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Un nouveau métier : urgentiste du droit (juriste régulateur)

Les nouvelles pratiques font disparaître certaines manières de pratiquer le droit, voire des pans entiers de certaines professions, mais dans le même temps, ce sont des activités nouvelles et même de nouvelles professions qui apparaissent. Ces nouvelles pratiques tiennent à plusieurs facteurs. L’innovation technologique en est une, qui permet à un particulier ou à une entreprise de trouver son avocat par internet en quelques secondes, et qui permet dans le même temps à un avocat de proposer ses services très simplement. La crise économique et la volonté des entreprises de réduire toujours plus leurs coûts est un autre facteur, qui conduit à la disparition de certains modes d’exercice de la profession d’avocat ou à la réduction des services juridiques internes. La complexité croissante du droit est un dernier facteur de mutation des professions juridiques.

Il est une profession que l’on pourrait voir apparaître, ou plutôt une activité qui pourrait se développer au sein du métier d’avocat ou de juriste d’entreprise, et qui est celle de « juriste urgentiste » ou de régulateur du droit.

Imaginons qu’un cabinet d’avocats soit saisi d’une opération par l’un de ses clients, par exemple qu’une société demande à ses avocats de réaliser pour elle une opération d’acquisition d’une entreprise de son secteur. Si le cabinet d’avocats est d’une certaine importance, il comptera plusieurs départements, plus ou moins formalisés. Par exemple, un département rassemblera un ou plusieurs avocats spécialisés en droit fiscal, un autre les avocats intervenant en droit de la concurrence, un troisième les avocats intervenant en droit social, un autre encore les avocats spécialisés en fusions et acquisitions. A priori, c’est ce dernier département qui aura été saisi du dossier, et c’est très bien, puisque le dossier est ainsi qu’on l’a dit une opération d’acquisition d’entreprise.

Une acquisition d’entreprise pose avant tout des problématiques de droit des sociétés et de droit des contrats, qui constituent effectivement le cœur de compétence des avocats spécialisés en fusions et acquisitions : organisation des négociations relatives à l’opération, choix des actes préparatoires à rédiger (de la lettre d’intention aux promesses, en passant par des accords de confidentialité), transmission des parts ou des actions représentant le capital de la société cible, choix de la protection à accorder à l’acquéreur contre les aléas de l’opération (garantie de passif) et des risques antérieurs à l’opération à lui transférer (reprise des garanties et responsabilités), etc.

Mais l’acquisition d’une entreprise soulève de très nombreuses autres questions, liées à d’autres branches du droit. C’est ainsi la fiscalité de l’opération elle-même qui mérite d’être étudiée et au-delà, l’impact de l’acquisition sur la situation fiscale de chacune des parties. Le droit de la concurrence aura également son mot à dire : est-il acceptable pour le secteur économique concerné que celui-ci connaisse une telle concentration ? Le droit social est également important, puisqu’il déterminera le transfert ou le maintien des contrats de travail des salariés de l’entreprise acquise ainsi que des dettes nées antérieurement à leur égard. Le droit de l’environnement, le droit de la propriété intellectuelle, peuvent être aussi sollicités.

Ce que l’on pourrait ne voir que comme une simple opération d’acquisition revêt donc en réalité de multiples facettes, ce qui soulève deux questions.

La première question est relative au rôle de l’avocat. Lui appartient-il d’identifier ces différents aspects de l’opération pour les signaler à son client ? Il est tentant de penser que oui, car l’avocat est celui qui sait ou qui a les moyens de savoir. Mais qui saisit un avocat pour qu’il organise une opération d’acquisition souhaite-t-il lui confier ce travail particulier d’identification de toutes les questions juridiques potentiellement soulevées par le dossier ? Si c’est le cas, il faut envisager une rémunération de l’avocat qui prenne aussi en compte cet aspect des choses.

La seconde question tient à la manière dont l’avocat peut identifier ces différents risques. Si son client lui demande de réaliser une opération de cession, l’avocat va logiquement se concentrer sur cet aspect des choses, d’autant que le client se sera peut-être tourné précisément vers l’avocat parce qu’il le sait spécialisé dans un domaine particulier. La complexité toujours croissante du droit induit d’ailleurs cette spécialisation.

C’est à ce stade qu’il serait souhaitable qu’intervienne le juriste régulateur. C’est peut-être la compétence bien particulière d’un avocat dans un domaine précis qui lui a permis d’être choisi pour traiter une opération, mais cela n’exclut pas un examen du dossier sous tous les angles juridiques. Un patient peut choisir de se tourner vers un hôpital ou une clinique parce qu’un chirurgien réputé y exerce, mais cela n’exclut pas qu’il fasse l’objet d’un examen généralisé à son arrivée, pour dresser sa situation médicale complète. De même, qui entre aux urgences fait l’objet d’un premier examen qui déterminera vers quels services spécialisés orienter le patient. C’est une prestation du même type que fournirait le juriste urgentiste ou régulateur du droit.

On connaît déjà le profil particulier de l’avocat qui cherche et trouve les clients et les dossiers, même s’il ne traite pas ensuite lui-même directement ces dossiers, celui que l’on appelle l’avocat rainmaker. C’est un profil un peu différent que celui de juriste régulateur, car il est avant tout un technicien, et il interviendra à un stade intermédiaire, pour identifier les différents besoins juridiques d’un dossier et les compétences à mettre en œuvre au sein du cabinet. Ce n’est pas ce juriste qui trouvera les clients et les dossiers, mais il contribuera à faire apparaître, au sein d’un dossier existant, d’autres dossiers pour le même client, nés de la nécessité de traiter tel ou tel aspect de la situation juridique de ce client, aspects qui n’avaient pas été envisagés initialement (le rainmaker pourrait d’ailleurs être le régulateur de son cabinet d’avocats).

Cela entraînera-t-il un accroissement des coûts pour les clients concernés ? Non, car il n’est pas dit que l’identification appelle un traitement particulier du dossier, mais il sera toujours utile d’avoir repéré le plus tôt possible qu’un dossier venu aux mains des avocats sous telle étiquette comportait également d’autres aspects. Les avocats et leurs clients pourront alors décider en connaissance de cause du traitement à donner à ces aspects nouvellement identifiés.

Bruno DONDERO

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Les six visages de l’entrepreneur (MOOC Sorbonne droit des entreprises)

Lorsque plusieurs personnes souhaitent exploiter ensemble une entreprise, elles constitueront une société. Mais lorsque l’entrepreneur est une seule personne, quelle est sa situation juridique ?

On peut distinguer aujourd’hui quatre situations distinctes. Une fausse catégorie juridique sera envisagée, qui est celle de l’autoentrepreneur, qui n’est pas une forme d’organisation juridique de l’entreprise, et on évoquera aussi la possibilité de voir apparaître une nouvelle forme d’organisation de l’entreprise individuelle.

1. l’entreprise individuelle.

Ce schéma est le plus simple, mais il a pour conséquence de permettre aux « créanciers de l’entreprise », c’est-à-dire aux créanciers dont le droit est lié à l’entreprise (salariés, fournisseurs, clients, administration fiscale, etc.) de pouvoir saisir tous les biens de l’entrepreneur, tandis que des créanciers dont le droit n’est pas lié à l’entreprise (par exemple le banquier de l’entrepreneur qui n’est pas payé du crédit contracté par l’entrepreneur pour acheter sa résidence principale) peuvent saisir les biens de l’entrepreneur qui sont affectés au fonctionnement de l’entreprise. Le premier aspect de cet engagement total est le plus dangereux, car il signifie que le fournisseur qui n’a pas été payé peut saisir les biens « personnels » de l’entrepreneur : appartement où il habite, véhicule familial, etc.

Cela correspond à une absence d’organisation patrimoniale : une personne physique exploite une entreprise dont les actifs (les biens et droits) et les passifs (les dettes), sont placés dans le patrimoine de cette personne, avec ses autres actifs et passifs.

Il est possible de mettre à l’abri des poursuites des créanciers les biens immobiliers non affectés à l’activité de l’entreprise, et en premier lieu la résidence principale de l’entrepreneur, lorsqu’il en est le propriétaire, en faisant une déclaration d’insaisissabilité (art. L. 526-1 et s. du Code de commerce). Bien que cette mesure de protection patrimoniale soit simple et sans doute assez efficace, elle n’a connu que peu de succès depuis sa création en 2003.

2. l’EIRL (entrepreneur individuel à responsabilité limitée).

Dans cette organisation, qui suppose une déclaration d’affectation et une publicité légale faite auprès d’un registre (registre du commerce et des sociétés, notamment), l’entrepreneur place certains actifs et passifs dans un patrimoine particulier, qui est affecté à une activité professionnelle donnée. L’EIRL est régi à titre principal par les articles L. 526-6 et s. du Code de commerce. Les créanciers dont le droit est né de cette activité ne peuvent être payés que sur les actifs figurant dans le patrimoine affecté, étant précisé que l’on peut créer autant de patrimoines affectés que l’on a d’activités distinctes. La séparation des patrimoines est opposable de plein droit aux créanciers dont le droit naît postérieurement au dépôt de la déclaration d’affectation ; pour les autres, il faut procéder à une mesure individuelle d’information, en les informant de la création du patrimoine affecté, et ils peuvent exercer un droit d’opposition.

Il est possible de doubler l’institution de l’EIRL d’une déclaration d’insaisissabilité, qui aura pour utilité de mettre les biens immobiliers ne figurant pas dans un patrimoine affecté à l’abri des poursuites des créanciers professionnels qui pourraient encore saisir ces biens, parce que l’activité professionnelle correspondante n’a pas fait l’objet d’un patrimoine affecté, ou parce qu’ils sont en situation de saisir ces biens, par exemple parce que leur droit de créance est antérieur au dépôt de la déclaration d’EIRL.

3. l’EURL (entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée). 

L’un des avantages de la constitution d’une EURL est que la structure mise en place permet, si l’entrepreneur décide à un moment donné de s’associer à d’autres personnes, de les accueillir sans qu’il soit besoin de créer une nouvelle structure juridique.

C’est une SARL à un seul associé. La société ainsi créée est donc une personne morale autonome, avec son propre patrimoine, qui recueille les apports et les autres sommes d’argent et biens mis à la disposition de la société ou acquis par elle, et les dettes relatives à son activité. L’associé unique peut être ou non le gérant de la société. S’il est en même temps gérant et associé unique, il ne peut cumuler à ces qualités la situation de salarié.

4. la SASU (société par actions simplifiée unipersonnelle).

C’est également une société à un seul associé, mais c’est une société par actions simplifiée. Son fonctionnement est moins simple que celui d’une EURL, et la rédaction des statuts requiert un peu plus de réflexion. Mais cette organisation a certaines contreparties, comme une fiscalité allégée en termes de droits d’enregistrement des cessions d’actions, par rapport aux cessions de parts de l’EURL.

5. Une « fausse organisation juridique » : l’autoentrepreneur.

Il faut enfin signaler l’institution de l’autoentrepreneur, qui est énormément utilisée, mais qui n’est pas une forme d’organisation particulière de l’entreprise. Cela doit être bien compris : se déclarer comme autoentrepreneur n’apporte aucune protection patrimoniale par rapport à la situation de l’entreprise individuelle. Simplement, l’autoentrepreneur bénéficie d’un ensemble de mesures de simplification et d’allégement des formalités juridiques et du régime social et fiscal pesant sur les entreprises. L’autoentrepreneur ne doit pas dépasser des seuils définis chaque année en termes de chiffre d’affaires, pour conserver le bénéfice de ce statut (pour 2014, ces seuils étaient de 82.200 euros HT pour une activité d’achat/revente et de 32.900 euros HT pour une activité de prestations de services).

6. L’entreprise individuelle à personnalité juridique.

Cette organisation n’existe pas à ce jour, mais on évoque parfois la création d’une « propersonnalité », ce qui désignerait une entreprise individuelle dotée d’une personnalité juridique propre. En synthèse, l’entrepreneur individuel (situation n° 1) se trouverait doté d’une seconde personnalité juridique. Cette situation serait compliquée, et ressemblerait beaucoup à celle de l’EURL (situation n° 4), la société en moins. Une des justifications données à la mise en place d’une telle organisation tient à la psychologie des entrepreneurs, qui voudraient mettre en place une organisation juridique protégeant les biens non affectés à l’entreprise, mais ne voudraient pas créer une société, même unipersonnelle…

Bruno DONDERO

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50 mesures de simplification pour les entreprises

Le Conseil de la simplification pour les entreprises vient de rendre publiques ses cinquante premières mesures de simplification.

Le document est très intéressant, et fera l’objet d’une analyse plus détaillée de ma part prochainement.

Les mesures sont assez diverses, et sont souvent des programmes, plus ou moins vastes. Par exemple, il est prévu  d’ « alléger des autorisations préalables à la création d’entreprise » (9ème mesure), ce qui est bien évidemment un chantier potentiellement très important, mais qui pourrait l’être un peu moins si l’on se limite aux deux exemples pris par les rédacteurs de la mesure, qui visent les exigences de qualifications pour exercer les activités de réparateur de cycles ou de photographe navigant… 

On notera, mais ce n’est pas la seule mesure, la réduction de 7 à 2 du nombre d’actionnaires des sociétés anonymes non cotées et l’adaptation en conséquence du nombre d’administrateurs. La question du nombre des actionnaires et celle du nombre des administrateurs ne sont pas indissociablement liées dès lors que les administrateurs ne sont plus obligatoirement actionnaires depuis la loi LME du 4 août 2008. Mais il y a là une mesure de simplification supplémentaire (11ème mesure). Notons incidemment que la SA unipersonnelle n’est pas à l’ordre du jour (elle est prévue par exemple par l’Acte Uniforme OHADA relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique – art. 385).

Est inclue aussi dans les mesures la création d’un statut unique pour l’entreprise individuelle (8ème mesure), sur laquelle planche actuellement un groupe de travail à la Chancellerie (http://www.laurentgrandguillaume.fr/Mise-en-place-du-groupe-de-travail).

Bruno Dondero

Les 50 premières mesures ici: http://www.simplifier-entreprise.fr/wp-content/uploads/2014/04/DP_50-mesures-de-simplification-pour-les-entreprises.pdf

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