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Contrat de travail suspendu et obligation de loyauté (Cass. soc., 16 mai 2018, n° 16-22655)

Cet arrêt de la Chambre sociale de la Cour de cassation n’est pas destiné à publication au Bulletin des arrêts, mais il est intéressant en ce qu’il rappelle une règle peu connue: le maintien de l’obligation de loyauté pesant sur le salarié, pendant la suspension de son contrat de travail.

Cela fait longtemps que la Cour de cassation juge que si le salarié d’une société A devient dirigeant de la société A et qu’il ne se trouve plus en état de subordination, son contrat de travail est suspendu. Cette solution résulte de la jurisprudence, les textes ne réglant pas cette question du cumul entre contrat de travail et mandat social. Une alternative moins heureuse pour le salarié consisterait à voir dans l’acceptation de ses fonctions de dirigeant une démission implicite, mais cette solution n’est plus retenue aujourd’hui par les juges. Le contrat de travail étant suspendu, le salarié le retrouvera lorsque son mandat social prendra fin.

 

Une fois le principe de la suspension reconnu, se pose cependant la question du régime du contrat de travail « suspendu ». Le salarié ne devrait pas accumuler d’ancienneté pendant la suspension, et un arrêt rendu en 2013 avait jugé de manière cohérente  que la période d’essai entamée avant la suspension reprenait son cours lorsque celle-ci n’avait plus lieu d’être (Cass. soc., 24 avril 2013, n° 12-11825, publié au Bull.).

La décision commentée apporte une précision intéressante: « pendant la période de suspension de son contrat de travail, le salarié devenu mandataire social reste tenu envers son employeur d’une obligation de loyauté« . En réalité, ce n’est pas la première fois que la Cour de cassation affirme ce maintien de l’obligation de loyauté pour un contrat suspendu, y compris lorsque la suspension résulte de l’acceptation par le salarié d’un mandat social (v. déjà Cass. soc., 30 mars 2011, n° 09-70444).

On peut de prime abord être surpris de voir une obligation pesant sur le salarié prendre effet en dépit de la suspension. Mais cette obligation présente une particularité, qui est d’être commune au salarié et au mandataire social. On a déjà parlé sur ce blog de la loyauté due par le dirigeant à la société et à l’actionnaire.

Reste l’hypothèse où le lien de subordination disparaîtra du fait de l’acceptation par le salarié d’un mandat social exercé dans une société distincte de son employeur (la société mère de la filiale employant le salarié, notamment). Dans cette hypothèse, il n’est pas aussi sûr que l’obligation de loyauté « envers l’employeur » sera maintenue.

Un argument qui pourrait expliquer le maintien de l’obligation de loyauté pendant la  suspension tient à ce que celle-ci est une solution protectrice pour le salarié, et que la contrepartie de cette conservation du contrat de travail peut être l’interdiction faite au salarié de servir les intérêts de sociétés concurrentes.

Bruno Dondero

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La prescription des crimes suspendue en cas d’obstacle insurmontable aux poursuites (Assemblée plénière de la Cour de cassation, 7 nov. 2014)

L’Assemblée plénière de la Cour de cassation, formation réunissant des magistrats de toutes les chambres de la Cour, vient de rendre le 7 novembre 2014 un arrêt important en matière de prescription pénale (n° 14-83739): http://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/assemblee_pleniere_22/613_14_30461.html .

Il est jugé par un attendu de principe que « si, selon l’article 7, alinéa 1er, du Code de procédure pénale, l’action publique se prescrit à compter du jour où le crime a été commis, la prescription est suspendue en cas d’obstacle insurmontable à l’exercice des poursuites ».

L’affaire qui a donné lieu à cette décision était terrible. Une aide-soignante avait étouffé huit enfants auxquels elle avait donné naissance, pour certains du fait d’une relation incestueuse. Parce qu’elle était obèse, les grossesses étaient passées inaperçues, y compris auprès de médecins consultés pour d’autres motifs. L’aide-soignante avait accouché chez elle, sans témoins, et avait supprimé les nouveau-nés de même, avant de dissimuler leurs corps. Personne ne connaissait donc l’existence des crimes.

Les infanticides ont eu lieu entre 1989 et 2006. La majorité d’entre eux ne pouvaient normalement plus être poursuivis. Et pourtant, l’arrêt de la Cour de cassation permet les poursuites. Pour comprendre la décision, il faut revenir sur le contexte juridique de la prescription (I) puis sur la solution formulée par l’arrêt (II).

I – Le contexte juridique de la prescription.

L’article 7 du Code de procédure pénale dispose qu’en matière de crime, l’action publique se prescrit en principe dix ans à compter du jour où le crime a été commis. Si pendant que ce délai de dix ans court, un acte d’instruction ou de poursuite est accompli, alors il repart à zéro.

Ce principe étant posé, la loi et la jurisprudence lui apportent des exceptions.

Le Code de procédure pénale prévoit une prescription par 20 ans pour certains crimes contre les mineurs. Notamment, les violences ayant entraîné une mutilation sont prescrites par 20 ans lorsque la victime est un mineur. Il semblerait logique que la règle s’applique à plus forte raison à l’infanticide, mais les textes ne disent rien à ce sujet.

La jurisprudence a créé par ailleurs une règle particulière en matière d’abus de biens sociaux et d’abus de confiance. Le dirigeant qui fait des prélèvements indus sur les comptes de la société en les dissimulant (en maquillant les comptes sociaux, en faisant passer la dépense pour une dépense licite, etc.) ne peut plus être poursuivi après l’écoulement d’un délai de 3 ans. Mais le point de départ prévu par l’article 8 du Code de procédure pénale qui devrait normalement être celui de la commission du délit est retardé par la Cour de cassation au jour de la découverte du délit, c’est-à-dire au jour où le délit a pu être constaté et faire l’objet de poursuites.

Ces exceptions complexifient le régime de la prescription. Elles obéissent cependant à des idées assez simples : a) plus l’infraction est grave, plus longtemps son auteur doit pouvoir être poursuivi, d’une part ; b) le fait de dissimuler son méfait ne doit pas mettre l’auteur à l’abri des poursuites, d’autre part.

II – La solution.

La prescription est une institution importante, en matière pénale comme en matière civile. Les droits de créance et vu de l’autre côté, les dettes, la responsabilité civile, la responsabilité pénale, tout cela se périme. Si l’on ne met pas en œuvre une prérogative juridique (demander son dû, rechercher la condamnation, etc.), celle-ci perd son efficacité au bout d’un certain temps. Cela a différentes utilités, et en pratique, l’écoulement du temps rend progressivement plus difficile le travail de la justice, parce que les preuves disparaissent, les témoins oublient, etc.

La Chambre criminelle décide cependant de créer une exception nouvelle à la prescription, pour « obstacle insurmontable », qui suspend le délai de prescription.

On rencontre une règle proche en matière civile, puisque l’article 2234 du Code civil dispose que « La prescription ne court pas ou est suspendue contre celui qui est dans l’impossibilité d’agir par suite d’un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure ». L’obstacle insurmontable retenu par l’Assemblée plénière en matière pénale est proche de la force majeure, qui doit être un fait irrésistible. Le Code civil a consacré ainsi l’adage « Contra non valentem agere non currit praescriptio », selon lequel la prescription ne court pas contre celui qui ne peut agir

La règle se comprend bien. La prescription traduit aussi le fait que celui qui pouvait exercer un droit, mettre en œuvre une poursuite, a renoncé à le faire. Cette inaction se traduit au bout d’un certain temps par la disparition du droit d’agir ou de poursuivre. Mais on ne peut considérer que la société a renoncé à poursuivre, s’agissant d’une infraction pénale, si la société est absolument dans l’ignorance de la commission de l’infraction.

Reste cependant à savoir si la Cour de cassation ne va pas voir sa solution critiquée au regard de l’exigence de sécurité juridique, à valeur constitutionnelle et conventionnelle (Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales). L’arrêt du 7 novembre est tout de même audacieux, puisqu’il introduit une exception assez large dans une règle qui doit être définie avec précision, si l’on veut conserver à notre système juridique le respect de l’exigence de sécurité juridique. L’obstacle insurmontable à l’exercice des poursuites, que peut-il être ? La dissimulation par l’auteur de l’infraction, rendant impossible la constatation de celle-ci, c’est une chose. Mais il faudra voir si les décisions qui suivront ne retiennent pas une conception extensive de la notion. Il ne faudrait pas, par exemple, que le manque de moyens chronique de la Justice en France soit vu comme un obstacle insurmontable, rendant de ce fait imprescriptible un certain nombre d’infractions.

Notons cependant que la solution de la Cour, qui est liée à l’article 7 du Code de procédure pénale, doit être limitée aux crimes, donc aux infractions les plus graves.

Bruno DONDERO

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