact par les réseaux sociaux ne renvoie pas à des relations d’amitié au sens traditionnel du terme et que l’existence de contacts entre ces différentes personnes par l’intermédiaire de ces réseaux ne suffit pas à caractériser une partialité particulière, le réseau social étant simplement un moyen de communication spécifique entre des personnes qui partagent les mêmes centres d’intérêt, et en l’espèce la même profession ».

La Cour de cassation ne formule donc pas de solution de principe sur le sujet.

Elle aurait pu juger que la relation entre des « amis » Facebook manifeste une véritable proximité, à la différence du réseau LinkedIn… ou l’inverse ! Mais elle ne prend pas position.

Cela signifie donc qu’une autre juridiction pourra adopter une position différente, et juger, pourquoi pas, que le lien entre des « amis » sur un réseau social qui demande un « consentement réciproque », comme Facebook ou LinkedIn, équivaut à une vraie relation d’amitié, à la différence de la relation entre le follower sur Twitter et celui qu’il suit (s’il n’y a pas de réciprocité, du moins).

III – Eléments de comparaison.

D’autres décisions ont déjà abordé ces questions, en France ou à l’étranger.

Un arrêt de la Cour d’appel de Lyon en date du 11 mars 2014, évoqué sur Twitter par mon collègue Didier Valette, était saisi de la question de l’impartialité du président d’un tribunal arbitral, qui était « ami » sur Facebook avec l’avocat qui conseillait l’une des parties.

Il était jugé que « En ce qui concerne M. X [président du tribunal arbitral], qui est avocat au barreau de Paris, le soutien que lui a apporté Me Y, sur le réseau social «facebook» à l’occasion d’élections organisées au sein barreau de Paris, l’a été un an après l’arbitrage et de ce fait n’est pas susceptible de créer en tant que tel un doute raisonnable sur l’impartialité ou l’indépendance de cet arbitre à l’égard de la société Z ».

On se souviendra aussi de cette affaire belge relayée par la presse, qui avait vu en 2015 le Conseil Supérieur de la Justice (CSJ) déclarer fondée la plainte d’un justiciable qui avait remarqué que le juge qui l’avait condamné à verser une pension alimentaire à son ex-épouse était ami sur Facebook avec l’avocat de celle-ci. La décision avait fait appel à l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et des libertés fondamentales, reconnaissant un droit au procès équitable. Etait également invoquée la nécessité d’une objectivité apparente de la justice : il ne faut pas seulement que la justice soit rendue de manière impartiale, mais il faut aussi que cette impartialité soit apparente. Or, ce n’est pas le cas si des relations personnelles impliquant le juge – la décision évoque même l’ « intimité » du juge avec l’avocat de l’ex-épouse du plaignant – sont connues et font penser que la décision de justice a été influencée par ces relations.

Rappelons pour conclure que des textes demandent généralement à celui qui est appelé à juger une affaire d’être impartial. Si ces textes ne visent pas (ou pas encore) expressément les réseaux sociaux, les juges et les personnes visées auront intérêt à rester prudents et à ne pas accepter dans leur réseau les personnes dont ils seraient amenés à juger les affaires. Le problème est le même qu’avec les relations d’amitié réelles, du moins en apparence. J’entends par là que la relation sur les réseaux sociaux pourra donner lieu à interrogation car elle donne une apparence de partialité. On peut être « ami » sur Facebook avec ses vrais amis, mais on peut aussi l’être avec des inconnus, et il appartiendra alors au juge de démontrer qu’il ne connaissait pas cette personne. « Mon ami Facebook n’est pas mon ami », en somme…

Bruno DONDERO

 

 

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L’administrateur geek et la loi Sapin 2

Le projet de loi Sapin 2 (loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016) comportait, dans la version adoptée en lecture définitive par l’Assemblée nationale, au sein de son Titre VII intitulé « De l’amélioration du parcours de croissance pour les entreprises », un article 134. Celui-ci entendait ajouter un alinéa à l’article L. 225-18 du Code de commerce, disposition relative à la désignation des administrateurs.

Cet alinéa disposait que « L’assemblée générale ordinaire peut désigner un administrateur chargé du suivi des questions d’innovation et de transformation numérique ». Le Conseil constitutionnel a toutefois censuré l’alinéa que le législateur entendait consacrer à « l’administrateur numérique », par sa décision n° 2016-741 DC du 8 décembre 2016.

Ce faisant, le Conseil constitutionnel apparaît remettre en cause ce qui aurait été une manifestation supplémentaire du courant de diversification des administrateurs (I). Sa décision mérite cependant d’être examinée de plus près (II). On formulera enfin quelques observations complémentaires (III).

I – Le courant de diversification des administrateurs.

Le conseil d’administration avait été pensé, aux termes de la loi du 24 juillet 1966, comme un organe collégial. Dans cet organe, pas une tête ne devait dépasser, à l’exception de celle du président du conseil. Cette approche était tout de même à nuancer, puisque l’attribution de missions particulières à tel ou tel administrateur était expressément prévue par des textes légaux ou réglementaires.

L’article L. 225-46 du Code de commerce disposait déjà qu’ « Il peut être alloué, par le conseil d’administration, des rémunérations exceptionnelles pour les missions ou mandats confiés à des administrateurs ». Surtout, l’article R. 225-49 du Code de commerce prévoyait que « Le conseil d’administration peut conférer à un ou plusieurs de ses membres ou à des tiers, actionnaires ou non, tous mandats spéciaux pour un ou plusieurs objets déterminés », dans un premier alinéa, le second alinéa étant quant à lui relatif à la création de comités spécialisés. Rappelons enfin que le Code Afep-Medef énonce que « Lorsque le conseil décide de confier des missions particulières à un administrateur, notamment en qualité d’administrateur référent ou de vice-président, en matière de gouvernance ou de relations avec les actionnaires, ces missions ainsi que les moyens et prérogatives dont il dispose, sont décrites dans le règlement intérieur (…) » (art. 6.3).

La diversification des administrateurs est cependant un phénomène qui a été croissant ces dernières années, puisque, au sein du conseil, on a vu apparaître des administrateurs qui se fondent moins que les autres dans le paysage. Ce n’est pas tant par leurs pouvoirs qu’ils se distinguent des autres administrateurs, que par les raisons et les modalités de leur nomination. Certains administrateurs sont ainsi nommés par les salariés (art. L. 225-27 C. com.) ou représentent ceux-ci sans nécessairement être nommés directement par eux (art. L. 225-27-1 et s. C. com.). La loi Copé-Zimmermann sur la parité au sein des conseils fait quant à elle émerger la nécessité de désigner des administrateurs / administratrices en fonction de leur sexe (art. L. 225-17 et L. 225-18-1 C. com.). D’autres administrateurs sont quant à eux nommés pour leur indépendance et leurs compétences particulières en matière financière ou comptable (art. L. 823-19 C. com.). Si l’on sort du cadre légal strict, on rencontre d’autres figures comme celle de l’administrateur référent (mentionné notamment par le Code Afep-Medef, art. 6.3 préc.), etc.

Il n’était donc pas absurde que ce mouvement de diversification se poursuive et qu’il soit prévu qu’un administrateur serait nommé en raison de son appétence, réelle ou supposée, préexistante ou postérieure à sa désignation, pour le numérique et plus largement pour l’innovation. Celui-ci aurait été peut-être le plus jeune des administrateurs, ou le plus geek… Rappelons que ce terme, entré dans l’édition 2010 du Dictionnaire Larousse, désigne un ou une « fan d’informatique, de science-fiction, de jeux vidéo, etc., toujours à l’affût des nouveautés et des améliorations à apporter aux technologies numériques ».

Simplement, pour introduire cette nouvelle figure au sein du conseil d’administration, encore fallait-il ne pas se tromper de ton, indépendamment du fond de la mesure mise en place. Et c’est bien le ton employé par les rédacteurs de l’article 134 qui cause la perte de l’administrateur numérique…

II – La censure intervenue.

Le Conseil constitutionnel juge l’article 134 du projet de loi Sapin 2 tout simplement « contraire à la Constitution ». La mise en place d’un administrateur chargé du suivi des questions d’innovation et de transformation numérique porterait-elle donc atteinte à des normes de nature constitutionnelle ?

En 1991, le Conseil d’Etat énonçait dans son rapport annuel une formule qui a marqué les esprits : « Quand le droit bavarde, le citoyen ne lui prête plus qu’une oreille distraite ». La concision et l’élégance de cette formule, qui semble empruntée à Carbonnier, ne doivent pas faire oublier que la fonction de la loi est bien d’édicter des normes. La loi qui bavarde n’est peut-être pas écoutée, mais elle devrait même être censurée, comme le Conseil constitutionnel l’a déjà fait à plusieurs reprises.

Dans une décision n° 2005-512 DC du 12 avril 2005 relative à la loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école, a été ainsi censuré un article qui entendait affirmer « l’objectif de l’école » (cons. n° 16 et 17). Le projet de loi adopté par le Parlement disposait ainsi que « L’objectif de l’école est la réussite de tous les élèves. – Compte tenu de la diversité des élèves, l’école doit reconnaître et promouvoir toutes les formes d’intelligence pour leur permettre de valoriser leurs talents. – La formation scolaire, sous l’autorité des enseignants et avec l’appui des parents, permet à chaque élève de réaliser le travail et les efforts nécessaires à la mise en valeur et au développement de ses aptitudes, aussi bien intellectuelles que manuelles, artistiques et sportives. Elle contribue à la préparation de son parcours personnel et professionnel ». Ces belles déclarations ont cependant été jugées « manifestement dépourvues de toute portée normative », et ont par conséquent été censurées (cons. n° 17).

C’est ce même reproche qui est retenu, à la suite d’une requête faite par des sénateurs, par la décision n° 2016-741 DC du 8 décembre 2016 (cons. n° 96 à 99). Il est rappelé qu’aux termes de l’article 6 de la Déclaration de 1789, « La loi est l’expression de la volonté générale… », et le Conseil constitutionnel énonce qu’ « Il résulte de cet article comme de l’ensemble des autres normes de valeur constitutionnelle relatives à l’objet de la loi que, sous réserve de dispositions particulières prévues par la Constitution, la loi a pour vocation d’énoncer des règles et doit par suite être revêtue d’une portée normative » (cons. n° 98). Il en est déduit que « Les dispositions de l’article 134 de la loi déférée, qui se bornent à conférer à l’assemblée générale ordinaire d’une société anonyme le pouvoir de confier à un administrateur la charge de suivre des évolutions technologiques, sont dépourvues de portée normative. Dès lors, cet article est contraire à la Constitution » (cons. n° 99).

La disposition censurée ne faisait en effet qu’émettre une suggestion, que l’assemblée générale des actionnaires pouvait suivre ou non. On peut donc se dire que ce n’était pas là le rôle du législateur.

III – Observations complémentaires.

Deux observations complémentaires méritent encore d’être faites.

La première est relative à la place que l’alinéa censuré aurait dû occuper au sein de l’article L. 225-18 du Code de commerce. Ce texte donne pouvoir à l’assemblée générale constitutive, à l’assemblée générale ordinaire et aux statuts pour nommer les administrateurs d’une société anonyme, ainsi qu’à l’assemblée générale extraordinaire en cas de fusion ou de scission. Il formule par ailleurs des règles relatives à la réélection et à la révocation. Il se termine enfin par un alinéa aux termes duquel « Toute nomination intervenue en violation des dispositions précédentes est nulle », à l’exception des hypothèses de cooptation. Le nouvel alinéa, relatif à l’administrateur numérique, aurait donc été d’autant moins doté de force obligatoire que la sanction de la nullité ne s’appliquait même pas, puisque les « dispositions précédentes » n’incluaient pas le nouvel alinéa. Placer le nouvel alinéa relatif à l’administrateur numérique parmi les dispositions sanctionnées par la nullité aurait été un moyen de donner plus de force au texte. Cela aurait eu pour conséquence de donner une compétence exclusive à l’assemblée générale ordinaire, puisque la violation de celle-ci aurait été sanctionnée par la nullité. On comprend cependant que cela aurait été plus problématique qu’utile, car les stipulations des statuts ou des règlements intérieurs prévoyant qu’une mission relative à l’innovation et au numérique pourrait être confié à un administrateur auraient été menacées. La solution la moins gênante consistait donc bien à placer le nouvel alinéa à la fin de l’article L. 225-18. De la sorte, on ne faisait qu’ajouter une prérogative à celles dont dispose déjà l’assemblée générale ordinaire.

La seconde observation est relative à l’utilité du texte. Tout de même, n’y avait-il aucun ajout réel résultant du nouvel alinéa ? Qui ne lirait que le texte modifié pourrait penser que la mesure était en réalité utile, au-delà de la simple suggestion. L’assemblée générale ordinaire des actionnaires s’étant vu reconnaître le pouvoir de nommer les administrateurs par le premier alinéa de l’article L. 225-18 du Code de commerce, il n’allait pas de soi qu’elle ait la possibilité d’assigner des missions particulières à tel ou tel administrateur. Dès lors, il appartenait au législateur de conférer expressément ce pouvoir à l’assemblée.

Mais c’était oublier qu’un texte préexistant, l’article L. 225-98 du Code de commerce, dispose déjà depuis longtemps que l’assemblée générale ordinaire « prend toutes les décisions autres que celles [relatives à la modification des statuts et au changement de nationalité de la société] ». C’est donc dans le cadre de l’article L. 225-98 que l’attribution d’une mission liée au numérique et à l’innovation pouvait prendre place sans difficulté. Ou alors, c’était la figure d’un administrateur doté d’un statut différent de celui des autres que le législateur voulait faire émerger, mais il fallait alors prévoir ce statut, au moins dans ses grandes lignes, et ne pas se contenter de renvoyer ce travail de définition à l’assemblée des actionnaires…

Bruno Dondero

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Pétitions en ligne et change.org: quel statut juridique ?

La plate-forme change.org permet de mettre en ligne et de signer de très nombreuses pétitions, qui sont ainsi efficacement médiatisées… ce qui est l’idéal pour une pétition. Mais au-delà du phénomène, on peut s’interroger sur la valeur juridique des pétitions, en ligne ou non, et sur le statut des entités qui proposent de signer ces pétitions.

foule

Le pouvoir de la multitude…

 

Le statut juridique des pétitions et des pétitions en ligne.

Une pétition n’est que l’expression d’une opinion. Elle n’a donc, en principe, pas plus de « valeur juridique » que le billet d’opinion, le post sur Facebook, le tweet, etc. Vous pouvez commettre des délits de presse (injure, diffamation) ou d’autres infractions (incitations à la haine, etc.) en lançant une pétition ou en manifestant votre adhésion, mais il n’y a pas de valeur juridique particulière. Par exemple, rien n’oblige juridiquement le Parlement à statuer sur un sujet donné, même si une pétition signée par un million de citoyens le demande.

Lorsque la loi le prévoit, une pétition est dotée d’un effet juridique spécifique.

L’exemple de la saisine du CESE.

Depuis 2008, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) peut être saisi par voie de pétition. Rappelons que cette instance, régie par les articles 69 et suivants de la Constitution, est un organe consultatif, qui donne son avis sur les projets de lois et règlements qui lui sont soumis. Le CESE peut « être saisi par voie de pétition dans les conditions fixées par une loi organique. Après examen de la pétition, il fait connaître au Gouvernement et au Parlement les suites qu’il propose d’y donner ».

Il est intéressant de consulter la manière dont le CESE envisage sa saisine par voie de pétition (http://www.lecese.fr/la-petition-citoyenne-mode-demploi). Il cite une loi organique du 29 juin 2010 (en réalité c’est celle du 28 juin 2010), qu’il interprète comme excluant les pétitions électroniques. Il est en effet écrit que la pétition doit « être établie par écrit ce qui exclut tout recours à une gestion électronique des signatures ». Une telle lecture pourrait être discutée, dès lors que l’écrit pourrait inclure l’écrit électronique. On peut citer à titre de comparaison l’article 1366 du Code civil, aux termes duquel « L’écrit électronique a la même force probante que l’écrit sur support papier, sous réserver que puisse être dûment identifiée la personne dont il émane et qu’il soit établi et conservé dans des conditions de nature à en garantir l’intégrité ». Mais il est vrai que la loi organique prévoit que la pétition soit « signée », sans que l’on envisage le recours à une signature électronique.

Le droit européen.

Le droit européen permet, depuis le Traité de Lisbonne de 2007, de saisir la Commission européenne par une pétition. Celle-ci est une invitation faite à la Commission européenne de présenter une proposition législative dans un domaine dans lequel l’UE est habilitée à légiférer.

Cette « initiative citoyenne européenne » suppose la réunion, par une pétition en ligne, d’un million de signatures de citoyens européens issus d’au moins un quart des Etats membres (7 sur 28).

Si les conditions sont remplies, que fait la Commission qui reçoit l’invitation précitée ? Comme le dit son site, elle « l’examine attentivement », sans obligation de donner une suite positive. Trois initiatives ont rempli les conditions et ont été examinées à ce jour.

Le danger des pétitions ?

Les pétitions ne sont pas plus dangereuses qu’un tweet. Après tout, retweeter ou « aimer » un tweet sont une forme d’adhésion à une opinion, comparables à la signature d’une pétition. La pétition structure cependant plus la prise de position, puisqu’elle appelle précisément à s’aligner sur la position exprimée, davantage que le retweet ou le « like ».

Maintenant, on peut s’émouvoir de voir des pétitions appeler à réviser une décision de justice par des voies qui ne sont pas prévues par le droit, comme celle appelant à faire (re-)juger Christine Lagarde par un tribunal correctionnel. Mais après tout, il n’y a là que l’expression d’une opinion.

On rappellera tout de même que l’article 434-25 du Code pénal dispose que « Le fait de chercher à jeter le discrédit, publiquement par actes, paroles, écrits ou images de toute nature, sur un acte ou une décision juridictionnelle, dans des conditions de nature à porter atteinte à l’autorité de la justice ou à son indépendance est puni de six mois d’emprisonnement et de 7.500 euros d’amende ». Simplement, le deuxième alinéa de ce texte ajoute que « Les dispositions de l’alinéa précédent ne s’appliquent pas aux commentaires techniques ni aux actes, paroles, écrits ou images de toute nature tendant à la réformation, la cassation ou la révision d’une décision ». A part donner une protection aux auteurs de notes critiques de jurisprudence (du moins tant qu’elles peuvent être qualifiées de « commentaires techniques »), ce deuxième alinéa met donc à l’abri celui qui ne fait que demander la révision d’une décision…

Change.org : quel statut ?

La plateforme change.org propose de « signer » de très nombreuses pétitions, qui vont de la pétition précitée appelant à refaire le procès de Christine Lagarde à des pétitions plus farfelues invitant à la suppression d’un personnage de jeu vidéo (et recueillant 6 soutiens, à comparer aux 200.000 de la pétition relative à Christine Lagarde).

On peut s’interroger sur le statut exact de l’entité qui se trouve derrière cette plateforme. La page Wikipedia qui lui est consacrée la présente comme une société de droit américain, à but lucratif, et la plateforme indique effectivement que « La plateforme change.org vous est mise à disposition par Change.org, Inc., une société américaine dont le siège est situé à San Francisco, Californie« .

Ce n’est pas qu’une question de statut qui est posée. Recueillir l’opinion de très nombreuses personnes et la diffuser donne un pouvoir politique important. Mais c’est surtout l’utilisation des données personnelles qui sont ainsi communiquées qui doit être surveillée. Une utilisation commerciale de ces données est-elle faite par la société change.org ?

La plateforme indique entre autre que « Si nous obtenons votre autorisation, nous partagerons des informations vous concernant avec nos annonceurs, y compris votre adresse e-mail, votre adresse postale et la pétition que vous avez signée. Nous pourrions également communiquer votre numéro de téléphone à condition que vous nous y autorisiez par un consentement spécifique et distinct. L’annonceur pourra alors utiliser ces informations pour communiquer avec vous et vous adresser des messages promotionnels susceptibles de vous intéresser. Nous ne contrôlons pas le contenu et la fréquence des communications envoyées par nos annonceurs« .

 

Il est aussi indiqué que « La loi californienne permet aux résidents de Californie de demander à obtenir certaines informations sur les données personnelles qu’une entreprise partage avec des tiers pour leurs besoins de marketing. Si vous avez des questions sur nos pratiques ou vos droits sous la loi californienne, contactez notre équipe (…)« .
Le débat est ouvert…
Bruno DONDERO

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Vigilance, transparence, négligence: trois nouveautés résultant de la loi Sapin 2

La loi Sapin 2 (loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016) est une loi-fleuve, puisqu’elle aborde, avec ses 169 articles (moins en réalité car le Conseil constitutionnel est passé par là, en supprimant quelques-uns), de très nombreux sujets, qui vont de la création de l’Agence française anticorruption et de la protection des lanceurs d’alerte à une énième modernisation du droit des sociétés, en passant par la saisie des biens détenus en France par les dictateurs étrangers et l’apprentissage de la profession de coiffeurs.

Il est tout de même trois mesures qui me semblent mériter un premier commentaire rapide, parce qu’elles sont toutes trois importantes pour les entreprises et leurs dirigeants.

 

I – Le devoir de vigilance avant l’heure : les programmes anti-corruption.

On discute de la mise en place d’un devoir de vigilance en droit français qui imposerait aux sociétés de surveiller l’activité de leurs filiales et de leurs sous-traitants. C’est une démarche proche que réalise l’article 17 de la loi en imposant aux sociétés employant au moins 500 salariés, d’une part, mais aussi à celles qui appartiennent à un groupe de sociétés dont la mère est en France et dont l’effectif et le chiffre d’affaires ou chiffre d’affaires consolidé atteignent des seuils (500 salariés, 100 millions d’euros) de prendre des mesures destinées à prévenir et détecter la commission en France ou à l’étranger de faits de corruption ou de trafic d’influence.

Concrètement, c’est toute une batterie de mesures qui doit être mise en place sous peine de sanctions, allant d’un code de conduite définissant les « différents types de comportements à proscrire » et intégré au règlement intérieur de l’entreprise à un « régime disciplinaire permettant de sanctionner les salariés de la société en cas de violation du code de conduite de la société », en passant par une cartographie des risques et l’instauration de procédures de contrôle.

Ceci entre en vigueur le 1er juin 2017.

On notera avec intérêt que la plupart des mesures qui s’imposent aux sociétés ou groupes de sociétés dépassant les seuils précités sont par ailleurs érigées en peine applicable aux personnes morales commettant certains délits (corruption et trafic d’influence). Cela peut surprendre : ce qui est la norme pour certaines entreprises devient une sanction pour d’autres organisations. Maintenant, la sanction est intéressante, puisqu’elle permettra de « soigner », par exemple, une association qui se serait rendue coupable de corruption en formant son personnel, en se dotant d’un code de bonne conduite, en mettant en place un régime disciplinaire, etc.

II – La prise en compte des « Panama papers » : la révélation par les sociétés de leurs « bénéficiaires effectifs ».

Une mesure importante est celle prévue par l’article 139 de la loi Sapin 2. Il est fait référence à la notion de « bénéficiaire effectif », qui figurait à l’article L. 561-2-2 du Code monétaire et financier, et qui avait été introduite par l’ordonnance n° 2009-104 du 30 janvier 2009 relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme. Cette notion nous vient du droit européen (directive 2005/60) et est utilisée dans la lutte contre le blanchiment.

Simplement, la mesure mise en place par la loi Sapin 2 est indépendante du déclenchement d’un dispositif de lutte anti-blanchiment. L’idée est ici de pouvoir connaître les personnes qui se cacheraient derrière une société, sans doute en réaction à ce que l’on a appelé les « Panama papers », qui ont mis en évidence l’effet d’écran attaché aux sociétés.

Est inséré au sein du Code monétaire et financier un article L. 561-46 imposant aux sociétés civiles et commerciales établies sur le territoire français, sans conditions de seuil d’ « obtenir et de conserver des informations exactes et actualisées sur leurs bénéficiaires effectifs », de communiquer ces informations au registre du commerce et des sociétés et de les mettre à jour ensuite.

Un décret en Conseil d’Etat fixera la liste des informations collectées ainsi que les conditions et modalités selon lesquelles ces informations seront obtenues, conservées, mises à jour et communiquées au registre du commerce et des sociétés.

Le Code monétaire et financier définit les bénéficiaires effectifs comme « la ou les personnes physiques : 1° Soit qui contrôlent en dernier lieu, directement ou indirectement, le client ; 2° Soit pour laquelle une opération est exécutée ou une activité exercée ».

C’est également un décret en Conseil d’Etat qui précisera les informations sur les bénéficiaires effectifs qui seront mises à la disposition du public et celles qui ne seront accessibles qu’aux autorités publiques, notamment celles compétentes dans les domaines de la lutte contre le blanchiment, le financement du terrorisme, la corruption et l’évasion fiscale.

Précisons que ce dispositif est applicable à compter du 1er avril 2017, à condition qu’aient été publiés les décrets attendus.

La mesure n’est pas anodine du tout, puisqu’elle va obliger les sociétés qui jusqu’à présent pouvaient demeurer opaques à faire connaître certains de leurs associés. Ainsi, une SAS qui serait contrôlée par des personnes physiques devra en communiquer l’identité au registre du commerce et des sociétés. Notons tout de suite que pour une société, la notion de « personne pour laquelle une opération est exécutée » ne s’applique pas aisément. Est-ce que tous les associés sont visés ? La réponse devrait raisonnablement être négative.

III – L’allégement de la responsabilité des dirigeants de sociétés en « faillite ».

Dernière mesure qui appelle un commentaire ici : l’allégement de la responsabilité du dirigeant d’une société en « faillite ».

Le droit des procédures collectives permet de longue date de mettre en œuvre une action en responsabilité à l’encontre du dirigeant, de droit ou de fait, dont la faute de gestion a contribué à l’insuffisance d’actif de la société. Sont actuellement concernés les dirigeants de droit ou de fait d’une société en liquidation judiciaire. Si les créanciers ne sont pas payés de l’intégralité de leurs créances, et qu’il est possible d’identifier une faute de gestion imputable au dirigeant, alors le tribunal peut condamner le dirigeant à supporter sur son patrimoine personnel tout ou partie de l’insuffisance d’actif.

La jurisprudence est fournie, car c’est sans doute dans le contexte de la « faillite » d’une société que la responsabilité d’un dirigeant est le plus souvent sollicitée.

Cette jurisprudence s’est progressivement fixée, au cours des décennies, et il est admis, conformément au droit commun de la responsabilité civile, que la négligence fautive engage la responsabilité du dirigeant. Le Code civil ne dit d’ailleurs pas autre chose lorsque l’article 1241, précédemment article 1383, dispose que « Chacun est responsable du dommage qu’il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence ». Une négligence souvent retenue comme faute de gestion est ainsi celle qui consiste à avoir procédé tardivement au dépôt de bilan.

C’est cette œuvre jurisprudentielle qui est bousculée par l’article 146 de la loi, qui ajoute un alinéa à l’article L. 651-2 du Code de commerce :

« Toutefois, en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la société, sa responsabilité au titre de l’insuffisance d’actif ne peut être engagée ».

Après l’affaire Lagarde, la négligence est décidément sous les feux de l’actualité. Pour le dirigeant d’une société en faillite, cela veut donc dire que sa responsabilité ne peut plus être mise en œuvre s’il n’a commis qu’une « simple négligence ».

Deux observations.

La mesure apparaît trop indulgente. Pourquoi le dirigeant bénéficierait-il d’une telle dérogation au droit commun lorsque la société est en liquidation judiciaire ? Ce n’est pas un bon message envoyé aux dirigeants, et il est possible que les tribunaux trouvent d’autres moyens de sanctionner le dirigeant négligent.

La mesure est peu cohérente. Il est question de la « simple négligence » du dirigeant de fait. Mais être dirigeant de fait est déjà une attitude fautive en soi, puisque cela signifie que l’on agit sans pouvoir donné conformément aux règles de désignation des dirigeants.

Bref, une mesure très discutable, que le Sénat avait d’ailleurs tenté d’écarter.

Bruno DONDERO

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SAS : attention aux textes applicables ! (CA Paris, 9 juin 2016, RG n° 15/15907)

La société par actions simplifiée (SAS) a le vent en poupe, puisque cette société a en très grande partie remplacé la société anonyme (SA), et qu’en termes de créations, les SAS font désormais jeu égal avec les SARL, ces deux formes sociales représentant l’une et l’autre 48% des nouvelles sociétés créées en 2015 sur l’ensemble des activités marchandes non agricoles (INSEE Première n° 1583 – Janvier 2016).

La SAS a de nombreuses vertus, mais le moins que l’on puisse dire est qu’elle n’est pas une société livrée « clé en main » par le législateur.

Un arrêt rendu le 9 juin dernier par la Cour d’appel de Paris illustre les difficultés que l’on peut rencontrer s’agissant d’identifier les règles applicables à cette forme sociale.

I – Le régime juridique de la SAS est défini par ses statuts… et par la loi!

Il lui appartient de se doter de statuts adéquats, tout d’abord, puisque sa caractéristique essentielle est précisément le grand rôle laissé aux statuts, qui définissent notamment les conditions dans lesquelles la société est dirigée, et les éventuelles restrictions à la liberté de céder ses titres ou de ne pas les céder (clauses d’agrément, de préemption, d’exclusion, etc.).

Mais la SAS n’est pas régie par ses seuls statuts. Les articles L. 227-1 et suivants du Code de commerce édictent des règles propres à cette société, et le renvoi qui est opéré aux dispositions régissant la SA n’est pas simple : l’article L. 227-1 dispose en son troisième alinéa:

« Dans la mesure où elles sont compatibles avec les dispositions particulières prévues par le présent chapitre, les règles concernant les sociétés anonymes, à l’exception des articles L. 224-2, L. 225-17 à L. 225-102-2, L. 225-103 à L. 225-126, L. 225-243 et du I de l’article L. 233-8, sont applicables à la société par actions simplifiée. Pour l’application de ces règles, les attributions du conseil d’administration ou de son président sont exercées par le président de la société par actions simplifiée ou celui ou ceux de ses dirigeants que les statuts désignent à cet effet ».

Ainsi, si l’on écarte une partie des dispositions régissant la SA, en l’occurrence les textes sur les organes de direction et de contrôle et ceux relatifs aux assemblées d’actionnaires, de nombreuses dispositions régissant la SAS sont des dispositions d’emprunt. Et encore ne sont-elles applicables à la SAS que dans la mesure où elles sont compatibles avec les textes spéciaux régissant cette forme sociale, compatibilité qui n’est pas forcément aisée à déterminer.

II – L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris le 9 juin 2016.

Un arrêt récent de la Cour d’appel de Paris, rendu le 9 juin 2016, illustre les difficultés à identifier les règles applicables à la SAS.

L’arrêt est relatif à un litige entre une SAS et son président, qui a fait l’objet d’une révocation. Le contentieux porte sur les conditions de la révocation, le président estimant que le principe du contradictoire n’a pas été respecté, dès lors qu’il a été convoqué la veille pour le lendemain par mail à l’assemblée devant statuer sur sa révocation. Il plaidait aussi le caractère brutal et l’absence de juste motif de révocation. La société réclamait de son côté au dirigeant ou à ses proches le remboursement de différentes sommes d’argent, la restitution de différents biens (clés de locaux, iPhone, iPad, etc.) et noms de domaine.

L’arrêt d’appel, partiellement confirmatif du jugement de première instance, donne raison à la société contre son ancien dirigeant, estimant notamment que la situation de la société (qui venait de faire l’objet d’une interdiction bancaire suite à l’émission de chèques sans provision) justifiait la convocation à l’assemblée dans les conditions décrites ci-dessus et la révocation.

Mais c’est surtout sur la question des textes applicables que l’on s’arrêtera ici, pour souligner la difficulté de l’identification des dispositions régissant la SAS.

Extrait :

 « Aux termes de l’article L. 225-47 alinéa 3 du Code de commerce le conseil d’administration peut à tout moment révoquer le président de la société. Ces dispositions sont applicables aux sociétés par actions simplifiées conformément à l’article L. 227-1 du même code.

Dans les écritures des intimées, est cité l’article 4.4 des statuts de la société C… qui prévoit que « le président est révocable à tout moment, mais seulement pour juste motif par décision collective des associés statuant à la majorité prévue à l’article 7.3 des présents statuts »  ».

 

Le premier texte auquel il est fait référence, l’article L. 225-47 du Code de commerce, traite de la révocation du président du conseil d’administration de la SA. Cette disposition n’est pas applicable à la SAS, contrairement à ce qu’écrivent les magistrats. La SAS a toujours un président, puisque c’est le seul organe qui lui est imposé par le législateur, mais elle n’a pas nécessairement de conseil d’administration. On ne voit donc pas que la révocation du président par le conseil d’administration, telle qu’elle est prévue par l’article L. 225-47 pour la SA à conseil d’administration, s’appliquerait à la SAS… d’autant que l’article L. 227-1 dit précisément le contraire.

Maintenant, nul n’est à l’abri d’une erreur de plume, et la référence à l’article L. 225-47 n’a pas d’incidence réelle, puisque les statuts de la SAS en cause organisaient la révocation du président, et ce n’était pas le conseil d’administration (on ne sait pas si la SAS en question en était dotée) qui devait procéder à sa révocation, mais les associés statuant par une décision collective.

III – D’autres questions délicates.

Des questions restent ouvertes, qui n’étaient pas posées à la Cour d’appel de Paris :

  • Les statuts d’une SAS peuvent-ils opérer un renvoi aux dispositions légales régissant la SA, y compris s’agissant des dispositions expressément écartées par l’article L. 227-1 ? La réponse nous semble devoir être positive, car les statuts peuvent organiser le fonctionnement de la SAS, y compris en reproduisant les textes applicables à la SA. Un renvoi à ces textes ne serait pas différent.

 

  • Si les statuts n’avaient rien dit sur la révocation du président, celui-ci aurait-il été irrévocable ? On n’aurait pas eu le secours de l’article L. 225-47 du Code de commerce, puisque celui-ci n’est pas applicable à la SAS, ainsi que le prévoit l’article L. 227-1. Simplement, le droit commun du mandat et la prise en compte de l’intérêt de la société doivent conduire nous semble-t-il à admettre que la société peut procéder à la révocation du mandataire social qu’est son président. La difficulté est alors d’identifier l’organe compétent pour cela. Le parallélisme des formes incite à reconnaître cette compétence à l’organe ayant procédé à la désignation du président. On peut aussi tenir compte du fait que la SAS ne pouvant avoir qu’un seul président, la désignation d’un nouveau président implique nécessairement que les fonctions de son prédécesseur aient pris fin ; pour pouvoir nommer un nouveau président, l’organe de désignation serait donc habilité à mettre fin aux fonctions du président en place. On comprend bien que les choses seront plus simples si le rédacteur des statuts a été jusqu’au bout du travail attendu de lui, et a indiqué non seulement quel était l’organe compétent pour nommer le président, mais également celui qui avait le pouvoir de le révoquer !

 Bruno DONDERO

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Réforme du droit des contrats : provoquer une « décision-pilote » pour trancher les incertitudes ?

La réforme du droit des contrats entrera en vigueur bientôt. Hier, mercredi 6 juillet 2016, a été présenté en Conseil des ministres le projet de loi de ratification de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations. On comprend que la date d’entrée en vigueur de la réforme, telle que prévue par l’ordonnance, à savoir le 1er octobre 2016, ne sera pas modifiée par le projet de loi.

Pour rappel, l’article 9 de l’ordonnance énonce que « Les dispositions de la présente ordonnance entreront en vigueur le 1er octobre 2016 », d’une part, et que « Les contrats conclus avant cette date demeurent soumis à la loi ancienne », d’autre part. La seconde proposition reçoit toutefois une nuance, puisque les trois actions interrogatoires prévues par l’ordonnance (à savoir 1) interroger le bénéficiaire d’un pacte de préférence sur l’existence de celui-ci et sur son intention de s’en prévaloir ; 2) interroger le représenté sur les pouvoirs de celui qui se dit son représentant conventionnel ; 3) interroger le titulaire d’une action en nullité sur ses intentions) seront applicables aux contrats conclus avant le 1er octobre 2016, sauf au cas où une action en justice aura déjà été engagée.

La Fédération bancaire française avait sollicité un report de l’entrée en vigueur de l’ordonnance de quelques mois, report refusé par le Gouvernement donc.

Au 1er octobre 2016, le droit nouveau sera donc entièrement applicable. On sait cependant qu’il comporte un certain nombre de questions à la fois fondamentales et délicates à trancher (I). Cela va provoquer une période d’incertitude… que l’on pourrait peut-être abréger en « provoquant » une réponse judiciaire à certaines de ces questions, ce qui serait une forme de production collaborative du droit (II).

I – Beaucoup de questions délicates à trancher.

Qui lit les dispositions nouvelles du droit des contrats résultant de l’ordonnance du 10 février 2016 trouve assez vite beaucoup de questions difficiles.

J’en évoquerai quelques-unes, mais j’invite les lecteurs de ce blog à enrichir cette liste :

  • Les contrats d’adhésion visés par l’article 1110 nouveau du Code civil sont-ils seulement ceux dont les « conditions générales » stricto sensu sont soustraites à la négociation, ou ceux dont les principales stipulations, entendues plus largement, sont imposées par une partie à l’autre ?
  • Jusqu’où va la liberté des parties s’agissant du devoir général d’information désormais consacré par l’article 1112-1 nouveau ?
  • La validité des actes conclus par une personne morale suppose-t-elle réellement que ces actes soient « utiles » à la réalisation de son objet, ainsi que l’exige l’article 1145 nouveau ?
  • Comment fonctionne l’action interrogatoire relative aux nullités prévue par l’article 1183 nouveau ? Peut-elle être mise en œuvre dès la conclusion du contrat, éventuellement par une stipulation figurant dans le contrat lui-même ? Le délai de six mois peut-il être raccourci ?
  • Quel niveau de précision doit atteindre la clause écartant le pouvoir de révision ou de résolution du juge en cas d’imprévision, tel que prévu par l’article 1195 nouveau ?
  • Comment s’articulent les dispositions du droit commun nouveau avec les dispositions des droits spéciaux ? Par exemple, comment concilie-t-on le mécanisme de la clause abusive de l’article 1171 nouveau, qui comporte une sanction de clause réputée non écrite, et le mécanisme présent dans le Livre IV du Code de commerce, qui prévoit des dommages-intérêts ?

Les questions sont donc à la fois ardues et relatives à des points fondamentaux.

On peut bien évidemment attendre que la jurisprudence tranche ces questions, mais cela veut dire des années d’attente, car il faut que les juges soient saisis desdites questions, ce qui suppose que quelqu’un en France les soulève, et il faut ensuite que la procédure aille à son terme. Puis il peut y avoir appel, et éventuellement pourvoi en cassation.

En clair, les réponses aux questions les plus délicates posées par la réforme ne viendront pas avant plusieurs années.

Il existe certes une procédure de saisine pour avis de la Cour de cassation, mais tels que les textes sont rédigés, il semble qu’un litige doive exister pour qu’un juge puisse saisir la Cour de cassation (art. L. 441-1 et s. du Code de l’organisation judiciaire).

II – Une proposition de justice collaborative.

Pour accélérer les choses, on pourrait exercer une action interrogatoire, si l’on peut dire, appelons même cela une action provocatrice ou « provocatoire » !

Il suffirait pour cela de conclure, le 1er octobre 2016 ou après, un contrat entre une personne physique (il pourrait s’agir d’un professeur de droit volontaire) et une entreprise ayant la forme d’une personne morale, société par exemple (ceci pour répondre à la question du critère de l’utilité des actes – v. supra). Le contrat serait rédigé d’une manière particulière, puisqu’il soulèverait les questions délicates visées plus haut, questions que l’on irait alors soumettre à un juge.

Ce juge pourrait être le Tribunal de commerce de Paris, juridiction importante et fréquemment appelée à trancher les difficultés relatives aux entreprises. La juridiction saisie devra statuer en connaissance de cause, si l’on peut dire. J’entends par là que les juges saisis auront été prévenus, et qu’ils sauront que leur réponse interviendra dans un litige bien particulier, et que leur décision sera une « décision-pilote ».

Il faudra aussi que les parties jouent le jeu, et que la saisine du tribunal par l’une d’elles ne donne pas lieu, par exemple, à une demande de condamnation de l’autre à des sommes très importantes ! Les parties ne s’intentent un procès qu’à des fins pédagogiques en somme.

Après avoir fait venir le Tribunal à l’Université à des fins pédagogiques, comme je l’avais retracé ici, on ferait du Tribunal un laboratoire de production du droit, plus encore qu’il ne l’est déjà (j’ai souvenir d’avoir lu qu’un professeur de droit allemand avait acheté une action d’une société pour saisir ensuite un juge et faire avancer le droit, mais je n’ai pu retrouver la trace précise de cette action en justice pédagogique).

Ajoutons que la décision pourra être rendue intégralement par les juges consulaires, ou donner lieu, sur certains points, à une saisine pour avis de la Cour de cassation.

Bien sûr, la décision rendue ne liera pas les juridictions qui voudraient s’en démarquer, pas plus d’ailleurs que l’avis éventuellement produit par la Cour de cassation. Simplement, la décision et l’avis en question auront pour mérite de faire gagner du temps au droit français, en fournissant de premières réponses aux questions les plus importantes que suscite la réforme du droit des contrats.

Bruno DONDERO

 

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Comment parler de la jurisprudence que l’on n’a pas lue ?

Un avocat de Grenoble a été récemment radié pour avoir rédigé de fausses décisions de justice, décisions qui devaient fonder la demande d’indemnisation faite par le client de cet avocat à son assureur.

Si cette affaire n’est pas banale (et heureusement), le subterfuge employé par l’avocat était relativement simple. L’avocat avait imaginé ce moyen rudimentaire pour améliorer la situation de son client, et qui exerce le métier d’avocat lit suffisamment de décisions de justice pour pouvoir confectionner des décisions qui ont l’air authentique.

On pourrait parler d’escroquerie au jugement.

Mais pour une décision de justice faite de toutes pièces par un avocat et qui est repérée comme telle, se pourrait-il qu’il en existe en réalité de nombreuses autres qui ne sont pas identifiées comme étant de fausses pièces ?

Il faut cependant distinguer les différentes utilisations que l’on peut faire des décisions de justice et des solutions qu’elles expriment, c’est-à-dire de la jurisprudence.

A quoi sert la jurisprudence ?

Dans l’affaire de l’avocat grenoblois, la décision de justice inventée occupait une place centrale, puisqu’elle fondait semble-t-il à elle seule le droit du client de l’avocat à obtenir une somme d’argent de son assureur.

Mais les avocats se servent aussi des décisions de justice de manière moins « immédiate ». On sait que même si la jurisprudence n’est pas officiellement reconnue comme une source de droit, elle joue ce rôle en pratique. Lorsqu’un avocat rédige une assignation ou des conclusions, destinées à convaincre un juge, il cite fréquemment de la jurisprudence, c’est-à-dire des décisions de justice, émanant de la Cour de cassation ou des autres juridictions. En citant des décisions qui affirment une solution donnée, l’avocat espère convaincre les juges qui le lisent de statuer dans le même sens.

Ne se pourrait-il alors que des avocats citent des décisions de justice qui emporteront la conviction des juges… mais que ces décisions aient été créées pour les besoins de la cause ?

Imaginons l’avocat d’un client A qui veut obtenir la condamnation de la partie adverse B dans une situation donnée, mais qui a conscience que son client A ne devrait normalement pas arriver à ses fins. Ce pourrait être une action en garantie exercée par l’acheteur A contre le vendeur B, mais alors que l’une des conditions légales de l’action n’est pas remplie. La situation du client A serait grandement améliorée si son avocat pouvait produire une décision de justice affirmant que la garantie peut jouer même lorsque manque l’une des conditions légales. Si l’affaire a des enjeux très importants, n’est-il pas tentant de demander à un stagiaire zélé de trouver la décision rêvée, quelle que soit la manière dont il parvient à mettre la main sur ce graal judiciaire ?

Il n’est d’ailleurs pas nécessaire de rédiger une fausse décision en entier. Il est possible de simplement y faire référence dans ses écritures en mettant des sources inexactes (une référence au Dalloz 1948, jur., p. 366 et une note d’un professeur de l’époque, pour faire plus vrai), un lien vers le site Légifrance qui ne fonctionnera pas, ou qui renverra vers une autre décision. Si l’avocat de la partie adverse est vigilant, il demandera à son contradicteur où il a trouvé la décision en question. Mais il sera toujours temps pour le faussaire de plaider l’erreur de bonne foi, au moins lorsqu’il aura simplement cité une décision de manière erronée, ou bien d’accuser son stagiaire !

Une pratique largement répandue ?

Il y a quelques années, Pierre Bayard écrivait un ouvrage intitulé « Comment parler des livres que l’on n’a pas lus ? », et qui reposait entre autre sur l’idée que chaque lecteur se fait sa propre idée du livre qu’il lit, et que l’on peut finalement parler assez librement de tout livre, y compris de celui que l’on n’a pas lu, dès lors que notre interlocuteur, quand bien même il aurait véritablement lu le livre en question, en aura une idée personnelle, nécessairement différente de la nôtre.

On pourrait dire de même que l’on peut parler de la jurisprudence que l’on n’a pas lue !

Ou plus exactement, de la jurisprudence que l’on n’a pas envie de bien lire.

Les arrêts de la Cour de cassation sont comme on le sait sujets à interprétation, parce que la manière dont ils sont rédigés est souvent peu explicite et laisse par conséquent la place à des lectures divergentes. Récemment, la Cour de cassation a certes manifesté un changement dans sa manière de rédiger ses arrêts, mais seule une fraction très réduite de ses décisions est concernée.

Dès lors que l’on peut interpréter la plupart des décisions de justice, il est possible que chacun en ait sa propre lecture, et que tel plaideur fasse dire à une décision de justice des choses très différentes de tel autre plaideur.

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« Cet arrêt dit que j’ai raison et que vous avez tort ! » – « Oui, c’est bien cela, il dit que J’AI raison et que VOUS avez tort !! »

Finalement, au-delà du fait rarissime du « faux jurisprudentiel », c’est-à-dire de la décision créée de toutes pièces, il est une pratique beaucoup plus fréquente d’embellissement de la jurisprudence ou simplement de citation approximative : un plaideur peut affirmer une solution en droit et citer pour la fonder une ou plusieurs décisions de justice. Affirment-elles précisément cette solution ? Ou bien faut-il simplement voir une analogie entre la solution et les décisions citées, qui ne sont alors que  « dans le même sens » ?

Le côté positif des choses

On peut se dire que l’on n’est peu protégé si la justice, en plus d’être surchargée, est au surplus induite en erreur par la production de références jurisprudentielles fictives.

Mais si l’on veut voir les choses de manière plus positive, il faut se dire que tant l’histoire de l’avocat grenoblois que la pratique d’embellissement de la jurisprudence doivent inciter avocats et juristes d’entreprise à rester vigilants lorsque de la jurisprudence est invoquée contre eux.

Lorsque notre adversaire cite un arrêt de la Cour de cassation pour fonder la thèse qu’il veut voir triompher, il est toujours bon d’aller vérifier que cet arrêt – s’il existe vraiment ! – dit bien ce que notre adversaire prétend lui faire dire.

Bruno DONDERO

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ROSS, Peter, Dalloz et les autres…

Le secteur du droit bouillonne d’innovations technologiques. L’uberisation des avocats est en marche, lit-on partout, et c’est vrai qu’il est passionnant pour les juristes et pour tous ceux qui gravitent autour du monde du droit de réfléchir aux nouvelles possibilités, aux nouvelles opportunités qu’offre la technologie. Cela touche d’ailleurs aussi bien la pratique que la transmission du droit. Les MOOCs peuvent ainsi servir à la formation initiale au droit, mais aussi à la formation continue, et également à la diffusion d’informations juridiques aux clients des professionnels du droit.

Il y a pour les juristes un enjeu essentiel dans toute nouvelle application de la technologie au droit, un risque, précisément, qui est celui que l’on perde de vue l’apport des juristes, la plus-value qui est la leur. Les mauvaises langues diront : mais à quoi servent les juristes, sinon à créer des problèmes là où il n’y avait que des projets intéressants ? Le geek qui a une idée géniale de nouvelle application pour iPhone et qui interroge un juriste risque d’entendre des éléments de nature à brider son activité : on va lui parler des éventuels droits des tiers, de la nécessité de protéger sa création, bref, on va lui rappeler que le droit est fait de règles, et que celles-ci sont, par définition, contraignantes…

Mais les juristes doivent assumer cela. La société ne peut fonctionner qu’encadrée par le droit, et il faut, une fois le droit posé, que des personnes puissent expliquer aux autres comment se mouvoir dans le système. Après, le droit pourrait être plus simple, moins changeant, mais c’est une autre histoire.

 I – ROSS.

Revenons aux nouvelles technologies. Ces derniers mois, plusieurs annonces fracassantes ont été faites à propos de l’application de l’intelligence artificielle (IA) au droit. C’est ici le cabinet d’avocats américain BakerHostetler qui va « recruter » ROSS, qui est un logiciel juridique. L’annonce est reprise en boucle un peu partout : le robot est recruté par un cabinet d’avocats. Il aurait été moins vendeur de dire que le cabinet acquérait les droits d’utilisation d’un logiciel juridique performant. Mais il est vrai que le mot « recruter » apparaît d’autant plus pertinent qu’on apprend par ailleurs que ROSS va remplacer au sein du cabinet une cinquantaine d’avocats, qui eux ne devraient donc pas être conservés. Si ROSS n’a pas été « recruté » au sens strict, des emplois sont donc supprimés à la suite de son intégration au cabinet BakerHostetler.

Que fait ROSS exactement ?

On comprend à la lecture du site http://www.rossintelligence.com/ qu’il s’agit d’un logiciel de traitement des données juridiques, qui répond à des questions de droit qui lui sont posées en langage courant. Le site prend l’exemple de la question : « une entreprise en faillite peut-elle encore exercer une activité ? ». ROSS a aussi d’autres fonctions comme celle de veille juridique : si des décisions de justice nouvelles viennent affecter la branche du droit qui m’intéresse, alors ROSS me le signalera. Mais peut-être le fera-t-il de manière particulièrement sélective, au lieu de noyer l’utilisateur sous les informations.

En outre, ROSS, qui est basé sur la technologie Watson d’IBM, devrait devenir de plus en plus performant au fur et à mesure de son utilisation, nous dit-on. Il va apprendre, en somme.

Au-delà d’appréhender le droit des entreprises en difficulté, on peut quand même se demander jusqu’où l’intervention humaine est remplaçable, ne serait-ce que dans ce secteur. S’il faut déclarer les créances, vérifier qu’une sûreté conserve son efficacité, négocier avec un créancier, proposer un plan de sauvegarde, dans quelle mesure peut-on se passer d’êtres humains pour le faire ?

Si l’autorité auprès de laquelle sont exercés les différents actes (en France, le tribunal de commerce ou de grande instance, et les différents organes de la procédure : juge-commissaire, administrateur judiciaire, liquidateur judiciaire, etc.) était elle-même une entité automatisée et dématérialisée, peut-être que cela accélérerait l’éviction de l’être humain ?

Lorsqu’il faudra aller négocier avec les différents créanciers d’une entreprise pour les convaincre d’accorder des délais ou des remises qui permettront de sauver l’entreprise tout en leur garantissant d’être payés d’une bonne partie de leurs créances, jusqu’où Ross sera-t-il utile et remplacera-t-il les avocats ? C’est peut-être avec l’androïde Sophia que la négociation devra se faire !

http://www.sciencesetavenir.fr/high-tech/intelligence-artificielle/20160323.OBS6957/sophia-le-robot-de-hanson-robotics-qui-va-vous-faire-peur.html

II – Peter.

Autre information récurrente de ces dernières semaines : Louison Dumont, un jeune Français présenté comme un virtuose de l’informatique, aurait décidé d’uberiser les avocats à lui tout seul en lançant Peter, l’avocat virtuel. Les Echos ont consacré un article à la question, où l’on voit passer le droit très rapidement.

Il est en effet écrit :

« Peter fonctionne simplement : les entreprises qui ont besoin de conseils juridiques lui envoient un e-mail. Une réponse automatisée leur parvient dans les minutes qui suivent. « On vérifie tous les e-mails pour ne pas envoyer n’importe quoi, mais neuf fois sur dix, cela fonctionne parfaitement et on n’a rien à changer », assure le jeune entrepreneur »

Le droit, c’est simple comme un e-mail, donc. Il n’est dit nulle part que des juristes interviennent dans le fonctionnement de Peter. En fait, on ne sait pas comment fonctionne Peter, l’article indiquant simplement que c’est « un avocat virtuel qui se nourrit d’intelligence artificielle »…

On peut supposer que Peter, comme ROSS, récupère, agrège et analyse de l’information juridique : les textes de loi, la jurisprudence, des commentaires et des ouvrages juridiques accessibles en ligne, et qu’il utilise tout cela, pour en déduire des réponses. Le problème est qu’une question juridique ne reçoit pas nécessairement une réponse simple.

Si je pose la question : « auprès de quelle autorité puis-je faire protéger mon droit d’auteur sur la nouvelle application que je mets au point sur iPhone, et suivant quelles modalités ? », je peux imaginer qu’une IA est capable de me fournir une réponse claire et construite, sans doute inspirée du site de l’autorité en question. La réponse ne résoudra pas tout, car il est possible qu’elle suscite de nouvelles questions : l’application que j’ai mise en point est-elle réellement « nouvelle » au sens du droit, par exemple ?

Si je pose la question : « une entreprise en faillite peut-elle encore exercer une activité ? », les choses vont être plus compliquées. Si je pose la question au regard du droit français, pour commencer, la « faillite » est une expression courante, mais elle ne désigne plus depuis longtemps une entreprise en difficulté. La « faillite personnelle » est une sanction qui frappe l’entrepreneur qui s’est rendu coupable de différents comportements (poursuite abusive d’une exploitation déficitaire, détournement d’actif, etc.). Il faudra donc que le logiciel comprenne que quand je parle de « faillite », il faut comprendre autre chose. Mais quoi ? Une entreprise en difficulté peut faire l’objet de différentes procédures plus ou moins contraignantes, qui vont de la simple désignation d’un mandataire par le tribunal pour aider l’entreprise à sortir de ses difficultés à la mise en liquidation judiciaire, en passant par les procédures de conciliation, de sauvegarde, de redressement judiciaire, etc. Et la réponse à la question posée n’est pas la même suivant la procédure concernée. Il faudra donc commencer par identifier la nature de la procédure en cause. Le type d’activité que l’on voudrait voir l’entreprise exercer risque d’influer sur la réponse : parle-t-on de l’activité courante, parle-t-on du paiement d’un fournisseur, ou d’une décision plus exceptionnelle comme la cession d’une marque ? Et l’avocat virtuel va-t-il nous prévenir du risque de remise en cause des actes en question par un juge ?

Lors des Etats généraux de l’innovation organisés par le Conseil national des barreaux, la semaine dernière, une intervention de Louison Dumont était diffusée, et celui-ci indiquait que Peter n’avait pas vocation à remplacer un avocat, mais à accomplir des formalités de manière automatisée. Il prenait l’exemple suivant : si vous devez constituer votre entreprise au Delaware (M. Dumont travaille désormais aux Etats-Unis), Peter va faire les formalités.

Sans nier l’importance de l’innovation technologique, il faut quand même se demander qui prend à un moment donné la décision de constituer l’entreprise au Delaware plutôt que dans un autre Etat, américain ou non. N’est-ce pas au Panama qu’il conviendrait de constituer la société, par exemple ? La question apparaît comme une provocation après l’affaire des « Panama papers », mais elle est sérieuse : l’accomplissement d’une « formalité » n’est qu’une partie de la prestation de conseil juridique et fiscal aux entreprises.

L’intelligence artificielle peut d’ailleurs, vraisemblablement, jouer un rôle important pour identifier l’Etat dans lequel il est le plus intéressant de constituer une entreprise.

III – Et Dalloz et les autres ?

Une fois que l’on a évoqué ROSS et Peter, même si on n’a finalement pas encore pu mesurer avec précision leur apport réel à la pratique d’un cabinet d’avocats, on peut se demander si nos moteurs de recherche actuels, tels qu’on les trouve sur les sites des éditeurs juridiques (Dalloz, Lexisnexis, Lextenso, etc.) et sur le site Legifrance, ne vont pas évoluer dans les années à venir.

Ces moteurs de recherche reposent encore aujourd’hui sur des mots-clés, qui doivent être présents dans le résultat recherché.

Si j’interroge la base de données Legifrance, je vais par exemple rechercher dans le demi-million d’arrêts de la Cour de cassation accessibles les décisions qui comportent les mots qui m’intéressent. Si je reviens à la question « une entreprise en faillite peut-elle exercer une activité ? », si j’entre les mots « entreprise », « faillite » et « activité », j’obtiens 412 résultats. Comme le mot « faillite » n’a pas, en droit, le sens que lui donne le langage courant (v. les explications plus haut), les 412 résultats sont en réalité très vraisemblablement hors sujet par rapport à la question que j’entendais poser, ce qui montre aussi que l’accès à l’information juridique ne suffit pas à accéder à la règle de droit pertinente. Ce n’est pas parce que je peux taper des mots de recherche que les résultats correspondent à la règle de droit qui est réellement applicable à ma situation.

Deux observations pour finir, une sur le ton de la plaisanterie, et l’autre plus sérieuse.

  1. Petit conseil marketing aux sites des éditeurs juridiques.

En attendant l’avènement de l’intelligence artificielle dans la recherche juridique, les éditeurs juridiques peuvent investir dans la communication. Plutôt qu’une grille austère à remplir avec les mots-clés de notre recherche, pourquoi ne pas faire apparaître à l’écran un androïde, comme Sophia, qui viendra nous dire d’une voix artificielle : « j’ai – trouvé – 24.558 – résultats – voulez-vous – les – consulter ? »

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Je – n’ai – pas – trouvé – de – jurisprudence – Maître…

 

 2.Les véritables apports de la technologie.

L’un des débouchés des nouvelles technologies est l’exploitation du Big Data, à savoir l’exploitation de données de masse. Cela fait longtemps qu’on y pense, mais il est possible de prendre une base de décisions jurisprudentielles pour faire apparaître, pour une juridiction donnée, voire pour un juge donné, des informations statistiques.

Par exemple, telle formation de telle juridiction accorde en moyenne tel montant de dommages-intérêts.

Cette information n’apparaît pas très exploitable, car tout dépend des affaires qui ont été soumises à la juridiction concernée.

Mais quid maintenant du ratio entre le montant de dommages-intérêts demandé et celui qui a été accordé par les juges ? Un quotient de générosité judiciaire en quelque sorte. Les affaires soumises à la juridiction influent toujours sur le résultat, de même que les prétentions des parties, bien sûr, mais on aura quand même une idée de l’attitude des juges confrontés à une demande d’indemnisation.

Il y aura toujours une utilité à écouter tel ou tel avocat, qui aura eu telle ou telle expérience devant tel ou tel juge. Mais il serait très intéressant de pouvoir accéder à des statistiques judiciaires précises pour commencer à faire de la « justice prédictive », c’est-à-dire à tenter de prédire avec le moins d’incertitude possible ce que sera la réponse de la juridiction X quand elle est confrontée au cas Y.

Une nouvelle activité de plus pour les juristes, en somme.

Bruno DONDERO

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Rémunérations des dirigeants, nouvel épisode

Régulièrement, la question des rémunérations des dirigeants de nos grandes entreprises revient dans le débat public. C’est au printemps que la question ressurgit chaque année. Cet effet « marronnier » s’explique par le fait que c’est à cette période de l’année que se tiennent les assemblées des grandes sociétés, et que la rémunération des dirigeants (ce que les journalistes appellent « le salaire des patrons ») revient alors sur la table.

J’emploie à dessein cette expression, car jusqu’à récemment, c’était une information qui était donnée à l’assemblée et rien de plus. Dans une société anonyme, à la différence de ce que l’on rencontre dans les SARL, ce ne sont pas les actionnaires qui décident de la rémunération du dirigeant (PDG, DG, etc.) mais cette compétence est conférée au conseil d’administration ou au conseil de surveillance.

Pendant longtemps, il n’était d’ailleurs même pas prévu que les actionnaires aient connaissance du montant des rémunérations accordées par le conseil aux dirigeants! Puis, en 2001, la loi NRE a exigé que la rémunération de chaque mandataire social soit indiquée dans le rapport de gestion annuel. Cette mesure visait initialement toutes les sociétés anonymes, cotées et non cotées, mais dès 2003, une loi a restreint la mesure aux seules sociétés cotées et à leurs filiales.

Dans les années qui ont suivi, la rémunération des dirigeants a fait l’objet de débats intenses, se focalisant alternativement sur tel ou tel aspect, allant des « golden hellos » (sommes versées lors de l’entrée en fonctions) aux « golden parachutes » (sommes versées en cas de cessation des fonctions), en passant par les « retraites chapeaux » (compléments de retraite).

Vote

Les actionnaires vont-ils pouvoir contraindre le conseil à réduire la rémunération des dirigeants ?

 

En 2013, le Code AFEP-MEDEF – qui est un code de bonne gouvernance auquel adhèrent la plupart de nos grandes entreprises – a introduit le principe du « Say on Pay« , qui consiste à soumettre la rémunération des dirigeants à l’assemblée des actionnaires. Ceux-ci n’ont pas le pouvoir de modifier le montant de la rémunération retenu par le conseil d’administration ou de surveillance, mais ils peuvent émettre un vote de désapprobation, ce qui conduira le conseil d’administration ou de surveillance à réexaminer la question. Ce vote de l’assemblée n’est pas contraignant, mais on peut penser que si l’assemblée des actionnaires – qui nomme le conseil d’administration et le conseil de surveillance et peut mettre fin aux fonctions de ces organes – manifeste sa désapprobation,  cela devrait avoir un impact sur la rémunération du dirigeant. La pratique n’est pas toujours en ce sens, cependant.

Dans une tribune au Monde publiée en 2013, j’avais suggéré d’aller plus loin et de donner compétence à l’assemblée générale pour statuer sur la grille des rémunérations de l’entreprise. Il ne faut pas oublier que la société exploite une entreprise, et que le dirigeant est membre de cette entreprise, au même titre que les salariés. Faire voter l’assemblée sur la politique générale des rémunérations, et notamment sur l’écart maximum admissible entre les rémunérations les plus basses et les plus élevées servies par l’entreprise, devrait permettre aux actionnaires de prendre conscience de cet écart et de réduire, s’ils l’estiment opportun, les rémunérations les plus élevées.

C’est vers une solution proche que pourrait s’orienter prochainement notre Code de commerce, puisqu’un amendement visant à rendre le vote des actionnaires contraignant va bientôt être soumis au vote des députés. Cela supposera toutefois que la loi commence par intégrer le mécanisme du Say on Pay, qui ne figure aujourd’hui que dans des codes de gouvernance auxquels les entreprises choisissent d’adhérer, et donc sans y être contraintes par la loi.

Bruno DONDERO

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Toutes les vidéos du MOOC Sorbonne Droit des contrats

Le MOOC Sorbonne Droit des contrats a été une belle expérience, puisqu’il a réuni plus de 16.000 participants qui ont pu étudier ensemble la réforme du droit des contrats résultant de l’ordonnance du 10 février 2016. Pour information, il y a eu plus de participants au MOOC qu’il n’y a d’étudiants en droit à l’Université Paris 1 Panthéon – Sorbonne sur une année universitaire, toutes formations confondues!

Le cœur du dispositif pédagogique était constitué des 36 vidéos réalisées par des universitaires, des juristes d’entreprise et des avocats.

Ces vidéos sont désormais accessibles de manière permanente sur la chaine Canal U.

Vidéos du MOOC Sorbonne DC 3

Comme pour les vidéos du MOOC Sorbonne Droit des entreprises, l’idée est que chacun puisse utiliser à sa guise ces vidéos pour se former, pour réviser, ou pour animer une formation. Bon visionnage!

Bruno DONDERO

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Du juge qui dit le droit au juge qui explique le droit (Cass. com., 22 mars 2016, n° 14-14218)

Un litige portant sur le prix d’une cession de parts sociales donne l’occasion à la Chambre commerciale de la Cour de cassation d’inaugurer une manière différente de dire le droit, en l’expliquant davantage. L’arrêt rendu le 22 mars 2016, destiné à publication au Bulletin, a été suivi d’un arrêt de la première Chambre civile du 6 avril, destiné à publication au Bulletin et mis quant à lui sur le site de la Cour de cassation, qui recourt à la même méthode. Tous les arrêts ne seront pas rédigés suivant les règles de cette nouvelle « école », mais l’évolution aura un impact fort sur la manière dont se construit le droit.

Le litige ayant donné lieu à l’arrêt du 22 mars 2016.

Les trois associés fondateurs d’une société, MM. X, Y et Z, voulaient associer une quatrième personne, M. A, à leur projet de développement de la société. Ils concluaient avec cette personne un « accord-cadre » par lequel chacun des trois associés s’engageait à céder à A 5 % du capital de la société. De son côté, A prenait deux engagements. Il était d’abord prévu qu’il verserait un « prix forfaitaire et symbolique de 500 euros » à X, Y et Z. L’essentiel de son engagement consistait surtout à promettre, « en contrepartie de la cession au prix d’acquisition symbolique précité », de « mettre au service de la société en qualité de directeur commercial sa connaissance du marché ainsi que son industrie, pendant une durée minimum de cinq années ».

En février 2003, l’accord-cadre était signé. Début mars 2003, trois actes de cession de parts sociales intervenaient, conformément à l’accord-cadre, et à la fin du mois, la société engageait A en qualité de directeur commercial.

On ne sait comment se déroulait la collaboration entre les associés, désormais au nombre de quatre, mais en mars 2010, les trois associés fondateurs assignaient le dernier arrivé aux fins d’obtenir l’annulation par le juge des cessions de parts pour indétermination du prix ou pour vileté du prix, à titre principal, et à titre subsidiaire, aux fins d’obtenir la résolution des cessions du fait de la défaillance de A dans l’exécution de ses obligations. Ce dernier soulevait la prescription de l’action en nullité, et exerçait une action reconventionnelle en paiement de dommages-intérêts.

La cour d’appel saisie du litige rejetait à la fois la demande d’annulation de la cession et l’action reconventionnelle. Saisie de deux pourvois en cassation, émanant des deux factions d’associés, elle les rejette tous deux.

L’arrêt ne présente pas d’intérêt en ce qu’il rejette le pourvoi incident, formé par A, et qui reprochait à la cour d’appel de ne pas avoir motivé son refus de lui accorder des dommages-intérêts (on notera simplement que l’arrêt d’appel évoquait la qualité d’actionnaire de A, alors que la société en cause n’était pas une société par actions, et que la Cour de cassation ne corrige pas cette petite incohérence). La décision n’appelle pas non plus de commentaire particulier en ce qu’elle répond aux critiques des trois associés fondateurs qui prétendaient que la contrepartie attendue de A et consistant en la fourniture de son activité ne pouvait constituer un prix de cession valable. La Cour de cassation se contente de répondre à cette critique en déclarant le moyen de cassation irrecevable, dès lors que la cour d’appel avait déclaré la demande de nullité prescrite sans la rejeter.

Mais l’intérêt de la décision est ailleurs.

Une nouvelle manière pour la Cour de cassation de dire le droit.

L’intérêt de la décision réside avant tout dans la manière dont la Chambre commerciale de la Cour de cassation va procéder pour dire le droit.

Jusqu’à présent, c’est-à-dire depuis plus de deux siècles tout de même, la Cour de cassation formulait la règle de droit, mais elle le faisait « en passant », si l’on peut dire, incidemment. En somme, elle le faisait dans une affaire donnée, et bien que devant assurer la cohérence de l’application de la règle de droit en France, sa mission était enfermée dans le cadre d’un litige opposant des parties identifiées – par exemple notre affaire opposant MM. X, Y et Z, associés fondateurs d’une société, à M. A, qu’ils avaient voulu associer à leur entreprise.

De là sans doute cette manière lapidaire de dire le droit, puisque la Cour de cassation se contentait de « rappeler » le contenu de la règle de droit, mais sans l’expliciter particulièrement. Elle y était d’autant moins invitée que l’article 5 du Code civil prohibe depuis 1804 les arrêts de règlement, interdisant aux juges, Cour de cassation comprise, de « prononcer par voie de disposition générale et réglementaire sur les causes qui leur sont soumises ». C’est donc toujours pour répondre à un litige particulier que la Cour de cassation dit le droit.

L’évolution de ces dernières années.

Cela a été quelque peu remis en cause pour deux raisons.

Tout d’abord, la nécessité d’assurer au droit français une certaine stabilité, de nature à garantir l’existence d’un droit au procès équitable au sens de l’article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, a amené la Cour de cassation à motiver ses revirements de jurisprudence. Il y a quelques années, on en a eu l’illustration avec un arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation du 8 février 2011 qui a remis en cause une jurisprudence antérieure en ces termes :

« Attendu que l’action en nullité d’une convention visée à l’article L. 225-38 du même code et conclue sans autorisation du conseil d’administration se prescrit par trois ans à compter de la date de la convention ; que, toutefois, si elle a été dissimulée, le point de départ du délai de la prescription est reporté au jour où elle a été révélée ; que s’il y a eu volonté de dissimulation, la révélation de la convention s’apprécie à l’égard de la personne qui exerce l’action ; que les conséquences ainsi tirées du texte susvisé, qui s’écartent de celles retenues depuis un arrêt du 24 février 1976, sont conformes à l’exigence de sécurité juridique au regard de l’évolution du droit des sociétés »

La Cour de cassation prend ainsi parfois la peine d’exprimer de manière claire la position d’un arrêt par rapport à sa jurisprudence antérieure (au-delà des références figurant au Bulletin des arrêts).

Ensuite, le débat sur la rétroactivité des revirements de jurisprudence, qui remonte à plus de dix ans maintenant, a vu les juges des différentes juridictions sortir du non-dit qui consistait à ne pas voir la jurisprudence comme une règle de droit, et particulièrement comme une règle de droit susceptible de changements.

Le juge qui explique le droit.

Le système était donc mûr semble-t-il pour connaître une évolution de la Cour de cassation dans sa manière de dire le droit.

Cette évolution se concrétise vraiment avec les deux décisions récentes précitées, qui expriment une volonté de la Cour de cassation de lever l’ambiguïté sur le sens et la portée de ses arrêts. L’arrêt du 22 mars 2016 rendu par la Chambre commerciale est le premier, l’arrêt de la première Chambre civile du 6 avril 2016 en matière d’infractions de presse le second. Tous les arrêts ne sont pas destinés à connaître ce genre de mutation, et l’arrêt du 22 mars 2016 l’illustre bien, puisque si la Cour fournit un petit cours de droit jurisprudentiel sur une question, elle rejette ensuite les pourvois en cassation sur les autres points sans fournir davantage d’explications que d’habitude.

La question à trancher et qui justifie les développements remarquables de la Cour de cassation était celle du caractère absolu ou relatif de la nullité affectant la vente consentie sans prix ou sans prix sérieux. A cette question était attaché précédemment un enjeu particulier, qui était celui de la durée de la prescription de l’action en nullité : le demandeur avait cinq ans pour agir lorsque la nullité était relative, et trente ans lorsque cette nullité avait un caractère absolu. La loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 a fait disparaître cet enjeu, puisque la prescription trentenaire a été remplacée par une prescription quinquennale, applicable tant aux actions fondées sur une nullité relative que sur une nullité absolue.

Dans l’affaire qui nous intéresse, l’action en nullité avait été intentée à un moment où la distinction entre nullité relative et absolue avait encore une conséquence sur la durée de la prescription. En clair, les cessions litigieuses dataient de 2003, et l’action en annulation était intentée en 2010. Si la nullité était relative, la prescription de cinq ans était applicable, et l’action en annulation ne pouvait plus être exercée. Si la nullité était absolue, c’était la prescription trentenaire qui s’appliquait, et l’action introduite demeurait donc possible.

La cour d’appel saisie du litige avait retenu que la nullité était relative (et donc que l’action était prescrite). La Chambre commerciale de la Cour de cassation va confirmer la solution des juges du fond, mais elle ne va pas se contenter de dire que la nullité est relative, laissant aux seuls commentateurs le soin de dire que 1) il y a un revirement de jurisprudence et 2) que la Chambre commerciale s’aligne sur la position d’autres chambres de la Cour de cassation.

La Cour de cassation va tout d’abord, en deux paragraphes, retracer le cadre jurisprudentiel dans lequel son arrêt prend place, et elle va se référer à pas moins de quatre décisions différentes, dont deux ne sont d’ailleurs pas publiées au Bulletin des arrêts :

 « Attendu que la Cour de cassation jugeait depuis longtemps que la vente consentie à vil prix était nulle de nullité absolue (1re Civ., 24 mars 1993, n° 90-21.462) ; que la solution était affirmée en ces termes par la chambre commerciale, financière et économique : « la vente consentie sans prix sérieux est affectée d’une nullité qui, étant fondée sur l’absence d’un élément essentiel de ce contrat, est une nullité absolue soumise à la prescription trentenaire de droit commun » (Com., 23 octobre 2007, n° 06-13.979, Bull. n° 226) ;

Attendu que cette solution a toutefois été abandonnée par la troisième chambre civile de cette Cour, qui a récemment jugé « qu’un contrat de vente conclu pour un prix dérisoire ou vil est nul pour absence de cause et que cette nullité, fondée sur l’intérêt privé du vendeur, est une nullité relative soumise au délai de prescription de cinq ans » (3e Civ., 24 octobre 2012, n° 11-21.980) ; que pour sa part, la première chambre civile énonce que la nullité d’un contrat pour défaut de cause, protectrice du seul intérêt particulier de l’un des cocontractants, est une nullité relative (1re Civ., 29 septembre 2004, n° 03-10.766, Bull. n° 216) ; »

En synthèse, la première Chambre civile et la Chambre commerciale jugeaient que la nullité de la vente consentie à vil prix avait un caractère absolu, parce que le prix est un élément essentiel du contrat, mais la troisième Chambre civile avait adopté une solution différente en rattachant la nullité à celle encourue pour absence de cause, qui est sanctionnée par une nullité relative, et ce y compris devant la première Chambre civile. Cette solution se justifie par le fait que ce n’est plus en fonction du caractère essentiel de l’élément du contrat qui est touché, mais en fonction de la nature de l’intérêt en cause que l’on détermine si la nullité est relative ou absolue.

Après avoir tracé le cadre de la jurisprudence antérieure et les deux positions existantes, la Chambre commerciale explique clairement son intention de se rallier à la seconde d’entre elles, et elle en donne les raisons :

« Attendu qu’il y a lieu d’adopter la même position ; qu’en effet, c’est non pas en fonction de l’existence ou de l’absence d’un élément essentiel du contrat au jour de sa formation, mais au regard de la nature de l’intérêt, privé ou général, protégé par la règle transgressée qu’il convient de déterminer le régime de nullité applicable ; »

On relèvera que l’article 1179 nouveau du Code civil, en sa rédaction résultant de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, qui sera applicable à compter du 1er octobre 2016 (sauf si la loi de ratification répond à la demande du secteur bancaire et repousse de quelques mois l’entrée en vigueur de l’ordonnance), disposera que :

« La nullité est absolue lorsque la règle violée a pour objet la sauvegarde de l’intérêt général.

Elle est relative lorsque la règle violée a pour seul objet la sauvegarde d’un intérêt privé ».

Application au cas concret :

La Chambre commerciale procède ensuite à l’application de la solution au cas qui lui était soumis :

« Attendu qu’en l’espèce, l’action en nullité des cessions de parts conclues pour un prix indéterminé ou vil ne tendait qu’à la protection des intérêts privés des cédants ;

 Attendu que c’est donc à bon droit que la cour d’appel a retenu que cette action, qui relève du régime des actions en nullité relative, se prescrit par cinq ans par application de l’article 1304 du code civil ; que le moyen n’est pas fondé ; »

Et ensuite ?

L’évolution semblera aux non-juristes relever de la simple technique. Elle est pourtant très importante, car elle montre la volonté des magistrats de la plus haute juridiction de l’ordre judiciaire de voir celle-ci jouer un rôle différent dans la formation du droit.

L’idée de « Cour suprême », avec les approximations que renferme cette notion, mais qui verrait la Cour de cassation jouer dans l’élaboration du droit un rôle plus actif, ou plutôt, exercer une autorité plus clairement assumée, se rapproche.

 La Cour de cassation, Cour suprême, ne serait plus un simple rouage de l’ordre judiciaire, vérifiant que les juges du fond appliquent correctement les règles de procédure et les règles de fond (et indiquant incidemment à cette occasion comment les règles de fond doivent se comprendre). Sa jurisprudence deviendrait une source de droit qui s’assume.

Quelle sera la suite ?

La Cour de cassation va-t-elle commencer à citer explicitement la doctrine ?

Va-t-elle abandonner son style de rédaction en une phrase unique faite de propositions commençant par « Attendu que » ou « Mais attendu que » ?

Comme se le demande mon collègue et ami Nicolas Mathey sur son blog, les juges vont-ils introduire des arguments extra-juridiques dans leur raisonnement?

En même temps que notre droit privé connaît une évolution importante avec la réforme du droit des contrats, du régime général de l’obligation et de la preuve résultant de l’ordonnance du 10 février 2016 précitée, il est intéressant de voir que la Cour de cassation entend modifier sa manière de fonctionner.

Les juristes privatistes français peuvent d’ores et déjà se dire qu’ils ont la chance d’être les témoins de mutations du système juridique affectant des questions fondamentales!

Bruno DONDERO

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« Panama papers »: pourquoi recourt-on aux sociétés offshore?

« Panama papers »… Ces mots intriguent et font rêver. Que sont ces papiers qui viennent du Panama ? Il s’agit en réalité d’une suite considérable de révélations qui viennent relancer de très nombreux dossiers, médiatisés ou non, de ces dernières années, et parfois beaucoup plus anciens.

On pourrait d’ailleurs être surpris de voir la manière dont la presse met en scène les révélations à venir, en annonçant même un programme de la semaine… Et puis on se dit que c’est après tout normal que les entreprises de presse communiquent sur leur travail.

Sur le fond du sujet, le mécanisme des sociétés offshores apparaît assez mystérieux, et il y a le danger pour toute personne impliquée de près ou de loin dans la création ou le fonctionnement d’une société offshore de se voir mêlée à ce qui apparaît comme étant systématiquement un délit.

La constitution d’une société offshore n’est pas en soi nécessairement répréhensible. Mais il est aussi concevable que cette société soit le support d’opérations illégales, de blanchiment, etc.

L’est-elle souvent ? Elle l’est de manière suffisante pour que l’on veuille contrôler l’utilisation des sociétés offshore avec attention, mais tout le problème vient de ce qu’elles sont précisément difficiles à contrôler.

Qu’est-ce qu’une société offshore ?

« Offshore » signifie « au-delà du rivage », et les sociétés offshore sont parfois qualifiées de « non résidentes ».

On parle ici de sociétés, c’est-à-dire de personnes morales, de personnes qui n’existent que du point de vue du droit. Le concept de résidence est donc un peu particulier. S’agissant de sociétés, elles ont un Etat de rattachement. On n’est pas dans une idée d’organisme décentralisé comme l’affectionnent les acteurs du bitcoin et de la blockchain ! 

Une société est forcément constituée sous le droit d’un Etat donné dans le monde, et sa qualité de personne morale, c’est-à-dire de sujet de droit pouvant conclure des contrats, pouvant encaisser des sommes d’argent ou faire des paiements, pouvant être propriétaire d’un bien, lui vient du droit sous lequel elle est constituée.

En règle générale, l’Etat de constitution de la société tient un registre des sociétés qui se sont constituées sur son territoire et y ont établi leur siège social.

Mais établir un siège peut n’être qu’un acte purement formel.

Une société offshore a son siège dans un Etat A (le Panama par exemple) mais exerce toute son activité dans un Etat B (la France, pourquoi pas).

 La société est donc bien résidente de l’Etat A, du point de vue juridique et administratif, mais son activité réelle, c’est-à-dire l’entreprise que la société exploite, ou les biens immobiliers dont la société est propriétaire, sont localisés dans l’Etat B.

Pourquoi faire des sociétés offshore ?

Il peut y avoir des objectifs licites à créer une société offshore, et cela mérite d’être dit.

On peut tout d’abord aller chercher à l’étranger une forme juridique que l’on ne trouve pas dans un autre Etat. Ce phénomène de « law shopping » se rencontre ainsi même en Europe, entre Etats de l’Union européenne.

Les Etats proposent des organisations aux entreprises, c’est-à-dire que chaque Etat propose aux sociétés une ou plusieurs formes juridiques.

Des Etats peuvent ainsi proposer des organisations plus ou moins performantes, avec un contrôle plus ou moins fort des associés sur l’action des dirigeants, un capital social requis plus ou moins élevé, et ainsi de suite.

Il est certain que les sociétés du Panama, encadrées par une loi de 1927 assez courte, sont assez attractives en termes de simplicité dans leur fonctionnement.

Comme le résume le site d’un cabinet d’avocats du Panama (http://www.benedetti.com.pa/serv_07/pana_corp_law.html) qui fait la liste des avantages des sociétés panaméennes :

« a. Shares may [be] issued to the bearer or in registered form. b. Shares may be issued in any currency. c. There is no minimum capital required, and may be issue[d] with or without nominative value. d. The corporation may have an office anywhere in the world. e. There is no need to file annual reports or income tax returns. f. Income from foreign operations are tax exempt. g. Shareholders meetings and Board of Directors meetings may be held in any part of the world. h. There is no requirement to hold regular or annual directors or shareholders meetings. i. Panama has no exchange controls nor money restrictions. »

Les points e, f et h seront regardés avec une attention particulière : pas de rapport annuel ni de déclaration de revenus à faire (e), pas d’imposition des opérations faites à l’étranger (f), et pas de réunion à tenir pour le conseil d’administration ou les assemblées d’actionnaires (h)…

Le site évoque une loi de 1997 modernisant le droit des sociétés panaméen, mais avec l’intention de le rendre « more flexible, efficient and in position to compete with the new offshore centers that have arised around the world lately« !

On peut discuter du point de savoir s’il est licite pour des entrepreneurs d’aller chercher une forme juridique étrangère pour leur société au motif qu’elle les dispense de respecter des règles qui s’imposeraient à eux s’ils appliquaient le droit de leur Etat d’origine.

Lorsqu’une société réunit des associés de différentes nationalités, l’argument porte moins, car la société offshore peut être un compromis (ex. : des entrepreneurs français et chinois investissant en Chine via une structure basée à l’Ile Maurice).

Mais on peut se demander s’il est normal qu’une entreprise exploitée en France par des entrepreneurs français voie ceux-ci constituer une société au Panama…

Où commence le caractère répréhensible de la société offshore ?

Une entreprise, un particulier ou les conseils des entreprises ou des particuliers peuvent être tentés par la mise en place d’une organisation reposant sur des sociétés offshore.

Recourir à une organisation située à l’étranger introduit forcément de la complexité dans tout schéma d’organisation d’une entreprise ou d’un patrimoine.

Et cette complexité peut être un premier avantage offert par les sociétés offshore. Si une entreprise est établie en France, et est exploitée par une société constituée et immatriculée en France, dont les associés sont résidents en France, il est facile pour l’administration fiscale ou pour le juge français de contrôler comment les flux financiers circulent de l’entreprise à la société et à ses associés.

Si l’entreprise est exploitée par une société offshore, la connaissance des associés suppose la consultation d’une documentation en anglais ou dans une autre langue, l’identification des sources d’information correctes, et en admettant que ces sources soient coopératives, il est déjà beaucoup plus compliqué de lire la structure juridique et financière.

Si vous multipliez les sociétés, réparties dans plusieurs Etats, en admettant qu’ils soient tous coopératifs, vous rendez beaucoup plus difficile la compréhension du fonctionnement de votre entreprise. Le simple fait de constituer des sociétés à l’étranger complique ainsi déjà la tâche de celui qui enquête sur le fonctionnement d’une activité.

Mais tous les Etats ne sont pas coopératifs, et c’est là aussi le problème.

L’Etat d’implantation d’une société peut ne pas donner suite, ou pas assez vite, aux demandes d’information que lui adresseront les autorités d’autres Etats.

Ce faisant, la mise en place d’une société offshore permet de mettre en place des écrans opaques. Vous savez que le propriétaire d’un bien donné est une société X, vous savez que la société X est une société de droit panaméen, par exemple, mais vous savez pas qui sont ses actionnaires.

Si vous voulez le savoir, il faut faire des démarches auprès de l’autorité auprès de laquelle la société a été constituée. Mais il n’est pas sûr que cela aboutisse.

Précisons que les démarches sont parfois très simples. En France, vous avez accès par le registre du commerce et des sociétés à la liste des associés de certaines formes sociales et la lecture des statuts de la société, s’ils sont à jour, permet de connaître ces informations pour d’autres sociétés (les SARL, par exemple, doivent mentionner dans leurs statuts la répartition des parts entre les associés). Mais pour les sociétés par actions, vous n’avez pas accès à la liste des actionnaires de manière si simple.

Mais au-delà de la difficulté qu’il peut y avoir à comprendre où et à quelle autorité adresser ses demandes, il est possible que tel ou tel Etat ne donne tout simplement pas suite aux demandes qui lui sont faites.

Voilà surtout en quoi la mise en place d’une structure offshore, si elle est faite dans un Etat non coopératif, peut rendre une activité illégale indétectable : vous ne pourrez jamais faire le lien entre l’associé et la société.

L’associé peut ainsi jouir d’un bien de propriété de la société, mais vous ne saurez pas qu’il contrôle la société. La société peut lui verser des sommes d’argent, mais cela intervient sur un compte à l’étranger, et vous ne savez même pas qu’il y a un lien entre la société et l’associé…

Notons que le droit français prévoit des peines aggravées pour certaines infractions (abus de biens sociaux, fraude fiscale) lorsque l’infraction est réalisée ou facilitée par l’usage de comptes ou de sociétés situés à l’étranger (loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière).

Et la fiscalité dans tout ça ?

Un avantage des sociétés offshore tient aussi à la fiscalité. L’Etat d’accueil, s’il veut encourager l’implantation de sociétés offshore, ne va que très peu imposer les sociétés qui se domicilient sur son territoire.

La création d’une société offshore n’est cependant pas nécessairement synonyme de défiscalisation totale, dès lors que les Etats disposent de différents moyens pour étendre leur fiscalité aux sociétés qui ne sont que formellement non résidentes mais exercent des activités sur le territoire de ces Etats.

Simplement, il est plus difficile d’identifier une distribution de dividendes bénéficiant à un contribuable donné s’il est impossible de savoir si ce contribuable est associé de la société, et si la distribution intervient au surplus dans un Etat étranger non coopératif…

Bruno DONDERO

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« Smart contracts », pacte d’actionnaires et droit de préemption

Internet nous incite déjà à prendre conscience de ce que peut impliquer une mise en contact permanente des uns et des autres, permettant de trouver une « contrepartie » sans se heurter à des barrières particulières. Un exemple touchant le monde du droit : on peut sans doute trouver beaucoup plus facilement un avocat et entrer en contact avec lui grâce à internet ; mais le professionnel que le justiciable contacte ainsi est-il nécessairement adapté à ses besoins ? C’est une autre question. Précédemment, c’était la réputation de l’avocat qui lui amenait ses clients, là où aujourd’hui, ce sera aussi le site internet dont il s’est doté, éventuellement les évaluations faites par des clients, etc.

 On voit par ailleurs apparaître de nouveaux concepts, qui demandent un effort de compréhension plus important. C’est ainsi le cas avec ce que l’on appelle la Blockchain, en français la « chaîne de blocs ». Est liée à cette notion une autre notion qui intrigue naturellement le juriste, qui est celle de « smart contract », à savoir le contrat intelligent. Cela signifie-t-il que les contrats qui ne passent pas par la Blockchain sont des contrats stupides, des dumb contracts ?

De quoi parlons-nous exactement ?

 La Blockchain est une base de données distribuée, c’est-à-dire qu’elle permet de stocker des données de manière sécurisée. Ces données peuvent être juridiques, ou avoir des implications juridiques. Parce que participent à cette chaîne un grand nombre de serveurs, c’est-à-dire d’ordinateurs connectés entre eux, la Blockchain deviendrait authentifiée et serait par conséquent infalsifiable.

C’est ce caractère infalsifiable qui a légitimé la mise en circulation du Bitcoin, cette monnaie numérique dont on a beaucoup parlé ces deux dernières années.

Parce que la Blockchain est prétendument infalsifiable, elle légitimerait par ailleurs la mise en œuvre de solutions contractuelles automatiques.

Comme l’explique très bien un article écrit par un entrepreneur, M. Antoine Verdon, il serait possible de mettre en place à l’aide de la Blockchain des contrats qui s’auto-exécutent, et il prend l’exemple d’un pacte d’actionnaires qui prévoirait un droit de préemption.

 Rappelons qu’un pacte d’actionnaires est un contrat conclu entre tous ou certains des actionnaires d’une société, et lorsque le pacte prévoit un droit de préemption, cela signifie que si l’un des signataires du pacte que nous appellerons A souhaite vendre ses actions, les autres signataires ont le droit de se porter acquéreurs de manière prioritaire. Ainsi, si A souhaite vendre ses actions à un tiers T, les autres actionnaires parties au pacte pourront préempter, et acheter les actions avant T, évitant qu’une personne étrangère au cercle des actionnaires initiaux acquière des actions. L’utilité est d’assurer aux personnes qui détiennent le contrôle d’une entreprise de conserver entre leurs mains ce contrôle.

Un des problèmes que suscitent ces droits de préemption (et cela ne se limite pas aux pactes d’actionnaires mais vaut aussi en matière immobilière par exemple), et que connaissent bien les juristes, c’est celui de leur exécution forcée. A, qui a consenti un droit de préemption aux autres parties au pacte, peut être incité à ne pas respecter son engagement, notamment parce que le tiers T qui lui propose de lui acheter les actions sans respecter le pacte 1) propose à A un prix très élevé et 2) promet à A de prendre à sa charge les éventuelles conséquences de la violation du pacte.

Sans rentrer dans le détail, il n’a jamais été simple d’obtenir que le pacte d’actionnaires prévoyant un droit de préemption soit respecté, notamment parce que le pacte est un contrat qui ne lie pas le tiers. La réforme du droit des contrats, mise en œuvre par l’ordonnance du 10 février 2016, vise d’ailleurs entre autre à renforcer l’efficacité des droits de préférence parmi lesquels se placent les droits de préemption (article 1123 nouveau).

 On comprend que l’exécution du pacte est aussi rendue plus incertaine par le fait qu’elle suppose que des démarches soient entreprises par tel ou tel signataire. Ainsi, avant de vendre au tiers T, le signataire du pacte A doit proposer aux autres actionnaires de leur vendre ses actions. S’il ne le fait pas et donc si A vend directement à T, la situation des autres actionnaires est fragilisée, car ils ne sont plus en situation d’acheter avant T, mais ils en sont désormais réduits à contester la cession intervenue au profit de T, qui entre-temps est le propriétaire des actions et le demeurera si la contestation est inefficace.

L’idée serait donc d’éviter que puisse intervenir la cession au profit de T, en rendant automatique l’exercice du droit de préemption et le transfert des actions concernées. Parce que les actions concernées et le pacte d’actionnaires sont déposés sur la Blockchain, le smart contract proposera aux actionnaires, s’il détecte une vente à un tiers, que les bénéficiaires d’un droit de préemption puissent l’exercer s’ils le souhaitent. Sera alors généré, à partir de la vente à T qui était en attente d’exécution, un contrat de vente aux actionnaires bénéficiaires du droit de préemption, contrat qui recevra exécution sans besoin d’intervention de A si la préemption est exercée. Les documents nécessaires à la réalisation de la cession par A de ses actions aux actionnaires ayant mis en œuvre la préemption seront produits automatiquement.

 On comprend l’intérêt du système. Notons que l’idée de soustraire aux signataires du pacte le pouvoir de bloquer son exécution était déjà à l’origine de mécanismes contractuels comme celui consistant à nommer un tiers « gestionnaire du pacte » et à placer entre ses seules mains le pouvoir de donner exécution au pacte, ou encore du mécanisme consistant à faire intervenir la société « cible » au pacte d’actionnaires.

Il est surtout intéressant de voir une première application de la Blockchain au droit des contrats, en attendant de découvrir les autres…

Bruno DONDERO

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La réforme du droit des contrats (ordonnance n° 2016-131 du 10 févr. 2016)

Enfin, le droit des contrats, de la preuve et du régime de l’obligation a été réformé. Le Gouvernement a quasiment été jusqu’au bout du délai d’un an qui lui avait été accordé, puisque l’ordonnance n° 2016-131 aura été prise moins d’une semaine avant l’expiration de ce délai, en l’occurrence le 10 février 2016, avec publication au Journal officiel du 11 février.

 Avant des commentaires plus exhaustifs sur l’impact de la réforme, je formulerai ici quelques observations sur les évolutions qui me semblent les plus importantes.

Sur la forme, tout d’abord.

La numérotation change. Fini les articles 1134 et même 1382 (la responsabilité civile délictuelle fera l’objet d’une autre réforme, annoncée comme proche lors du Conseil des ministres du 10 février). L’article 1134 a été scindé en deux, l’affirmation selon laquelle « les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits » figurant dans un des premiers articles de la nouvelle organisation (art. 1103), l’article suivant (1104) disposant que « les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi », avec la précision selon laquelle « cette disposition est d’ordre public ». L’interdiction d’une modification ou révocation du contrat par une seule partie est quant à elle placée à l’article 1193.

Sur le caractère d’ordre public du nouveau droit des contrats.

Le rapport au Président de la République qui accompagne l’ordonnance indique que le principe serait le caractère supplétif des nouveaux textes, et il est vrai que quelques-unes seulement des nouvelles dispositions mentionnent, comme le fait l’article 1104 nouveau précité qu’elles sont d’ordre public, ou comme le fait la disposition sur l’obligation générale d’information, que l’on ne peut réduire ou exclure l’obligation en cause (art. 1112-1). Il est vrai que le principe est la liberté contractuelle, d’ailleurs clairement et heureusement affirmée par le nouvel article 1102. Il demeure que l’on est un peu sceptique quant à l’affirmation selon laquelle, par exception, l’on pourrait déroger à tout. Quand l’article 1124 nouveau affirme que « la révocation de la promesse pendant le temps laissé au bénéficiaire pour opter n’empêche pas la formation du contrat promis », revenant sur la fameuse et controversée jurisprudence Consorts Cruz, peut-on y déroger ? Oui, sans doute en laissant au promettant une faculté de rétractation. Mais la rédaction souvent directive des textes, ainsi que l’implication des tiers parfois, peuvent laisser un doute.

Un droit plus efficace.

La réaction dominante à la lecture des nouveaux textes est certainement une satisfaction devant des textes plus clairs, pour un droit des contrats plus efficace. Loin des critiques que l’on a pu lire ou entendre, le nouveau droit des contrats est clarifié et dynamisé. Des solutions qui étaient connues de tous mais qui résultaient de décisions de la Cour de cassation, par définition d’accès plus difficile et toujours susceptibles d’une remise en cause ou d’une interprétation différente, sont désormais consacrées par des textes. C’est par exemple la jurisprudence sur la conduite et la rupture des pourparlers que l’on retrouve à l’article 1112, ou celle sur la réticence dolosive (rétention d’une information) assimilée au dol, qui est consacrée par l’article 1137.

Surtout, la liberté contractuelle fait l’objet d’une affirmation plus claire par l’article 1102 que celle qui résultait et résulte encore de l’article 6 du Code civil par a contrario, lorsque l’on prévoit que l’on ne peut déroger aux dispositions qui intéressent l’ordre public et les bonnes mœurs…

C’est aussi le droit de l’exécution qui se trouve dynamisé, avec, entre autres, la reconnaissance claire du droit à l’exécution en nature, par principe (art. 1221), et la liste des « remèdes » à l’inexécution formulée par l’article 1217 (même si en définitive, ce n’est plus de remèdes mais de « sanctions » qu’il est question dans ce texte).

Les quatre révolutions… abouties ou non.

On peut retenir quatre mesures phares de la réforme, qui sont celles qui suscité les discussions les plus intenses après la diffusion du projet de texte, et voir quel a été leur sort.

Certaines se sont maintenues et ont même été amplifiées, d’autres ont au contraire été réduites à peu de chose.

S’agissant du devoir général d’information, qui figure à l’article 1112-1, il a été à la fois restreint et renforcé. Il n’est plus question d’une obligation de donner à l’autre partie l’information que l’on « connaît ou devrait connaître », mais simplement celle que l’on connaît tout court. L’information concernée, qui est celle qui a une importance déterminante, est davantage définie. En revanche, il est désormais dit que « Les parties ne peuvent ni limiter, ni exclure ce devoir ».

S’agissant de la violence économique, la référence à l’état de nécessité a disparu. Cette violence consistant à profiter de la situation économique de l’autre partie ne se rencontrer donc plus que quand on abuse de l’état de dépendance de celle-ci, et que l’on en tire au surplus un « avantage manifestement excessif » (art. 1143).

On avait craint l’introduction d’un dispositif de sanction des clauses abusives dans le Code civil, c’est-à-dire d’un mécanisme permettant de remettre en cause les clauses accordant à une partie un avantage excessif. Un tel dispositif existe déjà dans le Code de la consommation (la clause est réputée non écrite) et dans le Code de commerce (le bénéficiaire de la clause peut engager sa responsabilité), mais le risque était qu’une partie accepte des clauses désavantageuses en ouvrant ensuite une seconde phase de négociations, mais devant le juge. Le nouvel article 1171 prévoit certes que la « clause qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite », mais il précise que ce mécanisme ne joue que dans les contrats d’adhésion, c’est-à-dire « celui dont les conditions générales, soustraites à la négociation, sont déterminées à l’avance par l’une des parties ». Ce n’est donc que lorsqu’il n’y a pas eu de négociation que ce mécanisme pourra jouer.

Dernier mécanisme « révolutionnaire » : l’introduction de la théorie de l’imprévision, qui figure à l’article 1195. On en a déjà parlé dans les colonnes de ce blog, mais ce mécanisme, qui figure dans d’autres droits, et qui permet de demander une renégociation du contrat si celui-ci devient excessivement onéreux du fait d’un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat, a connu une évolution, puisque le juge peut non seulement mettre fin au contrat, à la date et aux conditions qu’il fixe, mais également « réviser le contrat ». Rappelons surtout que ce mécanisme ne peut jouer si une partie a accepté d’assumer le risque de voir l’exécution du contrat devenir excessivement onéreuse. En clair, les parties peuvent écarter cette faculté de demander au juge la révision ou la résolution du contrat.

Entrée en vigueur de la réforme.

Dernier point : la réforme entre en vigueur, aux termes de son article 9, le 1er octobre 2016, et elle ne s’appliquera qu’aux contrats conclus à compter de cette date, à l’exception de trois dispositions concernant des actions déclaratoires (art. 1123, 1158 et 1183).

Cela veut donc dire que pour les contrats conclus avant le 1er octobre 2016, il faudra conserver son Code civil ancien, avec la numérotation ancienne et la combinaison des textes de 1804 et de l’acquis jurisprudentiel… à moins que l’on soit tenté de lire l’ordonnance comme consacrant des solutions qui étaient en germe dans le droit ancien…

Bruno DONDERO

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La réforme du droit des contrats est presque là…

Ces derniers jours, on pouvait se demander si l’ordonnance relative au droit des contrats, de la preuve et du régime général de l’obligation allait effectivement paraître dans les délais.

On est rassuré, puisque le Conseil des ministres qui se tient au moment où j’écris ces lignes mentionne, dans son ordre du jour, notre ordonnance.

Un retard, même léger, aurait reporté de beaucoup le processus. L’habilitation du Gouvernement à modifier le Code civil résultait de la loi n° 2015-177 du 16 février 2015 relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures. On se souvient que la loi avait été adoptée malgré l’opposition du Sénat, qui estimait qu’une réforme aussi importante – ou plutôt, faut-il dire pour être exact, une réforme touchant à des sujets aussi importants – ne pouvait se faire hors du Parlement.

C’était donc de haute lutte que l’habilitation avait été donnée au Gouvernement, l’Assemblée nationale ayant fait jouer son « droit de priorité » (qui lui permet de faire passer une loi en dépit de l’opposition du Sénat – art. 45 de la Constitution). Ainsi que le prévoit l’article 38 de la Constitution s’agissant des ordonnances, l’habilitation donnée au Gouvernement de recourir à cet instrument n’avait été donnée qu’assortie d’un délai.

L’article 27 de la loi du 16 février 2015 avait ainsi prévu que « Les ordonnances prévues par la présente loi doivent être prises dans un délai de (…) douze mois à compter de la publication de la présente loi en ce qui concerne l’article 8 ». La loi en question étant parue au JO du 17 février 2015, on comprend que l’on arrivait aux derniers jours ouverts pour prendre l’ordonnance.

Ne pas prendre l’ordonnance dans le délai aurait-il été gênant?

Ainsi que l’écrit un précis de droit constitutionnel (L. Favoreu, P. Gaïa, R. Ghevontian, J.-L. Mestre, O. Pfersmann, A. Roux et G. Scoffoni, Droit constitutionnel, 18ème éd., Dalloz, 2016, n° 1256): « A l’expiration du délai d’habilitation le Parlement retrouve l’intégralité de sa compétence et le Gouvernement ne peut plus prendre d’ordonnance« .

Si le délai avait expiré, modifier le droit des contrats, de la preuve et du régime de l’obligation par voie d’ordonnance aurait donc supposé que le Parlement vote une nouvelle loi d’habilitation.

Il n’est pas sûr que cette loi aurait été prise rapidement. Ce qui veut dire que l’utilité de la diffusion du projet de réforme, au début de l’année 2015, le processus de consultation publique, la réception des 257 réponses, les discussions avec les différentes associations professionnelles et les praticiens, les nombreux commentaires dans les manuels, revues et colloques, les formations, les MOOCs à venir, etc., tout cela n’aurait pas servi, du moins pas tout de suite… Mais renvoyer la réforme à plus tard aurait très bien pu se traduire par une absence de réforme. Pour peu qu’une dernière consultation soit lancée, on aurait pu repartir pour des discussions sans fin.

Si l’ordonnance est effectivement adoptée, cela signifie que l’on aura, sans doute au Journal officiel publié samedi ou dimanche, notre ordonnance.

Bruno DONDERO

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Réforme imminente du droit des contrats: les points à surveiller

Dans un délai très bref (moins de trois semaines au plus tard), l’ordonnance réformant le droit des contrats, le régime général de l’obligation et le régime de la preuve aura été publiée au Journal officiel. Un tweet récent de la Chancellerie parlant déjà au passé laisse entendre que tout est bouclé… en espérant que la démission de Mme Taubira, annoncée ce mercredi 27 janvier, ne retarde pas le processus.

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On a eu le temps d’étudier avec attention le projet de réforme qui a été soumis à consultation publique entre février et avril 2015. Depuis, aucune version mise à jour du projet d’ordonnance n’a été diffusée officiellement, même si un certain nombre d’informations, parfois contradictoires, ont circulé.

Quelques points sensibles – les plus sensibles – peuvent être listés ici, qui sont autant de changements qui pourraient être apportés à notre droit des contrats. Ce sont aussi, à notre connaissance, les points qui ont suscité le plus de discussion, et vraisemblablement le plus de commentaires et de propositions de modification lors de la consultation publique.

1) Les clauses abusives généralisées au droit commun des contrats.

Le Code de la consommation et le Code de commerce ont chacun un mécanisme de sanction des clauses abusives créant un déséquilibre excessif entre les droits et obligations des parties. Fallait-il reproduire un tel dispositif dans le Code civil ? La crainte est celle d’une phase de renégociation des contrats devant le juge. Vous avez accepté telle ou telle clause très contraignante dans le contrat ? Qu’à cela ne tienne : vous pourrez la discuter devant le juge. Il faudra voir si le champ d’application de ce mécanisme a été restreint ou non aux seuls contrats d’adhésion, comme cela a été demandé.

 

2) L’obligation générale d’information.

Il semble assez normal de penser qu’une partie contractante A doit communiquer à l’autre partie B les informations essentielles relatives au contrat, lorsque B n’a pas ces informations, et qu’elles sont déterminantes de son consentement. Il n’est donc pas absurde d’instituer une obligation générale d’information. Reste à savoir si les parties pourront définir contractuellement l’étendue de leur obligation d’information, et s’il est maintenu que les informations concernées sont celles qu’une partie « connaît ou devrait connaître », ce qui apparaît assez dangereux.

3) La théorie de l’imprévision.

Dans les contrats de longue durée, le changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat et rendant l’exécution de celui-ci excessivement onéreuse pourra conduire une partie à demander à l’autre la renégociation du contrat. Si cette demande n’est pas satisfaite, le projet de réforme permettait au juge de mettre fin au contrat. Reste à voir si cette possibilité, que l’on rencontre dans d’autres droits en Europe et qui devrait pouvoir être écartée par une clause appropriée, est maintenue en l’état.

4) La violence économique.

Cela fait une quinzaine d’années que la Cour de cassation a reconnu l’existence de la violence économique : une partie impose à une autre, en situation de détresse économique, des conditions qu’elle n’aurait pas acceptées si elle n’avait pas été dans cette situation. Le moins que l’on puisse dire est que la reconnaissance de cette notion n’a pas changé la donne en matière de contrats soumis au droit français. La consécration dans le Code civil, si elle est maintenue, conduira-t-elle à un développement de la notion ?

5) Le pouvoir du juge.

Un certain nombre de dispositions présentes dans le projet qui a été soumis à consultation publique tendaient à reconnaître au juge un pouvoir, en lui permettant de modifier ou de mettre fin au contrat. La plupart de ces dispositions n’ont fait que reconnaître des prérogatives que le juge mettait déjà en œuvre, mais il est certain que faire apparaître le juge comme un rouage normal de la vie du contrat n’est pas un message rassurant.

6) La conciliation avec les droits spéciaux et avec les clauses particulières.

La réforme ne porte que sur le droit commun des contrats, ce qui laisse en l’état les droits spéciaux, présents dans le Code civil, le Code de la consommation, le Code de commerce, etc. Reste à voir comment les nouvelles dispositions générales se concilieront avec les règles particulières prévues par ces droits et si des précisions sont apportées sur ce point par l’ordonnance. Se pose par ailleurs la question de savoir si les nouvelles règles seront d’ordre public ou non, ce qui est rarement précisé, dans les textes du premier projet.

7) L’application dans le temps des nouvelles dispositions.

En principe, un contrat est soumis, tant pour ses conditions de formation que pour son exécution, au droit applicable le jour de sa conclusion. La réforme ne devrait donc concerner que les conventions conclues postérieurement à son entrée en vigueur (qui pourra être fixée à quelques mois après sa publication au Journal officiel). Mais comme on a beaucoup dit que la réforme était avant tout de consolidation, davantage que de rupture, ne devra-t-on pas en tenir compte aussi dans l’application du droit antérieur ? La violence économique, par exemple, ne doit-elle pas tenir compte de la consécration faite par la réforme (si elle est maintenue – v. supra) ?

Attendons maintenant la publication de l’ordonnance. Aurons-nous des surprises? Les partisans de la cause auront-ils réussi à réintroduire celle-ci en substituant un fichier informatique à un autre ? Après tout, on se souvient que lorsque le Code de commerce avait été repris à droit constant en 2000, des textes anciens avaient réussi à se glisser dans le nouveau Code… Les hackers au service de la théorie de la cause ?

Bruno DONDERO

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Simplification sur simplification ne vaut (simplification du droit des sociétés et conventions réglementées)

Nous avons déjà  parlé sur ce blog de l’ordonnance de simplification de la société anonyme (ordonnance n° 2015-1127 du 10 septembre 2015) qui a réduit le nombre minimum d’actionnaires de sept à deux, dans les sociétés non cotées.

Nous avons aussi parlé de la réforme apportée à la procédure des conventions réglementées par une autre ordonnance de simplification du droit des sociétés, l’ordonnance n° 2014-863 du 31 juillet 2014.

Cette seconde ordonnance a ajouté à l’article L. 225-39 du Code de commerce une hypothèse de dérogation à la procédure des conventions réglementées. A côté des conventions portant sur une opération courante et conclues à des conditions normales, bénéficient d’une dérogation les conventions conclues entre une société et sa filiale à 100%… ou presque. Précisément, il faut qu’une société détienne « directement ou indirectement, la totalité du capital de l’autre, le cas échéant déduction faite du nombre minimum d’actions requis pour satisfaire aux exigences de l’article 1832 du Code civil ou des articles L. 225-1 et L. 226-1 du [Code de commerce] ».

Simplement, le rapprochement des deux ordonnances fait apparaître une difficulté.

Une société anonyme qui a été constituée avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 10 septembre 2015 comportera la plupart du temps les sept actionnaires initialement requis, sauf à en avoir perdus certains en cours de route.

 Cela signifie par conséquent qu’une telle société ne sera généralement pas en situation de bénéficier de la dérogation insérée à l’article L. 225-39 du Code de commerce par l’ordonnance du 31 juillet 2014 ! La société anonyme de sept actionnaires comporte en effet plus que le nombre minimum d’actionnaires (désormais) requis par la loi, et donc cela signifie que l’actionnaire qui détient l’essentiel du capital a soustrait de ses actions plus que le nombre minimum d’actions requis pour satisfaire aux exigences de l’article L. 225-1.

Il ne nous semble pas que le fait que des sociétés anonymes aient été constituées à une époque où les actionnaires devaient être au moins sept, et se soient en conséquence dotée de ce nombre d’actionnaires là où deux seulement sont requis aujourd’hui, permette de considérer que ces sociétés peuvent bénéficier de la dérogation introduite à l’article L. 225-39 par l’ordonnance du 31 juillet 2014.

Si l’on veut permettre aux sociétés anonymes qui s’étaient dotées de sept actionnaires de bénéficier de la dérogation au dispositif des conventions réglementées, alors que le nombre minimum d’actionnaires n’est plus que de deux, les solutions sont les suivantes.

Il est tout d’abord envisageable que ces sociétés réduisent leur actionnariat et ne conservent que deux actionnaires, dont l’un ne détiendra qu’une seule action et l’autre l’intégralité du capital social restant. Cette opération peut être réalisée aisément si les cinq actionnaires dont il faut se défaire n’avaient effectivement acquis cette qualité que pour permettre à la société de se constituer dans le respect des exigences légales (qui a parlé de fraude ?). Des difficultés pourront cependant se rencontrer, notamment lorsque la société aura été constituée de longue date. Lorsque, dans un groupe, on aura constitué une filiale sous forme de société anonyme vingt ans auparavant, et que l’on aura alors demandé à six salariés de « porter » une action chacun, il est concevable que tel ou tel salarié soit décédé, laissant en ses lieu et place ses héritiers, ou qu’il ait été perdu de vue, ou qu’il ait pris sa retraite, ou qu’il ait quitté ses fonctions, etc. Il est aussi possible que la détention d’une action pendant de longues années ait doté son propriétaire d’un affectio societatis très fort, qui le verra refuser absolument de céder l’action en question. Autant de cas qui rendront plus difficile la mise en conformité avec le « nouvel » article L. 225-39 du Code de commerce, tel que le minimum visé par ce texte doit être entendu.

Une autre solution consistera à demander une intervention du législateur, ce qui supposera qu’il prenne en pitié les sociétés constituées avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 10 septembre 2015 et accepte de leur conférer un régime particulier. Il pourra par exemple leur accorder un délai de quelques années pour réduire leur actionnariat, tout en continuant à bénéficier de la dérogation créée en 2014…

Comme on le voit, la simplification peut perturber la simplification. Les juristes prompts à formuler des adages pourront en conclure que « Simplification sur simplification ne vaut »!

Bruno Dondero

 

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En taxi avec Agnès Saal

Taxi

Taxi, à l’INA s’il vous plait!

Agnès Saal est connue du grand public depuis la révélation d’une histoire de notes de taxi. Présidente de l’INA (Institut national de l’audiovisuel), Mme Saal bénéficie d’une voiture de fonction et d’un chauffeur. Cela ne l’empêche pas de recourir de manière intensive à des taxis, et au printemps 2015, il est révélé qu’elle a dépensé en notes de taxi la somme de 40.000 euros sur dix mois, ce qui fait tout de même beaucoup. En même temps que ce montant, est révélé le fait qu’une partie des facturations sont imputables à son fils, et qu’une autre partie correspondrait à des déplacements personnels de Mme Saal.

 

 Mme Saal a déjà subi, et risque de subir encore les conséquences de cette affaire. Elle a fait l’objet d’une exclusion de la fonction publique, et l’affaire (ainsi qu’une autre affaire de frais de taxi dans sa fonction précédente) pourrait avoir un volet pénal. Le fait qu’elle ait remboursé une partie des frais de taxi est anecdotique.

Au-delà de la question juridique, l’affaire des notes de taxi de Mme Saal a bien sûr été emblématique. Voilà un haut fonctionnaire, du secteur de la culture qui plus est, secteur déjà suspecté d’utiliser les ressources publiques à des fins discutables (car la culture et l’art font l’objet d’appréciations subjectives), qui « roule carrosse » aux frais du contribuable. Qui a une voiture de fonction avec chauffeur. Et qui dépense quand même plusieurs Smic annuels en taxi. Et qui fait cela aussi pour des déplacements personnels. Et qui en fait profiter ses proches. Cela fait beaucoup. Viennent de surcroît prendre sa défense publiquement des responsables du secteur de la culture, entretenant l’idée d’une solidarité de classe (je laisserai à d’autres le soin d’analyser le soutien apporté par la CGT Culture).

L’affaire revient sur le devant de la scène avec une interview donnée au journal Le Monde par Mme Saal (édition du 12 janvier 2016).

 Au-delà de l’exercice de contrition (« Je comprends bien sûr cette indignation », « J’assume cette faute, je la regrette à un point infini », etc.), on appréciera le travail de communication qui est réalisé.

Mais revenons sur quelques-uns des aspects juridiques de l’affaire et de la défense que Mme Saal développe dans son interview.

L’intérêt social de l’INA.

Du point de vue juridique, l’affaire des notes de taxi place Mme Saal dans la classe assez large de ceux qui utilisent dans un intérêt personnel des moyens qui leur ont été attribués à des fins professionnelles. Elle rejoint ainsi le dirigeant d’entreprise qui invite sa famille au restaurant avec la carte bancaire de sa société, ou le salarié qui prend du mobilier de bureau dans son entreprise et le rapporte à son domicile.

 Juridiquement, il y a incontestablement faute. Que l’on soit salarié ou dirigeant, que la structure concernée soit privée ou publique, le fait d’utiliser à des fins personnelles les moyens mis à disposition dans un but professionnel constitue une faute. Il y a faute civile, mais il y a sans doute aussi faute pénale. Des infractions pénales spécifiques existent à cet égard, les plus connues étant celle d’abus de confiance et d’abus de biens sociaux.

Le texte le plus à même de s’appliquer à notre affaire de taxis est l’article 432-15 du Code pénal, qui sanctionne de dix ans d’emprisonnement et un million d’euros d’amende « le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public (…) de détruire, détourner ou soustraire un acte ou un titre, ou des fonds publics ou privés, ou effets, pièces ou titres en tenant lieu, ou tout autre objet qui lui a été remis en raison de ses fonctions ou de sa mission ».

Ajoutons qu’en tant que responsable d’une structure publique, Mme Saal est dans une position d’agent, au sens économique du terme. Elle ne gère pas ses propres deniers, mais des fonds qui lui sont remis pour un usage déterminé, dans un intérêt distinct de son intérêt personnel. Il lui appartient d’agir dans l’intérêt social de la structure qu’elle dirige, en l’occurrence l’INA, et d’être vigilante dans l’utilisation de cet argent qui ne lui appartient pas. C’est d’ailleurs pour cela que sa défense n’est pas très heureuse lorsqu’elle indique qu’elle ne prêtait aucune attention au montant de ses dépenses de taxi…

Une défense Kerviel/Platini.

Dans ce bel exercice de communication qu’est l’interview donnée par Mme Saal au Monde, on voit apparaître une ligne de défense déjà vue dans l’affaire Kerviel. Que disait à ses juges le trader breton ? Ils ne m’ont pas arrêté, les systèmes de contrôle n’ont pas fonctionné, ou bien ils étaient trop faciles à contourner… Défense surprenante qui peut être rapprochée – et l’a été au cours du procès de Jérôme Kerviel – de celle du cambrioleur qui reproche à ses victimes d’avoir insuffisamment protégé leur domicile.

C’est bien une « défense Kerviel » que met en œuvre Mme Saal lorsqu’elle dit : « A aucun moment on ne vient me dire : « Attention, les montants sont trop élevés, certaines courses semblent anormales… ». Les processus de cadrage et d’alerte ne fonctionnent pas ».

Il n’est pas sûr que cette défense soit très pertinente, d’autant qu’à la différence de Jérôme Kerviel qui pouvait tenter de jouer de son image de « petit trader », emporté par la grosse machine bancaire qui lui avait fait perdre la tête, Mme Saal était la présidente de l’INA. Il n’y avait donc personne au-dessus d’elle. Il n’est pas évident d’imaginer qu’un cadre travaillant sous ses ordres aurait pu lui demander des comptes sur son dernier voyage en taxi…

Elle complète cependant sa défense par un argument dont l’avenir dira s’il était bien choisi, et qui est emprunté quant à lui à la défense de Michel Platini. On se souvient que dans une interview donnée au Monde, là encore, M. Platini expliquait en substance (à propos du versement que la FIFA lui a fait et qui est à l’origine de ses déboires actuels) que l’argent n’avait pas d’importance pour lui.

C’est à peu près la même chose que nous dit Mme Saal : « Je ne voyais pas moi-même le détail de mes courses, je n’y pensais même pas. Quand je montais dans le taxi, je ne regardais pas le compteur, car je travaillais. Je regardais mes parapheurs, mon téléphone… J’aurais dû exercer un autocontrôle. Je ne l’ai pas fait ».

On peut déjà donner une indication utile à Mme Saal, qui lui servira lorsqu’elle devra prendre des taxis et les payer elle-même : ce n’est pas lorsque l’on monte dans un taxi qu’il est utile de regarder le compteur, mais plutôt lorsque l’on se prépare à en descendre ! Au-delà de la plaisanterie, est-il crédible de dire que l’on n’attache pas d’importance à la dépense que l’on engage ?

On se dit tout de même que les deniers publics ne sont pas gérés avec une grande attention.

Si ce n’est moi, c’est donc… mon fils.

Le bel exercice de communication connaît par ailleurs un passage plus faible lorsque Mme Saal explique avoir commis une erreur en ne vérifiant pas les conditions dans lesquelles son fils utilisait le code de l’abonnement taxi qu’elle lui avait remis « en cas d’urgence ».

On ne sait pas, et l’on ne veut pas savoir, qui est le fils de Mme Saal ni quel est son âge. S’agit-il d’un petit enfant blond qui mange innocemment une barre chocolatée, assis avec son gros cartable à l’arrière d’un taxi le ramenant de l’école où sa maman qui travaille tard n’a pu aller le chercher ? Ou s’agit-il d’un jeune Frédéric Beigbeder avachi sur la banquette, rentrant de boîte de nuit au bras de sa dernière conquête éphémère à laquelle il explique que c’est ce cochon de contribuable qui paye la course ?

Peu importe, mais la défense consistant à reporter la faute sur son enfant n’est en toute hypothèse pas très glorieuse.

Elle est de surcroît assez peu crédible, car l’on parle de centaine d’heures de taxi, le montant des dépenses imputées au jeune Saal étant de 6.700 euros sur la période des dix mois litigieux.

Cela fait quand même beaucoup d’argent de poche non vérifié…

Bruno DONDERO

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Management fees: le retour (Cass. com., 24 nov. 2015, n° 14-19685)

La pratique des management fees désigne la fourniture à une société, par le biais d’une convention particulière, de prestations relatives à sa direction, à sa stratégie, à son organisation, à la prospection de nouveaux marchés, etc.

Un montage semble-t-il beaucoup pratiqué ces dernières années consiste pour le dirigeant d’une société A à constituer une société B, qui va intervenir pour le compte de A, en fournissant à celle-ci les prestations de management… réalisées par le propre dirigeant de A. La Chambre commerciale de la Cour de cassation a manifesté par deux arrêts remarqués son hostilité à ces situations. Le premier arrêt était l’arrêt Samo Gestion en date du 14 septembre 2010 (n° 09-16084, Gaz. Pal. 16-17 nov. 2011, p. 17, note B. Dondero). Le second était l’arrêt Mecasonic, en date du 23 octobre 2012 (n° 11-23376, Bull. IV, n° 190 ; Gaz. Pal. 21-22 déc. 2012, p. 21, note B. Dondero). La Cour de cassation avait alors par deux fois estimé que l’obligation pesant sur la société A était dépourvue de cause.

La situation était différente dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 24 novembre 2015 (n° 14-19685), et qui n’est pas destiné à publication au Bulletin. Mais l’on touche aussi à la question de la fourniture par contrat de prestations de management.

I – La décision rendue.

Dans cette affaire, une SAS dénommée Tri environnement recyclage (la société TER) avait conclu avec une autre société dénommée Regards une « convention de prestation de service », qui stipulait qu’en cas de rupture avant ce terme par la société TER, celle-ci verserait à la société Regards l’équivalent d’une année de rémunération. Les deux sociétés concluaient une seconde convention, dénommée « convention de mandat social », qui voyait TER confier à Regards sa direction générale. Les relations entre les deux sociétés ayant pris fin, Regards réclamait le versement de l’indemnité de rupture, qu’elle obtenait.

La SAS TER formait un pourvoi en cassation, qui est rejeté.

L’arrêt retient que  saisie par la société TER d’une demande de nullité de la convention de prestation de services pour absence de cause, la cour d’appel, à qui il appartenait de vérifier les conditions d’application de la jurisprudence invoquée par cette société au soutien de sa demande de nullité, n’a pas méconnu le principe de la contradiction en retenant que cette jurisprudence n’était pas applicable aux conventions conclues par une société par actions simplifiée ».

L’argument est certes avant tout de procédure : la cour d’appel n’a pas méconnu le principe de la contradiction… mais cela en jugeant que la jurisprudence de 2010 et 2012 n’était pas applicable aux conventions conclues par une SAS ! La Cour de cassation se place avant tout sur le terrain de la procédure, mais si elle était en désaccord profond avec la solution formulée par la cour d’appel, elle l’aurait sans doute fait comprendre.

La suite de l’arrêt voit la Cour de cassation juger qu’ « ayant énoncé que l’article L. 227-5 du Code de commerce renvoyait aux statuts le soin de déterminer les conditions dans lesquelles serait dirigée la société par actions simplifiée, et relevé que les statuts de la société TER prévoyaient seulement les modalités de désignation du président, éventuellement assisté d’un vice-président, c’est sans dénaturer ces statuts que la cour d’appel a retenu qu’ils ne faisaient pas obstacle à ce que la société confie sa direction générale à une société tierce par la voie d’une convention de prestation de services ».

II – Analyse.

En clair, parce que l’article L. 227-5 du Code de commerce dispose que « Les statuts [de la SAS] fixent les conditions dans lesquelles la société est dirigée » et parce que les statuts de la SAS TER ne prévoyaient que la désignation d’un président et d’un vice-président, il n’était pas interdit à cette société de confier sa direction générale à un tiers par voie conventionnelle.

La jurisprudence antérieure n’est pas abandonnée, mais elle reçoit une nuance.

Dans les arrêts Samo Gestion et Mecasonic rendus en 2010 et en 2012 par la Cour de cassation, le fait que le dirigeant ait été à la fois mandataire social de la société bénéficiaire et prestataire de services fondait vraisemblablement la solution de l’annulation de la convention pour défaut de cause. Une société n’a pas à payer un tiers pour bénéficier de la mise à disposition de son propre dirigeant. Dans cette situation, il n’y aurait pas de prestation réelle fournie à la société, puisque l’activité accomplie dans le cadre de la convention de management correspondrait à celle que le mandataire social doit déjà déployer dans le cadre de ses fonctions de direction. Dire que cette jurisprudence ne serait pas applicable aux SAS serait curieux, car on comprendrait mal pourquoi cette forme sociale autoriserait une telle pratique.

Mais les arrêts de 2010 et 2012 pouvaient également être interprétés de manière plus large, comme interdisant à un dirigeant social de déléguer ses pouvoirs à un tiers, y compris lorsque ce tiers n’a aucun lien avec le dirigeant. C’est au regard de cette lecture que l’arrêt commenté prend son sens, car il viendrait précisément autoriser les SAS à confier leur direction générale à une société tierce par la voie d’une convention de prestation de services, du moins lorsque leurs statuts n’y font pas obstacle.

Les statuts de la SAS en cause n’avaient pas encadré la direction générale, mais simplement la présidence et la « vice-présidence », organe relativement peu fréquent à notre connaissance. Il était donc possible de confier la direction générale à un tiers, par voie de convention. Observons tout de même que l’arrêt évoque une nomination de la société Regards, non pas à la direction générale de la société TER, mais en qualité de vice-présidente de cette société.

On se demandera d’ailleurs quel peut être le statut du cocontractant qui se trouve nommé, lorsque les statuts n’encadrent pas cette fonction, au poste de « directeur général ». L’article L. 227-6 du Code de commerce prévoit depuis 2003 la possibilité que les statuts d’une SAS confie à un directeur général ou directeur général délégué les mêmes pouvoirs que le président. Si l’on se trouve en présence d’un directeur général constitué par voie de convention, dans le silence des statuts, il faut penser que ce directeur général n’a plus la qualité de représentant légal, mais celle d’un organe conventionnel de la SAS. Manque alors la base statutaire expressément mentionnée par l’article L. 227-6. Sans doute faut-il distinguer entre les directeurs généraux de SAS, entre ceux qui tiennent leurs pouvoirs des statuts, et peuvent donc se prévaloir du statut légal de l’article L. 227-6, et les directeurs généraux qui ne sont que des prestataires de services, entrepreneurs et/ou mandataires au sens du Code civil et qui devront respecter les règles imposées à ces derniers, notamment pour agir en justice au nom de la société. D’autres règles divergeront : opposabilité des pouvoirs de ces personnes aux tiers, étendue de leur responsabilité, etc.

On conclura en rapprochant l’arrêt commenté de la décision rendue le 4 novembre 2014 par la Chambre commerciale de la Cour de cassation (n° 13-24889, Bull. IV, n° 166 et vue par ailleurs sur ce blog). Cet arrêt avait soustrait la rémunération du président de la SAS à la sphère des conventions. La décision commentée y fait cependant rentrer la direction générale de la SAS, du moins lorsque cette fonction n’est pas appréhendée par les statuts.

 Bruno DONDERO

 

 

 

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Une curiosité juridique: les frères siamois du Code de commerce

On se souvient qu’il a pu arriver que des juges, et pas des moindres puisqu’il s’agissait de la Cour de cassation, citent un code qui n’existe pas… L’autorité réglementaire est fière de vous annoncer la naissance, à quelques mois d’intervalle, de pas un, mais de deux articles R. 223-18-1 au sein du Code de commerce !

 Un article R. 223-18-1 dans le Code de commerce, c’est bien. Deux articles portant ce même numéro, c’est mieux !

 Cela devait finir par arriver, deux articles ont été créés dans un code avec le même numéro…

 On pourrait se moquer de nos créateurs de normes. On se souvient qu’il a pu arriver que des juges, et pas des moindres puisqu’il s’agissait de la Cour de cassation, citent un code qui n’existe pas… du moins pas officiellement, puisque le Code des sociétés, dont il était question, est une création des éditeurs juridiques. On se souvient que le texte légal donnant compétence aux tribunaux de commerce avait été abrogé en 1991 sans que cela soit remarqué, et que les juridictions commerciales avaient fonctionné pendant dix ans sans assise légale, avant qu’une loi de 2001 vienne ressusciter avec effet rétroactif le texte leur donnant compétence.

Avec un tel passé, on devait s’attendre à ce que notre système juridique se prenne à nouveau les pieds dans le tapis… Qu’avons-nous encore fait ?

Oh, pas grand-chose.

Un décret n° 2015-1380 du 29 octobre 2015 crée un article R. 223-18-1 au sein du Code de commerce, qui dispose que les rapports requis de certaines SARL sur les paiements effectués au profit des Etats ou territoires dans lesquels elles exercent leurs activités (ces SARL doivent à la fois dépasser des seuils et exercer certaines activités: recherche et extraction d’hydrocarbures, de minéraux exploitation de forêts primaires, etc.) sont mis à disposition du public sur le site internet de la société dans un délai de huit mois à compter de la clôture de l’exercice et pendant une durée de cinq années.

Ce texte s’insère dans le Code de commerce, en sa partie réglementaire, après un autre article, également fraichement créé, puisqu’il résulte d’un décret n° 2015-545 du 18 mai 2015, et qu’il indique dans quelles conditions le gérant d’une SARL peut demander au juge la prorogation du délai (normalement de six mois à compter de la clôture de l’exercice) qui s’impose à lui pour réunir les associés en vue de l’approbation des comptes. Ne parlons pas ici du petit embrouillamini qui a conduit une loi de simplification de 2012 à supprimer le texte légal (art. L. 241-5 du Code de commerce) qui permettait de demander la prorogation, ce qui laissait croire que l’on ne pouvait plus la demander, jusqu’à ce qu’une ordonnance de 2014 fasse apparaître à nouveau une référence à la prorogation dans le Code de commerce (art. L. 223-26).

Photo de famille

Photo de famille – de haut en bas: R. 223-18, R. 223-18-1 et R. 223-18-1, et leur cousin R. 223-19

 

 

Pas d’incohérence entre ces deux textes réglementaires.

 Ils sont même très proches l’un de l’autre, puisqu’en plus de se succéder, ils portent le même numéro ! Ce sont des frères jumeaux, par leur nom du moins, on pourrait même dire qu’ils sont siamois. Il est probable qu’un décret de rectification les sépare prochainement.

Le nombre de textes créés, supprimés et modifiés devait bien entraîner cela, et ce n’est sans doute pas la seule erreur de ce genre.

Un soir de mai 2015, dans un ministère, dans un petit bureau encombré de dossiers nombreux et de gobelets de café vides, la dernière main a été apportée au décret qui deviendrait le n° 2015-545, et l’on a créé l’article R. 223-18-1.

Un soir d’octobre 2015, dans un ministère qui n’était peut-être pas le même (car le second décret provient du seul ministère de l’Economie et des finances, quand le premier décret est une œuvre conjointe, impliquant ce ministère mais aussi la Chancellerie), la dernière main a été apportée au décret qui deviendrait le n° 2015-1380, et l’on a créé l’article R. 223-18-1… une deuxième fois.

C’est assez drôle, et l’on imagine déjà les échanges au tribunal de commerce :

Président : Maître, invoquez-vous l’article R. 223-18-1 ou l’article R. 223-18-1 ?

Avocat : Monsieur le Président, mes clients sont des gens sérieux qui ne se permettraient pas de recourir à l’article R. 223-18-1. C’est donc de l’article R. 223-18-1 qu’ils demandent l’application !

Président : Maître, c’est beaucoup plus clair. Je vous remercie.

Bruno DONDERO

 L’auteur adresse ses remerciements à Maître Sabrina BOL, avocate vigilante qui lui a signalé l’existence des frères siamois du Code de commerce.

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Le gérant mort-vivant (Cass. civ. 1ère, 12 nov. 2015, n° 14-23340)

 

La première Chambre civile rend un arrêt destiné à publication au Bulletin et qui porte sur une question toujours sensible, qui est celle de la représentation des sociétés. En l’occurrence, un bail commercial avait été signé par une société civile immobilière (SCI), et elle réclamait à la société locataire le paiement d’un arriéré de loyers et de taxes. La locataire ripostait en plaidant la nullité du bail pour défaut de capacité de la SCI.

 C’est que le bail avait été signé le 1er juin 2008 par la SCI représentée par son gérant M. Jacques X…, alors que celui-ci était… décédé le 29 juin 2006.

 Par quel miracle avait-il réussi, par-delà la tombe, à signer un contrat au nom de la SCI ?

 L’explication est a priori simple : les statuts de la SCI stipulaient qu’elle avait deux associés, dont M. Jacques X…, et que celui-ci était nommé gérant pour une durée illimitée. C’était donc pour l’éternité qu’il était habilité à représenter la société: après le gérant vivant et le gérant mort, le gérant mort-vivant!

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Bonjour, je viens pour la signature du bail…

Plus sérieusement, M. Jacques X… n’ayant pu raisonnablement signer, cela signifiait qu’une autre personne avait représenté la SCI à la signature du bail, et que cette personne n’était pas son gérant.

Une nullité pour défaut de capacité ?

 La cour d’appel saisie du litige avait prononcé la nullité du bail en retenant « l’absence de capacité du bailleur », et elle avait par conséquent ordonné la restitution de tous les loyers perçus par la SCI. Celle-ci avait formé un pourvoi en cassation, fondé sur la violation des articles 1125 et 1304 du Code civil.

 Le second texte est relatif aux restitutions, et l’on comprend la critique : aux restitutions des loyers devait correspondre le versement d’une indemnité compensatrice mise à la charge de la locataire, du fait de l’occupation des lieux.

Le premier texte visé par le pourvoi, l’article 1125, est relatif à la capacité, puisque c’est cette notion qui avait été retenue par la cour d’appel. L’article 1125 dispose que le sujet de droit capable ne peut invoquer l’incapacité de son cocontractant, c’est-à-dire que la nullité déduite de l’incapacité est relative. La référence à ce texte était cependant surprenante, car la question de la signature du bail par un autre que le gérant ne posait pas une question de capacité, mais une question de pouvoir de représentation.

La Cour de cassation recentre le débat sur le pouvoir.

La Cour de cassation recentre le débat sur la question du pouvoir de représentation, puisque la cassation qu’elle prononce l’est sur un moyen relevé d’office, pour violation de l’article 1984 du Code civil. Ce texte est relatif au mandat, et la Cour de cassation en déduit une règle qu’elle avait déjà affirmée par d’autres décisions, à savoir que la nullité d’un contrat fondée sur l’absence de pouvoir du représentant ne peut être invoquée que par la partie représentée – ou précisément, non représentée.

Cela veut donc dire que la société peut toujours, après coup, ratifier les actes faits en son nom par une personne qui n’avait pas le pouvoir de la représenter.

Analyse.

Deux observations sur cette solution.

 La première observation est que la première Chambre civile de la Cour de cassation rend une solution rassurante pour les sociétés, la tendance apparue ces dernières années en jurisprudence étant plutôt de permettre aux tiers d’aller contester les actes faits pour le compte de la société lorsque ceux-ci ne respectaient pas les règles internes (statuts et pactes) dont les tiers avaient connaissance. Cette solution est fondée sur une lecture a contrario de la règle légale selon laquelle les limitations statutaires des pouvoirs des dirigeants sont inopposables aux tiers : ces limitations peuvent a contrario être invoquées par les tiers. C’est surtout en matière d’action en justice et de licenciement que la solution a été formulée par d’autres Chambres de la Cour de cassation.

On se souvient d’ailleurs que la Cour de cassation avait permis qu’une clause des statuts interdise aux tiers de s’en prévaloir.

La seconde observation tient à la formule retenue par la première Chambre civile dans son attendu de principe : « Attendu que la nullité d’un contrat fondée sur l’absence de pouvoir du mandataire social, qui est relative, ne peut être demandée que par la partie représentée ».

Il est déjà intéressant de voir que, comme d’autres décisions, l’arrêt du 12 novembre 2015 fait application au mandat social des règles sur le mandat du Code civil, ce qui ne va pas de soi, dès lors que l’on pourrait penser qu’il s’agit de deux relations juridiques de nature distincte. Surtout, on pourra s’étonner de ce que l’on évoque « l’absence de pouvoir du mandataire social » alors que c’est plutôt « l’absence de mandataire social » qui était en cause. La société n’avait plus de gérant au moment de la signature du contrat, ce n’était pas qu’une question d’absence de pouvoir, il n’y avait plus de mandataire social. A suivre l’arrêt, la société qui n’a plus de mandataire social peut toujours signer, quitte pour la société à reconnaître ensuite à la personne qui a signé en son nom le pouvoir de l’engager.

On peut simplement se demander comment cette solution jurisprudentielle se concilie avec la publicité de la nomination des dirigeants sociaux au registre du commerce et des sociétés. L’article L. 123-9 du Code de commerce dispose à cet égard que « La personne assujettie à immatriculation ne peut, dans l’exercice de son activité, opposer ni aux tiers ni aux administrations publiques, qui peuvent toutefois s’en prévaloir, les faits et actes sujets à mention que si ces derniers ont été publiés au registre ». La société avait pu se doter d’un nouveau gérant, mais si sa nomination n’avait pas été publiée, elle était inopposable au tiers, sauf connaissance personnelle de sa part.

En réalité, la solution formulée par la Cour de cassation est sans doute juste pour le mandataire : un mandataire ponctuel peut être désigné par la société, sans qu’une publicité au registre du commerce s’impose. S’agissant du mandataire social, l’opposabilité aux tiers de sa nomination suppose en revanche une publicité (art. R. 123-54 du Code de commerce).

 

Bruno DONDERO

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FIFA: apprendre le droit des contrats avec Michel Platini et Sepp Blatter

Ces derniers jours, le versement de deux millions de francs suisses (1,84 million d’euros) fait en 2011 par Sepp Blatter à Michel Platini est au cœur des débats. Ce paiement, fait par la FIFA en réalité, est à l’origine de la suspension de 90 jours prononcée par le comité d’éthique de l’organisation.

Ce qui est intéressant pour les juristes, ce sont surtout les déclarations faites par Michel Platini et Sepp Blatter sur le paiement intervenu.

Le « gentlemen’s agreement » de la FIFA.

M. Blatter a tout d’abord déclaré qu’il s’agissait d’un gentlemen’s agreement. Il a déclaré précisément: « C’était un contrat que j’avais avec Platini, un gentlemen’s agreement, et il a été mis en œuvre, je ne peux pas donner de détails« .

Il y a une petite contradiction dans le fait d’avoir un contrat, au sens juridique, et un gentlemen’s agreement, qui est un engagement d’honneur, pris en dehors du droit et en principe insusceptible d’exécution par les voies de droit.

Il y a aussi un détail, qui est que l’accord a été pris non par M. Blatter mais par la FIFA.

Il n’est pas impossible qu’une personne morale prenne un engagement d’honneur, mais ce point mérite d’être souligné, d’autant que les intéressés n’ont visiblement pas une conscience parfaite de la distinction. Ainsi, quand Michel Platini est interviewé par le Monde, il évoque le fait que « Blatter (…) me devait de l’argent« .

L’ambiguïté tient aussi à ce que Michel Platini rapporte que Sepp Blatter lui avait demandé d’être « son conseiller pour le foot », ce qui pourrait suggérer une relation plus personnelle.

L’objet de l’obligation contractée par la FIFA.

Lorsque l’on conclut un contrat, il est une condition qui est celle de l’objet de l’obligation. Il faut savoir à quoi l’on s’engage. Si je m’engage à « faire quelque chose » pour vous, nous n’avons pas un contrat valable. Cela ne veut pas dire qu’il faut nécessairement que tout soit défini de manière préalable. Nous pouvons nous mettre d’accord, dans certains contrats, sur le fait que la prestation sera effectuée, et que le prix sera communiqué par la suite. Cela donnera peut-être lieu à des difficultés d’ailleurs, dès lors que celui qui recevra la facture pourra être surpris et en contester le montant, ce qu’il aurait moins facilement fait s’il avait donné préalablement son accord.

Mais le contrat conclu par Michel Platini était très étonnant, voire unique, puisqu’il avait demandé… « un million », mais sans préciser un million de quoi. C’est cet échange improbable, intervenu en 1998 quand Sepp Blatter lui propose d’être son conseiller pour le football que rapporte Michel Platini dans l’interview qu’il donne dans le Monde à la talentueuse Raphaëlle Bacqué.

« Combien tu veux? » demande Blatter.

Je réponds: « Un million ».

« De quoi? »

« De ce que tu veux, des roubles, des livres, des dollars ».

Il répond: « D’accord, 1 million de francs suisses par an ».

Dans cet échange, passent les unes après les autres des devises très diverses, correspondant à des montants très éloignés. Au 31 décembre 1998, un million de livres (en admettant que Michel Platini parle bien de livres sterling) équivalent à plus de 15 millions de roubles.

C’est finalement sur le franc suisse que s’arrête Blatter, qui est à mi-chemin entre les livres et les roubles, puisqu’il vaut à l’époque 6,66 roubles.

En réalité, comme le dit Michel Platini, il donnait à Sepp Blatter le choix du montant de sa rémunération.

Notons d’ailleurs que cette rémunération va poser un autre problème, qui est celui de son montant (v. infra).

Le contrat oral qui vaut comme un contrat écrit.

Dans l’interview qu’il donne au Monde, Michel Platini répond à la critique reposant sur le fait que son contrat n’existe pas. Cela permet de mettre le doigt sur la différence qui existe entre les deux sens du mot « contrat ». Un contrat est un accord, un negotium, et ce peut être aussi un instrumentum, une manifestation matérielle du contrat, par exemple un écrit signé des parties. Tous les contrats donnent lieu à un accord, mais tous ne donnent pas lieu à une trace écrite.

Michel Platini nous dit: « J’ai appris depuis qu’en droit suisse, un contrat oral vaut comme un contrat écrit« .

Pour le juriste, cela suscite deux observations.

La première est celle de la distinction entre le contrat et sa preuve. Votre contrat est peut-être valable sans écrit, mais l’absence d’écrit rend difficile d’établir son existence. Voilà pourquoi l’instrumentum est utile. Voilà d’ailleurs pourquoi en droit français, le principe est la nécessité d’un écrit pour les contrats de plus de… 1.500 euros! Sans écrit signé des parties lorsque celui-ci est exigé, vous ne pouvez tout simplement pas obtenir l’exécution forcée du contrat si l’autre partie se refuse à l’exécuter. Cela ne veut pas dire que le contrat n’existe pas, ou qu’il n’est pas valable (sauf si un texte spécial demande la forme écrite comme condition de validité), mais si le montant de la somme à payer en vertu du contrat est contesté, il ne sera pas possible d’obtenir l’exécution de ce qui avait été convenu.

La seconde observation est relative à l’utilité des avocats. Michel Platini nous dit: « Cela fait longtemps que je n’ai plus ni avocat ni agent qui négocient pour moi« . Certes, mais signer, pardon, conclure un contrat pour des montants aussi importants, et ne découvrir qu’après coup que ce contrat est valable sous forme orale est une prise de risque que la présence d’un avocat aurait évitée. L’écrit aurait aussi permis de clarifier les innombrables questions que la conclusion d’un contrat aussi important ne manque pas de poser. La FIFA, par exemple, a-t-elle remboursé des sommes à Michel Platini au titre des frais engagés par lui (il indique: « j’accompagne beaucoup Blatter dans ses voyages« ) ? Si c’est le cas, l’a-t-elle fait sur le fondement de ce contrat dont il n’y a pas de trace ? Et ce contrat relevait-il vraiment du droit suisse ? Autant de difficultés qu’un écrit aurait permis de prévenir.

Le montant de la rémunération et la prescription.

Le dialogue rapporté par Michel Platini est intéressant.

Sepp Blatter lui dit après quelques mois qu’il ne peut pas le payer un million de francs suisses « à cause de la grille des salaires« . Il lui dit: « Tu comprends, le secrétaire général gagne 300.000 francs suisses. Tu ne peux pas avoir plus de trois fois son salaire. Alors on va te faire un contrat pour 300.000 francs suisses et on te donnera le solde plus tard« .

On peut ainsi s’affranchir de la « grille des salaires » en payant « plus tard »…

Ce « plus tard » est à l’origine d’une autre difficulté. Car Michel Platini a travaillé jusqu’en 2002 et ne demande à être payé qu’en 2011. Or, selon ses dires, sa créance aurait alors été prescrite, et comme il le dit justement « on peut refuser d’honorer une dette » lorsqu’elle est atteinte de prescription.

Autre point surprenant de cette relation contractuelle: le paiement par la FIFA de sommes dépassant la grille des salaires et atteintes par la prescription.

Il n’est pas interdit de payer une dette prescrite. On peut simplement se demander si le dirigeant d’une personne morale qui honore un tel engagement sans sourciller ne porte pas atteinte à l’intérêt de la personne morale.

Il faut simplement espérer que le paiement d’une dette 1) prescrite 2) dépassant la grille des salaires et 3) correspondant à un contrat non écrit soit licite au regard du droit applicable, qu’il s’agisse du droit suisse des contrats ou des règles applicables à la FIFA…

Bruno DONDERO

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Société anonyme: les sept mercenaires pourront ne plus être sept! (ordonnance n° 2015-1127 du 10 sept. 2015)

C’est une règle que tous ceux qui ont étudié, enseigné ou pratiqué le droit des sociétés connaissaient qui vient de disparaître: le minimum de sept actionnaires requis pour constituer une société anonyme disparaît.

Pas de surprise, car l’ordonnance n° 2015-1127 du 10 septembre 2015, parue au JO de ce matin, avait été annoncée par la loi n° 2014-1545 du 20 décembre 2014, loi relative à la simplification de la vie des entreprises, loi dont l’intitulé a dû être simplifié, ce qui était tout de même assez drôle, et m’avait permis de me moquer du législateur contraint de simplifier l’intitulé de la loi de simplification.

Les actionnaires constituant la société anonyme pour rechercher un enrichissement, il est tentant d’observer que les sept mercenaires ne seront plus nécessairement sept…

I – Les modifications.

L’article L. 225-1 du Code de commerce, premier texte du chapitre consacré aux sociétés anonymes perd la phrase qui indiquait « Le nombre des associés ne peut être inférieur à sept« .

Un nouvel alinéa est ajouté au texte, qui pose deux règles. La règle de principe est la suivante: la société anonyme est constituée entre deux associés ou plus. Une règle spécifique est ensuite formulée pour les sociétés cotées en bourse (celle dont les titres sont admis aux négociations sur un marché réglementé), qui doivent toujours avoir sept actionnaires.

Sont également modifiés un certain nombre de textes qui faisaient référence ou dérogeaient à cette exigence pour toutes les sociétés anonymes de sept actionnaires au moins.

II – Observations.

Lorsque la loi du 20 décembre 2014 avait annoncé qu’une ordonnance viendrait « diminuer le nombre minimal d’actionnaires » et « adapter en conséquence les règles d’administration, de fonctionnement et de contrôle » des SA non cotées, certes « sans remettre en cause les compétences et les règles de composition, d’organisation et de fonctionnement de leurs organes« , on avait craint la création d’une SA simplifiée, qui serait venue concurrencer peu utilement la société par actions simplifiée (SAS). Cela n’est heureusement pas le cas.

En réalité, la suppression de l’exigence de sept actionnaires est bienvenue. La justification de cette exigence n’était pas très convaincante: elle aurait permis de distinguer les sociétés anonymes des sociétés de personnes, composée d’associés moins nombreux. Cela obligeait qui voulait recourir à cette forme sociale à trouver sept actionnaires, ce qui contribuait à enrichir la galerie des actionnaires, d’ailleurs: le beau-frère actionnaire, la mamie actionnaire, le canari actionnaire, peut-être…

Plus sérieusement, cela pouvait être gênant dans les groupes de sociétés, où l’on pouvait rencontrer le schéma suivant: un actionnaire à 99,99%, la société mère, et six salariés portant chacun une action. Le départ de tel ou tel salarié ne s’accompagnant pas toujours de la restitution de l’action qu’il détenait, certaines sociétés ont parfois du mal à retrouver leurs actionnaires, ce qui peut être gênant si l’on veut transformer la société en SAS, ce qui suppose l’unanimité, selon l’article L. 227-3 du Code de commerce.

Cela faisait courir aussi un risque théorique de dissolution à la société qui n’aurait plus ses sept actionnaires depuis plus d’un an, puisque l’article L. 225-247 du Code de commerce permet à tout intéressé de saisir le juge d’une demande de dissolution. A ma connaissance, il n’est jamais arrivé qu’un tribunal prononce la dissolution d’une société anonyme au seul motif qu’elle n’avait plus que six actionnaires… En tous les cas, l’article L. 225-247 ne concernera plus que les sociétés cotées, les SA non cotées pouvant par ailleurs être dissoutes par application de l’article 1844-5 du Code civil, visant les sociétés devenues unipersonnelles et restées dans cette situation pendant plus d’un an.

Bruno DONDERO

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Droit d’information des salariés en cas de cession d’entreprise et loi Macron: nouveau mic-mac en perspective ?

Permettre aux salariés de reprendre leur entreprise est une excellente chose. La loi relative à l’économie sociale et solidaire (L. n° 2014-856 du 31 juillet 2014) a voulu favoriser cette reprise. Il est toutefois dommage que pour ce faire, le législateur ait mis en place un dispositif à la fois complexe et imprécis, et assorti d’une sanction de nullité des cessions réalisées, de nature à nourrir les angoisses des parties à une cession d’entreprise et de leurs conseils.

Bien que fondé sur une bonne idée, ce dispositif a très certainement plus fait pour entraver les cessions pour lesquelles un repreneur avait été trouvé qu’il n’a empêché d’entreprises de fermer.

L’article 204 de la loi Macron, dont la promulgation est attendue, après son passage devant le Conseil constitutionnel, vient remplacer la nullité par une sanction différente, d’amende civile égale à 2% du prix de la vente, lorsque cette vente a été faite sans respecter le droit d’information des salariés. C’en est donc fini du risque d’annulation des cessions, à cet égard.

Mais la situation n’est pas si simple que cela…


I – Une redoutable question a été évitée…

Nous avions évoqué sur ce blog la saisine du Conseil constitutionnel par une QPC. Répondant à celle-ci, le Conseil constitutionnel a estimé que la sanction de nullité était inconstitutionnelle (décision n° 2015-476 QPC). Il a ainsi anticipé l’application de la loi Macron quant à la suppression de la possibilité d’annuler une cession pour non-respect du droit d’information des salariés.

Le Conseil constitutionnel avait été saisi d’une demande portant sur l’intégralité du dispositif, reprochant notamment à celui-ci une atteinte excessive au droit de propriété et à la liberté d’entreprendre. Il aurait donc été concevable que le droit d’information des salariés soit supprimé en son entier.

Si cela avait été le cas, la situation aurait été particulièrement délicate, puisque la loi Macron serait venue apporter des modifications à des textes entre-temps supprimés. Quelle valeur aurait eu cette construction faite sur un fondement inexistant ? La loi Macron aurait-elle été dépourvue de valeur normative en ce qu’ayant été établie sur du vide ? Ou bien les dispositions modificatives auraient-elles rendu sa force au texte abrogé ? Cette seconde solution aurait eu pour elle un argument tenant au contenu de la loi Macron, qui procède à la suppression de la sanction de nullité, honnie par le Conseil constitutionnel. Mais peut-on pour autant considérer que la loi qui modifie un texte supprimé rend à celui-ci la vie juridique qui lui manque ?

II – … Mais évitée seulement partiellement.

Cette redoutable question n’a été en réalité que partiellement évitée.

La décision n° 2015-476 QPC dispose en effet que « les quatrième et cinquième alinéas de l’article L. 23-10-1 et les troisième et quatrième alinéas de l’article L. 23-10-7 du Code de commerce issus de l’article 20 de la loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire sont contraires à la Constitution ». Or, lorsque la loi Macron vient substituer à la nullité la sanction de l’amende civile, elle le fait en remplaçant par un nouvel alinéa les deux derniers alinéas de l’article L. 23-10-1 du Code de commerce, d’une part, et les troisième et avant-dernier alinéas de l’article L. 23-10-7, d’autre part, qui sont précisément les alinéas déclarés contraires à la Constitution.

La déclaration d’inconstitutionnalité emportant abrogation des dispositions visées à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d’une date ultérieure fixée par sa décision, aux termes de l’article 62 de la Constitution, la loi Macron a dans une certaine mesure modifié des textes qui avaient entre-temps été supprimés.

La question se pose donc de savoir si la loi ESS est encore pourvue d’une sanction. Si la sanction d’amende civile édictée par la loi Macron n’a pu être valablement adoptée, cela signifie que ce n’est plus la sanction de la nullité initialement prévue, ni la nouvelle sanction, qui sont applicables. Que reste-t-il ? On n’ose suggérer l’application d’une sanction de nullité, à des conditions différentes de celles initialement prévues par la loi ESS. C’est donc vers une action en responsabilité civile soumise aux conditions de droit commun que l’on se tournera et vers elle seule… si la sanction de l’amende civile est effectivement écartée.

En conclusion, la grande saga du droit d’information des salariés continue, pour le plaisir de… mais de qui au fait ?

 Bruno DONDERO

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Loi Macron: feu vert au crédit inter-entreprises, oui, mais en respectant pas moins de 13 conditions!

La loi Macron, dont on attend la promulgation après son passage devant le Conseil constitutionnel, aborde tellement de sujets différents et passionnants que l’on pourrait passer à côté de certaines des mesures du nouveau texte, qui ne sont pas celles dont on a le plus parlé.

Nous avions évoqué dans les colonnes de ce blog la question du crédit inter-entreprises, sujet abordé par le projet de loi.

Pour rappeler le sujet en quelques mots, le prêt d’argent fait à titre onéreux et habituel (c’es-à-dire à plus d’une seule personne) ne peut en principe être fait que par un établissement de crédit ou une société de financement, et ce sous peine de sanctions lourdes (3 ans d’emprisonnement et 375.000 euros d’amende, en premier lieu).

La loi Macron a vu monter à son bord, au cours des travaux parlementaires et contre l’avis du Gouvernement, un amendement proposant d’autoriser le crédit entre les entreprises, ce qui aurait permis à une entreprise de mettre son excédent de trésorerie à la disposition d’une autre, sans courir le risque de violer le monopole bancaire. L’amendement était rédigé de manière assez peu rigoureuse, mais il allait dans le sens de l’ouverture d’une brèche assez large dans le monopole bancaire.

Le texte voté au final est moins généreux à cet égard, puisque le crédit inter-entreprises se trouve soumis au respect de pas moins de 13 conditions différentes, en attendant d’ailleurs de connaître le décret qui encadrera cette forme de crédit et édictera peut-être encore des conditions supplémentaires.

Concrètement, l’article L. 511-6 du Code monétaire et financier, texte qui édictait déjà plusieurs exceptions au monopole bancaire, se voit ajouter un nouveau paragraphe, qui énonce différentes conditions, résumées ci-après:

Conditions relatives à la société prêteuse : il doit s’agir 1) d’une société par actions (société anonyme, en commandite par actions, par actions simplifiée, société européenne) ou d’une SARL 2) dont les comptes font l’objet d’une certification par un commissaire aux comptes.

Conditions relatives au prêt : le prêt doit être consenti 3) à titre accessoire à l’activité principale de la société prêteuse, 4) être à moins de deux ans, et 5) l’octroi de ce prêt ne peut avoir pour effet d’imposer à un partenaire commercial des délais de paiement ne respectant pas les plafonds légaux définis aux articles L. 441-6 et L. 443-1 du Code de commerce. Le prêt doit en outre être 6) formalisé dans un contrat et 7) soumis à la procédure des conventions réglementées (les textes visés sont uniquement ceux des SARL et une partie de ceux applicables aux sociétés anonymes, mais pas ceux applicables aux SAS, ce qui résulte dans doute d’une erreur du rédacteur du texte).

Conditions relatives à l’emprunteur : l’emprunteur doit 8) relever de la catégorie des micro-entreprises, des PME ou des entreprises de taille intermédiaire et 9) il doit entretenir avec la société prêteuse des liens économiques justifiant le prêt.

Conditions supplémentaires : 10) un décret en Conseil d’État à intervenir fixera les conditions et les limites dans lesquelles les sociétés par actions et SARL pourront octroyer des prêts. 11) Le montant des prêts consentis sera communiqué dans le rapport de gestion (au moins de la société prêteuse, faut-il penser) et 12) fera l’objet d’une attestation du commissaire aux comptes selon des modalités prévues par décret en Conseil d’État. Il est encore prévu que 13) nonobstant toute disposition ou stipulation contraire, les créances détenues par le prêteur ne pourront, à peine de nullité, être acquises par un organisme de titrisation, un fonds professionnel spécialisé ou faire l’objet de contrats constituant des instruments financiers à terme ou transférant des risques d’assurance à ces mêmes organismes ou fonds.

Bruno DONDERO

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QPC sur la loi Hamon: inconstitutionnalité de la nullité (C. const., décision n° 2015-476 QPC du 17 juil. 2015)

Le Conseil constitutionnel avait été saisi d’une QPC (question prioritaire de constitutionnalité) visant la loi Hamon du 31 juillet 2014, en sa partie instituant une obligation d’informer les salariés d’une société entrant dans les seuils définis par la loi (les PME, en substance). Nous avons déjà parlé de cette loi, et de ce recours.

Cette obligation d’information a suscité de nombreuses discussions, notamment parce que son champ d’application n’était pas défini avec une grande précision (la cession d’entreprise visée est-elle aussi l’apport ou la donation ?), et aussi parce que la sanction prévue était celle de la nullité de la cession. En clair, qui oubliait d’informer l’un de ses 200 salariés s’exposait à un risque d’annulation de la cession de l’entreprise, avec obligation pour le vendeur de reprendre les parts ou les actions cédées, et de restituer le prix.

La loi Hamon avait fait l’objet d’une QPC, tandis que le décret d’application était visé par un recours pour excès de pouvoir, pendant devant le Conseil d’Etat.

Précisons qu’entre-temps, la loi Macron a été votée, et qu’elle retouche la loi Hamon, en précisant le champ d’application (les seules « ventes ») et en remplaçant la sanction de la nullité par une amende civile de 2% du prix de cession. La loi Macron fait l’objet d’un recours devant le Conseil constitutionnel, mais qui ne porte pas semble-t-il sur cette partie de la loi.

Le Conseil constitutionnel vient donc de répondre à la QPC, et il déclare partiellement inconstitutionnel le dispositif Hamon, en son état antérieur à la loi Macron.

I – Inconstitutionnalité.

Sont contraires à la Constitution les textes édictant une sanction de nullité en cas de non-respect du dispositif d’information obligatoire des salariés.

Le Conseil constitutionnel relève notamment que l’action en annulation peut être exercée par un seul salarié, même s’il a été informé du projet de cession et que la loi ne détermine pas les critères en vertu desquels le juge peut prononcer cette annulation. Il en est déduit que, au regard de l’objet de l’obligation dont la méconnaissance est sanctionnée (qui est de garantir au salariés le droit de présenter une offre de reprise sans que celle-ci s’impose au cédant) et des conséquences d’une nullité de la cession, l’action en nullité porte une atteinte manifestement disproportionnée à la liberté d’entreprendre.

Sont en conséquence supprimés les deux alinéas de l’article L. 23-10-1 du Code de commerce et les deux alinéas de l’article L. 23-10-7 édictant la sanction de nullité, étant précisé que la décision du Conseil prend effet à compter de la publication de sa décision, et qu’elle est précisée être applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à cette date.

Nous n’avons pas connaissance de décisions rendues en ce domaine à ce jour. Mais si un juge était saisi d’une action en annulation pour non-respect de l’obligation d’information des salariés, il ne peut plus prononcer cette sanction aujourd’hui.

II – Constitutionnalité.

Sont en revanche conformes à la Constitution l’obligation d’information elle-même et les mesures d’application de la loi dans le temps qui avaient été prévues. S’agissant de dispositif d’information lui-même, il est jugé qu’il poursuit un objectif d’intérêt général, qu’il fait l’objet d’un encadrement particulier (obligation de discrétion pesant sur les salariés notamment) et que l’obligation d’information n’interdit pas au propriétaire de céder librement sa participation dans la société à l’acquéreur de son choix et aux conditions qu’il estime les plus conformes à ses intérêts.

L’article 98 de la loi Hamon, qui avait prévu que le dispositif ne s’applique qu’aux cessions intervenues trois mois au moins après la publication de la loi, est par ailleurs jugé conforme à la Constitution en ce qu’il ne porte pas atteinte au droit au maintien des contrats.

 Bruno DONDERO

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L’usufruitier de parts sociales et les réserves de la société (Cass. com., 27 mai 2015, n° 14-16246, P+B+R+I)

Les parts sociales ou les actions d’une société peuvent faire l’objet d’un démembrement de propriété, ce qui conduit à une situation dans laquelle les droits et obligations de l’associé (droit de vote, droit aux bénéfices, notamment) sont réparties entre le nu-propriétaire et l’usufruitier.

Les textes généraux sur l’usufruit, figurant dans le Code civil, et les textes spéciaux du droit des sociétés ne fournissent pas toutes les réponses voulues quant à la répartition que les statuts ou la convention d’usufruit peut opérer. La jurisprudence a précisé que le nu-propriétaire avait la qualité d’associé, mais la même solution n’a jamais été affirmée pour l’usufruitier, ce qui permet de penser qu’il n’a pas la qualité d’associé. Il a cependant le droit d’exercer certaines des prérogatives de l’associé, précisément parce qu’il a un droit d’usage des parts sociales ou des actions.

L’arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 27 mai dernier, auquel la publication la plus large (les deux Bulletins, le site internet de la Cour, son rapport annuel) est réservée, apporte une précision importante, mais la décision n’est pas facile à lire.

Est-ce que ce sont des fruits pour l'usufruitier, ou verra-t-on naître un quasi-usufruit ?

Est-ce que ce sont des fruits pour l’usufruitier, ou verra-t-on naître un quasi-usufruit ?

Voyons ensemble la solution (I) puis apportons quelques commentaires (II).

I – La solution.

L’usufruitier des parts d’une société civile étant décédé, ses ayants droit avaient déposé une déclaration de succession rectificative faisant état d’un passif successoral, non pris en compte dans leur déclaration de succession initiale. Le passif que les héritiers entendaient voir pris en compte résultait d’une dette de restitution du défunt, qui avait bénéficié d’une distribution de réserves décidée par une assemblée. Le procès-verbal de l’assemblée mentionnait que, pour les parts sociales dont la propriété était démembrée, le nu-propriétaire aurait droit au dividende distribué mais que l’usufruitier exercerait son droit de quasi-usufruit sur le dividende distribué et que ce dividende lui serait donc payé.

Pour comprendre l’arrêt, il faut savoir ce qu’est le quasi-usufruit.

L’article 587 du Code civil dispose que « Si l’usufruit comprend des choses dont on ne peut faire usage sans les consommer, comme l’argent, les grains, les liqueurs, l’usufruitier a le droit de s’en servir, mais à la charge de rendre, à la fin de l’usufruit, soit des choses de même quantité et qualité soit leur valeur estimée à la date de la restitution ». Ainsi, lorsque l’usufruit porte sur des choses de genre consomptibles, l’usufruitier peut en disposer, mais à charge pour lui de rendre des choses identiques. Il a donc dans cette situation plus que ses prérogatives d’usage, puisque l’usufruitier se comporte alors comme un véritable propriétaire.

Pour notre cas, la question était donc la suivante : les dividendes perçus par l’usufruitier étaient-ils des fruits, auxquels il avait droit parce qu’il était usufruitier des parts de la société ? Ou bien les sommes reçues l’étaient-elles en vertu d’un quasi-usufruit, ce qui veut dire que, à côté de l’usufruit des parts sociales qui existait déjà, apparaîtrait un second usufruit sur les sommes d’argent reçu, mais qui serait un quasi-usufruit, et qui obligerait donc l’usufruitier à restituer les sommes reçues (ce qui n’est pas le cas du dividende, normalement, si c’est un fruit).

L’administration fiscale et la cour d’appel répondaient, sur le terrain du droit fiscal, que le quasi-usufruit avait une origine conventionnelle, ce qui avait une incidence sur la preuve de l’existence de la dette au regard de l’administration fiscale.

L’arrêt d’appel est cependant cassé pour violation de toute une série de textes (article 587 du Code civil sur le quasi-usufruit, article 1842 du même code, sur la personnalité morale de la société, et articles 768 et 773-2 du Code général des impôts).

Un attendu de principe affirme que « dans le cas où la collectivité des associés décide de distribuer un dividende par prélèvement sur les réserves, le droit de jouissance de l’usufruitier de droits sociaux s’exerce, sauf convention contraire entre celui-ci et le nu-propriétaire, sous la forme d’un quasi-usufruit, sur le produit de cette distribution revenant aux parts sociales grevées d’usufruit, de sorte que l’usufruitier se trouve tenu, en application [de l’article 587 du Code civil], d’une dette de restitution exigible au terme de l’usufruit et qui, prenant sa source dans la loi, est déductible de l’actif successoral lorsque l’usufruit s’éteint par la mort de l’usufruitier ».

Ce qu’il faut surtout retenir, c’est la partie qui affirme que quand le dividende est prélevé sur les réserves, on voit apparaître un quasi-usufruit. Cela veut donc dire qu’il faut distinguer, lorsque l’usufruitier perçoit un dividende, selon que celui-ci est prélevé sur les réserves ou non.

Si c’est sur le produit de l’exercice clos ou, plus largement, sur un poste qui n’est pas une réserve, qu’est prélevé le dividende, alors celui-ci participe de la nature des fruits et il revient à l’usufruitier, sans que cela fasse naître une dette de restitution à sa charge. Il n’y a là que l’application de l’article 582 selon lequel « l’usufruitier a le droit de jouir de toute espèce de fruits, soit naturels, soit industriels, soit civils, que peut produire l’objet dont il a l’usufruit ». La Cour de cassation qualifie le dividende de fruit, ou, plus précisément, juge que « les dividendes participent de la nature des fruits » (Cass. com., 5 oct. 1999, n° 97-17377, Bull. IV, n° 163). Elle a statué ainsi après quelques nuances et hésitations, comme on le sait, mais cette qualification n’est pas discutée aujourd’hui.

Si en revanche le dividende est constitué d’un bénéfice qui avait été antérieurement mis en réserve, le droit de l’usufruitier sur ce dividende est de nature différente. Il ne s’agit plus d’un fruit auquel il aurait droit par application de l’article 582 du Code civil. Pour une raison qui n’est pas identifiée par l’arrêt, il y a donc un second usufruit, ou une « contamination » de l’usufruit portant sur les parts sociales aux sommes prélevées sur les réserves et attribuées à l’usufruitier.

II – Commentaires.

La question de savoir si l’usufruitier a un droit sur les dividendes prélevés sur les réserves est ancienne, et elle a fait l’objet de travaux doctrinaux importants. On citera notamment l’article du professeur Mortier et de maître Kerambrun, Pourquoi les réserves sont à l’usufruitier et à lui seul !, publié à la Semaine juridique, édition Notariale 2009, 1264.

La solution retenue par la Cour de cassation n’était pas forcément attendue.

Un arrêt du 31 mars 2004 (n°03-16694, Bull. IV, n° 70) de cette même Cour avait affirmé que l’usufruitier avait le droit de voter sur l’affectation du bénéfice, et que ce droit ne pouvait être remis en cause par les statuts, alors pourtant que l’article 1844 du Code civil laissait entendre que les statuts pouvaient déroger à la répartition du droit de vote que ce texte formulait : droit de vote au nu-propriétaire, sauf pour l’affectation des bénéfices, où il est réservé à l’usufruitier.

L’arrêt du 27 mai 2015 ne remet pas cela en question, mais il revient à dire que lorsque la décision est prise d’affecter le bénéfice à une réserve, cela le fait sortir du périmètre des fruits générés par les parts sociales ou les actions ayant fait l’objet du démembrement de propriété. Il y aurait une sorte de « capitalisation » du bénéfice, qui empêcherait de le qualifier par la suite de fruit, lorsqu’il arrive entre les mains de l’usufruitier sous forme de dividende. Cela est assez étrange.

Dernière question faut-il limiter la solution retenue à la mise en réserve au sens strict ? La formulation de l’arrêt ainsi que le fondement incertain de la « capitalisation » du bénéfice mis en réserve incitent à retenir cette interprétation, et à ne pas assimiler aux réserves le report à nouveau.

Bruno DONDERO

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Prêt de titres Alstom à l’Etat par Bouygues: l’action de l’ADAM est irrecevable (Trib. com. Paris, 19 juin 2015)

Nous avons évoqué dans un post précédent l’action intentée par l’Association de défense des actionnaires minoritaires (ADAM) pour contester le prêt consenti par la SA Bouygues à l’Etat français, et portant sur 20% des actions de la société Alstom. L’affaire a été jugée par une décision de la 16ème Chambre du Tribunal de commerce de Paris en date du 19 juin 2015.

Ce prêt intervenait dans un contexte particulier, qui voit Alstom en passe de céder ses activités Energie et Réseaux à General Electric, et l’Etat intervenir dans un certain nombre de sociétés cotées pour s’assurer que le dispositif Florange (attribution de droits de vote doubles aux actionnaires présents au capital depuis au moins deux ans) devient effectif.

L’ADAM contestait le prêt consenti à l’Etat, en plaidant notamment qu’il revenait à prêter des droits de vote, tandis que Bouygues répondait que l’ADAM, qui avait acquis une action de la société Alstom aux seules fins de contester l’accord, procédait à une « immixtion » dans une « opération économique majeure ».

Le Tribunal de commerce de Paris n’a pas à trancher la question de la licéité du prêt (nous publions avec Alain Couret un article, revenant sur les caractéristiques de ce contrat et commentant également le jugement, à la Semaine juridique édition Entreprise paraissant jeudi 25 juin).

L’action de l’ADAM n’est en effet pas examinée en ce qu’elle contestait le prêt, dès lors qu’elle est jugée irrecevable, au motif suivant:

« Mais attendu qu’au moment où l’ADAM a formé sa demande, le protocole n’était pas entré en vigueur, qu’il n’est pas entré en vigueur au cours de l’instance, qu’il n’a connu aucun début d’exécution, la réalisation de l’opération projetée entre l’Etat et Bouygues étant subordonnée à l’obtention des autorisations requises au titre du contrôle des concentrations, qu’à cet égard la Commission européenne a ouvert une enquête approfondie sur l’opération projetée entre GE et Alstom, que cette enquête est en cours et que son résultat pourrait remettre en question les accords passés entre ces sociétés, ainsi que le protocole signée entre [l’Agence des participations de l’Etat] et Bouygues,

Qu’en conséquence l’ADAM n’a pas d’intérêt né et actuel à agir, le Tribunal dira l’ADAM irrecevable en son action« .

 Bruno DONDERO

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Le prêt d’actions sur la sellette (à propos d’un jugement attendu du Tribunal de commerce de Paris)

Demain vendredi 19 juin, le Tribunal de commerce de Paris rendra un jugement attendu sur une question aux enjeux importants, et relative à un prêt d’actions, en l’occurrence un prêt qui portait sur des actions de la société Alstom, et qui avait été consenti à l’Etat par une société du groupe Bouygues.

Lorsque l’Etat a pris position en faveur de la cession des activités d’Alstom à l’américain General Electric, il a voulu accroître son pouvoir au sein de la société Alstom. L’Etat s’est pour cela rapproché du groupe Bouygues, principal actionnaire d’Alstom, avec lequel il a conclu en juin 2014 une convention portant sur 20% des actions détenues dans la société Alstom.

Cette convention visait à donner à l’Etat une option d’achat sur les actions détenues par Bouygues, mais avant même que l’option soit levée, l’Etat bénéficiait déjà d’un prêt portant sur ces mêmes actions.

 Ce prêt était cependant d’une nature un peu particulière, car il prévoyait une répartition des droits qui a été présentée ainsi :

  • droit de voter dans les assemblées d’Alstom : exercé par l’Etat ;
  • droit au dividende : conservé par Bouygues ;
  • droit de céder les titres : conservé par Bouygues.

L’association de défense des actionnaires minoritaires (Adam) a saisi le Tribunal de commerce de Paris d’une contestation relative à ce contrat de prêt. Des déclarations faites dans la presse, on comprend que les arguments invoqués par l’Adam tiennent, d’une part, au caractère « anormal » du contrat de prêt, et d’autre part, au fait que ce contrat serait contraire à l’intérêt des actionnaires de la société Alstom.

S’agissant du caractère anormal du contrat de prêt, on lira avec intérêt ce que le Tribunal de commerce de Paris écrira dans son jugement, car cette opération est finalement pratiquée assez souvent sur des actions sans que l’on sache clairement s’il est possible de procéder comme cela avait été fait en l’espèce. Il faut cependant prendre avec prudence la répartition des droits évoquée ci-dessus, car s’il n’est pas possible de procéder à un « dépeçage » des actions en donnant à l’un les droits politiques et à l’autre les droits pécuniaires (en dehors des mécanismes prévus par la loi comme le démembrement de propriété), il n’est pas dit que le prêteur ne puisse être rémunéré par une somme égale au montant des dividendes distribués, et qu’il ne puisse mettre fin à tout moment au prêt, demander restitution des actions et les vendre à un tiers. Il sera donc intéressant d’apprendre, à la lecture du jugement à intervenir, comment se présentait réellement cette convention, qui se rapprochait dans une certaine mesure d’un schéma de portage ou d’une convention de croupier.

S’agissant maintenant de la contrariété de la convention à l’intérêt de la société Alstom, il est vrai que l’Etat, bénéficiaire du prêt d’actions, pouvait voter aux assemblées de la société Alstom, que son vote lui permettait en théorie de prendre des décisions contraires à l’intérêt de la société, et donc de faire baisser le cours de son action… ce qui aurait permis à l’Etat, bénéficiaire d’une option d’achat, de racheter les actions de la société Alstom à un prix moindre. Mais conçoit-on sérieusement que l’Etat aurait adopté une telle stratégie, et aurait œuvré ouvertement contre la société Alstom en votant lors des assemblées de manière contraire à son intérêt ?

Ce ne sont cependant là que de premières observations sur ces passionnantes questions, observations qui seront complétées dès que nous aurons pu avoir accès au jugement du Tribunal de commerce.

Bruno DONDERO

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Le Conseil d’Etat a transmis la QPC sur la loi Hamon au Conseil constitutionnel

Ce vendredi 22 mai, le Conseil d’Etat a décidé de transmettre au Conseil constitutionnel la QPC (question prioritaire de constitutionnalité) soulevée par Maître Yves SEXER à propos du droit d’information des salariés en cas de cession d’entreprise. Ce dispositif est celui mis en place par la loi relative à l’économie sociale et solidaire, dite aussi loi Hamon (ou Hamon II, car la loi Hamon I est aussi le nom donné à la loi sur l’action de groupe). La décision est consultable ici.

Concrètement, il est possible qu’avant trois mois (délai donné au Conseil constitutionnel pour statuer une fois que la QPC lui est transmise), le Conseil constitutionnel décide d’abroger ce dispositif d’information obligatoire des salariés à peine de nullité.

Rappelons que dans le même temps:

– le Sénat a inséré dans la loi Macron des modifications réduisant beaucoup le champ d’application du dispositif;

– le Gouvernement compte soumettre des amendements lors de la deuxième lecture de la loi Macron, prenant en compte les recommandations du rapport Dombre-Coste;

– un recours pour excès de pouvoir est par ailleurs soumis au Conseil d’Etat, portant sur le décret d’application du dispositif d’information des salariés.

Ces sujets ont déjà été évoqués sur ce blog.

En conclusion, il est envisageable que le dispositif d’information actuel soit modifié dans les mois à venir, qu’il soit supprimé ou encore qu’il soit affecté par la suppression de son décret d’application. Ces hypothèses ne sont d’ailleurs pas exclusives les unes des autres. La situation sera intéressante en termes d’élaboration de la norme: les parlementaires qui voteront une modification du dispositif auront-ils la possibilité de prendre en compte la décision du Conseil constitutionnel, et comment une éventuelle abrogation du dispositif initial affectera-t-elle les dispositions modifiant celui-ci qui pourront être votées par le Parlement ?

Bruno DONDERO

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L’auto-entrepreneur intégré à la société cliente est son salarié (Cass. soc., 6 mai 2015, n° 13-27535).

La Chambre sociale de la Cour de cassation vient de rendre un arrêt du 6 mai 2015 par lequel elle se prononce, pour la première fois, sur la requalification d’une relation entre un auto-entrepreneur et une société en contrat de travail. La décision est consultable ici.

L’arrêt mérite qu’on s’y arrête un instant, notamment parce qu’il intéresse potentiellement de très nombreuses personnes. Rappelons que les auto-entrepreneurs sont aujourd’hui en France près d’un million.

Salarié ou auto-entrepreneur ?

Salariés ou auto-entrepreneurs ?

La Cour de cassation ne procède pas directement à la requalification, mais en cassant un arrêt d’appel qui avait refusé celle-ci, et en renvoyant donc l’affaire à une autre cour d’appel, elle montre clairement qu’elle est favorable à cette requalification du statut d’auto-entrepreneur en salarié dans l’affaire en cause – il s’agissait visiblement d’un « commercial », qui demandait à bénéficier du statut de salarié alors que la société qui recourait à ses services avait été mise en liquidation judiciaire.

I – Le statut d’auto-entrepreneur : bref rappel.

Le statut d’auto-entrepreneur a été créé par la loi de modernisation de l’économie du 4 août 2008. Ce n’est pas une forme particulière d’organisation de l’entreprise, puisque l’auto-entrepreneur est une personne physique qui exerce individuellement. Il n’y a pas de création d’un patrimoine affecté à l’entreprise, sauf à ce que l’auto-entrepreneur s’institue également EIRL (entrepreneur individuel à responsabilité limitée). Le statut de l’auto-entrepreneur est en réalité constitué de plusieurs mesures contribuant à alléger les contraintes pesant sur la très petite entreprise qu’il exploite (moins de 82.200 euros HT pour une activité d’achat / revente et moins de 32.900 euros HT pour une activité de prestations de services). En synthèse, le statut de l’auto-entrepreneur se ramène surtout à une simplification du calcul et du paiement des charges sociales et fiscales. Jusqu’à récemment, qui commençait une activité commerciale ou artisanale sous le statut d’auto-entrepreneur était dispensé de l’obligation d’immatriculation au registre du commerce et des sociétés (RCS). Ce n’est plus le cas depuis l’adoption de la loi du 18 juin 2014, qui a supprimé l’article L. 123-1-1 du Code de commerce.

L’idée de l’auto-entrepreneur est de faciliter la création des petites entreprises, en permettant l’exercice d’une activité indépendante plus facilement. On a critiqué ce statut, en ce qu’il aurait permis à des entreprises de réduire le nombre de leurs salariés, pour les reprendre ensuite comme auto-entrepreneurs. Car c’est une différence importante : le salarié est subordonné à son employeur, tandis que l’auto-entrepreneur est un prestataire de services indépendant. Leur statut est bien différent, puisque si l’entreprise n’a plus d’activité à fournir à un prestataire de services, elle ne recourt plus à lui et les choses s’arrêtent là ; si l’activité à laquelle était affecté le salarié disparaît, il faudra peut-être que l’entreprise envisage son licenciement si les conditions légales sont réunies, mais l’employeur a l’obligation de poursuivre l’exécution du contrat de travail et de payer le salarié tant que son contrat est en vigueur.

II – La requalification en contrat de travail.

L’arrêt de la Cour de cassation intervient dans une situation qui n’est sans doute pas rare, où un auto-entrepreneur était finalement traité comme l’aurait été un salarié. Du moins, on lui imposait un certain nombre de contraintes faisant penser qu’il n’était pas un entrepreneur indépendant : en l’espèce, il travaillait « dans le respect d’un planning quotidien précis établi par la société », il était « tenu d’assister à des entretiens individuels et à des réunions commerciales », et la société qui recourait à ses services lui avait « assigné des objectifs de chiffre d’affaires annuel ». Enfin, « il lui était imposé, en des termes acerbes et critiques, de passer les ventes selon une procédure déterminée sous peine que celles-ci soient refusées ». Indépendant sur le papier, l’auto-entrepreneur était donc intégré à la structure de l’entreprise pour laquelle il intervenait, comme l’aurait été un salarié.

La cour d’appel avait jugé que l’auto-entrepreneur ne pouvait prétendre au statut de salarié car les pièces qu’il produisait n’établissaient pas l’existence d’un lien de subordination et aussi parce que son refus d’assister à une foire exposition et les factures de services qu’il adressait à la société établissaient qu’il n’était pas lié à elle par un contrat de travail.

Ce n’est bien sûr pas la première fois qu’un travailleur indépendant, aux termes du statut juridique choisi, demande l’application du statut de salarié. Un contrat de société, un contrat de mandat, un contrat d’entreprise peuvent masquer une relation de subordination et donc un contrat de travail. Mais la situation de l’auto-entrepreneur, sur laquelle la Cour de cassation se prononçait pour la première fois, est particulièrement sensible, parce qu’étant le plus petit des entrepreneurs, il est celui qui a le moins de pouvoir de négociation. Il est donc tentant pour ses clients d’exercer sur lui une autorité qui peut dangereusement rapprocher la relation d’un contrat de travail. Les salariés n’ont pas le monopole des « termes acerbes et critiques », pour reprendre les mots de la Cour de cassation, mais si une entreprise organise au quotidien l’activité de l’auto-entrepreneur, on se trouve dans une relation de travail subordonné.

L’arrêt n’est pas publié au Bulletin, sans doute parce que la Cour de cassation ne formule pas de règle de principe. Les entreprises qui recourent à des auto-entrepreneurs auront néanmoins intérêt à prendre en compte cette décision et à alléger les contraintes qu’elles font peser sur leurs partenaires auto-entrepreneurs. En synthèse, si celui qui intervient pour le compte d’une entreprise n’est pas indépendant dans l’organisation de son activité, il n’est pas un auto-entrepreneur. L’entreprise peut imposer à ses prestataires des « cahiers des charges », mais elle ne peut pas régler chaque minute de leur temps.

Bruno DONDERO

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QPC sur la loi Hamon (information des salariés en cas de transmission d’entreprise): réponse du Conseil d’Etat le 22 mai

Nous avions évoqué sur ce blog le double recours mis en œuvre par un avocat, Me Yves Sexer, à l’encontre du dispositif de la loi Hamon imposant d’informer les salariés préalablement à la cession d’une PME (post consultable ici). Pour mémoire, l’avocat avait saisi au nom d’un de ses clients le Conseil d’Etat d’un recours pour excès de pouvoir visant le décret d’application. Il avait ensuite soulevé une QPC (question prioritaire de constitutionnalité) devant ce même Conseil d’Etat. Ce vendredi 22 mai sera rendue la décision du Conseil d’Etat, qui décidera donc ou non de transmettre la QPC au Conseil constitutionnel. La transmission suppose que la question soit vue par le Conseil d’Etat comme nouvelle ou présentant un caractère sérieux. Si la QPC était transmise au Conseil constitutionnel, la saisine de cette institution pourrait déboucher sur l’abrogation de la partie de la loi Hamon instituant le droit d’information des salariés. Le Conseil constitutionnel aura trois mois pour statuer à compter de sa saisine. Le droit d’information des salariés passera-t-il l’été? Pour mémoire encore, la loi Macron, telle que modifiée par le Sénat, a apporté des modifications importantes au dispositif Hamon, par un long article 55 bis A. La volonté des sénateurs a été de limiter le dispositif au cas où l’entreprise va disparaître. En clair, si le chef d’entreprise se prépare à arrêter l’activité, il doit informer les salariés de ce qu’ils peuvent faire une offre de reprise. Mais si un repreneur a été trouvé, l’entreprise peut changer de mains sans qu’il faille informer individuellement les salariés. Techniquement, la réforme est très approximative, car c’est seulement le chapitre du Code de commerce sur la vente du fonds de commerce qui a été modifié, et l’on ne vise plus la vente du fonds, des parts ou des actions, mais simplement la « reprise de l’entreprise ». Je sais bien qu’économiquement c’est cela qui est important, mais il faut tout de même rappeler que du point de vue juridique, l’entreprise revêt différentes formes, et qu’on ne sait finalement pas lesquelles sont concernées par le texte en sa nouvelle rédaction. Dans les cas de non-application du droit d’information, il est d’ailleurs indiqué que le dispositif ne s’applique pas… aux sociétés faisant l’objet d’une procédure de conciliation, sauvegarde, etc. Bref, qui tient la plume ne distingue pas forcément entreprise et société… Lors de la séance de discussion au Sénat du 5 mai, Carole Delga, secrétaire d’Etat chargée du commerce, de l’artisanat, de la consommation et de l’économie sociale et solidaire, a indiqué: « Je voudrais tout d’abord indiquer que les propositions de votre collègue députée Fanny Dombre Coste seront bien introduites sous forme d’amendement à l’Assemblée nationale. Il s’agit de remplacer la sanction de nullité relative de la vente de l’entreprise par une sanction purement financière. Nous souhaitons mettre en place des dispositifs d’information sécurisés plus simples et plus opérationnels« . On comprend donc que la saga de la loi Hamon va continuer, ce qui aura au moins l’avantage de permettre de corriger les approximations vues ci-dessus.

A SUIVRE

Bruno Dondero

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La législation faite par des (mauvais) publicitaires, ou la loi en alexandrins

Il est à se demander si les auteurs des projets et propositions de loi, Gouvernement et parlementaires, ne font pas appel à des (mauvais) publicitaires pour rédiger les intitulés des textes qui sont soumis au vote du Parlement et deviennent ensuite des lois destinées à demeurer longtemps dans notre système juridique. C’est en effet une interrogation qui vient à la lecture du Journal officiel.

Au Journal officiel du 17 mars 2015 était ainsi publiée une loi dont les lecteurs de ce blog me pardonneront de m’intéresser surtout au titre (« Loi n° 2015-292 du 16 mars 2015 relative à l’amélioration du régime de la commune nouvelle, pour des communes fortes et vivantes ») davantage qu’au contenu (est modifié le Code général des collectivités territoriales, en ses dispositions relatives à la création d’une nouvelle commune).

L’auteur de l’intitulé de cette nouvelle loi a voulu ajouter les mots « pour des communes fortes et vivantes ». Il n’existait pas, précédemment, de loi « relative à l’amélioration du régime de la commune nouvelle » tout court, ce qui exclut que l’ajout ait visé à distinguer la loi du 16 mars 2015 d’une autre loi antérieure.

Les intitulés à rallonge ou surprenants peuvent en effet avoir cette justification.

Prenons les lois relatives à l’égalité entre les femmes et les hommes. Si l’on effectue une recherche fondée sur le titre des textes, les lois faisant référence à l’égalité entre les sexes sont au nombre de huit, accessibles sur le site www.legifrance.gouv.fr. Dès 1972, c’est une loi relative à « l’égalité de rémunération entre les hommes et les femmes » qui est votée, puis en 1983 une loi modifiant le Code du travail et le Code pénal « en ce qui concerne l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes ». Sans que l’on tombe dans la revue de détail, le législateur va ensuite hésiter quant à l’ordre à donner aux deux sexes : égalité des hommes et des femmes (encore une loi de 1999), ou des femmes et des hommes (une loi en 1989, puis quatre lois en 2001, 2006, 2011 et 2014). Une loi de 1988 concernait « l’égalité des chances et de traitement pour les travailleurs des deux sexes », ce qui éludait la question. Mais revenons à notre propos. Le dernier texte en date est la loi du 4 août 2014 « pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes ». Ce titre permet effectivement de distinguer la loi concernée des autres, mais on conviendra qu’il n’est pas très heureux, laissant entendre par un a contrario fâcheux que l’égalité n’était précédemment que virtuelle…

S’agissant de notre loi « pour des communes fortes et vivantes », on a simplement pensé que le texte serait meilleur avec un tel intitulé à rallonge. La loi fait sa propre promotion, en quelque sorte. Notons qu’elle pourrait servir aussi de vecteur pour la publicité des services de l’Etat. Pourquoi faire voter un terne projet de « loi sur le renseignement », là où une « loi sur le renseignement, pour des services d’espionnage et de contre-espionnage comme dans James Bond, mais en français, comme dans OSS 117, mais en plus sérieux » serait beaucoup plus vendeur ?

On pourrait financer aussi le travail des parlementaires de cette manière. Si l’on regarde les nombreuses lois votées ces dernières années, on se dit que nos politiques ont perdu une belle occasion de renflouer les caisses de l’Etat. Pourquoi avoir voté la trop sobre « loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014 d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt » ? L’insertion du mot « d’avenir » montre que nos publicitaires ratés étaient déjà à l’œuvre, mais ne pouvait-on soumettre au Parlement la « loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014 d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt – les produits laitiers sont nos amis pour la vie » ? Les producteurs de lait auraient bien sûr rémunéré à sa juste valeur cette réclame, qui à notre époque moderne aurait été aussi un lien hypertexte permettant d’accéder à un site faisant la promotion du yaourt.

Il faudra simplement veiller à éviter les messages contradictoires, du type « Loi n° 2014-872 du 4 août 2014 portant réforme ferroviaire – Air France : faire du ciel le plus bel endroit de la terre ».

Mais ce n’est pas dans la publicité que nos législateurs entendent sévir, en réalité, mais il semble que ce soit plutôt l’élégance du style, pour ne pas dire la technique poétique, qui les intéresse. On remarquera en effet que le Journal officiel du 1er avril ( !) a annoncé la publication d’une « Loi n° 2015-366 du 31 mars 2015 visant à faciliter l’exercice, par les élus locaux, de leur mandat ». On aurait pu viser plus platement « l’exercice de leur mandat par les élus locaux », mais non, une réminiscence de « Belle marquise… » a conduit à l’inversion précitée. On s’est arrêté trop tôt, me semble-t-il, et l’on aurait pu intituler la loi : « Loi visant à faciliter de leur mandat, par les élus locaux, l’exercice ».

On notera enfin que si on lit l’intitulé de la loi tel qu’il a été effectivement voté avec un fort accent méridional, on a une loi dont l’intitulé est fait de deux alexandrins, ce qui est tout de même remarquable :

« Loi visant à faciliter l’exerci-ce,

Par-re les élus locaux de leur-re mandat ».

Bruno DONDERO

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Un nouveau métier : urgentiste du droit (juriste régulateur)

Les nouvelles pratiques font disparaître certaines manières de pratiquer le droit, voire des pans entiers de certaines professions, mais dans le même temps, ce sont des activités nouvelles et même de nouvelles professions qui apparaissent. Ces nouvelles pratiques tiennent à plusieurs facteurs. L’innovation technologique en est une, qui permet à un particulier ou à une entreprise de trouver son avocat par internet en quelques secondes, et qui permet dans le même temps à un avocat de proposer ses services très simplement. La crise économique et la volonté des entreprises de réduire toujours plus leurs coûts est un autre facteur, qui conduit à la disparition de certains modes d’exercice de la profession d’avocat ou à la réduction des services juridiques internes. La complexité croissante du droit est un dernier facteur de mutation des professions juridiques.

Il est une profession que l’on pourrait voir apparaître, ou plutôt une activité qui pourrait se développer au sein du métier d’avocat ou de juriste d’entreprise, et qui est celle de « juriste urgentiste » ou de régulateur du droit.

Imaginons qu’un cabinet d’avocats soit saisi d’une opération par l’un de ses clients, par exemple qu’une société demande à ses avocats de réaliser pour elle une opération d’acquisition d’une entreprise de son secteur. Si le cabinet d’avocats est d’une certaine importance, il comptera plusieurs départements, plus ou moins formalisés. Par exemple, un département rassemblera un ou plusieurs avocats spécialisés en droit fiscal, un autre les avocats intervenant en droit de la concurrence, un troisième les avocats intervenant en droit social, un autre encore les avocats spécialisés en fusions et acquisitions. A priori, c’est ce dernier département qui aura été saisi du dossier, et c’est très bien, puisque le dossier est ainsi qu’on l’a dit une opération d’acquisition d’entreprise.

Une acquisition d’entreprise pose avant tout des problématiques de droit des sociétés et de droit des contrats, qui constituent effectivement le cœur de compétence des avocats spécialisés en fusions et acquisitions : organisation des négociations relatives à l’opération, choix des actes préparatoires à rédiger (de la lettre d’intention aux promesses, en passant par des accords de confidentialité), transmission des parts ou des actions représentant le capital de la société cible, choix de la protection à accorder à l’acquéreur contre les aléas de l’opération (garantie de passif) et des risques antérieurs à l’opération à lui transférer (reprise des garanties et responsabilités), etc.

Mais l’acquisition d’une entreprise soulève de très nombreuses autres questions, liées à d’autres branches du droit. C’est ainsi la fiscalité de l’opération elle-même qui mérite d’être étudiée et au-delà, l’impact de l’acquisition sur la situation fiscale de chacune des parties. Le droit de la concurrence aura également son mot à dire : est-il acceptable pour le secteur économique concerné que celui-ci connaisse une telle concentration ? Le droit social est également important, puisqu’il déterminera le transfert ou le maintien des contrats de travail des salariés de l’entreprise acquise ainsi que des dettes nées antérieurement à leur égard. Le droit de l’environnement, le droit de la propriété intellectuelle, peuvent être aussi sollicités.

Ce que l’on pourrait ne voir que comme une simple opération d’acquisition revêt donc en réalité de multiples facettes, ce qui soulève deux questions.

La première question est relative au rôle de l’avocat. Lui appartient-il d’identifier ces différents aspects de l’opération pour les signaler à son client ? Il est tentant de penser que oui, car l’avocat est celui qui sait ou qui a les moyens de savoir. Mais qui saisit un avocat pour qu’il organise une opération d’acquisition souhaite-t-il lui confier ce travail particulier d’identification de toutes les questions juridiques potentiellement soulevées par le dossier ? Si c’est le cas, il faut envisager une rémunération de l’avocat qui prenne aussi en compte cet aspect des choses.

La seconde question tient à la manière dont l’avocat peut identifier ces différents risques. Si son client lui demande de réaliser une opération de cession, l’avocat va logiquement se concentrer sur cet aspect des choses, d’autant que le client se sera peut-être tourné précisément vers l’avocat parce qu’il le sait spécialisé dans un domaine particulier. La complexité toujours croissante du droit induit d’ailleurs cette spécialisation.

C’est à ce stade qu’il serait souhaitable qu’intervienne le juriste régulateur. C’est peut-être la compétence bien particulière d’un avocat dans un domaine précis qui lui a permis d’être choisi pour traiter une opération, mais cela n’exclut pas un examen du dossier sous tous les angles juridiques. Un patient peut choisir de se tourner vers un hôpital ou une clinique parce qu’un chirurgien réputé y exerce, mais cela n’exclut pas qu’il fasse l’objet d’un examen généralisé à son arrivée, pour dresser sa situation médicale complète. De même, qui entre aux urgences fait l’objet d’un premier examen qui déterminera vers quels services spécialisés orienter le patient. C’est une prestation du même type que fournirait le juriste urgentiste ou régulateur du droit.

On connaît déjà le profil particulier de l’avocat qui cherche et trouve les clients et les dossiers, même s’il ne traite pas ensuite lui-même directement ces dossiers, celui que l’on appelle l’avocat rainmaker. C’est un profil un peu différent que celui de juriste régulateur, car il est avant tout un technicien, et il interviendra à un stade intermédiaire, pour identifier les différents besoins juridiques d’un dossier et les compétences à mettre en œuvre au sein du cabinet. Ce n’est pas ce juriste qui trouvera les clients et les dossiers, mais il contribuera à faire apparaître, au sein d’un dossier existant, d’autres dossiers pour le même client, nés de la nécessité de traiter tel ou tel aspect de la situation juridique de ce client, aspects qui n’avaient pas été envisagés initialement (le rainmaker pourrait d’ailleurs être le régulateur de son cabinet d’avocats).

Cela entraînera-t-il un accroissement des coûts pour les clients concernés ? Non, car il n’est pas dit que l’identification appelle un traitement particulier du dossier, mais il sera toujours utile d’avoir repéré le plus tôt possible qu’un dossier venu aux mains des avocats sous telle étiquette comportait également d’autres aspects. Les avocats et leurs clients pourront alors décider en connaissance de cause du traitement à donner à ces aspects nouvellement identifiés.

Bruno DONDERO

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Responsabilité du dirigeant associé pour insuffisance d’actif: une clarification bienvenue (Cass. com., 10 mars 2015, n° 12-15505)

Une SARL avait été mise en liquidation judiciaire, et le liquidateur avait assigné les deux personnes physiques exerçant la fonction de gérant en responsabilité pour insuffisance d’actif. Mme X était l’un des deux gérants, et elle avait également la qualité d’associé. Elle était condamnée en appel au motif qu’elle n’avait pas « apporté à la société qu’elle créait des fonds propres suffisants pour assurer son fonctionnement dans des conditions normales ». Elle avait constitué la SARL avec un autre associé (une société qui n’avait pas la qualité de dirigeant, le gérant de la SARL étant nécessairement une personne physique).

L’arrêt d’appel est cassé par la Chambre commerciale de la Cour de cassation par un arrêt du 10 mars 2015, destiné à publication au Bulletin , pour violation de l’article L. 651-2 du Code de commerce (en sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2008-1345 du 18 décembre 2008, mais la solution vaut aussi pour les textes actuellement applicables).

La Cour de cassation juge que « l’insuffisance des apports consentis à une société lors de sa constitution, qui est imputable aux associés, ne constitue pas une faute de gestion ».

En quelques mots, c’est une question importante qui est tranchée par la Cour de cassation, et qui apporte une grande sécurité aux dirigeants sociaux, et plus largement aux entreprises elles-mêmes. Pour autant, toutes les difficultés ne sont pas résolues.

I – Une clarification bienvenue.

L’article L. 651-2 du Code de commerce permet de mettre à la charge du dirigeant d’une personne morale (société, association, etc.) dont la liquidation judiciaire fait apparaître une insuffisance d’actif, tout ou partie de celle-ci, dès lors que ce dirigeant a commis une « faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d’actif ». Les dirigeants de droit et les dirigeants de fait sont concernés par cette action, qui est mise en œuvre par le liquidateur, le ministère public ou, en cas d’inertie du liquidateur, par la majorité des créanciers nommés contrôleurs (art. L. 651-3 C. com.). Notons encore qu’elle se prescrit par trois ans à compter du jugement qui prononce la liquidation judiciaire, et que les sommes versées par les dirigeants sont réparties proportionnellement à leurs créances et sans droit de préférence entre tous les créanciers.

Ce dispositif constitue ainsi une porte pouvant être ouverte entre le passif de la personne morale et le patrimoine des dirigeants, la clef de cette porte étant la notion de faute de gestion.

La faute de gestion n’est pas définie par le texte, hormis la précision selon laquelle elle doit avoir contribué à l’insuffisance d’actif de la personne morale.

Se posait cependant la question de savoir dans quelle mesure la sous-capitalisation d’une société pouvait être qualifiée de faute de gestion ayant contribué à l’insuffisance d’actif. Le droit des sociétés permet de constituer une SARL ou une SAS avec un capital d’un euro, ou de 10 euros, ou de 100 euros, mais ne risque-t-on pas de rattraper très facilement les associés de telles sociétés en leur reprochant la faute de gestion que constitue cette sous-capitalisation ?

A suivre cette voie, on pourrait faire disparaître la responsabilité limitée aux apports. Une personne morale qui ne peut, à l’occasion de sa liquidation judiciaire, payer tous ses créanciers est en situation d’insuffisance d’actif. Or, elle aurait pu le faire si elle avait eu un capital social plus élevé. Ne peut-on dès lors considérer que cette insuffisance du capital social est nécessairement constitutive d’une faute ? Si c’était la voie suivie, les créanciers d’une personne morale en liquidation judiciaire et ne pouvant les satisfaire tous seraient toujours en mesure de poursuivre ses dirigeants et de rechercher leur paiement par le biais d’une action en responsabilité.

La Cour de cassation s’oppose fermement à cela, en rappelant la nécessité de caractériser une faute de gestion, sous-entendu des dirigeants agissant en tant que tels, ce qui n’est pas le cas en présence d’une insuffisance des apports consentis à une société lors de sa constitution, insuffisance imputable aux associés.

II – Des interrogations subsistantes.

La solution retenue est indéniablement utile. Des interrogations subsistent néanmoins, et j’en relèverai trois.

Tout d’abord, l’arrêt retient que « l’insuffisance des apports consentis à une société lors de sa constitution (…) est imputable aux associés ». Lus a contrario, ces mots suggèrent que la faute de gestion pourrait en revanche être caractérisée si les dirigeants, en cours de vie sociale, postérieurement à la constitution, ne s’assurent pas de la suffisance des apports, ou tout au moins ne prennent pas d’initiative pour hisser le capital social au niveau requis par l’activité de l’entreprise. La question est délicate, car le dirigeant ne peut décider d’une augmentation du capital social, mais il lui appartient de proposer aux associés une telle mesure, en la mettant à l’ordre du jour d’une assemblée d’associés, notamment. Il est plus facile de caractériser la faute de gestion du dirigeant lorsque celui-ci n’aura pas demandé aux associés de verser les sommes encore dues au titre de leurs apports.

Ensuite, il ne sera pas toujours évident de distinguer entre les associés et les dirigeants, ou entre les prérogatives d’associé et celles de dirigeant, dès lors que certaines sociétés peuvent conférer à leurs associés (les SAS particulièrement) des pouvoirs de gestion très étendus. De même, si une société A place un de ses salariés à la tête d’une société B, le salarié exerçant ce mandat en son nom, le risque existe que la société A soit vue comme dirigeante de fait par salarié interposé. Il demeure que la décision du montant initial du capital social, prise avant que la société ne soit dotée de ses premiers dirigeants, est bien attribuable aux seuls associés.

Enfin, on peut se demander quel sera le régime de la responsabilité des associés au titre du péché originel de sous-capitalisation. On peut notamment se demander si les tiers devront caractériser une faute séparable de leurs prérogatives d’associé.

 Bruno DONDERO

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Remise du rapport Dombre-Coste: la loi Hamon sous plusieurs feux!

Ce matin a été rendu public le « rapport d’évaluation sur le droit d’information préalable des salariés » qui avait été demandé par le Premier Ministre à Mme Fanny Dombre-Coste, députée, le 12 janvier 2015.

Ce rapport lui demandait de « dresser un premier constat sur les conditions de mise en œuvre du droit d’information des salariés, et plus largement sur les recommandations qui peuvent être formulées pour faciliter et accompagner les transmissions et reprises d’entreprises » (12 janvier 2015).

On ne sait s’il est aisé de « dresser un constat sur des recommandations », ni s’il est simple d’auditionner les salariés ayant repris leur entreprise, sous-entendu devrait-on comprendre grâce au dispositif de la loi ESS en vigueur depuis novembre dernier. Ces salariés ne sont sans doute pas très nombreux, ce qui explique que les « entreprises appartenant aux salariés qui ont été auditionnées par la députée (les sociétés HISA et SET) ont fait l’objet d’une reprise par les salariés en 2012, donc bien avant l’entrée en vigueur du dispositif.

Une version du rapport a été mise en ligne par le Figaro : http://www.youscribe.com/catalogue/tous/actualite-et-debat-de-societe/rapport-mission-dip-2560094

Ne figurent pas dans ce rapport les contributions écrites remises par les personnes auditionnées ou contactées, contrairement à ce qui est annoncé (p. 6, mais il est possible que cela soit rectifié dans la version qui sera publiée sur le site du ministère de l’économie et des finances).

On retiendra surtout du rapport que son auteur estime dans le même temps que le droit d’information « a du sens pour les salariés et pour les entreprises » et « doit donc être préservé et conforté », et que la « traduction juridique (…) mérite d’être adaptée et améliorée » (p. 6).

Il est assez étonnant de lire que des personnes auditionnées ont mentionné « des exemples d’entreprises ayant eu recours à des avocats pour sécuriser un dispositif, dans ce cas majoritairement perçu comme un risque » (p. 11). La complexité du dispositif et les incertitudes qui l’entourent incitent me semble-t-il à faire intervenir des avocats de manière plus systématique qu’anecdotique !

En synthèse, le rapport envisage trois scénarios possibles pour faire évoluer le dispositif.

Premier scénario envisagé : supprimer la sanction de nullité de la cession d’entreprise actuellement prévue, et la remplacer par une mise en jeu de la responsabilité civile de l’auteur d’un manquement à la loi, et une amende civile (3% du prix de cession maximum).

Deuxième scénario envisagé : alléger l’obligation de notification aux salariés, en considérant que la présentation de la LRAR vaut information.

Troisième scénario envisagé : modifier le champ d’application des dispositions en limitant l’application de la loi à la vente. Ce faisant, on exclurait de l’obligation d’information les cessions à titre gratuit, mais aussi les apports et les échanges.

Voici donc plusieurs pistes de réforme du dispositif d’information des salariés, qui se trouve donc actuellement soumis à plusieurs feux, puisque:

1) Le gouvernement proposera peut-être des modifications, en suivant ou non les recommandations du rapport parlementaire;

2) Les Sénateurs qui discuteront la loi Macron remettront peut-être en cause le droit d’information des salariés tel qu’il est prévu par la loi Hamon;

3) Un recours pour excès de pouvoir a été intenté à l’encontre du décret d’application de la loi Hamon;

4) Une QPC vise la loi elle-même (sur ces deux derniers recours intentés par Maître Sexer, voir notre post).

 Bruno Dondero

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La clause de non-concurrence de l’agent commercial et l’exigence d’une contrepartie financière (Cass. com., 10 févr. 2015, n° 13-25667)

La Chambre commerciale de la Cour de cassation a rendu le 10 février 2015 (n° 13-25667) un arrêt, non destiné à publication au Bulletin, mais qui permet de rappeler l’état du droit sur une question sensible: lorsqu’un agent commercial contracte une clause de non-concurrence, lui interdisant de représenter des produits identiques dans un secteur géographique donné pendant un certain temps, la validité de cette clause est-elle subordonnée à la stipulation d’une contrepartie financière ? Précisément, une rémunération spécifique doit-elle être prévue, en contrepartie de cet engagement de non-concurrence pendant la période suivant la cessation du contrat d’agence, pour que cet engagement soit valable?

L’existence d’une contrepartie financière est une condition exigée depuis 2002 par la Chambre sociale de la Cour de cassation pour les engagements de non-concurrence figurant dans les contrats de travail, et il a été précisé que cela valait pour tout engagement de non-concurrence pesant sur un salarié. Ainsi, un salarié qui prendrait un tel engagement dans le cadre d’un pacte d’actionnaires devrait bénéficier d’une contrepartie financière pour que cet engagement soit valable, si au jour où l’engagement de non-concurrence est contracté, le débiteur a la qualité de salarié.

La Cour d’appel de Poitiers avait annulée la clause de non-concurrence pesant sur un agent commercial, au motif qu’elle ne comportait pas de contrepartie financière. La Chambre commerciale de la Cour de cassation casse cependant la décision des juges du fond, en rappelant que la validité de la clause de non-concurrence insérée dans un contrat d’agence commerciale n’est pas subordonnée à l’existence d’une contrepartie financière.

La solution valable pour le salarié n’est donc pas transposable à l’agent commercial. Cela évoluera peut-être un jour, mais pour le moment, la Cour de cassation tient bon.

Rappelons simplement qu’un arrêt du 4 décembre 2007 publié au Bulletin (n° 06-15137) avait jugé que « le législateur n’a pas entendu que l’obligation de non-concurrence soit indemnisée lorsque la clause qui la stipule est conforme aux dispositions de l’article L. 134-14 du Code de commerce ». Pour mémoire, cet article dispose que la clause de non-concurrence pesant sur l’agent commercial « doit être établie par écrit et concerner le secteur géographique et, le cas échéant, le groupe de personnes confiés à l’agent commercial ainsi que le type de biens ou de services pour lesquels il exerce la représentation aux termes du contrat » et qu’elle « n’est valable que pour une période maximale de deux ans après la cessation d’un contrat ».

La clause ne respectant pas ces prescriptions ne serait donc pas valable… à moins d’être rémunérée.

Pour les clauses conformes à l’article L. 134-14, il n’est en revanche pas besoin d’une contrepartie financière spécifique, en l’état actuel de la jurisprudence.

Bruno DONDERO

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Un recours pour excès de pouvoir et une QPC visent la loi Hamon et son décret (information préalable des salariés en cas de cession d’entreprise) !

C’est un double recours qui a été formé par la SARL Holding Désile, agissant par le biais de son avocat Maître Yves Sexer, contre le dispositif d’information des salariés préalablement à la cession de leur entreprise, dispositif résultant de la loi dite Hamon, du 31 juillet 2014 et de son décret d’application en date du 28 octobre 2014, dispositif dont nous avons déjà parlé à plusieurs reprises sur ce blog.

Le 29 décembre 2014, un recours pour excès de pouvoir a été formé devant le Conseil d’Etat, visant à obtenir l’annulation des articles D. 23-10-1 et D. 23-10-2 du Code de commerce, créés par le décret du 28 octobre, et l’article 2 du décret lui-même. Ce sont notamment les modalités d’application dans le temps du dispositif prévues par le décret qui sont contestées, ainsi que la contradiction existant entre la loi, qui prévoit que soit notifiée aux salariés l’intention du propriétaire d’une participation de la céder, et le décret qui considère que la date de la cession est celle du transfert de propriété de la participation, ce qui permet en théorie de conclure un accord définitif de cession, de procéder au paiement du prix, et de n’informer les salariés que lorsque toute l’opération est bouclée, alors que le but du dispositif légal est de leur permettre de présenter une offre de reprise.

Le 2 mars 2015, c’est une QPC (question prioritaire de constitutionnalité) qui a par ailleurs été soulevée par le même requérant devant le Conseil d’Etat, et portant sur les articles 20 et 98 de la loi. Il est notamment reproché au législateur d’avoir porté une atteinte grave au droit de propriété en prévoyant une sanction d’annulation de la cession en cas de non-respect du dispositif d’information des salariés, et de ne pas avoir épuisé sa compétence en omettant de définir dans la loi le terme de cession.

S’agissant des délais dans lesquels les décisions attendues seront rendues, le seul dont on ait la certitude est celui du 2 juin 2015, date à laquelle le Conseil d’Etat devra avoir décidé s’il transmet ou non la QPC au Conseil constitutionnel.

Détails à suivre…

Bruno DONDERO

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Le projet d’ordonnance portant réforme du droit des contrats

Le site de la Chancellerie vient de mettre en ligne, pour consultation publique, un projet d’ordonnance portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations.

http://www.textes.justice.gouv.fr/textes-soumis-a-concertation-10179/reforme-du-droit-des-contrats-27897.html

On se souvient du débat ayant opposé l’Assemblée nationale et le Sénat, les sénateurs estimant qu’une réforme portant sur un secteur aussi central de notre droit ne pouvait se faire par voie d’ordonnance mais devait être discutée au Parlement, tandis que les députés étaient disposés à laisser la main au Gouvernement. Le point de vue des députés a prévalu, et le Conseil constitutionnel a refusé de censurer la loi n° 2015-177 du 16 février 2015 relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures. Sa décision en date du 12 février a notamment retenu que l’habilitation conférée au Gouvernement était suffisamment précise : http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do;jsessionid=C60BF38B4AE6D715A60D6DDB17E2B1C5.tpdila21v_3?cidTexte=JORFTEXT000030248794&categorieLien=id.

La consultation publique est ouverte jusqu’au 30 avril 2015, et il faut espérer qu’elle donnera lieu à de riches interventions, et que le débat sera aussi largement diffusé que possible, à défaut de débats parlementaires.

C’est en réalité un texte déjà assez ancien qui est soumis à la consultation publique (I), mais il ne faut pas s’arrêter à cela, et il faut regarder le contenu du texte (II), qui va moderniser notre droit des contrats (III).

I – Consultation publique… sur un texte vieux de plus d’un an !

A la fin de l’année 2013, un projet d’ordonnance avait été publié sur le site des Echos. Il n’était pas absurde de penser que ce texte était celui rédigé par la Chancellerie, et l’on en a confirmation, puisque c’est en réalité ce texte vieux de plus d’un an qui est soumis aujourd’hui à consultation publique !

Certes, il y a des modifications mineures dans le « nouveau » texte.

Parfois, ce sont des précisions qui ont été apportées.

Par exemple, il est indiqué à l’article 1141 que la violence est une cause de nullité « relative », ce qui n’était pas précisé dans le texte précédent, mais qui était une solution établie en droit positif : seul celui qui a conclu le contrat parce qu’une violence morale a été exercée contre lui, sa fortune ou ses proches peut demander l’annulation du contrat sur ce fondement.

Ce sont aussi des coquilles ont été introduites, parce qu’on a remplacé le mot « convention » par le mot « contrat », à l’article 1203 sur la dissimulation d’une partie du prix, mais qu’on n’a pas accordé le reste du texte, qui énonce ainsi : « Est également nul tout contrat (…) lorsqu’elle porte sur une vente d’immeubles… » ! Le « s » à immeuble n’était sans doute pas indispensable, d’ailleurs.

Plus mystérieusement, des crochets apparaissent à l’article 1304-1, qui dispose que « La condition doit être [possible et] licite », là où le texte précédent se dispensait des crochets, la condition impossible étant déjà invalidée, aujourd’hui, par l’article 1172 du Code civil.

II – Le contenu substantiel de la réforme.

Nous avions déjà fait sur ce blog ce rapide travail de revue de la réforme, à partir du texte diffusé fin 2013.

Pour mémoire, la réforme du droit des contrats a, au cours des dix dernières années, fait l’objet de trois textes distincts. Deux sont d’origine doctrinale, et sont l’avant-projet Catala (http://www.justice.gouv.fr/art_pix/RAPPORTCATALASEPTEMBRE2005.pdf) et l’avant-projet Terré. La Chancellerie a diffusé pour sa part en 2008 un avant-projet, qui a connu des évolutions. Puis nous avons pu lire le texte diffusé sur le site des Echos.

Le texte présenté traite du droit des contrats dans ses pages 2 à 22, les pages restantes traitant du régime général de l’obligation et de la preuve.

S’agissant du droit des contrats, auquel nous nous intéressons ici, c’est le régime général du contrat qui est réformé. Le mot de réforme recouvre plusieurs mouvements différents, en réalité.

De grands principes sont affirmés :

  • Liberté de contracter et de ne pas contracter, du choix du cocontractant, du contenu et de la forme du contrat (art. 1102) ;
  • Formation et exécution des contrats de bonne foi (disposition autonome – art. 1103) ;
  • Principe du consensualisme (art. 1171) ;
  • Parallélisme des formes (art. 1173) ;
  • Affirmation d’un devoir général d’information (art. 1129) ;
  • Principe du droit à l’exécution en nature (art. 1121).

Des notions et des solutions dégagées par la doctrine ou la jurisprudence sont consacrées :

  • Contrat consensuel, solennel, d’adhésion, de gré à gré, qui sont définis ;
  • Offre et acceptation (art. 1113 et s.) ;
  • Conditions générales (art. 1120) ;
  • Violence économique, résultant de l’abus d’un état de nécessité ou de dépendance (art. 1142) ;
  • Fixation unilatérale du prix par une partie (art. 1163 et 1164, avec l’introduction d’une notion de « contrat de prestation de service ») ;
  • Prohibition des engagements perpétuels et règles relatives à la durée des contrats (art. 1211 à 1216).

Des solutions jurisprudentielles sont au contraire remises en cause ou modifiées :

  • La promesse unilatérale voit son efficacité renforcée, la révocation de la promesse ne pouvant empêcher la formation du contrat promis (art. 1124) ;
  • Renforcement également de l’efficacité du pacte de préférence, les sanctions de nullité et de substitution étant introduites lorsqu’un contrat a été conclu en violation du pacte avec un tiers qui en connaissait l’existence (art. 1125) ;
  • La réticence dolosive est consacrée, mais de manière restrictive. Rappelons que le dol tel que prévu par l’article 1116 du Code civil consiste en des manœuvres destinées à tromper son cocontractant, mais que la jurisprudence avait créé la notion de réticence dolosive, consistant à ne pas communiquer, de manière intentionnelle, une information à son cocontractant, cette information devant être déterminante de son consentement. Le projet d’ordonnance (art. 1136) définit comme dol, notamment, la « dissimulation intentionnelle d’une information » à l’autre partie, information que le contractant « devait lui fournir conformément à la loi » (à relier au devoir d’information de l’art. 1129). Le mot « dissimulation » donnera sans doute lieu à de nombreuses discussions… ;
  • La théorie de l’imprévision est reconnue (art. 1196) : si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend son exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’a pas accepté d’en assumer le risque, cette partie peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Si la renégociation n’aboutit pas, les parties peuvent demander d’un commun accord au juge de procéder à l’adaptation du contrat, ou bien une partie seule peut lui demander de mettre fin au contrat.

La cause disparaît des conditions de validité du contrat (art. 1127) mais les solutions fondées sur cette notion sont maintenues : le contrat ne peut déroger à l’ordre public par son but (art. 1161), et est nul le contrat à titre onéreux en cas de contrepartie illusoire ou dérisoire au moment de sa formation (art. 1167). La clause qui prive de sa substance l’obligation essentielle du débiteur est en outre réputée non écrite, consécration de la jurisprudence Chronopost (art. 1168).

Une théorie générale de la représentation est instituée (art. 1152 à 1160). Des règles issues de la théorie du mandat sont reprises, et un article consacré aux conflits d’intérêts apparaît (art. 1160).

Une théorie générale de la nullité et de la caducité est établie (art. 1178 à 1193).

La notion de clause abusive, qui est celle qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, est introduite dans le droit général des contrats ; une telle clause peut être supprimée par le juge (art. 1169).

Quelques innovations encore sont à signaler en cas d’inexécution, comme la possibilité reconnue au créancier de réduire proportionnellement le prix en cas d’exécution imparfaite du contrat (art. 1223) ou la consécration du droit pour le créancier de résoudre le contrat par voie de notification à son cocontractant après une inexécution ayant donné lieu à une mise en demeure infructueuse (art. 1226) et l’affirmation du fait que la résolution n’affecte pas les clauses relatives au règlement des différends (art. 1230).

III – Vers un droit moderne des contrats.

Le droit des contrats tel que notre Code civil l’a énoncé en 1804 est un modèle en termes de rédaction législative. Ce n’est pas une idée nouvelle ni sujette à discussion d’évoquer l’obsolescence de ces textes, qui ont été complétés, nuancés, voire contredits par la jurisprudence. Des régimes spéciaux, le droit de la consommation particulièrement, ont quant à eux édicté des obligations nouvelles, qui finissent par faire ressentir leur influence dans tout contrat ou presque. La doctrine a également travaillé.

Il est donc utile de « faire monter » dans nos textes tant l’acquis jurisprudentiel que les nouvelles règles et obligations empruntées aux droits spéciaux. Il est essentiel que le droit français des contrats que chacun peut consulter en ouvrant un Code civil, soit autant que possible décrit exactement par la loi.

On se félicitera donc de ce premier pas, en attendant la suite, à savoir le débat des deux prochains mois, puis la diffusion probable d’un projet d’ordonnance amendé.

Bruno DONDERO

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Quand le législateur simplifie… l’intitulé de la loi de simplification !

I – Les faits.

Le législateur produit suffisamment de textes pour que les universitaires et les praticiens qui s’intéressent au contenu et aux conséquences des nouvelles normes doivent y consacrer une portion non négligeable de leur temps d’activité. On signalera ici, à la seule fin de faire sourire les lecteurs de ce blog, une intervention du législateur pour simplifier le nom donné à une loi de simplification, ce qui est tout de même assez fort !

Une loi a été publiée au Journal officiel du 21 décembre 2014. La loi, datée du 20 décembre, est une loi de simplification. Son nom complet était : « Loi n° 2014-1545 du 20 décembre 2014 relative à la simplification de la vie des entreprises et portant diverses dispositions de simplification et de clarification du droit et des procédures administratives ».

A la lecture de ce long intitulé, on pouvait se dire que la machine à produire des noms de nouvelles lois (« nouvelles régulations économiques », « modernisation de l’économie », « pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques », etc.) avait trop chauffé, ou que l’on avait appuyé deux ou trois fois sur le bouton.

C’était surtout un exploit qui était réalisé, puisque l’intitulé de la loi démontrait dans le même temps (i) que le législateur était particulièrement soucieux de rendre le droit simple, ainsi qu’en attestait la présence par deux fois du mot « simplification », et (ii) qu’il n’avait que peu d’intérêt pour la loi simple, à voir l’intitulé retenu.

Que l’on se rassure, le législateur est intervenu pour simplifier… le nom de la loi de simplification ! Un rectificatif est en effet paru au Journal officiel du 3 janvier 2015 (p. 61) pour remplacer l’intitulé de la loi par celui de « relative à la simplification de la vie des entreprises ». Il est indiqué: « page 21647, dans le titre, au lieu de : « relative à la simplification de la vie des entreprises et portant diverses dispositions de simplification et de clarification du droit et des procédures administratives », lire : « relative à la simplification de la vie des entreprises ».

II – La tirade de la loi.

On pourrait se contenter de relever une erreur du législateur.

Mais on a envie de dire, à la manière de Cyrano, « c’est un peu court, jeune homme ! ».

On pouvait dire bien des choses en somme, en variant le ton.

Pessimiste : notre législateur a la main si peu ferme qu’il lui faut s’y prendre à deux fois, Ne serait-ce que pour donner un nom à une loi.

Enfantin : comme les cheveux trop longs sont coupés par le coiffeur, Le nom de la loi est coupé par le législateur !

Enthousiaste : que notre législateur est donc rigoureux, Aucun défaut des textes n’échappe à ses yeux.

Plaisant : la loi est arrivée, avec un nom trop long, Puis elle repartie, faire changer son nom, Le JO vérifié, c’est chose accomplie. Le nom de cette loi maintenant est plus petit. On pourrait continuer assez longtemps. Il est simplement amusant de relever que la simplification a parfois elle-même besoin de simplification!

 Bruno DONDERO

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Loi Macron: feu vert aux crédit inter-entreprises!

Le projet de loi Macron touche des sujets tellement nombreux que l’on pourrait ne pas se rendre compte de l’importance considérable de certaines des mesures qui sont discutées. Lundi 9 février, a été adopté un amendement (n° 1480), malgré l’avis défavorable du ministre, qui pourrait modifier de manière substantielle l’accès au crédit de nos entreprises.

Est ouverte une brèche dans le monopole bancaire, puisque ce n’est plus auprès des seules banques que les entreprises pourraient contracter un crédit, comme c’est le cas actuellement avec un certain nombre d’exceptions il est vrai, mais plus largement auprès d’entreprises « partenaires ».

Revenons sur le monopole bancaire et ses conséquences sur le crédit inter-entreprises (I) avant d’envisager l’incidence de la mesure votée (II).

I – Le monopole bancaire et ses conséquences sur le crédit inter-entreprises.

Le Code monétaire et financier édicte ce que l’on appelle le monopole bancaire. En substance, seule une banque ou un établissement assimilé peut réaliser une opération de crédit à titre onéreux (un prêt d’argent rémunéré) de manière habituelle, l’habitude s’entendant ici d’une répétition d’actes mais aussi d’une pluralité de destinataires. Ceux qui font ce type d’opération de manière habituelle sans respecter les exigences légales, donc sans être un établissement de crédit ou sans rentrer dans l’une des exceptions, encourent des sanctions pénales (3 ans d’emprisonnement et 375.000 euros d’amende, notamment) et civiles (des dommages-intérêts).

De nombreuses exceptions existent cependant, qui visent des situations assez différentes: un employeur peut consentir des avances sur salaires, une société mère peut prêter à sa filiale, un fournisseur peut consentir des délais de paiement, etc.

Lorsque l’on n’est pas dans une de ces situations, il est en pratique difficile qu’une entreprise prête de l’argent à une autre. Soit elle le fait à titre onéreux, et demande une contrepartie au prêt, ce qui peut constituer une violation du monopole bancaire dès lors que l’opération intervient plus d’une fois. Soit le prêt est fait à titre gratuit, mais cela peut alors constituer un cas d’abus de biens sociaux, une faute de gestion, un acte anormal de gestion, etc. La trésorerie d’une entreprise ne doit normalement pas servir à financer gratuitement une autre entreprise.

II – L’exception nouvelle au monopole bancaire.

Deux textes du Code monétaire et financier sont modifiés par l’amendement défendu en séance par M. Fromantin (rappelons que le Sénat doit encore examiner le texte). Les modifications visent à permettre à des entreprises de prêter de l’argent à des entreprises « partenaires ».

On va plus loin que ce qui existe aujourd’hui, puisque l’on permet à deux entreprises sans lien de capital (pas nécessairement une société mère et sa filiale) de conclure un contrat de prêt, et de le faire de manière répétée.

L’un des deux textes nouveaux vise des prêts à moins de deux ans, et l’autre vise des « opérations de crédit » sans précision. On comprend de l’exposé accompagnant l’amendement que l’intention des rédacteurs était de ne viser que les prêts à moins de deux ans, mais ce n’est pas ce qui a été voté.

En l’état du texte voté, on ne sait pas vraiment ce que recouvre la condition du « partenariat ». Un texte parle de liens économiques justifiant le prêt, l’autre vise un contrat de « partenariat » qui devra être conclu.

La rédaction devra être affinée, mais le plus important n’est pas là. La réforme envisagée va ouvrir une brèche importante dans le monopole bancaire. En permettant aux entreprises de se financer les unes les autres, on va faciliter l’accès au crédit des PME, mais il faudra prévoir des garde-fous pour éviter l’apparition d’un secteur bancaire parallèle non encadré.

 Bruno DONDERO

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Mise en examen de M. Copé: l’importance de l’élément intentionnel

Jean-François Copé a été mis en examen pour abus de confiance ce mardi 3 février. L’abus de confiance, faut-il rappeler, est un délit pénal réprimé par l’article 314-1 du Code pénal. Il est constitué quand une personne « détourne, au préjudice d’autrui, des fonds, des valeurs ou un bien quelconque qui lui ont été remis et qu’elle a acceptés à charge de les rendre, de les représenter ou d’en faire un usage déterminé« . Ce délit a un champ d’application très large, car il concerne toute personne qui manie les fonds d’autrui, et notamment tous les dirigeants de groupements: sociétés, associations, syndicats, et aussi les partis politiques.

NB: s’agissant des sociétés, le régime de certaines d’entre elles (SARL, sociétés par actions) prévoit un « abus de confiance » spécial: le délit d’abus de biens sociaux (ABS).

Il est reproché à Jean-François Copé d’avoir utilisé les fonds de l’UMP pour régler les pénalités dues à titre personnel par Nicolas Sarkozy à la suite du rejet de ses comptes de campagne.

La situation soulève cependant un certain nombre d’interrogations au regard du droit pénal.

Tout d’abord, si l’abus de confiance consiste en l’utilisation des fonds de l’UMP dans un autre intérêt que celui de ce groupement, on peut se demander si le paiement des pénalités dues par N. Sarkozy n’était pas conforme à l’intérêt de l’UMP. Pourrait se poser aussi la question de la nature des pénalités infligées à M. Sarkozy: sommes remboursables dans le prolongement du « mandat » donné par l’UMP à son candidat, ou amende que seul le candidat devait assumer?

C’est surtout la question de l’élément intentionnel de l’infraction qui se pose. Le Code pénal exige en son article 121-3 que l’on constate que celui qui commet un crime ou un délit avait « l’intention de le commettre », sauf les infractions d’imprudence. Cette preuve est souvent considérée comme satisfaite, au vu des circonstances, les juges considérant que le prévenu devait avoir l’intention de commettre l’infraction. Mais s’agissant de M. Copé, il est indiqué (lemonde.fr) que le paiement était intervenu « avec l’aval de Bercy pour l’encaissement du chèque » et « après un avis juridique favorable de Me Philippe Blanchetier, qui avait auparavant représenté Nicolas Sarkozy devant la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques« .

Il va de soi que toute infraction ne disparaît pas du seul fait que l’on peut produire une lettre d’avocat attestant qu’elle n’existe pas. Le choix de l’avocat du bénéficiaire du versement n’était peut-être pas heureux, par ailleurs. Pour autant, il serait regrettable de ne donner aucun poids à la démarche prudente ayant consisté à n’opérer le versement qu’après avoir sollicité une analyse juridique d’un avocat.

Bruno DONDERO

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Loi Macron: faut-il légiférer (encore) sur le secret des affaires ?

Ce monstre normatif qu’est devenu le projet de loi Macron traite aussi, depuis son passage en commission à l’Assemblée nationale, du « secret des affaires ».

La mise en place d’un nouveau dispositif sur le secret des affaires avait été demandée par les entreprises depuis longtemps, mais les textes proposés n’avaient pas abouti.

D’où la présence dans le projet de loi Macron d’un dispositif sur le secret des affaires comportant un volet civil et un volet pénal.

La volonté de légiférer sur le secret des affaires peut surprendre, car la responsabilité civile permet de sanctionner une faute ou un manquement contractuel, sans qu’un texte légal spécial soit nécessaire pour cela. Lorsque l’article 1382 du Code civil dispose que toute faute oblige son auteur à réparer le préjudice qu’elle cause, cela permet déjà à celui qui subit un préjudice du fait de la révélation d’informations qu’il gardait secrètes d’obtenir réparation.

S’agissant du volet pénal par ailleurs, le Code du travail contenait déjà un article L. 1227-1 aux termes duquel « Le fait pour un directeur ou un salarié de révéler ou de tenter de révéler un secret de fabrication est puni d’un emprisonnement de deux ans et d’une amende de 30 000 euros ».

I – Le volet civil risque de rendre plus difficile la protection du secret.

Le volet civil du projet de loi Macron nous semble plutôt, disons-le franchement, de nature à rendre plus difficile la protection du secret des affaires.

L’information protégée au titre du secret des affaires serait définie par le nouvel article L. 151-1 du Code de commerce comme celle :

« 1° Qui ne présente pas un caractère public en ce qu’elle n’est pas, en elle-même ou dans l’assemblage de ses éléments, généralement connue ou aisément accessible à une personne agissant dans un secteur ou un domaine d’activité traitant habituellement de ce genre d’information ;

« 2° Qui, notamment en ce qu’elle est dénuée de caractère public, s’analyse comme un élément à part entière du potentiel scientifique et technique, des positions stratégiques, des intérêts commerciaux et financiers ou de la capacité concurrentielle de son détenteur et revêt en conséquence une valeur économique ;

« 3° Qui fait l’objet de mesures de protection raisonnables, compte tenu de sa valeur économique et des circonstances, pour en conserver le caractère non public.»

Si le Code de commerce était doté d’une telle définition, il faudrait donc que le juge saisi par une entreprise d’une demande de sanction d’une atteinte au secret vérifie que ces différentes conditions sont remplies pour pouvoir ordonner des mesures (dommages-intérêts notamment) réparant la révélation d’une information couverte par le secret des affaires.

L’atteinte au secret des affaires lui-même devrait présenter des caractéristiques particulières, selon le nouvel art. L. 151-2

« Nul ne peut obtenir une information protégée au titre du secret des affaires en violation des mesures de protection prises pour en conserver le caractère non public, ni utiliser ou communiquer l’information ainsi obtenue.

« Nul ne peut non plus utiliser ni communiquer une information protégée au titre du secret des affaires, sans le consentement de son détenteur duquel il l’a obtenue, de façon licite, directement ou indirectement.

« Toute atteinte, délibérée ou par imprudence, au secret des affaires prévue aux deux premiers alinéas du présent article engage la responsabilité civile de son auteur, à moins qu’elle n’ait été strictement nécessaire à la sauvegarde d’un intérêt supérieur, tel que l’exercice légitime de la liberté d’expression ou d’information ou la révélation d’un acte illégal ».

Ces nombreuses conditions étant remplies, le juge pourra prendre différentes mesures.

Il lui faudra notamment dire si la révélation de l’information couverte par le secret des affaires n’était pas autorisée par « l’exercice légitime de la liberté d’expression ou d’information », ce qui annonce de beaux débats…

Il nous semble également que la plupart, sinon la totalité des mesures listées par le projet de loi étaient déjà possibles, en réalité.

En réalité, précédemment, la responsabilité pour faute (principe général de l’article 1382 du Code civil) ou le manquement à une obligation de confidentialité si elle était prévue par contrat devait suffire à condamner l’auteur de la révélation d’une information confidentielle à réparer le préjudice qu’il avait causé.

Il est sans doute utile que le secret des affaires soit reconnu par la loi, mais une reconnaissance de principe aurait sans doute été plus utile. Car paradoxalement, il risque d’être maintenant plus compliqué de faire sanctionner une atteinte au secret des affaires.

II – Le volet pénal

Quant au volet pénal de la loi, il sera sans doute réécrit, car le fait de sanctionner de trois ans d’emprisonnement et 375.000 euros d’amende le fait de « prendre connaissance » d’une information protégée au titre du secret des affaires apparaît peu praticable, même si un « sans autorisation » figure un peu plus loin au sein du texte…

On notera la volonté de ne pas sanctionner pénalement les lanceurs d’alerte en prévoyant que le délit ne s’applique pas « à celui qui informe ou signale aux autorités compétentes des faits susceptibles de constituer des infractions aux lois et règlements en vigueur dont il a eu connaissance ». Mais la menace d’une sanction pénale risque tout de même de faire peur aux lanceurs d’alerte, et donc de réduire les cas où ils révéleront des informations.

On peut surtout se demander si le texte prévoyant déjà des sanctions pénales dans le Code du travail n’était pas suffisant, et s’il faut en rajouter dans le pénal. S’agissant du secret « des affaires », des sanctions civiles, et notamment des dommages-intérêts élevés, ne devraient-elles pas suffire? La volonté de marquer l’importance du secret des affaires se traduit donc par des sanctions pénales, mais compte-t-on vraiment appliquer la nouvelle infraction un jour ?

Bruno DONDERO

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Loi Macron et droit des entreprises en difficulté

Le lundi 26 janvier 2015, lors de la première séance de l’Assemblée nationale consacrée à la loi dite « Macron », le député rapporteur en charge des aspects de droit des entreprises en difficulté, M. Alain Tourret, a tenu des propos qui expliquent bien les intentions qui sous-tendent le projet de loi. Ces propos sont intéressants à plusieurs titres, et couvrent trois thèmes.

I – Sur la politique en matière d’entreprises en difficulté :

«  (…) il fallait écouter à la fois la Chancellerie, le ministère de l’économie et tous les présidents des tribunaux de commerce. Chacun avait sa vérité mais, finalement, c’est une vérité commune que nous allons vous proposer.

(…) l’entreprise qui dépose son bilan, ce sont des salariés qui souffrent, des propriétaires qui sont perdus, des créanciers qui vont tout perdre.

Il faut alors regarder avec une attention toute spéciale les 63.000 défaillances d’entreprise que nous connaissons chaque année, les 55.524 jugements d’ouverture, dont 15.531 seront des redressements judiciaires et 35.000 des liquidations.

Ce qui me semble intéressant, c’est de voir que, plus l’entreprise est importante, soit par le nombre de salariés, soit par son capital, plus l’on s’oriente vers un redressement judiciaire et non vers une liquidation. Ainsi, sur 185 entreprises de plus de 100 salariés qui déposaient leur bilan chaque année, 46 étaient mises en liquidation et 139 pouvaient bénéficier d’un redressement judiciaire. Naturellement, plus l’entreprise est grande, plus, en raison de la pression sociale et des nécessités économiques qui se font jour, on essaie de trouver des solutions. »

Commentaire : bien entendu, la volonté de sauver les emplois conduit à privilégier des solutions de maintien de l’activité, si elles sont possibles, plutôt que des solutions liquidatives. Un phénomène insuffisamment étudié sans doute est celui de l’impact des mesures de redressement sur les partenaires de l’entreprise en difficulté. On risque parfois, à vouloir sauver l’entreprise à tout prix, de porter atteinte à ses fournisseurs, clients, etc. Si une entreprise ne paie plus ses créanciers parce qu’elle est en sauvegarde, il faut penser que les créanciers impayés sont aussi, bien souvent, des entreprises avec des salariés. Il peut y avoir un effet de domino, et sauver les emplois de l’entreprise A pourrait porter atteinte aux emplois des entreprises B, C et D. Ce point est d’autant plus à souligner que si l’on recherche plutôt une sauvegarde ou un redressement pour sauver les 200 emplois de A, il est possible que l’on se préoccupe moins du sort des entreprises B, C et D si elles n’ont que quelques salariés, et qu’elles soient ainsi plus facilement mises en liquidation.

II – Sur les tribunaux de commerce et les acteurs des procédures collectives :

« Pour trouver ces solutions, nous avons d’abord proposé qu’il y ait des tribunaux de commerce spécialisés. Je veux d’ores et déjà rendre hommage à tous les magistrats consulaires, qui remplissent leur mission de façon remarquable, et bénévole, je tiens à le souligner, dans cette société où tout s’achète. Ce sont incontestablement des gens de compétence.

 Il nous a semblé également indispensable que des spécialistes puissent s’intéresser au redressement judiciaire d’entreprises dépassant un certain niveau, tant en nombre de salariés qu’en capital. Un décret en conseil des ministres déterminera par la suite l’importance de l’entreprise, de même qu’un décret déterminera le nombre des tribunaux qui pourront remplir cette mission de tribunal de commerce spécialisé.

Cela me paraît indispensable puisque tout se spécialise, tout se complique, et que nous voulons absolument que l’entreprise puisse poursuivre son activité le plus longtemps possible, avec le plus grand nombre possible de salariés. »

Commentaire : Les juges des tribunaux de commerce apprécieront cet hommage à leur travail. S’agissant de la spécialisation, nous avons évoqué avec Maître Gabriel Sonier, dans les colonnes de la Tribune, une mesure qui nous semble moins « clivante » que le partage des tribunaux de commerce entre grands tribunaux auxquels seraient réservés les dossiers importants et petits tribunaux ne gardant que les dossiers les plus petits ou les plus simples (reste encore à savoir où se situera la barre entre grands et petits dossiers). Nous avons proposé de créer un ou plusieurs pôles par région, regroupant les juges les plus expérimentés de tous les tribunaux de la région. http://www.latribune.fr/opinions/tribunes/20150122tribf4d1c9280/loi-macron-l-occasin-de-renforcer-l-efficacite-des-tribunaux-de-commerce.html

III – Sur l’entrée des créanciers au capital et sur le Conseil constitutionnel :

« Pour cela, nous avons essayé de réfléchir (…) sur la possibilité, totalement révolutionnaire, je tiens à le dire, même si elle s’inspire de la loi allemande et de la loi américaine, de prendre en compte la situation des créanciers.

La loi Badinter de 1985 avait oublié le sort des créanciers. Nous avons voulu que leurs créances puissent se transformer en capital et qu’ils aient la possibilité de jouer un rôle décisif, décisionnel, pour l’avenir de l’entreprise. Je vous donnerai de plus longues explications mais j’ai vu à quel point les uns et les autres se sont rendu compte qu’après ce qu’on a appelé l’arrêt Florange, une réflexion était indispensable pour aller plus loin et faire en sorte que le créancier puisse désormais jouer un rôle irremplaçable dans le cadre du devenir de l’entreprise alors que, jusqu’à présent, il n’avait plus que ses yeux pour pleurer.

Cette solution juridique que nous allons vous proposer est complexe, car le Conseil constitutionnel se veut le gardien précis, sourcilleux, du droit de propriété, et c’est normal. Nous avons prévu la possibilité d’indemniser le propriétaire capitalistique initial ; de lui substituer éventuellement, avec les créanciers, d’autres propriétaires qui viendront ainsi assurer le devenir de l’entreprise.

C’est quelque chose de totalement nouveau, de totalement révolutionnaire, et tout le monde, y compris le MEDEF, a souhaité que nous puissions aller plus loin dans le cadre de cette recherche. Voilà pourquoi, sur ce chapitre qui m’a été confié, j’ai le sentiment d’un devoir non pas accompli mais en perpétuel mouvement.

Monsieur le ministre, lors de nos travaux en commission, vous avez fait preuve d’une grande ouverture vis-à-vis des uns et des autres. Il faut encore aller plus loin, élargir le cadre de la loi et ne jamais le rétrécir (…) ».

Commentaire : il est un peu rapide de dire que la loi du 25 janvier 1985 avait « oublié le sort des créanciers ». Elle avait surtout pensé à l’entreprise en difficulté, mais elle avait ensuite été corrigée en 1994, par une réforme tournée quant à elle vers la protection des créanciers, particulièrement ceux qui sont titulaires de sûretés.

Le projet de loi contient un dispositif qui permet de passer outre le refus des associés ou actionnaires majoritaires de voter l’augmentation de capital à laquelle est conditionné le redressement d’une entreprise d’une certaine importance (notamment celles de 150 salariés au moins). Les créanciers pourraient entrer ainsi au capital de l’entreprise. Le projet de loi prévoit même la possibilité de contraindre ces associés ou actionnaires à céder leurs droits sociaux.

Enfin, dans le dialogue entre les institutions créatrices de droit, il est intéressant de voir un député dire que le Conseil constitutionnel est le « gardien précis, sourcilleux du droit de propriété ».

Bruno DONDERO

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La loi interprétée par blog ministériel (à propos de la FAQ ESS)

L’application des nouvelles technologies aux activités juridiques suscite un grand nombre de questions et de défis. Quelle est l’incidence d’une « amitié » Facebook au regard des règles sur les conflits d’intérêts ? Ne peut-on opposer à un professionnel du droit une interprétation formulée dans un post de blog ? Plus substantiellement, les avocats et les autres professions juridiques doivent-ils éviter les réseaux sociaux et se priver de ce formidable instrument de communication ? Au-delà des professions, c’est la pratique du droit elle-même qui peut être affectée par les nouvelles technologies, comme l’illustre la FAQ relative à la loi ESS.

Pour rappel, la loi du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire (ESS) s’est surtout fait connaître du grand public pour le dispositif d’information des salariés en cas de cession de leur entreprise, plus que pour les mesures concernant les entreprises du secteur de l’ESS proprement dite, et qui amènent les acteurs de cette économie à voir dans la loi une « bonne nouvelle » comme l’illustre cette publicité du Crédit coopératif.

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On peut aussi se réjouir de l’adoption de la loi ESS…

La loi a été publiée le 31 juillet, et a été suivie d’un décret d’application, assez surprenant puisqu’il a créé une exception à l’application de la loi (art. 2 du décret). Après le décret est paru un guide pratique, prenant position sur un certain nombre de points. Ces précisions sont parfois intéressantes, comme lorsque ce guide indique que n’est pas considéré comme une cession « un transfert de propriété dans le cadre d’une transmission universelle de patrimoine ». Dommage qu’il soit dit juste après que « Les donations et libéralités dans le cadre familial ne sont donc pas concernées », ce qui enlève un peu de crédibilité au document, la donation avec TUP restant encore à créer…

Au mois de décembre, est apparue une « FAQ », c’est-à-dire une « Foire Aux Questions » (traduction des Frequently Asked Questions), en deux livraisons. L’une des réponses données intéressera particulièrement les praticiens, puisqu’à la question « Le droit d’information s’applique–t-il lorsqu’il y a une cession de 50% du capital réalisée par plusieurs associés, aucun ne détenant seul plus de 50% de ce capital ?« , il est répondu que « La loi prévoit l’obligation d’information des salariés lorsque le propriétaire d’une participation représentant plus de 50% du capital veut la céder. Elle ne s’applique donc pas lorsque plusieurs propriétaires de participations, représentant chacune moins de 50% du capital, veulent les céder« .

Tant le guide que la FAQ posent une question délicate, qui est celle de savoir quelle valeur accorder à ce type de source. On pense à les rapprocher des réponses ministérielles, qui avaient été étudiées il y a quarante ans maintenant par Bruno Oppetit (Les réponses ministérielles aux questions écrites des parlementaires et l’interprétation des lois, Dalloz 1974, chr., p. 107). En substance, ces écrits n’ont pas une valeur contraignante pour l’administration dont ils émanent, sauf en matière fiscale (v. aujourd’hui art. L. 80 A du Livre des procédures fiscales, et précédemment art. 1649 quinquies E du Code général des impôts). Le juge judiciaire n’est en tous les cas pas lié par les réponses ministérielles, mais lorsque la loi est restée silencieuse sur une question, au moins ces réponses constituent-elles une interprétation provenant d’une source proche du législateur. Tant le guide pratique que la FAQ auront sans doute une influence sur la pratique, et peut-être aussi sur les décisions judiciaires à intervenir en ce domaine, les juges pouvant être tentés de prendre en compte le fait que les rédacteurs d’actes et leurs clients auront eux-mêmes pris en compte ces interprétations.

Mais il y a une différence entre les réponses ministérielles et le guide pratique et la FAQ relatifs à la loi ESS. Les premières sont publiées au Journal officiel, tandis que le guide et la FAQ sont apparus sur une page du site du Ministère de l’économie et des finances… (http://www.economie.gouv.fr/droit-d-information-prealable-salaries-cas-cession-entreprise#FAQ) et pourraient en théorie en être retirés aussi facilement, ou être modifiés sans avertissement. Une réponse ministérielle pourrait toujours opérer un revirement par rapport à une autre, mais l’on garderait au moins au Journal officiel la trace de cette évolution. Il est moins évident et moins parlant de conserver la trace des évolutions successives d’une page internet, d’autant que l’on ne sait pas encore à quel rythme sera modifié ou enrichi ce « blog ministériel » qu’est la FAQ.

Une question pour conclure: viendra-t-il un jour où le droit sera fait et défait, loin du Parlement et des ministères, par toute personne ayant les moyens techniques de modifier les pages du site Legifrance ?

Bruno DONDERO

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La contrepartie financière de la clause de confidentialité pesant sur l’ancien salarié (Cass. soc., 15 oct. 2014, n° 13-11524)

Cet arrêt de la Chambre sociale de la Cour de cassation (http://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechExpJuriJudi&idTexte=JURITEXT000029607805&fastReqId=27681599&fastPos=2), qui sera publié au Bulletin des arrêts, apporte une précision intéressante: la clause de confidentialité qui impose au salarié de ne pas révéler d’informations sur son ancien employeur ne nécessite pas le versement d’une contrepartie financière au salarié, à la différence donc de la clause de non-concurrence. La question est complexe, car les clauses de non-concurrence et les clauses de confidentialité sont proches. Dans les deux cas, on cherche à limiter l’accès du nouvel employeur à la clientèle de l’ancien employeur par le biais du salarié. La différence réside dans ce que la clause impose au salarié.

Dans l’affaire qui a donné lieu à l’arrêt du 15 octobre 2014, était concernée une personne qui avait été engagée en 1978 par une société appartenant à un groupe EPC avant de travailler, de 2001 à 2009, pour une autre société de ce groupe, puis d’être licencié pour motif économique. Les fonctions, dans la seconde société, étaient celle de « directeur marketing-division explosifs industriels ».

La cour d’appel saisie du litige avait dit que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse, et le pourvoi formé par l’employeur sur ce point est rejeté. La cour d’appel avait constaté que l’employeur, n’ayant proposé aucun poste de reclassement, ne justifiait pas que le reclassement ne pouvait être opéré dans l’entreprise ou dans les entreprises du groupe auquel il appartenait, et avait légalement justifié sa décision.

Mais le salarié avait également formé un pourvoi en cassation, car il contestait l’arrêt d’appel en ce qu’il l’avait débouté de la demande d’indemnisation qu’il avait faite au titre de la clause de discrétion qui figurait dans son contrat de travail. Il soutenait que cette clause l’empêchait, à l’instar d’une clause de non concurrence, de retrouver un emploi, notamment en raison du fait qu’il avait toujours travaillé dans le même domaine d’activité sur lequel il y avait très peu d’intervenants et aussi parce que l’obligation de discrétion résultant de la clause n’était limitée ni dans le temps, ni dans l’espace.

La Chambre sociale rejette cependant le pourvoi en cassation et approuve la cour d’appel d’avoir déduit que la clause n’ouvrait pas droit à contrepartie financière dès lors que « la clause litigieuse ne portait pas atteinte au libre exercice par le salarié d’une activité professionnelle, mais se bornait à imposer la confidentialité des informations détenues par lui et concernant la société ». A contrario, une clause qui limiterait davantage la liberté de communication des informations détenues par le salarié, ou simplement la liberté d’utilisation du savoir acquis par lui auprès de son ancien employeur, serait assimilable à une clause de non-concurrence et supposerait une contrepartie financière due par l’employeur au salarié.

L’arrêt du 15 octobre est intéressant en ce qu’il permet de comprendre que les clauses qui supposent une contrepartie financière sont celles qui limitent la liberté du salarié après la cessation du contrat de travail. Cela vaut pour la clause de non-concurrence, on le savait depuis les arrêt de la Chambre sociale du 10 juillet 2002. Cela vaut pour la clause de non-réaffiliation qui interdirait à un franchisé toute activité (Cass. com., 31 janv. 2012, n° 11-11071, publié au Bull.). Cela vaudrait aussi pour une clause de confidentialité qui limiterait l’exercice de son activité par le salarié.

On complétera ces rapides observations en rappelant que l’article L. 1227-1 du Code du travail sanctionne de deux ans d’emprisonnement et 30.000 euros d’amende le fait pour un directeur ou un salarié de révéler ou de tenter de révéler un secret de fabrication. Ce texte sanctionné pénalement doit s’interpréter de manière restrictive; les sanctions pénales prévues par l’article L. 1227-1 ne concernent par conséquent pas un ancien salarié. Cela ne veut cependant pas dire que celui-ci puisse utiliser sans aucune limite les informations confidentielles dont il aurait eu connaissance auprès de son ancien employeur. Il faut sans doute distinguer entre l’utilisation du savoir-faire acquis auprès de son ancien employeur, que le salarié doit pouvoir utiliser librement en l’absence de restriction contractuelle, et la diffusion d’informations, à manier avec davantage de précautions.

V. aussi Cass. soc., 29 oct. 2014, où il était soutenu qu’une clause visait à garantir la confidentialité exigée par l’AMF des organismes de gestion financière, alors que les juges y voient une clause de non-concurrence: http://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechExpJuriJudi&idTexte=JURITEXT000029683208&fastReqId=27681599&fastPos=1.

Bruno DONDERO

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La prescription des crimes suspendue en cas d’obstacle insurmontable aux poursuites (Assemblée plénière de la Cour de cassation, 7 nov. 2014)

L’Assemblée plénière de la Cour de cassation, formation réunissant des magistrats de toutes les chambres de la Cour, vient de rendre le 7 novembre 2014 un arrêt important en matière de prescription pénale (n° 14-83739): http://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/assemblee_pleniere_22/613_14_30461.html .

Il est jugé par un attendu de principe que « si, selon l’article 7, alinéa 1er, du Code de procédure pénale, l’action publique se prescrit à compter du jour où le crime a été commis, la prescription est suspendue en cas d’obstacle insurmontable à l’exercice des poursuites ».

L’affaire qui a donné lieu à cette décision était terrible. Une aide-soignante avait étouffé huit enfants auxquels elle avait donné naissance, pour certains du fait d’une relation incestueuse. Parce qu’elle était obèse, les grossesses étaient passées inaperçues, y compris auprès de médecins consultés pour d’autres motifs. L’aide-soignante avait accouché chez elle, sans témoins, et avait supprimé les nouveau-nés de même, avant de dissimuler leurs corps. Personne ne connaissait donc l’existence des crimes.

Les infanticides ont eu lieu entre 1989 et 2006. La majorité d’entre eux ne pouvaient normalement plus être poursuivis. Et pourtant, l’arrêt de la Cour de cassation permet les poursuites. Pour comprendre la décision, il faut revenir sur le contexte juridique de la prescription (I) puis sur la solution formulée par l’arrêt (II).

I – Le contexte juridique de la prescription.

L’article 7 du Code de procédure pénale dispose qu’en matière de crime, l’action publique se prescrit en principe dix ans à compter du jour où le crime a été commis. Si pendant que ce délai de dix ans court, un acte d’instruction ou de poursuite est accompli, alors il repart à zéro.

Ce principe étant posé, la loi et la jurisprudence lui apportent des exceptions.

Le Code de procédure pénale prévoit une prescription par 20 ans pour certains crimes contre les mineurs. Notamment, les violences ayant entraîné une mutilation sont prescrites par 20 ans lorsque la victime est un mineur. Il semblerait logique que la règle s’applique à plus forte raison à l’infanticide, mais les textes ne disent rien à ce sujet.

La jurisprudence a créé par ailleurs une règle particulière en matière d’abus de biens sociaux et d’abus de confiance. Le dirigeant qui fait des prélèvements indus sur les comptes de la société en les dissimulant (en maquillant les comptes sociaux, en faisant passer la dépense pour une dépense licite, etc.) ne peut plus être poursuivi après l’écoulement d’un délai de 3 ans. Mais le point de départ prévu par l’article 8 du Code de procédure pénale qui devrait normalement être celui de la commission du délit est retardé par la Cour de cassation au jour de la découverte du délit, c’est-à-dire au jour où le délit a pu être constaté et faire l’objet de poursuites.

Ces exceptions complexifient le régime de la prescription. Elles obéissent cependant à des idées assez simples : a) plus l’infraction est grave, plus longtemps son auteur doit pouvoir être poursuivi, d’une part ; b) le fait de dissimuler son méfait ne doit pas mettre l’auteur à l’abri des poursuites, d’autre part.

II – La solution.

La prescription est une institution importante, en matière pénale comme en matière civile. Les droits de créance et vu de l’autre côté, les dettes, la responsabilité civile, la responsabilité pénale, tout cela se périme. Si l’on ne met pas en œuvre une prérogative juridique (demander son dû, rechercher la condamnation, etc.), celle-ci perd son efficacité au bout d’un certain temps. Cela a différentes utilités, et en pratique, l’écoulement du temps rend progressivement plus difficile le travail de la justice, parce que les preuves disparaissent, les témoins oublient, etc.

La Chambre criminelle décide cependant de créer une exception nouvelle à la prescription, pour « obstacle insurmontable », qui suspend le délai de prescription.

On rencontre une règle proche en matière civile, puisque l’article 2234 du Code civil dispose que « La prescription ne court pas ou est suspendue contre celui qui est dans l’impossibilité d’agir par suite d’un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure ». L’obstacle insurmontable retenu par l’Assemblée plénière en matière pénale est proche de la force majeure, qui doit être un fait irrésistible. Le Code civil a consacré ainsi l’adage « Contra non valentem agere non currit praescriptio », selon lequel la prescription ne court pas contre celui qui ne peut agir

La règle se comprend bien. La prescription traduit aussi le fait que celui qui pouvait exercer un droit, mettre en œuvre une poursuite, a renoncé à le faire. Cette inaction se traduit au bout d’un certain temps par la disparition du droit d’agir ou de poursuivre. Mais on ne peut considérer que la société a renoncé à poursuivre, s’agissant d’une infraction pénale, si la société est absolument dans l’ignorance de la commission de l’infraction.

Reste cependant à savoir si la Cour de cassation ne va pas voir sa solution critiquée au regard de l’exigence de sécurité juridique, à valeur constitutionnelle et conventionnelle (Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales). L’arrêt du 7 novembre est tout de même audacieux, puisqu’il introduit une exception assez large dans une règle qui doit être définie avec précision, si l’on veut conserver à notre système juridique le respect de l’exigence de sécurité juridique. L’obstacle insurmontable à l’exercice des poursuites, que peut-il être ? La dissimulation par l’auteur de l’infraction, rendant impossible la constatation de celle-ci, c’est une chose. Mais il faudra voir si les décisions qui suivront ne retiennent pas une conception extensive de la notion. Il ne faudrait pas, par exemple, que le manque de moyens chronique de la Justice en France soit vu comme un obstacle insurmontable, rendant de ce fait imprescriptible un certain nombre d’infractions.

Notons cependant que la solution de la Cour, qui est liée à l’article 7 du Code de procédure pénale, doit être limitée aux crimes, donc aux infractions les plus graves.

Bruno DONDERO

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