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Les six visages de l’entrepreneur (MOOC Sorbonne droit des entreprises)

Lorsque plusieurs personnes souhaitent exploiter ensemble une entreprise, elles constitueront une société. Mais lorsque l’entrepreneur est une seule personne, quelle est sa situation juridique ?

On peut distinguer aujourd’hui quatre situations distinctes. Une fausse catégorie juridique sera envisagée, qui est celle de l’autoentrepreneur, qui n’est pas une forme d’organisation juridique de l’entreprise, et on évoquera aussi la possibilité de voir apparaître une nouvelle forme d’organisation de l’entreprise individuelle.

1. l’entreprise individuelle.

Ce schéma est le plus simple, mais il a pour conséquence de permettre aux « créanciers de l’entreprise », c’est-à-dire aux créanciers dont le droit est lié à l’entreprise (salariés, fournisseurs, clients, administration fiscale, etc.) de pouvoir saisir tous les biens de l’entrepreneur, tandis que des créanciers dont le droit n’est pas lié à l’entreprise (par exemple le banquier de l’entrepreneur qui n’est pas payé du crédit contracté par l’entrepreneur pour acheter sa résidence principale) peuvent saisir les biens de l’entrepreneur qui sont affectés au fonctionnement de l’entreprise. Le premier aspect de cet engagement total est le plus dangereux, car il signifie que le fournisseur qui n’a pas été payé peut saisir les biens « personnels » de l’entrepreneur : appartement où il habite, véhicule familial, etc.

Cela correspond à une absence d’organisation patrimoniale : une personne physique exploite une entreprise dont les actifs (les biens et droits) et les passifs (les dettes), sont placés dans le patrimoine de cette personne, avec ses autres actifs et passifs.

Il est possible de mettre à l’abri des poursuites des créanciers les biens immobiliers non affectés à l’activité de l’entreprise, et en premier lieu la résidence principale de l’entrepreneur, lorsqu’il en est le propriétaire, en faisant une déclaration d’insaisissabilité (art. L. 526-1 et s. du Code de commerce). Bien que cette mesure de protection patrimoniale soit simple et sans doute assez efficace, elle n’a connu que peu de succès depuis sa création en 2003.

2. l’EIRL (entrepreneur individuel à responsabilité limitée).

Dans cette organisation, qui suppose une déclaration d’affectation et une publicité légale faite auprès d’un registre (registre du commerce et des sociétés, notamment), l’entrepreneur place certains actifs et passifs dans un patrimoine particulier, qui est affecté à une activité professionnelle donnée. L’EIRL est régi à titre principal par les articles L. 526-6 et s. du Code de commerce. Les créanciers dont le droit est né de cette activité ne peuvent être payés que sur les actifs figurant dans le patrimoine affecté, étant précisé que l’on peut créer autant de patrimoines affectés que l’on a d’activités distinctes. La séparation des patrimoines est opposable de plein droit aux créanciers dont le droit naît postérieurement au dépôt de la déclaration d’affectation ; pour les autres, il faut procéder à une mesure individuelle d’information, en les informant de la création du patrimoine affecté, et ils peuvent exercer un droit d’opposition.

Il est possible de doubler l’institution de l’EIRL d’une déclaration d’insaisissabilité, qui aura pour utilité de mettre les biens immobiliers ne figurant pas dans un patrimoine affecté à l’abri des poursuites des créanciers professionnels qui pourraient encore saisir ces biens, parce que l’activité professionnelle correspondante n’a pas fait l’objet d’un patrimoine affecté, ou parce qu’ils sont en situation de saisir ces biens, par exemple parce que leur droit de créance est antérieur au dépôt de la déclaration d’EIRL.

3. l’EURL (entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée). 

L’un des avantages de la constitution d’une EURL est que la structure mise en place permet, si l’entrepreneur décide à un moment donné de s’associer à d’autres personnes, de les accueillir sans qu’il soit besoin de créer une nouvelle structure juridique.

C’est une SARL à un seul associé. La société ainsi créée est donc une personne morale autonome, avec son propre patrimoine, qui recueille les apports et les autres sommes d’argent et biens mis à la disposition de la société ou acquis par elle, et les dettes relatives à son activité. L’associé unique peut être ou non le gérant de la société. S’il est en même temps gérant et associé unique, il ne peut cumuler à ces qualités la situation de salarié.

4. la SASU (société par actions simplifiée unipersonnelle).

C’est également une société à un seul associé, mais c’est une société par actions simplifiée. Son fonctionnement est moins simple que celui d’une EURL, et la rédaction des statuts requiert un peu plus de réflexion. Mais cette organisation a certaines contreparties, comme une fiscalité allégée en termes de droits d’enregistrement des cessions d’actions, par rapport aux cessions de parts de l’EURL.

5. Une « fausse organisation juridique » : l’autoentrepreneur.

Il faut enfin signaler l’institution de l’autoentrepreneur, qui est énormément utilisée, mais qui n’est pas une forme d’organisation particulière de l’entreprise. Cela doit être bien compris : se déclarer comme autoentrepreneur n’apporte aucune protection patrimoniale par rapport à la situation de l’entreprise individuelle. Simplement, l’autoentrepreneur bénéficie d’un ensemble de mesures de simplification et d’allégement des formalités juridiques et du régime social et fiscal pesant sur les entreprises. L’autoentrepreneur ne doit pas dépasser des seuils définis chaque année en termes de chiffre d’affaires, pour conserver le bénéfice de ce statut (pour 2014, ces seuils étaient de 82.200 euros HT pour une activité d’achat/revente et de 32.900 euros HT pour une activité de prestations de services).

6. L’entreprise individuelle à personnalité juridique.

Cette organisation n’existe pas à ce jour, mais on évoque parfois la création d’une « propersonnalité », ce qui désignerait une entreprise individuelle dotée d’une personnalité juridique propre. En synthèse, l’entrepreneur individuel (situation n° 1) se trouverait doté d’une seconde personnalité juridique. Cette situation serait compliquée, et ressemblerait beaucoup à celle de l’EURL (situation n° 4), la société en moins. Une des justifications données à la mise en place d’une telle organisation tient à la psychologie des entrepreneurs, qui voudraient mettre en place une organisation juridique protégeant les biens non affectés à l’entreprise, mais ne voudraient pas créer une société, même unipersonnelle…

Bruno DONDERO

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L’ordonnance n° 2014-863 du 31 juillet 2014 relative au droit des sociétés (premières mesures)

L’ordonnance réformant le droit des sociétés est parue au JO de samedi dernier. Les thèmes qui sont abordés ne sont pas une surprise, dès lors que la loi d’habilitation du 2 janvier dernier (loi n° 2014-1) détaillait ce que seraient ces thèmes. Cependant, la manière dont les réformes ont été opérées appelle quelques commentaires, d’autant que l’ordonnance va parfois un peu plus loin que la loi d’habilitation ne le permettait.

Voyons dans ce post les premières mesures de l’ordonnance.

1) Simplification des formalités relatives à la cession de parts de SNC et de SARL.

 L’article 2 de l’ordonnance substitue à la publicité de la cession au registre du commerce et des sociétés (RCS) une publication des statuts audit registre, en précisant que le dépôt peut être effectué par voie électronique.

Ce faisant, les rédacteurs de l’ordonnance ont pris en compte le fait qu’en pratique, et même si les textes n’évoquaient pas la modification des statuts, on procédait généralement à une telle modification. Si on ne le faisait pas, il y avait un décalage entre les associés de la SNC ou de la SARL tels qu’ils apparaissaient aux tiers à la consultation du RCS et à la lecture des statuts. La jurisprudence avait en outre estimé que le dépôt des statuts modifiés rendait la cession opposable aux tiers (Cass. com., 18 déc. 2007 – solution rendue dans une affaire relative à une société civile, mais transposable aux autres sociétés).

 

2) Admission des cascades d’EURL.

 L’article 3, I de l’ordonnance supprime purement et simplement l’article L. 223-5 du Code de commerce, qui interdisait qu’une SARL ait pour associé unique une autre SARL « composée d’une seule personne », et prévoyait la possibilité d’une dissolution judiciaire des sociétés violant cette interdiction. L’article 3, II supprime une référence à cette disposition qui était présente dans un texte relatif à la société européenne, l’article L. 229-6 du Code de commerce.

 L’admission des cascades d’EURL avait été demandée par la pratique. Dans l’attente de cette admission, ceux qui voulaient mettre en place une telle structure devaient recourir à la SAS unipersonnelle, mais cela leur imposait de soumettre cette société au contrôle de commissaires aux comptes, dès lors que ce contrôle est obligatoire pour les SAS qui contrôlent une ou plusieurs sociétés ou sont contrôlées par une ou plusieurs sociétés (art. L. 227-9-1 C. com.).

  

3) Prorogation judiciaire du délai de tenue de l’assemblée générale annuelle d’unee SARL.

 Le gérant de SARL doit faire tenir au moins une assemblée par an, pour soumettre aux associés « le rapport de gestion, l’inventaire et les comptes annuels », et ce « dans le délai de six mois à compter de la clôture de l’exercice ». Il appartient donc au gérant de procéder à la convocation à temps pour respecter ce délai, faute de quoi il encourt des sanctions pénales, sauf à obtenir une prorogation judiciaire du délai.

 C’était du moins là la situation avant que la loi Warsmann II du 22 mars 2012 ne modifie la rédaction de l’article L. 241-5 du Code de commerce. Cette loi a supprimé la peine de six mois d’emprisonnement prévue par l’article L. 241-5 pour ne laisser subsister que l’amende de 9.000 euros, ce qui était raisonnable, dès lors que la peine d’emprisonnement n’était sans doute que très rarement prononcée, sinon jamais (en tous les cas, pas uniquement pour cela). Mais dans le même temps, un double doute était introduit.

Tout d’abord, là où le texte prévoyait antérieurement une sanction pénale en cas de consultation des associés faite sans respecter le délai de six mois précité, sauf prorogation, la rédaction nouvelle sanctionne le fait de « ne pas soumettre à l’approbation de l’assemblée des associés ou de l’associé unique l’inventaire, les comptes annuels et le rapport de gestion établis pour chaque exercice », ce qui laisserait entendre que ne pourrait plus être sanctionnée la consultation tardive des associés, mais seulement l’absence totale de consultation au jour où le juge statue, en vertu du principe d’interprétation stricte de la loi pénale.

Le second élément de doute introduit en 2012 concerne la possibilité d’une prorogation judiciaire, qui était possible dans l’ancienne rédaction de l’article L. 241-5 du Code de commerce mais n’est plus prévue dans la rédaction adoptée en 2012. Une cour d’appel a jugé que la prorogation était possible, mais sans que l’article L. 241-5 puisse constituer le fondement de la demande (CA Nîmes, 24 avril 2014, Dr. Sociétés 2014, comm. n° 129, obs. D. Gallois-Cochet). C’est pour clarifier la situation que l’article 4 de l’ordonnance permet expressément la prorogation judiciaire du délai de convocation.

 Ce n’est pas l’article L. 241-5 qui est à nouveau modifié, les rédacteurs de l’ordonnance ayant sans doute jugé qu’il était temps de trouver un nouveau souffre-douleur. Au-delà de la plaisanterie, il apparaît plus logique de modifier, comme l’ont fait les rédacteurs de l’ordonnance, l’article L. 223-26 du Code de commerce, puisque c’est ce texte qui édicte le délai de six mois (l’article L. 241-5 n’en parle plus, ainsi qu’on l’a dit). Il est donc rappelé qu’il est possible que le délai de six mois fasse l’objet d’une « prolongation » par décision de justice.

(à suivre: la réforme des conventions réglementées)

Bruno DONDERO

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