Archives mensuelles : janvier 2015

Loi Macron: faut-il légiférer (encore) sur le secret des affaires ?

Ce monstre normatif qu’est devenu le projet de loi Macron traite aussi, depuis son passage en commission à l’Assemblée nationale, du « secret des affaires ».

La mise en place d’un nouveau dispositif sur le secret des affaires avait été demandée par les entreprises depuis longtemps, mais les textes proposés n’avaient pas abouti.

D’où la présence dans le projet de loi Macron d’un dispositif sur le secret des affaires comportant un volet civil et un volet pénal.

La volonté de légiférer sur le secret des affaires peut surprendre, car la responsabilité civile permet de sanctionner une faute ou un manquement contractuel, sans qu’un texte légal spécial soit nécessaire pour cela. Lorsque l’article 1382 du Code civil dispose que toute faute oblige son auteur à réparer le préjudice qu’elle cause, cela permet déjà à celui qui subit un préjudice du fait de la révélation d’informations qu’il gardait secrètes d’obtenir réparation.

S’agissant du volet pénal par ailleurs, le Code du travail contenait déjà un article L. 1227-1 aux termes duquel « Le fait pour un directeur ou un salarié de révéler ou de tenter de révéler un secret de fabrication est puni d’un emprisonnement de deux ans et d’une amende de 30 000 euros ».

I – Le volet civil risque de rendre plus difficile la protection du secret.

Le volet civil du projet de loi Macron nous semble plutôt, disons-le franchement, de nature à rendre plus difficile la protection du secret des affaires.

L’information protégée au titre du secret des affaires serait définie par le nouvel article L. 151-1 du Code de commerce comme celle :

« 1° Qui ne présente pas un caractère public en ce qu’elle n’est pas, en elle-même ou dans l’assemblage de ses éléments, généralement connue ou aisément accessible à une personne agissant dans un secteur ou un domaine d’activité traitant habituellement de ce genre d’information ;

« 2° Qui, notamment en ce qu’elle est dénuée de caractère public, s’analyse comme un élément à part entière du potentiel scientifique et technique, des positions stratégiques, des intérêts commerciaux et financiers ou de la capacité concurrentielle de son détenteur et revêt en conséquence une valeur économique ;

« 3° Qui fait l’objet de mesures de protection raisonnables, compte tenu de sa valeur économique et des circonstances, pour en conserver le caractère non public.»

Si le Code de commerce était doté d’une telle définition, il faudrait donc que le juge saisi par une entreprise d’une demande de sanction d’une atteinte au secret vérifie que ces différentes conditions sont remplies pour pouvoir ordonner des mesures (dommages-intérêts notamment) réparant la révélation d’une information couverte par le secret des affaires.

L’atteinte au secret des affaires lui-même devrait présenter des caractéristiques particulières, selon le nouvel art. L. 151-2

« Nul ne peut obtenir une information protégée au titre du secret des affaires en violation des mesures de protection prises pour en conserver le caractère non public, ni utiliser ou communiquer l’information ainsi obtenue.

« Nul ne peut non plus utiliser ni communiquer une information protégée au titre du secret des affaires, sans le consentement de son détenteur duquel il l’a obtenue, de façon licite, directement ou indirectement.

« Toute atteinte, délibérée ou par imprudence, au secret des affaires prévue aux deux premiers alinéas du présent article engage la responsabilité civile de son auteur, à moins qu’elle n’ait été strictement nécessaire à la sauvegarde d’un intérêt supérieur, tel que l’exercice légitime de la liberté d’expression ou d’information ou la révélation d’un acte illégal ».

Ces nombreuses conditions étant remplies, le juge pourra prendre différentes mesures.

Il lui faudra notamment dire si la révélation de l’information couverte par le secret des affaires n’était pas autorisée par « l’exercice légitime de la liberté d’expression ou d’information », ce qui annonce de beaux débats…

Il nous semble également que la plupart, sinon la totalité des mesures listées par le projet de loi étaient déjà possibles, en réalité.

En réalité, précédemment, la responsabilité pour faute (principe général de l’article 1382 du Code civil) ou le manquement à une obligation de confidentialité si elle était prévue par contrat devait suffire à condamner l’auteur de la révélation d’une information confidentielle à réparer le préjudice qu’il avait causé.

Il est sans doute utile que le secret des affaires soit reconnu par la loi, mais une reconnaissance de principe aurait sans doute été plus utile. Car paradoxalement, il risque d’être maintenant plus compliqué de faire sanctionner une atteinte au secret des affaires.

II – Le volet pénal

Quant au volet pénal de la loi, il sera sans doute réécrit, car le fait de sanctionner de trois ans d’emprisonnement et 375.000 euros d’amende le fait de « prendre connaissance » d’une information protégée au titre du secret des affaires apparaît peu praticable, même si un « sans autorisation » figure un peu plus loin au sein du texte…

On notera la volonté de ne pas sanctionner pénalement les lanceurs d’alerte en prévoyant que le délit ne s’applique pas « à celui qui informe ou signale aux autorités compétentes des faits susceptibles de constituer des infractions aux lois et règlements en vigueur dont il a eu connaissance ». Mais la menace d’une sanction pénale risque tout de même de faire peur aux lanceurs d’alerte, et donc de réduire les cas où ils révéleront des informations.

On peut surtout se demander si le texte prévoyant déjà des sanctions pénales dans le Code du travail n’était pas suffisant, et s’il faut en rajouter dans le pénal. S’agissant du secret « des affaires », des sanctions civiles, et notamment des dommages-intérêts élevés, ne devraient-elles pas suffire? La volonté de marquer l’importance du secret des affaires se traduit donc par des sanctions pénales, mais compte-t-on vraiment appliquer la nouvelle infraction un jour ?

Bruno DONDERO

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La justice commerciale: comparaison France / Arabie saoudite

Le 26 novembre dernier, nous avons accueilli, dans le cadre du département Sorbonne Affaires / Finance / LADEF de l’Institut de recherche juridique de la Sorbonne, un colloque consacré à une comparaison de la justice commerciale en France et en Arabie saoudite.

Ce colloque, qui s’est déroulé en anglais, avec quelques passages en français suivis d’une traduction anglaise, a permis d’aborder particulièrement les questions du recrutement et de la formation des juges appeler à statuer en matière commerciale. Le colloque a été enregistré et il sera bientôt en ligne (v. plus bas).

Accueillis par le Président de l’Université Paris 1 et par le département Sorbonne Affaires / Finance / LADEF, les participants à ces passionnants échanges ont pu donner leur point de vue sur le sujet.

Après une présentation générale du colloque faite par le signataire de ces lignes, le professeur Yves Chaput, professeur émérite de l’Université Paris 1 et fin connaisseur du droit des entreprises en difficulté, a évoqué le rôle particulier du juge dans les procédures de sauvegarde, de redressement et de liquidation judiciaire.

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Le professeur Yves Chaput

Après l’intervention du professeur Chaput, c’était à un intervenant saoudien, Maître Majed GAROUB, avocat au barreau de Jeddah et président du Saudi Law Training Center, de nous dresser un tableau de la justice commerciale saoudienne, en évoquant les cinq instances au travers desquelles elle pouvait s’exercer: Board of Grievance, Commercial Court, Banking Dispute Committee, Commercial Dispute Committee et IP Dispute Committee.

Maître Majed Garoub

Maître Majed Garoub

Maître Philippe FORTUIT, avocat au barreau de Paris prenait ensuite la parole. Il présentait les enjeux et les difficultés de la formation juridique des professionnels, en insistant sur les particularités de la formation des juges. Bruno DONDERO évoquait l’utilisation des MOOCs dans ce cadre, et l’intérêt de la formation en ligne.

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Maître Philippe Fortuit

Les différents participants échangeaient encore avec l’assistance, et profitaient de la présence de Mme Perette REY, présidente honoraire du Tribunal de commerce de Paris, qui évoquait son parcours avant d’accéder à la tête de la juridiction consulaire parisienne, ainsi que les institutions de représentation des juges consulaires (Conférence générale des tribunaux de commerce et Conseil national des tribunaux de commerce).

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Mme la présidente Perette Rey

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De g. à dr.: Bruno Dondero, Philippe Fortuit, Majed Garoub

Les différentes interventions ont été enregistrées, et elles seront mises en ligne prochainement sur le site de l’IRJS.

Bruno DONDERO

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Loi Macron et droit des entreprises en difficulté

Le lundi 26 janvier 2015, lors de la première séance de l’Assemblée nationale consacrée à la loi dite « Macron », le député rapporteur en charge des aspects de droit des entreprises en difficulté, M. Alain Tourret, a tenu des propos qui expliquent bien les intentions qui sous-tendent le projet de loi. Ces propos sont intéressants à plusieurs titres, et couvrent trois thèmes.

I – Sur la politique en matière d’entreprises en difficulté :

«  (…) il fallait écouter à la fois la Chancellerie, le ministère de l’économie et tous les présidents des tribunaux de commerce. Chacun avait sa vérité mais, finalement, c’est une vérité commune que nous allons vous proposer.

(…) l’entreprise qui dépose son bilan, ce sont des salariés qui souffrent, des propriétaires qui sont perdus, des créanciers qui vont tout perdre.

Il faut alors regarder avec une attention toute spéciale les 63.000 défaillances d’entreprise que nous connaissons chaque année, les 55.524 jugements d’ouverture, dont 15.531 seront des redressements judiciaires et 35.000 des liquidations.

Ce qui me semble intéressant, c’est de voir que, plus l’entreprise est importante, soit par le nombre de salariés, soit par son capital, plus l’on s’oriente vers un redressement judiciaire et non vers une liquidation. Ainsi, sur 185 entreprises de plus de 100 salariés qui déposaient leur bilan chaque année, 46 étaient mises en liquidation et 139 pouvaient bénéficier d’un redressement judiciaire. Naturellement, plus l’entreprise est grande, plus, en raison de la pression sociale et des nécessités économiques qui se font jour, on essaie de trouver des solutions. »

Commentaire : bien entendu, la volonté de sauver les emplois conduit à privilégier des solutions de maintien de l’activité, si elles sont possibles, plutôt que des solutions liquidatives. Un phénomène insuffisamment étudié sans doute est celui de l’impact des mesures de redressement sur les partenaires de l’entreprise en difficulté. On risque parfois, à vouloir sauver l’entreprise à tout prix, de porter atteinte à ses fournisseurs, clients, etc. Si une entreprise ne paie plus ses créanciers parce qu’elle est en sauvegarde, il faut penser que les créanciers impayés sont aussi, bien souvent, des entreprises avec des salariés. Il peut y avoir un effet de domino, et sauver les emplois de l’entreprise A pourrait porter atteinte aux emplois des entreprises B, C et D. Ce point est d’autant plus à souligner que si l’on recherche plutôt une sauvegarde ou un redressement pour sauver les 200 emplois de A, il est possible que l’on se préoccupe moins du sort des entreprises B, C et D si elles n’ont que quelques salariés, et qu’elles soient ainsi plus facilement mises en liquidation.

II – Sur les tribunaux de commerce et les acteurs des procédures collectives :

« Pour trouver ces solutions, nous avons d’abord proposé qu’il y ait des tribunaux de commerce spécialisés. Je veux d’ores et déjà rendre hommage à tous les magistrats consulaires, qui remplissent leur mission de façon remarquable, et bénévole, je tiens à le souligner, dans cette société où tout s’achète. Ce sont incontestablement des gens de compétence.

 Il nous a semblé également indispensable que des spécialistes puissent s’intéresser au redressement judiciaire d’entreprises dépassant un certain niveau, tant en nombre de salariés qu’en capital. Un décret en conseil des ministres déterminera par la suite l’importance de l’entreprise, de même qu’un décret déterminera le nombre des tribunaux qui pourront remplir cette mission de tribunal de commerce spécialisé.

Cela me paraît indispensable puisque tout se spécialise, tout se complique, et que nous voulons absolument que l’entreprise puisse poursuivre son activité le plus longtemps possible, avec le plus grand nombre possible de salariés. »

Commentaire : Les juges des tribunaux de commerce apprécieront cet hommage à leur travail. S’agissant de la spécialisation, nous avons évoqué avec Maître Gabriel Sonier, dans les colonnes de la Tribune, une mesure qui nous semble moins « clivante » que le partage des tribunaux de commerce entre grands tribunaux auxquels seraient réservés les dossiers importants et petits tribunaux ne gardant que les dossiers les plus petits ou les plus simples (reste encore à savoir où se situera la barre entre grands et petits dossiers). Nous avons proposé de créer un ou plusieurs pôles par région, regroupant les juges les plus expérimentés de tous les tribunaux de la région. http://www.latribune.fr/opinions/tribunes/20150122tribf4d1c9280/loi-macron-l-occasin-de-renforcer-l-efficacite-des-tribunaux-de-commerce.html

III – Sur l’entrée des créanciers au capital et sur le Conseil constitutionnel :

« Pour cela, nous avons essayé de réfléchir (…) sur la possibilité, totalement révolutionnaire, je tiens à le dire, même si elle s’inspire de la loi allemande et de la loi américaine, de prendre en compte la situation des créanciers.

La loi Badinter de 1985 avait oublié le sort des créanciers. Nous avons voulu que leurs créances puissent se transformer en capital et qu’ils aient la possibilité de jouer un rôle décisif, décisionnel, pour l’avenir de l’entreprise. Je vous donnerai de plus longues explications mais j’ai vu à quel point les uns et les autres se sont rendu compte qu’après ce qu’on a appelé l’arrêt Florange, une réflexion était indispensable pour aller plus loin et faire en sorte que le créancier puisse désormais jouer un rôle irremplaçable dans le cadre du devenir de l’entreprise alors que, jusqu’à présent, il n’avait plus que ses yeux pour pleurer.

Cette solution juridique que nous allons vous proposer est complexe, car le Conseil constitutionnel se veut le gardien précis, sourcilleux, du droit de propriété, et c’est normal. Nous avons prévu la possibilité d’indemniser le propriétaire capitalistique initial ; de lui substituer éventuellement, avec les créanciers, d’autres propriétaires qui viendront ainsi assurer le devenir de l’entreprise.

C’est quelque chose de totalement nouveau, de totalement révolutionnaire, et tout le monde, y compris le MEDEF, a souhaité que nous puissions aller plus loin dans le cadre de cette recherche. Voilà pourquoi, sur ce chapitre qui m’a été confié, j’ai le sentiment d’un devoir non pas accompli mais en perpétuel mouvement.

Monsieur le ministre, lors de nos travaux en commission, vous avez fait preuve d’une grande ouverture vis-à-vis des uns et des autres. Il faut encore aller plus loin, élargir le cadre de la loi et ne jamais le rétrécir (…) ».

Commentaire : il est un peu rapide de dire que la loi du 25 janvier 1985 avait « oublié le sort des créanciers ». Elle avait surtout pensé à l’entreprise en difficulté, mais elle avait ensuite été corrigée en 1994, par une réforme tournée quant à elle vers la protection des créanciers, particulièrement ceux qui sont titulaires de sûretés.

Le projet de loi contient un dispositif qui permet de passer outre le refus des associés ou actionnaires majoritaires de voter l’augmentation de capital à laquelle est conditionné le redressement d’une entreprise d’une certaine importance (notamment celles de 150 salariés au moins). Les créanciers pourraient entrer ainsi au capital de l’entreprise. Le projet de loi prévoit même la possibilité de contraindre ces associés ou actionnaires à céder leurs droits sociaux.

Enfin, dans le dialogue entre les institutions créatrices de droit, il est intéressant de voir un député dire que le Conseil constitutionnel est le « gardien précis, sourcilleux du droit de propriété ».

Bruno DONDERO

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Mieux orienter les lycéens avec les MOOCs

Le système d’éducation français oblige nos jeunes à faire très tôt des choix qui engagent durablement leur avenir. Il faut choisir très en amont le type de baccalauréat que l’on va passer, et surtout, il faut se lancer dans les études supérieures sans, bien souvent, avoir une idée précise du contenu de ces études, au-delà de programmes aux intitulés peu évocateurs. Cela est d’ailleurs inévitable: le bachelier qui a déjà de nombreuses matières à étudier ne peut consacrer beaucoup de temps à explorer le champ des études supérieures. Certaines des matières de l’enseignement supérieur sont déjà étudiées au lycée, bien entendu, mais ce n’est pas le cas de toutes, et même si l’on a découvert le droit au lycée, par exemple, cela permet-il vraiment de « signer » de manière éclairée pour cinq années de droit à l’université? Il en va de même pour la médecine et pour d’autres matières.

Les MOOCs, enseignements en ligne ouverts à tous, peuvent ici aussi jouer un rôle très utile.

Le MOOC Sorbonne droit des entreprises qui voit ses enseignements commencer à la fin du mois de janvier 2015 permet ainsi aux lycéens qui s’y inscrivent d’avoir accès pendant 6 semaines, en février et mars 2015,  à différentes ressources :

– plus de 40 vidéos pédagogiques en droit des entreprises et des sociétés faites par des professeurs et des professionnels ;

– des documents écrits mis à disposition par un éditeur juridique (Francis Lefebvre) ;

– un forum pédagogique où les participants échangent entre eux et avec des enseignants ;

– un direct hebdomadaire d’une heure sur une chaîne internet où je reçois un invité et où nous répondons aux questions que posent les participants par twitter ;

– des QCM et cas pratiques.

Ce dispositif pédagogique est entièrement gratuit, et il n’est en rien contraignant : son utilisation optimale ne demande que 4 heures de travail par semaine, mais le simple fait de s’inscrire donne déjà accès à toutes les ressources pédagogiques précitées.

Les lycéens qui s’inscrivent peuvent avoir ainsi à peu de frais un aperçu des études de droit (et aussi du monde de l’entreprise), à l’heure de faire des choix essentiels dans leur orientation.

De la sorte, les bacheliers qui envisagent de s’inscrire en droit peuvent se faire une idée plus précise de ce qu’ils étudieront à l’université, du moins d’une partie des matières étudiées. Les lycéens peuvent même commencer à enrichir leur CV, puisqu’un QCM final leur permet d’obtenir une attestation de réussite.

Mieux orientés, les lycéens éviteront peut-être de perdre du temps en réorientations lors de leurs études supérieures. On pourrait même espérer – mais cela serait très immodeste – un accroissement des inscriptions en droit !

Le MOOC Sorbonne droit des entreprises est accessible par la plate-forme FUN (France Université Numérique) du Ministère de l’enseignement supérieur : https://www.france-universite-numerique-mooc.fr/courses/Paris1/16001S02/Trimestre_1_2015/about.

Bruno DONDERO

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Les six visages de l’entrepreneur (MOOC Sorbonne droit des entreprises)

Lorsque plusieurs personnes souhaitent exploiter ensemble une entreprise, elles constitueront une société. Mais lorsque l’entrepreneur est une seule personne, quelle est sa situation juridique ?

On peut distinguer aujourd’hui quatre situations distinctes. Une fausse catégorie juridique sera envisagée, qui est celle de l’autoentrepreneur, qui n’est pas une forme d’organisation juridique de l’entreprise, et on évoquera aussi la possibilité de voir apparaître une nouvelle forme d’organisation de l’entreprise individuelle.

1. l’entreprise individuelle.

Ce schéma est le plus simple, mais il a pour conséquence de permettre aux « créanciers de l’entreprise », c’est-à-dire aux créanciers dont le droit est lié à l’entreprise (salariés, fournisseurs, clients, administration fiscale, etc.) de pouvoir saisir tous les biens de l’entrepreneur, tandis que des créanciers dont le droit n’est pas lié à l’entreprise (par exemple le banquier de l’entrepreneur qui n’est pas payé du crédit contracté par l’entrepreneur pour acheter sa résidence principale) peuvent saisir les biens de l’entrepreneur qui sont affectés au fonctionnement de l’entreprise. Le premier aspect de cet engagement total est le plus dangereux, car il signifie que le fournisseur qui n’a pas été payé peut saisir les biens « personnels » de l’entrepreneur : appartement où il habite, véhicule familial, etc.

Cela correspond à une absence d’organisation patrimoniale : une personne physique exploite une entreprise dont les actifs (les biens et droits) et les passifs (les dettes), sont placés dans le patrimoine de cette personne, avec ses autres actifs et passifs.

Il est possible de mettre à l’abri des poursuites des créanciers les biens immobiliers non affectés à l’activité de l’entreprise, et en premier lieu la résidence principale de l’entrepreneur, lorsqu’il en est le propriétaire, en faisant une déclaration d’insaisissabilité (art. L. 526-1 et s. du Code de commerce). Bien que cette mesure de protection patrimoniale soit simple et sans doute assez efficace, elle n’a connu que peu de succès depuis sa création en 2003.

2. l’EIRL (entrepreneur individuel à responsabilité limitée).

Dans cette organisation, qui suppose une déclaration d’affectation et une publicité légale faite auprès d’un registre (registre du commerce et des sociétés, notamment), l’entrepreneur place certains actifs et passifs dans un patrimoine particulier, qui est affecté à une activité professionnelle donnée. L’EIRL est régi à titre principal par les articles L. 526-6 et s. du Code de commerce. Les créanciers dont le droit est né de cette activité ne peuvent être payés que sur les actifs figurant dans le patrimoine affecté, étant précisé que l’on peut créer autant de patrimoines affectés que l’on a d’activités distinctes. La séparation des patrimoines est opposable de plein droit aux créanciers dont le droit naît postérieurement au dépôt de la déclaration d’affectation ; pour les autres, il faut procéder à une mesure individuelle d’information, en les informant de la création du patrimoine affecté, et ils peuvent exercer un droit d’opposition.

Il est possible de doubler l’institution de l’EIRL d’une déclaration d’insaisissabilité, qui aura pour utilité de mettre les biens immobiliers ne figurant pas dans un patrimoine affecté à l’abri des poursuites des créanciers professionnels qui pourraient encore saisir ces biens, parce que l’activité professionnelle correspondante n’a pas fait l’objet d’un patrimoine affecté, ou parce qu’ils sont en situation de saisir ces biens, par exemple parce que leur droit de créance est antérieur au dépôt de la déclaration d’EIRL.

3. l’EURL (entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée). 

L’un des avantages de la constitution d’une EURL est que la structure mise en place permet, si l’entrepreneur décide à un moment donné de s’associer à d’autres personnes, de les accueillir sans qu’il soit besoin de créer une nouvelle structure juridique.

C’est une SARL à un seul associé. La société ainsi créée est donc une personne morale autonome, avec son propre patrimoine, qui recueille les apports et les autres sommes d’argent et biens mis à la disposition de la société ou acquis par elle, et les dettes relatives à son activité. L’associé unique peut être ou non le gérant de la société. S’il est en même temps gérant et associé unique, il ne peut cumuler à ces qualités la situation de salarié.

4. la SASU (société par actions simplifiée unipersonnelle).

C’est également une société à un seul associé, mais c’est une société par actions simplifiée. Son fonctionnement est moins simple que celui d’une EURL, et la rédaction des statuts requiert un peu plus de réflexion. Mais cette organisation a certaines contreparties, comme une fiscalité allégée en termes de droits d’enregistrement des cessions d’actions, par rapport aux cessions de parts de l’EURL.

5. Une « fausse organisation juridique » : l’autoentrepreneur.

Il faut enfin signaler l’institution de l’autoentrepreneur, qui est énormément utilisée, mais qui n’est pas une forme d’organisation particulière de l’entreprise. Cela doit être bien compris : se déclarer comme autoentrepreneur n’apporte aucune protection patrimoniale par rapport à la situation de l’entreprise individuelle. Simplement, l’autoentrepreneur bénéficie d’un ensemble de mesures de simplification et d’allégement des formalités juridiques et du régime social et fiscal pesant sur les entreprises. L’autoentrepreneur ne doit pas dépasser des seuils définis chaque année en termes de chiffre d’affaires, pour conserver le bénéfice de ce statut (pour 2014, ces seuils étaient de 82.200 euros HT pour une activité d’achat/revente et de 32.900 euros HT pour une activité de prestations de services).

6. L’entreprise individuelle à personnalité juridique.

Cette organisation n’existe pas à ce jour, mais on évoque parfois la création d’une « propersonnalité », ce qui désignerait une entreprise individuelle dotée d’une personnalité juridique propre. En synthèse, l’entrepreneur individuel (situation n° 1) se trouverait doté d’une seconde personnalité juridique. Cette situation serait compliquée, et ressemblerait beaucoup à celle de l’EURL (situation n° 4), la société en moins. Une des justifications données à la mise en place d’une telle organisation tient à la psychologie des entrepreneurs, qui voudraient mettre en place une organisation juridique protégeant les biens non affectés à l’entreprise, mais ne voudraient pas créer une société, même unipersonnelle…

Bruno DONDERO

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