Archives mensuelles : septembre 2017

La preuve de la qualité d’entrepreneur indépendant (Cass. com., 20 sept. 2017, n° 15-24644)

Quelques mots sur un arrêt daté d’hier, 20 septembre 2017, rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation, et relatif à l’établissement de la qualité d’entrepreneur indépendant.

L’URSSAF avait demandé l’ouverture d’un redressement judiciaire d’une personne physique, prise en qualité de travailleur indépendant. Cette personne estimait que l’on ne pouvait la viser par une telle procédure puisqu’elle n’exerçait pas à titre individuel, mais dans le cadre d’une SARL dont elle était le gérant et l’associé majoritaire.

Les procédures collectives prévues par le Code de commerce (redressement judiciaire, liquidation judiciaire, etc.) s’appliquent, aux termes de l’article L. 620-2, à des personnes désignées précisément: « à toute personne exerçant une activité commerciale ou artisanale, à tout agriculteur, à toute autre personne physique exerçant une activité professionnelle indépendante (…) ainsi qu’à toute personne morale de droit privé« .

Ainsi, la procédure de redressement peut s’appliquer à un entrepreneur indépendant, à une SARL, mais pas à l’associé d’une SARL pris en cette seule qualité. Dans le cas d’une SARL, seule la société exerce une activité de nature à donner lieu, en cas de difficultés économiques, à une procédure collective, à moins qu’on puisse établir que son associé est en même temps un entrepreneur indépendant.

L’enjeu est de taille, parce que si l’on peut ouvrir une procédure de redressement judiciaire visant l’associé personne physique, il peut être dessaisi des pouvoirs de gestion et de disposition de ses biens, et ses biens personnels peuvent être saisis par les créanciers. En revanche, si c’est la SARL qui est placée en redressement ou en liquidation judiciaire, l’associé continue à gérer son patrimoine personnel comme il l’entend. Les parts qu’il détient dans la société pourront disparaître si la société est placée en liquidation judiciaire et est dissoute, mais les conséquences sont beaucoup plus réduites (si l’associé est gérant,  sa responsabilité peut être engagée dans différentes hypothèses).

Pour qu’une procédure de redressement judiciaire soit ouverte, il fallait que soit rapportée la preuve que la personne visée était bien un entrepreneur indépendant.

La cour d’appel saisie du litige avait considéré que cette preuve était rapportée du fait de l’inscription de la personne physique au répertoire SIRENE de l’INSEE dans la catégorie des entrepreneurs individuels.

Cette position est cependant condamnée par la Cour de cassation, qui juge qu’il aurait fallu « caractériser l’exercice effectif (…) d’une activité professionnelle indépendante, distincte de celle exercée pour le compte et au nom de la société« , exercice effectif qui ne pouvait se déduire de la seule inscription au répertoire SIRENE.

Petite curiosité de la décision dans la version mise en ligne sur le site de la Cour de cassation: l’arrêt d’appel est censuré pour défaut de base légale, mais il n’y a pas d’indication du texte fondant la cassation. Il devrait s’agir de l’article L. 620-2 du Code de commerce.

Indépendamment de ce détail, on retiendra que celui qui demande l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire (ou de liquidation judiciaire) visant son débiteur entrepreneur indépendant doit être en mesure de prouver que ce débiteur exerçait effectivement une telle activité, ce qui suppose de pouvoir produire des témoignages, des publicités, des écrits, etc. établissant l’exercice de cette activité.

Rappelons à titre de comparaison qu’aux termes de l’article L. 123-7 du Code de commerce, l’immatriculation au registre du commerce et des sociétés emporte quant à elle présomption de la qualité de commerçant.

 

Bruno Dondero

 

 

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Saisie-attribution et droit de l’associé au bénéfice (Cass. com., 13 sept. 2017, n° 16-13674)

Voici un arrêt de la Cour de cassation (Cass. com., 13 septembre 2017, n° 16-13674) qui, contrairement à d’autres décisions, ne bouscule pas les pratiques de la vie des affaires et se contente de donner la solution que l’on pouvait attendre à un litige mêlant droit des sociétés, fiscalité et voies d’exécution. L’arrêt est publié sur le site internet de la Cour de cassation, et il paraîtra dans les deux Bulletins de la Cour.

L’administration fiscale avait pour débiteur un contribuable qui se trouvait également être le gérant et l’associé d’une société civile immobilière (SCI). Elle faisait pratiquer une saisie-attribution portant sur les sommes que la SCI lui devait.

Comme on le sait, la saisie-attribution permet à un créancier muni d’un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible d’en obtenir le paiement en saisissant entre les mains d’un tiers les créances de son débiteur portant sur une somme d’argent. Il faut donc que le créancier C ait un débiteur D1 qui ait lui-même un débiteur D2 pour qu’une saisie-attribution puisse être exercée.

Il est tout à fait concevable que D1 et D2 soient respectivement un associé et sa société. Une société peut en effet être débitrice de son associé, par exemple au titre de dividendes non encore versés. Il est donc possible que le créancier d’un associé puisse mettre en œuvre une saisie-attribution dans cette situation.

Les faits de l’espèce ayant donné lieu à l’arrêt de la Cour de cassation en date du 13 septembre 2017 étaient cependant différents.

D1 était bien l’associé d’une société D2, mais celle-ci n’était pas encore débitrice de son associé. La société en question était une SCI, qui avait réalisé des bénéfices, mais ne les avait pas distribués – ils avaient été affectés au compte « report à nouveau », c’est-à-dire qu’ils étaient dans l’attente d’une décision d’affectation (distribution aux associés, mise en réserve, etc.).

La cour d’appel saisie du litige avait estimé que la SCI était débitrice de son associé, en se fondant sur la déclaration des revenus fonciers 2011 faite par l’associé. Elle en déduisait que la SCI, qui n’avait pas répondu, avait manqué à ses obligations de tiers saisi.

L’article L. 211-3 du Code des procédures civiles d’exécution dispose que le tiers saisi « est tenu de déclarer au créancier l’étendue de ses obligations à l’égard du débiteur ainsi que les modalités qui pourraient les affecter et, s’il y a lieu, les cessions de créances, délégations ou saisies antérieures ». Et l’article R. 211-5 du même code définit quant à lui les sanctions encourues par le tiers saisi qui ne fournit pas les renseignements prévus, sans motif légitime : il est « condamné, à la demande du créancier, à payer les sommes dues à ce dernier sans préjudice de son recours contre le débiteur », et il « peut être condamné à des dommages et intérêts en cas de négligence fautive ou de déclaration inexacte ou mensongère ».

Mais c’était à tort que les juges de la cour d’appel avaient retenu que la SCI était débitrice, puisqu’ils avaient rapproché de manière inopportune le traitement juridique du bénéfice, qui seul permettait de déterminer si la SCI était débitrice de son associé, du traitement fiscal du bénéfice.

Fiscalement, les SCI sont en principe des sociétés de personnes, ce qui veut dire que le bénéfice qu’elles réalisent est directement imposé au niveau de chaque associé, même si ce bénéfice n’est pas distribué. Voilà pourquoi l’associé doit déclarer les revenus fonciers encaissés par la société au titre de ses revenus, alors même que les sommes correspondantes n’auront pas encore été distribuées, et ne le seront peut-être jamais.

Juridiquement, la règle, déjà formulée par d’autres décisions (v. not. Cass. com., 28 nov. 2006) est celle que rappelle la Cour de cassation : « les dividendes n’ont pas d’existence juridique avant la constatation de sommes distribuables par l’organe social compétent et la détermination de la part attribuée à chaque associé ». Peu importe ce que l’associé a déclaré à l’administration fiscale, la société ne lui doit rien tant que (1) elle n’a pas constaté l’existence d’un bénéfice distribuable et que (2) la décision de distribuer tout ou partie de ce bénéfice n’a pas été prise.

La condamnation de la SCI ne se justifiait donc pas, l’arrêt d’appel est donc censuré pour violation de quatre textes distincts :

  • article 1842 du Code civil, qui fonde la personnalité morale de la société et justifie que les bénéfices qu’elle réalise ne soient pas automatiquement dus à l’associé ;
  • article 1852 du même code, qui régit les décisions collectives prises par les associés d’une société civile ;
  • article L. 211-3 du Code des procédures civiles d’exécution, qui définit comme on l’a vu les obligations du tiers saisi ;
  • article R. 211-15 du même code, sans doute cité en lieu et place de l’article R. 211-5, relatif aux sanctions encourues par le tiers saisi.

Un apport intéressant de l’arrêt tient à la nature de la société, qui est une société civile. Certains ont pu penser que la distribution d’un dividende pouvait intervenir plus librement dans les sociétés civiles que dans les sociétés commerciales. Il apparaît, à la lecture de l’arrêt commenté (et ce n’est pas le seul), que ce n’est pas le cas.

Bruno DONDERO

 

 

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« Le brio », un film sur la fac de droit

Les rapports entre cinéma et justice sont très riches. La justice a donné au cinéma certains de ses moments les plus forts (la scène où le colonel Jessep joué par Jack Nicholson tombe dans le piège que lui tend l’avocat joué par Tom Cruise dans Des hommes d’honneur, pour ne prendre qu’un exemple). Le cinéma peut aussi aider la justice, par exemple en permettant d’enrichir l’enseignement du droit et la formation des futurs avocats et magistrats. Signalons encore, entre droit et cinéma, de belles initiatives comme le procès à venir de Blade Runner, qui verra s’affronter les avocats de Deckard et de Tyrell Corporation, respectivement mon collègue Pierre-Yves Gautier et Me Kami Haeri !

Sur le thème du cinéma et de la justice, le Barreau de Paris organise ces jours-ci la 4ème édition du Festival « Film et justice », ce qui permettait de découvrir en avant-première le mercredi 13 septembre (sortie le 22 novembre) un film consacré à… la Faculté de droit et à au moins un professeur de droit.

C’est du moins ce que l’on attend avec le synopsis du film d’Yvan ATTAL « Le brio ».

Le brio

Un professeur et son étudiante dans le métro…

« Neïla Salah a grandi à Créteil. Jeune femme brillante, elle rêve de devenir avocate. Inscrite à l’université d’Assas, dans les beaux quartiers parisiens, elle suit les cours de Pierre Mazard, professeur reconnu mais provocateur. Pour se racheter une conduite, ce dernier accepte de préparer Neïla au prestigieux concours d’éloquence.

Portée par ce mentor à la fois tyrannique et bienveillant, Neïla plonge dans l’univers des joutes verbales, de la rhétorique et de l’excellence ».

Un film sur la fac de droit.

Le cinéma américain est riche de films consacrés à des étudiants en droit, ou mettant en avant le fait que faire des études de droit est à la fois intéressant, prestigieux, et conduit à des métiers passionnants.

Le cinéma français est, comment dire… moins riche.

Certes, il y avait bien le film Quatre garçons pleins d’avenir, consacré à des étudiants de la Faculté de droit d’Aix-Marseille. Mais on ne peut pas dire qu’il donnait une image très favorable des étudiants en droit.

Comme le résume Wikipedia :

« Arnaud, Axel, Johan et Breitling sont quatre amis étudiants en droit à la faculté d’Aix-en-Provence : Breitling est l’étudiant modèle, Johan le dragueur prêt à séduire sa prof le temps de s’assurer une bonne note, Axel le téméraire qui attire en moins de deux les ennuis et Arnaud qui vient d’échouer pour la troisième fois à l’examen de passage en seconde année. Pour célébrer les résultats des examens et la fin de l’année les amis décident de sortir faire la fête, quitte à pousser un peu Arnaud déprimé par son troisième échec consécutif. C’est le début d’une aventure qui laissera des traces chez les quatre garçons ».

Le film d’Yvan ATTAL est différent.

On y voit les étudiants et professeurs de l’Université Paris 2 (Panthéon-Assas), le grand amphi, les concours d’éloquence, bref, ce monde que connaissent ceux qui y vivent, mais pas forcément le grand public.

Le monde que décrit Le brio comporte il est vrai quelques détails curieux.

Neila habite Créteil mais APB l’a affectée à Paris 2 et non à l’université plus proche de l’UPEC, ce qui l’oblige à de longs trajets en métro.

Les étudiants de première année sont conviés à un cocktail au champagne avec leurs professeurs, ce qui en dit long sur la puissance financière de l’université française (ou au moins de Paris 2) !

On ne va pas beaucoup en cours dans cette université-là quand on est en première année, à part au cours de Pierre Mazard et à un « TD magistral » de droit constitutionnel.

Mais ne boudons pas notre plaisir, d’autant que le film a pour protagoniste un professeur de droit !

Un film sur un collègue professeur de droit.

Quand on lit le synopsis, et que l’on est professeur de droit, on est très intrigué.

Même quand on a décidé de devenir professeur d’université parce que c’est le métier d’Indiana Jones, on doit bien constater qu’il y a moins de films sur les professeurs de droit.

Alors la question se pose. Quel professeur de droit a bien pu servir de modèle aux scénaristes pour le personnage de « Pierre Mazard » ? Le film est-il un bio-pic consacré à mon collègue et amis Denis Mazeaud, au nom habilement déformé ? Mais dans ce cas-là c’était Jack Nicholson qu’il fallait recruter, ou bien Denis Podalydès, et non Daniel Auteuil…

Après on est un peu déçu, car ce Pierre Mazard, qui a manifestement une manière bien à lui de faire cours, avec des saillies politiquement incorrectes pour ne pas dire plus, n’est pas vraiment un professeur de droit.

Son cours parle du droit romain, mais aussi des Fleurs du mal et d’autres sujets, sans que l’on identifie vraiment s’il enseigne l’histoire du droit, l’introduction au droit, la culture générale, etc.

En réalité, Pierre Mazard ne fait pas beaucoup de droit. Il promène en TGV dans toute la France son étudiante de première année d’un concours d’éloquence à un autre, avant de l’emmener dîner en tête-à-tête dans un restaurant étoilé, ce qui ne me semble tout de même pas être une pratique très courante, au-delà de son caractère discutable.

Un film sur les étudiants en droit.

Le brio est aussi un film sur les étudiants en droit, et les concours d’éloquence sont particulièrement bien rendus.

Simplement, deux observations sur la carrière et les dangers qui guettent les étudiants en droit, au vu du film.

1. Neila a pour petit ami un apprenti-VTC.

Elle doit se rendre en urgence (et mal habillée) à la finale du concours d’éloquence qu’elle dispute. Son petit ami la dépose place du Panthéon, alors que la finale du concours d’éloquence a lieu à la bibliothèque de l’Ordre des avocats, et donc pas du tout là.

Il lui fait encore perdre du temps en l’embrassant longuement dans son véhicule mal garé.

Conclusion : s’appuyer sur une logistique défaillante compromet tout l’effort fourni par ailleurs (il est aussi possible que je n’ai pas compris ce passage du film et que Neila se rende directement au conseil de discipline de Paris 2, où l’on entre comme dans un moulin semble-t-il).

 

2. Quelques années plus tard, devenue avocate, Neila s’entretient avec un client, braqueur de supérette récidiviste, qui passe manifestement en comparution immédiate. Neila lui demande s’il veut « prendre 10 ans » ou qu’elle le sauve grâce à un vice de procédure. Puis elle lui explique qu’il devra s’adresser au juge en disant « Monsieur le juge et Messieurs les jurés ».

On est du coup très inquiet pour le client de Neila, car celle-ci, toute avocate qu’elle soit, pense manifestement plaider devant la cour d’assises, seule juridiction pénale qui comporte des jurés et qui est, soit dit en passant, compétente pour les crimes et pas pour les simples braquages de supérettes… Neila va-t-elle vraiment pouvoir trouver des vices de procédure alors qu’elle ne connaît pas les bases des institutions judiciaires ?

Mais c’est que cela relève d’un cours de première année, et que, comme on l’a dit, Neila n’allait pas beaucoup en cours, à part à celui de Pierre Mazard et au TD de droit constitutionnel.

Conclusion : il ne faut pas déserter les cours, surtout quand on y apprend des notions fondamentales.

Clap de fin : il faudrait encore plus de films sur la fac de droit !

Bruno Dondero

 

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La représentation de l’associé personne morale aux assemblées (Cass. com., 5 juil. 2017, n° 15-22936)

La Cour de cassation a rendu le 5 juillet dernier un arrêt non destiné à publication au Bulletin, mais qui répond à une question importante en pratique.

Lorsque l’associé d’une société A est lui-même une personne morale, et qu’il faut qu’il participe à une assemblée de A, c’est en principe le représentant légal de cette personne morale qui va agir au nom de celle-ci. Par exemple, si l’associé de A est une SARL, c’est le gérant de la SARL qui participe aux assemblées de A. Mais si les statuts de A stipulent qu’un associé ne peut être représenté par un tiers, est-il possible qu’un autre que le gérant de l’associé SARL se présente à l’assemblée de A ?

C’était cette question qui était posée à la Cour de cassation. Elle statuait également sur la question de la caractérisation d’un motif grave justifiant la révocation du dirigeant, question sur laquelle nous ne reviendrons pas ici.

I – La question.

Les statuts d’une SAS stipulaient que la révocation du DG ne pouvait intervenir que pour un motif grave. Le DG qui avait été révoqué contestait l’existence d’un tel motif, et il demandait également l’annulation de l’assemblée générale qui avait procédé à sa révocation, motif tiré du défaut de représentation d’un associé personne morale. Les statuts de la SAS stipulaient que « les associés peuvent se faire représenter aux délibérations de l’assemblée par son conjoint ou un autre associé » (sic). Le dirigeant révoqué entendait en tirer argument pour soutenir qu’un associé société (en l’occurrence l’associé majoritaire de la SAS) ne pouvait se faire représenter aux assemblées de la SAS que par son représentant légal en personne ou, à défaut, par un autre associé de la SAS. Or, constatait le dirigeant révoqué, la société en question avait été représentée, lors de l’assemblée qui avait mis fin à ses fonctions, par un tiers ayant reçu pouvoir du représentant légal. En refusant d’annuler l’assemblée générale, la cour d’appel aurait commis une violation des articles L. 227-9 du Code de commerce, texte relatif aux décisions collectives prises par les SAS, et 1134 ancien du Code civil.

Lorsque ce n’est pas le représentant légal (gérant, président, DG, etc.) de l’associé personne morale qui est présent au nom de celui-ci, est-on en présence d’une représentation de l’associé par un tiers ? La question était posée ici au regard d’une restriction statutaire, mais elle se pose également, pour les SAS, au regard d’une restriction légale. Le droit spécial de la SAS et de la SASU formule en effet une autre restriction, à l’article L. 227-9 du Code de commerce. Le troisième alinéa de ce texte dispose :

« Dans les sociétés ne comprenant qu’un seul associé, le rapport de gestion, les comptes annuels et le cas échéant les comptes consolidés sont arrêtés par le président. L’associé unique approuve les comptes, après rapport du commissaire aux comptes s’il en existe un, dans le délai de 6 mois à compter de la clôture de l’exercice. L’associé unique ne peut déléguer ses pouvoirs. Ses décisions sont répertoriées dans un registre. Lorsque l’associé unique, personne physique, assume personnellement la présidence de la société (…) ».

Le dernier alinéa de l’article L. 227-9 incite à ne pas prendre la question à la légère, puisqu’il dispose que « les décisions prises en violation des dispositions [de l’article L. 227-9] peuvent être annulées à la demande de tout intéressé ».

Les EURL connaissent un texte similaire avec l’article L. 223-31 du Code de commerce.

II – Les réponses envisageables.

La doctrine évoque parfois le sujet de la représentation de l’associé unique d’une SASU, et l’on trouve aussi bien des réponses dans un sens que dans l’autre.

Un auteur estime ainsi que lorsque l’associé unique est une personne morale, « les décisions sont nécessairement prises en son nom par son représentant légal qui, pas plus que l’associé unique personne physique, n’est admis à déléguer ses pouvoirs » (L. Godon, La société par actions simplifiée, 2014, LGDJ, n° 416).

D’autres auteurs estiment quant à eux que « la représentation d’un associé personne morale n’est certainement pas une délégation de pouvoirs au sens de l’article L. 227-9, alinéa 3, et le représentant légal d’une société associée d’une SAS peut donner un pouvoir à une personne de son choix pour signer l’acte constituant une décision de l’associé unique » (M. Germain et P.-L. Périn, SAS – La société par actions simplifiée, 6e éd., 2016, Joly, n° 470).

L’interdiction faite à l’associé unique de la SASU de « déléguer ses pouvoirs » est troublante, mais on peut considérer que l’associé unique de la SASU n’a pas délégué ses pouvoirs, mais a conféré à une autre personne que son représentant légal le pouvoir de le représenter. Cette mesure d’organisation interne de la personne morale qu’est l’associé unique ne verrait donc pas celui-ci « déléguer ses pouvoirs » au sens de la disposition précitée. C’est bien l’associé unique qui met en œuvre ses pouvoirs d’associé, mais il agit par le biais d’une autre personne que son représentant légal.

III – La solution donnée par la Cour de cassation.

C’est ce raisonnement qui est retenu par la Cour de cassation dans son arrêt du 5 juillet, lorsqu’elle approuve la cour d’appel d’avoir constaté qu’il ressortait du procès-verbal de l’assemblée générale ordinaire de la SAS et de la feuille de présence qui y était annexée que la société associée de la SAS, représentée par un mandataire habilité, était présente, ce qui « excluait ainsi l’application de la clause des statuts (…) stipulant qu’un associé peut, au moyen d’un pouvoir, se faire représenter aux délibérations de l’assemblée par un autre associé », et d’en avoir déduit que l’assemblée générale litigieuse n’était pas entachée de nullité.

La solution retenue sera appréciée des praticiens, d’autant qu’il est envisageable qu’elle soit transposable à la question de la délégation de pouvoirs de l’associé unique. Il ne serait donc pas nécessaire de faire systématiquement intervenir le représentant légal de l’associé personne morale pour représenter celui-ci.

La consultation des motifs de l’arrêt attaqué permet de voir que l’essentiel de la critique, s’agissant des modalités de représentation d’un associé, était fondé sur le non-respect de l’article L. 225-106 du Code de commerce, présenté comme une disposition d’ordre public. Il faut cependant rappeler que ce texte, qui concerne la représentation aux assemblées d’une société anonyme (SA), n’est par principe pas applicable à la SAS.

L’article L. 225-106 du Code de commerce doit tout de même être évoqué dans ce commentaire car ce texte limite la possibilité que l’actionnaire d’une SA non cotée soit représenté, et si la représentation d’un actionnaire personne morale par un tiers auquel le dirigeant aura délégué ses pouvoirs n’est pas une représentation par un tiers, le fonctionnement des assemblées de SA en sera facilité (v. déjà en ce sens Cass. crim., 26 mai 1994, publié au Bull.).

Dernière observation : la consultation des motifs de l’arrêt d’appel révèle que la personne qui était intervenue lors de l’assemblée n’était pas un salarié de la personne morale, mais « un membre du cabinet KPMG, muni d’un pouvoir ». Cela signifie donc qu’on était en présence d’un mandat confié à un « véritable tiers », et pas à un préposé. Mais le mandat avait vraisemblablement été donné par le dirigeant de la personne morale, et non par la personne morale elle-même. En clair, l’associé n’avait pas demandé à une autre personne de le représenter à l’assemblée. C’est bien lui qui intervenait à l’assemblée, parlant par la voix de son représentant légal, lui-même représenté par l’auditeur à qui il avait conféré ce pouvoir.

Bruno DONDERO

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