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Apprendre le droit avec « Potiche »: les conseils d’administration

Trop peu de films et de séries nous ouvrent les portes des conseils d’administration. Merci à François Ozon de l’avoir fait avec le film Potiche. Catherine Deneuve, P-DG, s’oppose à son mari, joué par Fabrice Luchini.

Le petit extrait qui est présent dans la vidéo mise en ligne sur notre chaîne YouTube nous permet de repérer un petit « faux-raccord » juridique, qui ne gâchera absolument pas le plaisir de voir ou revoir Potiche!

En effet, alors que les conseils d’administration des sociétés anonymes statuent selon l’article L. 225-37 à la majorité « par tête » des administrateurs, celui que nous voyons délibérer dans l’extrait du film prend en compte le pourcentage du capital social détenu. Précisons que cela serait possible aujourd’hui dans une SAS dont les statuts le prévoiraient… mais cette forme de société n’existait pas en 1977, année où se déroule le film!

Article L. 225-37 du Code de commerce (extraits):

A moins que les statuts ne prévoient une majorité plus forte, les décisions sont prises à la majorité des membres présents ou représentés.

(…)

Sauf disposition contraire des statuts, la voix du président de séance est prépondérante en cas de partage.

On se retrouve sur YouTube pour notre prochain cours lundi prochain à 9h30!

Bruno Dondero

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Apprendre le droit des sociétés avec « Billions »

Nous avons commencé à étudier hier mardi 13 octobre 2020 la personnalité morale des sociétés, et nous avons vu que le premier effet de la personnification d’une société était la reconnaissance de la capacité à être titulaire de droits et d’obligations. En clair, une personne morale peut engager sa responsabilité civile (être débitrice de dommages-intérêts en raison du préjudice causé par une faute de la personne morale, notamment) ou pénale (être débitrice d’une amende, par exemple, en raison d’un délit commis par elle – précisément par un organe ou un représentant).

La vidéo mise en ligne aujourd’hui nous permet de voir la frontière fine entre la responsabilité de la société et celle de son dirigeant. Bobby Axelrod se prépare à signer un accord avec le bureau du Procureur, qui le verra engager sa société au paiement d’une amende de 1,9 milliard de dollars. Mais lorsque l’on veut restreindre non pas les activités de sa société mais ses propres activités, alors il va refuser de signer l’accord (et permettre en même temps que la série puisse continuer pendant quelques épisodes ;-).

Il nous faut aussi parler de Skyline Airways. Nous avons utilisé pendant le cours de lundi dernier cette société, croisée l’an passé, pour illustrer notamment la notion d’objet social. Il semble cependant que cette société un peu particulière (il s’agit tout de même d’une SARL qui s’est dotée d’un… P-DG!) revienne justement ces jours-ci sur le devant de la scène à l’occasion d’une procédure ouverte devant le CSA. A suivre!

Bruno DONDERO

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Apprendre le droit avec « Wall Street »: vidéo en ligne

Chers étudiants, et chers participants à notre cours de droit des sociétés,

Voici une première vidéo « complémentaire » (par rapport à nos séances de cours filmées le lundi et le mardi).

J’ai pris une séquence d’un classique, avec une scène du film « Wall Street« , d’Oliver Stone (1987). Dans cette scène, le personnage joué par Michael Douglas, Gordon Gekko, donne sa conception de ce que doit rechercher une entreprise: « Greed is good« , en français « l’avidité est une bonne chose » (j’ai fait les sous-titres de la vidéo).

J’ai rapproché cette séquence d’une autre vidéo, que j’ai extraite d’une intervention de Jean-Dominique Senard, actuellement président du conseil d’administration de la société Renault et précédemment gérant du groupe Michelin. Dans cette vidéo, M. Senard expose ce qu’est la « raison d’être » d’une société, notion consacrée par la loi PACTE du 22 mai 2019, et à laquelle Gordon Gekko n’adhérerait sans doute pas!

Je vous laisse découvrir comment s’opposent la conception de l’entreprise de Gordon Gekko et celle de Jean-Dominique Senard.

Et regardez jusqu’à la fin de la vidéo: je vous ai mis un petit clin d’œil!

Bruno DONDERO

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Apprendre le droit avec Jack Lang: costumes de luxe et « réclame financière »

Il est bien normal que mon éminent collègue Jack Lang, en sa qualité de professeur de droit, contribue à l’enseignement des matières juridiques. Il le fait toutefois actuellement de manière un peu involontaire, en étant associé à une délicate histoire de costumes qui lui auraient été offerts au fil des ans par le couturier italien Smalto.

Ce n’est pas à la situation de M. Lang lui-même que nous allons nous intéresser ici mais à celle des grands couturiers qui ont volé à son secours, expliquant qu’il était bénéfique pour les grands couturiers que Jack Lang porte leurs créations… ce qui pourrait soulever une question au regard d’un texte rarement appliqué de notre Code pénal!

M. Thierry Mugler publie ainsi la lettre suivante:

Cher Jack,

J’apprends que la décision de Smalto de vous habiller provoquerait quelques réactions négatives.

Je m’en étonne ! Ceux qui s’offusquent oublient le rôle historique que vous avez joué et continué à exercer en faveur des arts et de la mode. J’ai encore en mémoire l’installation de la semaine de présentation de la mode dans la Cour Carrée du Louvres mais aussi l’organisation des Oscars de la mode au sein du Palais Garnier ou encore l’aménagement d’espaces dédiés à la mode du Grand Louvre.

Je me souviens également qu’avec Pierre Bergé, vous avez créé l’Institut de la Mode mais également le premier musée de la mode aux Arts Décoratifs. Au-delà de ces réalisations concrètes, c’est votre autorité morale que nous a donné confiance et visibilité et l’envie de créer.

Vous faites pleinement partie de la maison « Mode » dont vous êtes l’un des plus brillants fleurons. C’est une des raisons pour lesquelles les stylistes de mode souhaitent vous demander de porter certaines de leurs créations. C’est pour eux un honneur et une fierté.

Puis-je ajouter une considération toute personnelle ? Votre élégance naturelle, votre silhouette, modèle de qualité et de modernité faite de vous le parfait ambassadeur pour notre marque.

Je vous remercie encore et toujours d’avoir porté cette fameuse veste au col « Mao » que j’avais dessiné pour vous en 1985 et que vous n’avez pas hésité à porter au conseil des ministres et à l’Assemblée nationale. Vous l’avez ensuite offerte au Musée de la mode et cette veste iconique fait désormais partie des collections.

Je suis fier de vous avoir habillé pendant plusieurs années.

Cher Jack, soyez heureux de ce que vous êtes, la communauté des femmes et des hommes créateurs de mode vous sont éternellement reconnaissants.

Paris, le 7 juin 2019.

Manfred Thierry Mugler

Cette lettre aura sans doute réchauffé le cœur du professeur de droit et ancien ministre.

L’objectif est de faire savoir que si des costumes ont été offerts à Jack Lang, ce n’était pas sans contrepartie pour les sociétés ayant offert les costumes. On retrouve ici la question du délit d’abus de biens sociaux (ABS) que nous avons déjà croisé à plusieurs reprises, notamment à propos de l’affaire Riwal. Une enquête préliminaire a été ouverte pour ABS, et l’on comprend que le fait de recevoir des costumes coûteux à titre de cadeaux pourrait constituer le délit de recel (d’ABS).

En clair, si un ministre accepte des cadeaux de la part du dirigeant d’une société, sans contrepartie, le dirigeant commet un ABS et le ministre qui en recueille sciemment le fruit commet le délit de recel.

Si le ministre, en échange de cadeaux, rend un service à la société, la situation est tout aussi grave, puisque c’est le délit de corruption qui pourrait avoir été commis.

Mais le seul fait de demander à un ministre d’être l’image de la marque en portant publiquement un costume reconnaissable n’est-il pas déjà constitutif d’une infraction?

Le journal Libération écrit:

Lang, figure emblématique de la gauche au pouvoir en tant qu’ancien ministre de la Culture puis de l’Education nationale, désormais en retrait de la vie politique quoique conservant un rond de serviette dans les allées du pouvoir en tant que président de l’Institut du monde arabe (IMA), est loin d’être à l’abri du besoin. Et, donc, toujours bien sapé. Son cas, moralement douteux, est toutefois pénalement défendable. En mars 2019, le parquet de Paris ouvrait une enquête préliminaire pour «abus de biens sociaux». A priori, libre au couturier Smalto de faire du placement de produit (plus ou moins masqué), fût-ce via un Jack Lang : si c’est un délit, alors plus d’un blogueur ou instagrameur mériterait d’être également poursuivi. A ce stade, aucun des protagonistes n’a encore été formellement entendu.

Mais il n’est pas sûr qu’un ministre ou un ancien ministre soit dans la même situation qu’un « blogueur ou un instagrameur » quand il s’agit de faire du placement de produit!

Le Code pénal comporte en effet un texte qui n’est pas souvent appliqué, mais qui pourrait jouer un rôle dans notre situation. On parle parfois de « délit de réclame financière ».

L’article 433-18 du Code pénal dispose ainsi:

Est puni de six mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende le fait, par le fondateur ou le dirigeant de droit ou de fait d’une entreprise qui poursuit un but lucratif, de faire figurer ou de laisser figurer, dans une publicité réalisée dans l’intérêt de l’entreprise qu’il se propose de fonder ou qu’il dirige :
1° Le nom, avec mention de sa qualité, d’un membre ou d’un ancien membre du Gouvernement, du Parlement, du Parlement européen, d’une assemblée délibérante d’une collectivité territoriale, du Conseil constitutionnel, du Conseil d’Etat, du Conseil économique, social et environnemental, du Conseil supérieur de la magistrature, de la Cour de cassation, de la Cour des comptes, de l’Institut de France, du conseil de direction de la Banque de France ou d’un organisme collégial investi par la loi d’une mission de contrôle ou de conseil ;
2° Le nom, avec mention de sa fonction, d’un magistrat ou d’un ancien magistrat, d’un fonctionnaire ou d’un ancien fonctionnaire ou d’un officier public ou ministériel ;
3° Le nom d’une personne avec mention de la décoration réglementée par l’autorité publique qui lui a été décernée.
Est puni des mêmes peines le fait, par un banquier ou un démarcheur, de faire usage de la publicité visée à l’alinéa qui précède.

Le texte vise une « publicité réalisée dans l’intérêt de l’entreprise » dans laquelle « figure » « le nom, avec mention de sa qualité, d’un membre ou d’un ancien membre du Gouvernement ». Ce sont sans doute les publicités écrites qui sont visées, implicitement, davantage que les apparitions publiques en costume, mais  on comprend tout de même que le placement de produit ne doit pas être vu de la même manière pour un ancien ministre et un blogueur!

Bruno DONDERO

 

 

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Le jeu des 7 curiosités juridiques avec Skyline Airways

Pour mon cours de droit des sociétés à l’Université Paris 1 Panthéon – Sorbonne, j’ai donc regardé hier soir lundi 30 septembre l’émission de Cyril Hanouna, Touche pas à mon poste. J’ai aussi lu les commentaires et recherches de Vincent Glad, Stéphane Larue et Lustublog.

Y intervenait le « PDG » de Skyline Airways, M. Ryan Squaratti, qui venait expliquer que son entreprise était une « compagnie aérienne » et qu’aucune escroquerie n’avait été commise. Ce moment de télévision était intéressant, et on peut, entre les propos de notre « PDG », les statuts et le site de la société, relever au moins sept « curiosités juridiques ».

 

  1. Vous noterez que je mets des guillemets à « PDG », car M. Squaratti n’est pas « PDG », ou alors pas d’une société française identifiée. La société dont j’ai sorti les statuts, et qui s’appelle « Skyline Airways » est une SARL, société à responsabilité limitée, qui a un gérant. Dire qu’on est « PDG », cela veut dire qu’on est président directeur général, ce qui implique qu’on a constitué une société anonyme, une société avec plusieurs actionnaires et 37.000 euros au moins de capital, pas une SARL au capital d’1 euro et avec un seul associé comme Skyline Airways.

 

2. M. Squaratti, des informations disponibles sur le site http://www.societe.com, n’est d’ailleurs pas le gérant de la société Skyline Airways, puisque le gérant de cette société est une Mme Akrach. Il est donc un peu étonnant qu’il ait été présenté hier par TPMP comme le « PDG de Skyline Airways ».

Skyline 1

 

3. L’objet social de la société Skyline Airways ne lui permet pas d’être une « compagnie aérienne », comme on l’a déjà dit hier.

Skyline 2

Si votre activité est de faire des « conseils et formations » et de la « gestion des uniformes » pour les entreprises de transport aérien, vous ne transportez pas des passagers. Les « entreprises de transport aérien » le font, mais l’activité qui est décrite dans cet objet social est une activité d’auxiliaire des transporteurs aériens. Le code APE de l’activité est d’ailleurs celui-là: « Services auxiliaires des transports aériens ».

Skyline 3

 

4. Mon collègue et ami Didier Valette avait sorti dimanche les conditions générales de l’entreprise Skyline Airways, qui indiquaient que la société française était la représentante en France d’une société irlandaise, et une phrase de M. Squaratti dans l’émission d’hier soir parlait de la « société mère en cours de constitution en Irlande » ou quelque chose comme cela.

Skyline 4.png

« En cours de constitution », cela veut dire que la société irlandaise n’existe pas encore, et ce mardi matin, toujours pas de société Skyline Airways au registre des sociétés irlandais.

On a donc une société filiale, la société française, qui a une société mère qui n’existe pas encore, et qui a un associé mineur, comme on l’a vu hier en cours (une société peut avoir un associé de 17 ans, avec l’autorisation de son représentant légal). Même si par la suite l’associé de 17 ans cède les parts de la SARL à la société irlandaise, il n’y a pas encore de « société mère », et on ne sait pas si cette société pourtant mentionnée dans les conditions générales ci-dessus existera.

 

5. Notre PDG qui n’en est pas un indiquait hier qu’il avait commis des « erreurs de communication » en faisant des montages avec des avions d’une autre compagnie portant le logo Skyline Airways.

Ce qu’il explique, c’est qu’il n’a fait que présenter ce qui sera la réalité, car il compte avoir à disposition des avions, et puis peu importe le logo, car « quand vous êtes dans l’avion, vous ne voyez pas la différence ».

Mais faire croire à l’aide de photomontages que l’on dispose d’une flotte d’avions quand ce n’est pas le cas me semble tout de même assez bien rentrer dans les pratiques commerciales trompeuses visées par l’art. L. 121-2 du Code de la consommation, particulièrement le 2° a), consistant à donner des présentations fausses sur la disponibilité du service.

Skyline 5

Faire croire que l’on propose un service en direct, alors qu’on ne va au mieux qu’aller chercher la prestation auprès d’un transporteur tiers, avec les risques de non-fourniture de la prestation qui en résultent, n’y a-t-il pas là un problème?

 

6. Pour revenir au droit des sociétés, on relève un détail curieux dans les statuts de la SARL. Il est indiqué dans l’annexe 2 des statuts de la société Skyline Airways qu’un compte bancaire a été ouvert auprès de la « banque Sogexia ». C’est normal, puisque les fonds provenant de la libération des parts doivent être déposés auprès de la Caisse des dépôts et consignations, chez un notaire ou auprès d’un établissement de crédit, donc une banque.

Skyline 7

Problème que relevait Didier Valette: Sogexia n’est pas une banque, mais un intermédiaire en services de paiement.

Du coup, ce n’est pas un « établissement de crédit » au sens de l’art. R. 223-3 du Code de commerce.

 

7. Dernier point et ce sera tout pour aujourd’hui: le site de la société Skyline Airways est en maintenance, mais il comporte une mention que je reproduis pour le plaisir:

Skyline 8

Il est dit que « les activités reprendront lundi à 20h, mais pas de mouvement ce mardi matin.

« Après contrôles et vérifications, Skyline Airways est bien légalement en règle ».

Toute entreprise aimerait pouvoir affirmer avec certitude qu’elle est « légalement en règle »… même si on ne sait pas au regard de quelle règle légale ce certificat a été décerné.

Illustration de la défense par l’attaque, en termes de stratégie juridique et de communication: l’entreprise qui fait des photomontages présentant des avions qu’elle n’a pas mais revêtus de son logo menace de poursuites ceux qui critiqueraient ses pratiques…

Bruno Dondero

 

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Cours de droit des sociétés 2: les sociétés de personnes (Engrenages)

Nous allons terminer ce semestre de cours consacré au droit spécial des sociétés en étudiant les sociétés de personnes. Ce sont les sociétés civiles, très nombreuses (plus de 2 millions en France en 2018), et les sociétés en nom collectif, moins nombreuses mais dont il reste quelques dizaines de milliers de sujets (un peu moins de 60.000).

Nous évoquerons aussi des sociétés moins connues comme les sociétés en commandite simple, dont il reste quelques milliers à ce jour.

Les sociétés de personnes sont parfois soumises à un statut spécial, comme les sociétés de professionnels que sont les SCP de médecins ou d’avocats. Nous évoquerons une scène tirée d’une fiction (la série Engrenages, avec l’exclusion de l’avocat Bernard Edelman, par une décision prise par surprise par les associés, dont Joséphine Karlsson, qu’il venait justement d’aider à devenir associée). Nous nous demanderons s’il est réellement possible de procéder de la sorte dans une société de personnes.

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Qui sera exclu par qui?

On se retrouve donc demain pour notre dernier cours du semestre, en amphi à partir de 17 heures et sur Facebook en direct !

Bruno Dondero

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Cours de droit des sociétés 2: les actions de préférence

Nous nous retrouvons demain lundi 18 mars, de 17h à 20h, dans notre amphithéâtre et sur notre chaîne FacebookLive comme d’habitude.

Nous traiterons demain des différentes catégories de valeurs mobilières émises par les sociétés par actions et notamment des actions de préférence.

Nous partirons d’une histoire réelle, mise en images par le cinéma, puisque nous utiliserons une scène du film The Social Network. La scène est accessible ici, et elle concerne la « dilution » dont a été victime Eduardo Saverin, l’un des fondateurs de Facebook.

 

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« Votre participation est maintenant de 0,3%. C’est un problème pour vous ? »

 

Nous nous demanderons si en droit français, l’émission d’actions de préférence attribuées à une catégorie particulière d’investisseurs peut être le moyen de donner à certains actionnaires la possibilité de diluer le pouvoir politique des autres, notamment en les privant de leur droit préférentiel de souscription.

Pour rappel, dans les sociétés anonymes (et le texte s’applique aux SAS), l’art. L. 225-132 du Code de commerce dispose:

Les actions comportent un droit préférentiel de souscription aux augmentations de capital.

Les actionnaires ont, proportionnellement au montant de leurs actions, un droit de préférence à la souscription des actions de numéraire émises pour réaliser une augmentation de capital.

Lorsque le droit préférentiel de souscription n’est pas détaché d’actions négociables, il est cessible dans les mêmes conditions que l’action elle-même. Dans le cas contraire, ce droit est négociable pendant une durée égale à celle de l’exercice du droit de souscription par les actionnaires mais qui débute avant l’ouverture de celle-ci et s’achève avant sa clôture. L’information des actionnaires quant aux modalités d’exercice et de négociation de leur droit préférentiel sont précisées par décret en Conseil d’Etat.

Les actionnaires peuvent renoncer à titre individuel à leur droit préférentiel.

La décision relative à la conversion des actions de préférence emporte renonciation des actionnaires au droit préférentiel de souscription aux actions issues de la conversion.

La décision d’émission de valeurs mobilières donnant accès au capital emporte également renonciation des actionnaires à leur droit préférentiel de souscription aux titres de capital auxquels les valeurs mobilières émises donnent droit.

A demain !

Bruno Dondero

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Cours de droit des sociétés 2: les assemblées d’actionnaires

Chers étudiants,

Nous nous retrouvons demain pour la reprise de notre cours de droit des sociétés 2. Nous avons fait une pause dans l’étude de la SA pour comprendre la SAS. Cela nous permet d’aborder les assemblées de SA de manière plus efficace, puisque nous pourrons comparer le fonctionnement de ces grandes organisations et celui des SAS, qui sont aujourd’hui vingt fois plus nombreuses, comme nous l’avons vu.

Je vous propose comme élément pédagogique complémentaire une scène tirée d’un classique américain: Wall Street, d’Oliver Stone. Dans ce film de 1987, on trouve une scène intéressante qui se déroule lors de l’assemblée annuelle des actionnaires d’une société, Teldar Papers.

La scène est visionnable ici.

Michael Douglas joue le rôle d’un investisseur, Gordon Gekko, qui est devenu l’actionnaire minoritaire le plus important de la société Teldar Papers. Il explique, pendant l’assemblée, pourquoi la direction de la société, qui compte de très nombreux « vice-présidents » très bien rémunérés, n’est pas efficace. Il veut convaincre les actionnaires de changer le management de la société.

Vous trouvez le texte de l’intervention de Gordon Gekko sur ce site.

On en parle demain, sur FacebookLive et en amphi, de 17h à 20h !

Bruno Dondero

 

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Apprendre le droit… en jouant ? Les jeux de rôle juridiques

Et si on apprenait le droit en jouant?

Je reviens sur cette question à la suite de la lecture de l’article de mon collègue Hervé Croze paru à la Semaine juridique il y a quelques semaines et consacré à la modélisation de la procédure civile sous forme de jeu de cartes.

Je crois personnellement beaucoup à deux choses:

  • On apprend mieux en étant mis en situation. Si l’on doit lire un livre de procédure civile, on va avoir du mal à trouver un intérêt à la description d’une matière juridique. Si on doit le lire parce que l’examen approche, l’intérêt est déjà renforcé, puisque les connaissances vont avoir une utilisation concrète. Mais si on a un procès qui commence le mois prochain, alors la lecture devient très différente, et l’on va certainement maîtriser et mémoriser beaucoup mieux les connaissances que si on apprenait « dans le vide ».
  • On apprend mieux en s’amusant. Il n’est pas seulement question de rire avec de délicieuses ou affligeantes blagues de juristes, il est question de ne pas s’ennuyer tout en apprenant. Donc si l’on peut trouver des moyens d’enseigner tout en distrayant, pourquoi ne pas s’y essayer?

C’était l’objet de plusieurs articles écrits sur ce blog il y a maintenant quelques années:

 

Fabliau.PNG

Fabliau (source: La Fontaine ?)

 

 

 

Paul Patine

Tentative juridico-littéraire (source: ce blog, 2014)

 

Une idée qui me vient serait celle d’utiliser une forme de jeu qui a consommé pas mal de mes nuits et de mes week-ends quand j’étais étudiant, et qui est le jeu de rôle. Je me rappelle avoir discuté avec un autre joueur il y a une vingtaine d’années, qui me faisait remarquer que seule une minorité d’étudiants, ceux qui pratiquaient Donjons & Dragons (D&D), s’étaient réellement interrogés sur comment un coup d’Etat devait être mis en œuvre pour réussir. C’était là le thème de la campagne de D&D que nous menions à l’époque, et pendant plusieurs mois, nous avions beaucoup travaillé sur des questions telles que « combien de membres du Conseil des Sages devrons-nous faire remplacer par des doppelgangers (des doubles maléfiques) pour que le gouvernement que nous allions mettre en place après avoir assassiné le roi ne soit pas gêné dans son action ? ».

Le jeu de rôle peut se définir comme un jeu de société coopératif. Il voit un « Maître du jeu » animer une ou plusieurs séances en racontant une histoire, dans laquelle prennent place des personnages incarnés par les différents joueurs présents autour de la table, qui vont vivre l’histoire et interagir avec le récit du Maître du jeu, les événements qu’il leur décrit et les personnages qu’il fait vivre. Des règles permettent de simuler les actions que peuvent décider d’intenter les personnages des joueurs: se battre, lancer un sort, exercer une compétence, etc. On utilise des dés pour connaître l’issue de l’action: par exemple, si mon personnage a 76% de compétence en Identification des plantes, on lance deux dés à 10 faces, et le résultat compris entre 01 et 76 implique un succès dans l’identification, le résultat compris entre 77 et 00 est un échec.

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Une partie de jeu de rôle (source FFJdR)

Ce serait une idée à explorer de tenter de créer des jeux de rôles juridiques.

Les personnages incarneraient des avocats ou les parties à une procédure, et le Maître du jeu déroulerait pour eux l’histoire. On pourrait imaginer, par exemple, une class action que les joueurs devraient mener du début à la fin, des premières constatations du dommage causé au déroulement du procès dans ses différentes phases et avec les différents recours.

Les jeux pourraient être consacrés à des matières données: « Actions & Exceptions » porterait sur la procédure civile, tandis que L’appel d’Hauriou serait une initiation au droit administratif (petit clin d’œil à des classiques du jeu de rôle).

Ces jeux pourraient bien sûr se décliner en version électronique. On se rapprocherait alors des serious games.

Bruno DONDERO

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Apprendre le droit avec « Le Média »: dirigeant commun et conflits d’intérêts

Le Média est un site d’actualité, plus ou moins apparenté à la France Insoumise. Juridiquement, il repose sur une structure un peu complexe. Les mentions légales du site indiquent qu’il y a un « Président de l’Association Le Média », qui est Gérard Miller, et une « Présidente de l’Entreprise de Presse Le Média », qui est Sophia Chikirou. D’après la presse, cette dernière aurait cessé cette fonction, mais le site du Média n’a pas encore été mis à jour.

On comprend, au-delà des présidents, qu’il y a plusieurs entités qui interviennent dans le fonctionnement du site.

Il est aussi indiqué que Le Média « est édité par la Société de Production audiovisuelle Le Média« , cette société de production étant une SASU, c’est-à-dire une société par actions simplifiée unipersonnelle, forme courante de société commerciale.

Le Média

Sur le site http://www.societe.com, on trouve deux SASU dirigées par Mme Chikirou: « L’Entreprise de Presse Le Média » et « La Société de Production audiovisuelle Le Média ». On comprend que le « montage » sur lequel est fondé Le Média se compose ainsi d’une association et de deux sociétés commerciales, ce qui implique déjà un fonctionnement complexe, dans la mesure où l’intérêt propre de chacune de ces entités devra être pris en compte.

L’association réunit des sociétaires, appelés « socios ». Ceux-ci financent le Média et Gérard Miller avait expliqué au magazine Capital que les socios étaient les « propriétaires » du Média. Cela sous-entendrait que l’association est l’associée unique des sociétés commerciales. Cela serait d’ailleurs cohérent, car les socios pourraient ainsi élaborer dans le cadre de l’association les décisions stratégiques des deux autres structures.

De ce qu’on lit, il n’apparaît cependant pas que l’association soit l’associée unique des sociétés commerciales qui ont été constituées.

En outre, les sociétés « personnelles » de certains des fondateurs du Média interviennent pour fournir des prestations de services au Média. Parmi ces sociétés figure notamment la société Mediascop, qui est encore une SASU dirigée par Mme Chikirou, et dont l’objet est l’activité de conseil.

Les prestations de services.

Mme Chikirou a fait intervenir la société de conseil Mediascop, société qu’elle dirige, pour fournir des prestations de services au Média.

La page Wikipedia du Média indique: « Juste avant son départ du Média, Sophia Chikirou a procédé à deux paiements, pour plus de 130.000 euros, à sa propre société, Médiascop, révèle Mediapart, information reprise dans un article du Point. Aude Lancelin, nouvelle responsable du site, indique qu’elle n’était pas informée de prestations par la société Médiascop. Un chèque de 64.119,61 euros a été honoré par la banque, mais le virement suivant a été bloqué. Pour Henri Poulain, co-fondateur du Média, Sophia Chikirou « était bénévole en tant que présidente mais rémunérée comme conseil en stratégie. En interne, c’est ainsi qu’elle le justifie. Cela me semble problématique de se revendiquer bénévole et de se rémunérer par ailleurs ». Pour Sophia Chikirou « tout le monde au Média était informé de ces prestations, surtout les fondateurs puisque les trois sociétés des fondateurs fournissaient des prestations de communication et audiovisuelles pour lesquelles le Média n’avait pas les compétences en interne ». Accusée de mauvaise gestion, par la nouvelle direction du Média, Sophia Chikirou indique vouloir saisir la justice et « demander la désignation d’un administrateur judiciaire provisoire et un audit pour prouver ma bonne gestion ». Cependant Gérard Miller s’opposerait à cet audit« .

Le journal Libération indique quant à lui « Révélée par Mediapart, l’embrouille a éclaté fin juillet, après que Chikirou, alors toujours présidente de la société de production du Média, a validé les deux paiements en question, au profit de son entreprise personnelle. L’un des deux a été réglé par chèque ; l’autre, sous forme de virement, a été bloqué par la banque. Ils étaient censés rémunérer des prestations de production, de communication et de direction, dont certaines assurées par Chikirou elle-même. C’est peu dire que la nouvelle, dans un contexte de fragilité financière pour le jeune Média, est mal passée. Chikirou étant à l’émission et à la réception des factures, le conflit d’intérêts semble patent et motive le soupçon d’abus de bien social aux yeux de Miller et Poulain. Ces derniers s’interrogent sur la réalité de certains services facturés ». Le journal ajoute que Gérard Miller et le producteur Henri Poulain auraient mis en demeure Mme Chikirou de rembourser les sommes perçues et de renoncer au paiement de la facture encore impayée, sous peine de porter plainte pour « abus de biens sociaux ».

Analyse en droit des sociétés

Y a-t-il conflit d’intérêts lorsque Mme Chikirou fait effectuer par la société Mediascop qu’elle dirige des prestations de services rémunérées pour la société de production Le Média, qu’elle dirige également ?

La réponse est oui, puisque chacune des sociétés parties au contrat a un intérêt qui s’oppose à celui de l’autre partie, et si Mme Chikirou est présidente des deux sociétés, cela signifie qu’elle défend simultanément deux intérêts en conflit. La société prestataire a intérêt à facturer le plus possible, tandis que la société bénéficiant de la prestation a intérêt à ce que la facturation soit au contraire la plus basse possible. Pour autant, « conflit d’intérêts » ne signifie pas nécessairement illégalité.

Le droit des sociétés encadre cette situation de plusieurs manières.

Tout d’abord, les sociétés sont pour la plupart soumises à des règles sur les « conventions réglementées », visant précisément les situations de conflit d’intérêts. S’agissant des SAS, le Code de commerce dispose en substance qu’une consultation des associés doit intervenir sur les conventions conclues par la société avec son dirigeant ou un associé détenant plus de 10% des droits de vote. Rien n’est expressément prévu pour la convention conclue avec une société ayant simplement un dirigeant ou un actionnaire en commun, comme c’est le cas pour les sociétés dirigées par Mme Chikirou. La procédure pourrait toutefois s’appliquer s’il était établi que la convention a été conclue avec Mme Chikirou, « par personne interposée », c’est-à-dire si la société prestataire ne faisait que servir d’écran. Les statuts des SAS en cause pourraient d’ailleurs prévoir un encadrement supplémentaire. Ne pas respecter ces procédures légales ou statutaires pourrait mettre en jeu la responsabilité civile du dirigeant en conflit d’intérêts et être en outre le signe d’un abus de biens sociaux.

Ensuite, le délit d’abus de biens sociaux (ABS) vise effectivement l’utilisation des biens d’une société contraire à son intérêt social, dans l’intérêt personnel du dirigeant. S’il était démontré que les facturations intervenues ne correspondent pas à une véritable prestation, ou que le prix est excessif, alors le délit d’ABS serait constitué, avec une sanction maximale de 5 ans d’emprisonnement et 375.000 euros d’amende à la clé, de possibles dommages-intérêts et une éventuelle restitution des sommes litigieuses (art. L. 242-6 du Code de commerce).

Enfin, la fourniture de prestations de conseil par la société personnelle du dirigeant pose la question de la consistance, et donc de la légalité, de la prestation fournie – on parle de « management fees ». Monsieur X, dirigeant d’une société A, constitue une société B, chargée d’assurer des prestations de conseil. Rien de malhonnête dans cela, en principe. La société B fournit des prestations de conseil à la société A. Toujours rien de malhonnête, si l’on respecte la procédure des conventions réglementées, et si on fournit une réelle prestation, justement rémunérée. La question devient plus délicate lorsque la prestation de conseil fournie par la société B se confond avec les missions de dirigeant de X, qu’il est déjà censé exercer au profit de la société A. Si la société A paye la société B pour lui fournir des conseils que le président X devrait déjà lui donner par sa fonction de président, la prestation est fictive, puisqu’elle correspond à une ressource dont dispose déjà la société A. Cela est d’autant plus grave lorsque X est déjà rémunéré par la société A pour sa présidence.

Dernière observation : il semble que l’entreprise Le Média ait subi depuis sa création des pertes importantes, ce qui aurait dû inciter sa dirigeante à avoir la main plus légère sur la facturation effectuée. La poursuite d’une activité déficitaire est d’ailleurs considérée en droit comme une faute de gestion.

 

Bruno DONDERO

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Apprendre le droit avec l’histoire: négocier un contrat (l’Armistice 14-18)

Dans son édition du 17 juillet dernier, le journal Le Monde consacre à la négociation de l’Armistice du 11 novembre 1918 un très riche article rédigé par Gérard Courtois.

La négociation qui a précédé la signature de l’accord est intervenue du vendredi 10 novembre 1918 à 10h jusqu’au samedi 11 novembre à 5h12 du matin. Elle a mis face-à-face, dans un wagon en forêt de Compiègne, près de Rethondes, les quatre représentants de l’Allemagne et ceux des Alliés (Foch, accompagné d’officiers supérieurs français et anglais). L’accord signé, la première Guerre mondiale était terminée.

 

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« J’avais quelques propositions de modification… »

 

Au-delà de l’intérêt de l’événement historique, le récit est passionnant pour qui s’intéresse au phénomène du contrat, car c’est bien à la signature d’un contrat que les parties à la négociation entendent parvenir. Ce sont ici des Etats qui négocient, mais le récit de cette négociation est riche d’enseignements sur ce qu’il est possible de faire face à une partie refusant toute ouverture, ou sur la manière d’assouplir l’engagement pris, entre autres. Et ces enseignements valent pour toute négociation, entre entreprises du secteur privé ou entre particuliers.

1er conseil : bien choisir le responsable de la négociation.

Les Allemands ont donné la présidence de leur délégation à Matthias Erzberger, ministre sans portefeuille, en lieu et place du général auquel ce rôle devait être initialement attribué. Ce n’est pas tant pour sa compétence que cet homme politique a été choisi, mais parce que l’état-major ne souhaite pas assumer directement la responsabilité d’une négociation vue comme humiliante.

Il est vrai que la responsabilité de la conclusion d’un mauvais accord peut peser lourdement sur le négociateur en chef. Politiquement, dans la vie des affaires, il est intéressant, si l’on sait que la conclusion d’un contrat désavantageux est inévitable, d’en attribuer la responsabilité à un bouc émissaire, qui préservera, au moins au sein de l’entreprise, le crédit du grand dirigeant.

2ème conseil : adopter la bonne posture de négociation.

Les Allemands sont là parce qu’ils n’ont pas le choix. Leurs alliés ont déjà arrêté de se battre, leurs armées reculent de tous côtés, et si un accord n’est pas trouvé, l’Allemagne va être envahie. Le pays, affamé par un blocus, est d’ailleurs en proie à une crise politique gravissime (émeutes, insurrection, mutineries, qui vont conduire à l’abdication du Kaiser et au changement de régime). Bref, les négociateurs allemands doivent repartir avec un armistice signé, et le plus vite possible.

Les Alliés n’ont pas cette urgence, et ils peuvent donc se présenter comme n’ayant pas la volonté de conclure un accord, et encore moins de négocier.

« Qu’est-ce qui amène ces messieurs ? Que désirez-vous de moi ? » sont les mots par lesquels Foch accueille la délégation allemande. Les Allemands répondent qu’ils  « attendent des propositions relatives à la conclusion d’un armistice sur mer, sur terre, dans les airs et sur tous les fronts« . Réponse de Foch : « Je n’ai pas de propositions à faire !« .

Laisser entendre à l’autre partie, qui veut la conclusion du contrat, que l’on n’en a aucune envie, aucun besoin. « Vous voulez acheter ma maison ? Mais elle n’est pas à vendre ! » ou bien « Venir travailler dans votre entreprise ? Mais je suis très bien là où je suis ! ».

Une fois que l’on a posé ce cadre et pris la position avantageuse de celui qui refuse par principe la conclusion de l’accord, il est plus facile de refuser le détail des clauses qui ne nous plaisent pas.

3ème conseil : négocier à partir de son modèle de contrat.

Une partie peut préparer, avant la négociation, le contrat le plus avantageux pour elle. La négociation a alors pour objectif de s’éloigner le moins possible de ce contrat idéal. Si la partie qui a rédigé ce document est en position de force par rapport à l’autre partie, elle peut adopter la position « à prendre ou à laisser » : soit vous signez mon contrat-type, soit vous allez voir ailleurs.

On appelle cela, en droit des contrats, un contrat d’adhésion.

La notion, connue depuis longtemps, a été consacrée dans notre Code civil par la réforme du droit des contrats de 2016/2018. Une définition a été donnée en 2016, se référant aux « conditions générales », une seconde a été retenue en 2018 : aux termes de l’art. 1110 du Code civil, le contrat d’adhésion est « celui qui comporte un ensemble de clauses non négociables, déterminées à l’avance par l’une des parties » (définition en vigueur à compter du 1er octobre 2018).

Cette qualification de contrat d’adhésion a deux conséquences :
– s’il faut interpréter le contrat, cette interprétation se fait en faveur de la partie qui n’a pas rédigé le contrat (art. 1190 du Code civil);
– surtout, les clauses qui accordent un avantage excessif peuvent être remises en cause, puisque l’art. 1171 dispose que dans un contrat d’adhésion, « toute clause non négociable, déterminée à l’avance par l’une des parties, qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite« .

Après avoir fait semblant de ne pas vouloir conclure d’accord, Foch pose la question aux Allemands : « Demandez-vous l’armistice ?« . Réponse : « Nous le demandons« .

Foch ordonne alors à son chef d’état-major de lire, en français, les conditions de l’armistice.

La langue de négociation et de rédaction du contrat mériterait de plus amples observations, mais on comprend qu’on est avantagé quand on peut travailler dans sa langue maternelle.

L’accord à signer par les Allemands a donc été préparé par les Alliés, qui ont produit un document de 13 pages, et 34 articles, couvrant à la fois la question de la cessation des hostilités, mais aussi celle des réparations demandées aux Allemands, la livraison de matériels militaires et civils, l’occupation d’une partie du territoire allemand et l’évacuation de l’Afrique orientale.

Les Allemands veulent commencer la négociation.

Foch leur répond qu’il n’est aucunement permis de négocier les conditions de l’armistice. L’Allemagne doit accepter ou refuser de signer, point.

C’est donc bien un contrat d’adhésion.

 

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4ème conseil : créer les espaces de négociation.

L’autre partie a préparé le contrat, elle vous le présente comme non négociable, et refuser de le signer n’est pas une option pour vous (vous avez un besoin vital de conclure ce contrat)… que faire ? Il vous faut arriver à négocier quand même le contrat, pour réduire les avantages de l’autre partie.

Pour cela, il faut ouvrir un espace de négociation.

Le négociateur allemand veut ouvrir cet espace, mais on lui dit qu’il n’y aura pas de négociations. Il obtient tout de même de pouvoir faire connaître ses « observations » au général Weygand, qui est l’un des membres de l’équipe de négociation des Alliés.

C’est donc (1) sous couvert de faire des observations et (2) par le biais d’un membre du groupe de négociation des Alliés que les Allemands vont parvenir à ouvrir l’espace de négociation.

Et les Allemands vont effectivement en profiter, puisque Matthias Erzberger écrira ensuite : « A propos de presque chaque article de l’armistice, j’essayais d’obtenir de nouvelles atténuations« . Et il y parvient : la zone neutre sur la rive gauche du Rhin, que les Alliés voulaient de 30 kilomètres, n’en fera plus que 10, ce ne sont pas 10.000 camions qui seront livrés, mais 5.000, pas 2.000 avions, mais 1.700, et ainsi de suite.

Les Alliés étaient-ils, en réalité, désireux de laisser les Allemands négocier ? Le fait de passer par le général Weygand permet au maréchal Foch de conserver sa posture hostile à toute négociation.

5ème conseil : négocier même après la conclusion de l’accord.

L’Armistice vient d’être signé. Mais la négociation n’est pas terminée. Matthias Erzberger se lève et lit un texte dont il demande l’annexion à l’accord !

« Le gouvernement allemand s’efforcera naturellement de veiller de toutes ses forces à l’exécution des conditions imposées… » lit-on notamment dans ce texte complémentaire.

« Conditions imposées » : les Allemands posent ainsi un témoin du fait que l’armistice s’est fait à des conditions auxquelles ils n’ont pas consenti.

« Veiller de toutes ses forces à l’exécution des conditions » : c’est une distinction classique du droit des contrats que les Allemands tentent d’introduire – la distinction entre les obligations de moyens et les obligations de résultat. Si je vous promets un résultat (vous livrer 1.700 avions, par exemple), il n’y a pas de marge de discussion si vous ne recevez pas la prestation promise, et je subirai, en tant que contractant coupable d’inexécution, toutes les conséquences en termes de responsabilité contractuelle, pénalités, etc. Mais si mon engagement n’est que de moyens, ma responsabilité sera moins évidente. Si je n’ai pris que l’engagement de « faire de mon mieux » pour vous livrer vos avions, je n’ai pas promis la livraison, j’ai promis un comportement diligent pour tenter de livrer les avions, ce qui n’est pas la même chose.

 

En conclusion, on rappellera que cet accord, négocié comme on vient de le voir d’une manière un peu particulière, avait avant tout pour mérite de mettre fin à un conflit qui avait causé la plus grande tragédie que l’Humanité avait – alors – connue. Malheureusement, les choses ne resteraient pas longtemps apaisées, le négociateur Erzberger étant d’ailleurs assassiné quelques années après l’Armistice par les membres d’une association pangermaniste.

Bruno DONDERO

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Apprendre le droit avec Jean-Marie Le Pen: exclusion d’une association et « présidence d’honneur »

La vie des partis politiques donne souvent l’occasion de voir vivre des règles juridiques intéressantes, comme nous l’avions vu il y a quelques mois avec le quorum du bureau politique des Républicains.

C’est aussi le Front national qui nous donne l’occasion d’étudier plusieurs mécanismes juridiques.

Le 10 mars 2018, le Front national réunira à Lille son « congrès », pour lui soumettre d’importantes modifications des statuts du mouvement politique d’extrême-droite, et discuter de la possibilité de changer de dénomination.

Le congrès du FN est en réalité l’assemblée des membres de l’association soumise à la loi de 1901 qu’est le Front national. C’est bien cette forme juridique qu’a le FN, d’après l’article 1er de ses statuts.

Depuis quelques mois, un ex-membre de l’association menaçait de se rendre au congrès pour s’y exprimer, et cet ex-membre n’était pas n’importe lequel, puisqu’il s’agissait du premier président du mouvement, Jean-Marie Le Pen.

 

La question risquait de dégénérer en trouble à l’ordre public, puisque les organisateurs du congrès n’entendaient pas le laisser y participer, tandis que les soutiens de Jean-Marie Le Pen évoquaient la possibilité de le faire « escorter par 300 bikers bretons » ( !). Du point de vue du juriste, on aurait suggéré d’ajouter au tableau un huissier de justice !

Très récemment, Jean-Marie Le Pen a annoncé qu’il renonçait à se rendre au congrès, mais il est intéressant de réfléchir à la question du point de vue juridique : M. Le Pen aurait-il le droit de s’exprimer devant le congrès du FN ?

L’exclusion d’un parti politique.

Les statuts du FN stipulent aujourd’hui que l’on peut perdre la qualité de membre « par radiation ou exclusion pour motif grave, prononcée par le Conseil d’Administration, par son Bureau, ou par le Président, le membre intéressé ayant été appelé auparavant à fournir toutes explications ». Ces même statuts stipulent que « Les décisions du Conseil d’Administration, du Bureau ou du Président en matière disciplinaire sont sans appel, et de convention expresse, ne peuvent donner lieu à aucune action judiciaire quelconque sur les biens de l’Association ».

Cette dernière interdiction n’a sans doute pas une grande valeur juridique. Imaginons qu’un membre du FN soit exclu, et qu’il conteste en justice son exclusion, par exemple parce qu’on ne lui aura pas permis de « fournir toutes explications », c’est-à-dire de présenter sa défense, les raisons pour lesquelles il ne devrait pas être exclu. Le tribunal saisi du litige pourrait tout à fait condamner le Front national, pris en tant que personne morale, à verser des dommages-intérêts au membre exclu, et l’exclusion conventionnelle de responsabilité contenue dans les statuts ne devrait pas brider les juges. Mais stipuler ce type de clause a son utilité, puisque même si la clause n’est en définitive pas valable, elle intimide l’autre partie et l’oblige à faire la démonstration de la nullité ou de l’inefficacité de la clause.

Le Front national étant comme on l’a dit une association soumise à la loi de 1901, l’exclusion de l’un de ses membres est soumise au régime juridique que l’exclusion du sociétaire de toute autre association. L’exclusion de M. Le Pen a en l’occurrence fait l’objet d’une contestation en justice, et il lui a été donné tort, puisque son exclusion a été reconnue régulière par les juges, d’abord en première instance, puis en appel (arrêt de la Cour d’appel de Versailles du 9 février 2018).

A la date où se réunira le congrès du FN, M. Le Pen aura donc perdu depuis plusieurs mois la qualité de membre, et ce n’est pas en montrant sa carte de membre, s’il l’a encore, qu’il pourrait s’il le souhaiter, assister et participer au congrès.

Mais il avait aussi une autre carte à jouer, qui était celle de son statut de « président d’honneur ».

Le statut du « président d’honneur ».

En 2011, les statuts du FN ont été modifiés pour y insérer un article 11 bis consacré à la « Présidence d’honneur » du mouvement. Cela ne correspond pas à un statut légal particulier, mais il s’agit là d’une création des rédacteurs des statuts du FN, parfaitement licite. Comme d’autres formes juridiques de notre droit, les SAS par exemple, les associations peuvent se doter d’organes qui n’existent nulle

Il est prévu que « L’Assemblée générale ordinaire (Congrès) peut nommer un président d’honneur sur proposition du Conseil d’administration (Bureau politique) », et que « Pour pouvoir être nommé, il devra avoir accompli deux mandats comme Président du Front national, et ce pendant une durée d’au moins cinq ans ».

On comprend que l’on a voulu donner à M. Le Pen une place particulière dans l’organisation du mouvement politique.

S’agissant des prérogatives du président d’honneur, l’article 11 bis des statuts précise que le président d’honneur est « membre de droit de toutes les instances du mouvement (Conseil national, Comité central, Bureau politique, Bureau exécutif, Commission nationale d’investitures) ».

Il n’est pas indiqué que le président d’honneur peut participer au congrès, mais si l’on parle de « toutes les instances du mouvement », il semble cohérent de considérer que le président d’honneur peut participer au congrès, même s’il n’est pas dit qu’il puisse y voter, s’il n’est pas membre. Mais l’on comprend bien que la situation d’un président d’honneur qui aurait conservé cette fonction tout en ayant été exclu du mouvement n’a pas été envisagée par les rédacteurs des statuts…

La fin du président d’honneur ?

M. Le Pen avait contesté en justice la mesure d’exclusion prise à son encontre par le Front national, et les juges lui avaient donné tort, mais avec une précision importante. Les magistrats versaillais avaient en effet précisé que l’exclu conservait la qualité de président d’honneur.

Malheureusement pour le président d’honneur, cette fonction est appelée à disparaître dans les statuts du FN, si du moins le congrès les adopte (ils ont déjà été adoptés le 23 janvier 2018 par le bureau politique). Dans le projet de nouveaux statuts, l’article 11 bis instituant le président d’honneur disparaît en effet purement et simplement.

Ce n’est pas là une décision de révocation à proprement parler, même si l’effet produit est le même : Jean-Marie Le Pen ne sera plus président d’honneur à l’issue de l’assemblée, si les nouveaux statuts sont adoptés.

Reste à savoir s’il ne faut pas tout de même permettre à M. Le Pen de présenter devant le congrès les arguments qui s’opposeraient à la suppression de la fonction de président d’honneur.

En droit, la Cour de cassation a déjà jugé que la modification des statuts d’une société, entraînant un changement d’organisation, n’était pas une révocation.

Mais la situation de la suppression de la présidence d’honneur du FN est un peu différente. On ne réorganise pas la gouvernance dans son ensemble, et l’on pourrait soutenir que la modification de l’article 11 bis, bien que n’étant pas formellement une révocation, s’apparente à une révocation. Si cela était reconnu, ne faudrait-il pas, conformément à la jurisprudence sur la révocation du mandataire social, dirigeant de société ou d’association, respecter les droits de la défense du président d’honneur et lui permettre de présenter les arguments s’opposant à la révocation ? Le tableau est compliqué par le fait que l’on ne parle pas d’un véritable dirigeant, mais d’un mandataire social sans pouvoirs clairement définis.

La question, très intéressante en droit, ne sera cependant pas tranchée cette fois-ci, dès lors que M. Le Pen a indiqué qu’il ne souhaitait pas participer au congrès… ou au moins tenter de le faire !

Bruno DONDERO

 

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Nouvelles juridiques de la semaine: EIRL, Jean-Marie Le Pen, documentaires d’avocat

Pour qui s’intéresse au droit, on signalera trois « nouvelles juridiques » intéressantes de ces derniers jours.

 

L’EIRL devant la Cour de cassation (Cass. com., 7 févr. 2018)

La Cour de cassation a rendu son premier arrêt sur l’Entrepreneur Individuel à responsabilité Limitée (EIRL). Cette création du législateur remonte à 2010, et l’idée est assez étonnante. L’entrepreneur individuel, qui n’a pas choisi de constituer une société, peut fractionner son patrimoine et créer par une déclaration à un registre de publicité légale (registre du commerce et des sociétés, notamment) un ou plusieurs patrimoines affectés à une activité professionnelle. Notre entrepreneur se trouve alors à la tête de plusieurs patrimoines en principe étanches, ce qui doit empêcher que les créanciers de son activité professionnelle saisissent les biens qui relèvent de la sphère personnelle de l’entrepreneur, par exemple sa résidence secondaire (la résidence principale est protégée depuis la loi Macron du 6 août 2015 – art. L. 526-1 et s. du Code de commerce).

En 2010, beaucoup de commentateurs se sont interrogés sur la pertinence de créer une nouvelle structure juridique pour l’entreprise, là où les sociétés unipersonnelles comme l’EURL devraient déjà donner une sécurité patrimoniale et une organisation suffisantes aux entrepreneurs.

On se demandait qui avait pu se constituer EIRL. Les allergiques aux sociétés? Des personnes mal intentionnées souhaitant organiser leur insolvabilité avec un patrimoine professionnel affecté garni simplement de dettes? Quoiqu’il en soit, cette institution juridique hybride n’a séduit – on ne sait pas trop comment – que quelques milliers de personnes, et vraisemblablement toujours pour de très petites entreprises. C’est un peu le paradoxe de l’EIRL: l’institution soulève des questions juridiques redoutables, et les enjeux économiques seront sans doute toujours faibles et concernent des entreprises en « faillite ».

Mon collègue et ami Didier Valette peut à juste titre qualifier l’EIRL de « yéti » du droit des entreprises: tous en parlent, mais on ne l’a jamais vu!

 

La Cour de cassation a vu ce yéti, et elle a rendu son premier arrêt sur l’EIRL le 7 février 2018. L’arrêt, destiné à publication aux Bulletins et déjà mis en ligne sur le site de la Cour, juge que  le dépôt d’une déclaration d’affectation ne mentionnant aucun des éléments affectés au patrimoine personnel constitue un manquement grave, de nature à justifier la réunion des patrimoines, par application de l’article L. 526-12 du Code de commerce. L’entrepreneur se trouve alors responsable de son passif professionnel sur la totalité de ses biens, donc y compris des biens qui n’étaient pas affectés à cette activité. Son compte bancaire personnel pourra donc faire l’objet d’une saisie par exemple.

Jean-Marie Le Pen exclu du Front national… mais président d’honneur quand même

Les partis politiques sont des groupements proches des associations soumises à la loi de 1901, voire sont des associations de ce type. Les problématiques juridiques qu’ils rencontrent sont assez classiques, comme nous l’avions vu par exemple avec le quorum du bureau politique des Républicains.

Le Front national avait exclu, après différents démêlés, Jean-Marie Le Pen qui après avoir été le premier président du mouvement, en était devenu « président d’honneur ».

Cela ne correspond pas à un statut légal, mais à une création des rédacteurs des statuts de cette association politique.

M. Le Pen avait contesté la décision en justice, et la Cour d’appel de Versailles lui a donné tort par un arrêt du 9 février 2018, confirmant la décision de première instance.

Simplement, les magistrats versaillais ont précisé que l’exclu pouvait toujours être président d’honneur. La fonction disparaît dans les nouveaux statuts qui ont été adoptés par le bureau politique le 23 janvier… mais n’ont pas encore été adoptés par les adhérents, qui doivent se réunir en « congrès » les 10 et 11 mars.

Se posera la question de la possibilité pour M. Le Pen de participer au congrès, au moins pour présenter les arguments excluant selon lui que l’on mette fin à la fonction de président d’honneur. Il est vrai que ce n’est pas une « révocation », mais ne faut-il pas respecter les « droits de la défense » ?

 

Les documentaires d’avocat

La question des rapports entre la justice et la vidéo est passionnante. La justice est rendue publiquement en France, mais elle n’est généralement pas filmée, ce qui réduit drastiquement son audience. On sent bien, à voir le succès des scènes de prétoire dans les films ainsi que des documentaires sur la justice, qu’il y a en France une curiosité profonde, un besoin de savoir comment la justice est rendue.

L’Université contribue parfois à ce mouvement. A Paris 1 Panthéon-Sorbonne, nous avions ainsi fait entrer le Tribunal de commerce de Paris dans l’amphithéâtre du cours de droit des sociétés de 3ème année il y a quelque temps. Une audience sur un cas fictif et lié au cours avait été tenue au milieu des étudiants, avec des plaidoiries d’avocats et un délibéré rapide des juges. Nous en avions tiré des vidéos pédagogiques.

Le cheminement inverse est aussi à l’œuvre. On apprend ainsi à la lecture du Magazine du Monde que les avocats américains adressent aux juges, dans les affaires pénales, des vidéos destinées à humaniser leur client, en le présentant sous un jour favorable, avec des interviews de ses proches, des photos de son enfance, etc.

D’après les personnes interrogées par le journal, ces documentaires produisent la plupart du temps leur effet, en permettant d’obtenir une décision plus favorable.

On imagine aisément que l’avocat joue un rôle important dans la conception du documentaire, et c’est normal puisque c’est généralement la liberté de son client qui est en jeu.

Alors, réalisateur de films judiciaires: un nouveau métier du droit ?

Bruno DONDERO

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Apprendre le droit avec Mathieu Gallet: le statut du président de Radio France

M. Mathieu Gallet, président de Radio France, a été entendu par le Conseil supérieur de l’Audiovisuel (CSA), qui pourrait mettre fin à son mandat social.

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M. Gallet a fait l’objet d’une condamnation par le Tribunal correctionnel de Créteil le 15 janvier 2018, pour des faits qualifiés de favoritisme. Il a été condamné à une peine d’un an de prison avec sursis et à une amende.

Mais est-il possible que M. Gallet perde son mandat comme conséquence de sa condamnation pénale ?

Cela invite à s’intéresser au statut de la société Radio France, société à statut particulier.

Radio France est une société anonyme à statut particulier

Radio France (France Culture, France Info, France Inter, etc.) est une société anonyme (SA) à statut particulier. La loi Léotard du 30 septembre 1986 définit les règles applicables à cette société, ainsi qu’à d’autres sociétés comme France Télévisions ou Arte.

L’article 47 de la loi est important, puisqu’il indique que l’Etat détient directement la totalité du capital de la société Radio France, et que celle-ci est soumise « à la législation sur les sociétés anonymes, sauf dispositions contraires de la loi ».

Une particularité de cette société, à part son actionnaire unique (ce qui n’est possible pour une SA que si une loi spéciale le prévoit), est la manière dont son président est nommé ou cesse ses fonctions.

Dans une société anonyme normale, c’est le conseil d’administration qui nomme le P-DG et qui met fin à ses fonctions.

S’agissant du président de Radio France, les choses sont différentes.

Le CSA nomme le président…

Dans une SA classique, les administrateurs sont désignés par les actionnaires, et ces administrateurs forment le conseil d’administration, qui choisit en son sein son président (qui sera donc le P-DG, « P » pour président et « DG » pour directeur général).

La société Radio France voit sa gouvernance déterminée par la loi de 1986, art. 47-2.

Le conseil d’administration de la société Radio France comprend, outre le président, douze membres dont le mandat est de cinq ans (ils siègent donc à 13, pour les superstitieux!):

  • deux parlementaires désignés respectivement par les commissions chargées des affaires culturelles de l’Assemblée nationale et du Sénat ;
  • quatre représentants de l’Etat ;
  • quatre personnalités indépendantes nommées par le CSA à raison de leur compétence ;
  • deux représentants du personnel.

L’art. 47-4 de la loi prévoit quant à lui la manière dont le président de Radio France est nommé. Ce n’est pas le conseil d’administration qui nomme le président, mais le CSA, par une décision prise à la majorité de ses membres, étant précisé que la nomination « fait l’objet d’une décision motivée se fondant sur des critères de compétence et d’expérience ».

Le CSA met fin au mandat du président… mais pour quelles raisons ?

La loi du 30 septembre 1986 prévoit aussi que le CSA peut mettre fin au mandat du président de Radio France.

C’est l’article 47-5 qui traite de cette question, et il le fait avec un renvoi à l’article 47-4, qui donne à la révocation un régime juridique incertain.

La décision du CSA doit être une « décision motivée, dans les conditions prévues au premier alinéa de l’article 47-4 », selon l’art. 47-5.

Cela peut en réalité signifier deux choses :

  • soit on fait application des seules modalités de décision prévues par l’article 47-4, 1er alinéa : le président de Radio France peut se voir retirer son mandat par une décision prise par le CSA, à la majorité des membres qui le composent. Il n’y a pas d’indication particulière sur les motifs qui peuvent guider le CSA dans son choix, si ce n’est que la décision doit être « motivée » ;
  • soit on fait application de l’intégralité de ce que prévoit l’article 47-4, 1er alinéa : le président de la société Radio France peut se voir retirer son mandat par une décision prise par le CSA, à la majorité des membres qui le composent. Mais puisque l’article 47-4, al. 1er auquel il est renvoyé dispose que les nominations « font l’objet d’une décision motivée se fondant sur des critères de compétence et d’expérience », ce serait sur ces motifs que le CSA devrait se fonder. Cela réduirait beaucoup sa liberté d’action, car ce n’est que s’il estimait finalement le président peu compétent qu’il pourrait lui retirer son mandat.

Si le CSA faisait le choix de révoquer M. Gallet de ses fonctions, motif tiré de sa condamnation par le Tribunal correctionnel de Créteil, la décision pourrait toujours être contestée par le dirigeant, car elle ne serait pas fondée sur les critères de compétence et d’expérience.

Cela obligerait la juridiction statuant sur le recours (le Conseil d’Etat) à préciser le régime de révocation de l’article 47-5, en faisant triompher l’une des deux interprétations du texte.

Révoquer ou ne pas révoquer ?

Si l’on admet que le CSA a une large liberté de choix, on citera deux éléments en défaveur d’une éviction fondée sur la condamnation de M. Gallet par le Tribunal correctionnel de Créteil.

Premier élément : les faits reprochés sont commis dans le cadre de fonctions distinctes de celles de président de la société Radio France. La jurisprudence du droit des sociétés a pu considérer qu’il n’y avait pas de juste motif à se fonder sur des fautes commises dans des fonctions qui ne sont pas celles de direction. Ajoutons à cela que la condamnation n’empêche pas M. Gallet d’exercer son mandat social, puisqu’il n’est pas emprisonné ou n’a pas été frappé d’une interdiction de gérer;

Second élément : M. Gallet a fait appel du jugement le condamnant. Cela signifie donc que l’affaire est intégralement soumise à une cour d’appel, qui rendra un arrêt qui ne peut aggraver le sort de M. Gallet. La décision rendue par le Tribunal correctionnel de Créteil n’est donc pas le dernier élément de cette affaire, qui est encore en cours. On comprend que la décision des juges de première instance soit de nature à exercer une influence négative sur le CSA, comme sur toute personne apprenant que M. Gallet a été condamné, mais l’affaire n’est pas terminée.

Affaire à suivre dès ce mercredi avec la décision du CSA…

Bruno Dondero

 

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Cas pratique de droit des sociétés: Mathieu Gallet doit-il être maintenu à la présidence de Radio France?

Notre cours de droit des sociétés 2 de ce soir (17h-20h) portera comme prévu sur le thème du statut des dirigeants de la société anonyme.

Nous aborderons un cas pratique tiré de l’actualité: M. Gallet doit-il être maintenu à la présidence de la société Radio France ?

 

 

C’est bien sûr sous l’angle juridique que nous aborderons la question, en nous interrogeant sur les règles qui sont applicables à cette situation.

Pour cela, nous aborderons les questions suivantes:

  • quel est le statut de la société Radio France?
  • quelles sont les règles régissant la cessation du mandat de son président?
  • une condamnation telle que celle prononcée par le Tribunal correctionnel de Créteil peut-elle fonder une décision de révocation?

Le cours sera comme d’habitude transmis en direct sur la page Facebook Paris 1 Panthéon Sorbonne Live, et il sera ensuite consultable librement.

Bruno Dondero

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Apprendre le droit avec la société Lactalis: dépôt des comptes annuels, PDG et président du conseil de surveillance

La société Lactalis (sa dénomination sociale est précisément « Groupe Lactalis ») est au cœur de l’actualité du fait du retrait de produits laitiers pour enfants touchés ou potentiellement touchés par de la salmonelle, retrait opéré de manière pour le moins imparfaite.

Ce petit post pour revenir sur deux notions fréquemment mentionnées à propos de la société Lactalis, et qui appellent, pour l’une une précision, et pour l’autre une rectification.

 

La « discrétion » de Lactalis

Cette société serait « discrète », lit-on ici et là dans la presse, son président (voir plus bas sur cette notion de « président ») n’aimerait pas apparaître au grand jour, etc.

Cela est souvent dit, et la discrétion étant une vertu, on peut en déduire que la société Lactalis et ses dirigeants ont déjà une qualité.

Mais c’est ici du manquement à une obligation légale que l’on parle!

Un petit tour sur le site Infogreffe fait apparaître que la société Lactalis ne procède pas au dépôt de ses comptes annuels.

Pour rappel, le Code de commerce fait obligation à « toute société par actions » (Lactalis en est une) de « déposer au greffe du tribunal, pour être annexés au registre du commerce et des sociétés, dans le mois suivant l’approbation des comptes annuels par l’assemblée générale des actionnaires ou dans les deux mois suivant cette approbation lorsque ce dépôt est effectué par voie électronique« , entre autres documents, « les comptes annuels » (art. L. 232-23 du Code de commerce).

Lactalis n’est pas la seule société en France à ne pas respecter cette obligation, qui permet aux tiers de consulter les comptes, et de savoir par exemple quel montant de provision a été retenu par la société au titre des litiges en cours.

Mais ce qui ne serait déjà pas acceptable d’une société de petite taille (les micro-entreprises bénéficient d’ailleurs d’une dérogation légale) l’est d’autant moins s’agissant d’une société de très grande taille (le chiffre de 17 milliards d’euros de chiffre d’affaires est dépassé pour 2016, et le site de l’entreprise indique « 75.000 collaborateurs dans 85 pays« ), intervenant qui plus est dans un secteur particulièrement sensible.

Les sanctions encourues par les sociétés qui ne procèdent pas au dépôt de leurs comptes annuels sont sans doute peu impressionnantes, puisque le rapporteur à l’Assemblée nationale de la loi de sauvegarde des entreprises relevait en 2005 que la moitié des sociétés qui étaient tenues de procéder à ce dépôt ne respectaient pas cette obligation.

Dans une étude récente, le Conseil constitutionnel énumère les sanctions encourues (je reprends une partie de ce document, disponible ici):

l’article R. 247-3 du code de commerce érige en contravention de 5e classe le fait de ne pas satisfaire aux obligations de dépôt prévues aux articles L. 232-21 à L. 232-23 (amende de 1.500 euros) ;

l’article L. 123-5-1 du code de commerce (créé par la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001) prévoit qu’« à la demande de tout intéressé ou du ministère public, le président du tribunal, statuant en référé, peut enjoindre sous astreinte au dirigeant de toute personne morale de procéder au dépôt des pièces et actes au registre du commerce et des sociétés auquel celle-ci est tenue par des dispositions législatives ou réglementaires ». Imposé par le droit de l’Union européenne, ce pouvoir d’injonction se propose d’assurer la sécurité des transactions en permettant aux cocontractants de vérifier la solvabilité de leur partenaire ;

– les dispositions du paragraphe II de l’article L. 611-2 du code de commerce prévoient que « lorsque les dirigeants d’une société commerciale ne procèdent pas au dépôt des comptes annuels dans les délais prévus par les textes applicables, le président du tribunal peut leur adresser une injonction de le faire à bref délai sous astreinte ».

Pour une société qui n’est pas cotée en bourse, et qui n’est pas soumise à une autorité de régulation, il est donc possible, en pratique, de se soustraire assez longtemps à ces obligations. On a suffisamment connaissance des difficultés matérielles et la surcharge de travail des juges pour comprendre que la chasse aux sociétés qui ne déposent pas leurs comptes annuels n’est pas une priorité.

Si une autorité de régulation avait ici un pouvoir de contrôle, elle pourrait s’inquiéter du non-respect d’un texte légal, et elle pourrait adresser des demandes d’explication et de mise en conformité aux dirigeants de la société concernée. En clair, elle pourrait compliquer suffisamment la vie de la société et de ses dirigeants pour les contraindre à respecter aussi l’obligation légale de dépôt des comptes.

Dernier point: une telle autorité existe, en réalité, depuis une modification apportée par la loi Sapin II du 9 décembre 2016 au Code rural et de la pêche maritime. L’article L. 682-1 de ce code permet au président de l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires de saisir le président du tribunal de commerce, « Lorsque les dirigeants d’une société commerciale transformant des produits agricoles ou commercialisant des produits alimentaires n’ont pas procédé au dépôt des comptes dans les conditions et délais prévus aux articles L. 232-21 à L. 232-23 du code de commerce« . Une fois saisi, le président du tribunal de commerce peut adresser à la société une injonction de déposer ses comptes à bref délai sous astreinte. Il est prévu que « Le montant de cette astreinte ne peut excéder 2 % du chiffre d’affaires journalier moyen hors taxes réalisé en France par la société au titre de cette activité, par jour de retard à compter de la date fixée par l’injonction« .

Appliqué à la société Lactalis, qui a un chiffre d’affaires journalier dépassant les 45 millions, et en admettant qu’un cinquième seulement soit fait en France (pays qui compte 15.000 collaborateurs sur les 75.000 de la société), cela permettrait une astreinte de 2% de 9 millions d’euros par jour, soit près de 200.000 euros par jour tout de même!

 

Président du conseil et PDG, ce n’est pas la même chose!

On lit dans la presse que M. Emmanuel Besnier serait le « PDG » de la société Lactalis. C’est d’ailleurs lui qui, dans le Journal du dimanche du 14 janvier 2018, est interviewé et donne une série d’explications sur les origines de la crise de la salmonelle et sur sa gestion par la société Lactalis.

 

Cela est à vrai dire assez curieux, car la société Groupe Lactalis est une société anonyme (SA) à directoire et conseil de surveillance… dont M. Besnier n’est pas le « PDG », puisqu’elle n’a précisément pas de PDG.

Que Lactalis soit une SA à directoire et conseil de surveillance signifie que cette entreprise a choisi une gouvernance dans laquelle un directoire dirige la société, sous le contrôle d’un conseil de surveillance. Tout cela est régi par les articles L. 225-57 et suivants du Code de commerce.

La société est dirigée par le directoire, et elle est représentée par le président du directoire.

Les membres du conseil de surveillance ne sont pas des dirigeants. Ils sont des mandataires sociaux, mais ils ne sont responsables que s’ils sont défaillants dans leur mission de contrôle. La loi le dit clairement: « les membres du conseil de surveillance sont responsables des fautes personnelles commises dans l’exécution de leur mandat. Ils n’encourent aucune responsabilité, en raison des actes de la gestion et de leur résultat. (…) » (art. L. 225-257).

Mais cette limitation de responsabilité suppose que les membres du conseil de surveillance restent dans leur rôle. Il leur est interdit d’être en même temps membres du directoire (art. L. 225-74), et si le conseil de surveillance commettait une immixtion dans la gestion du directoire, ses membres pourraient être qualifiés de dirigeants de fait, ce qui accroîtrait leur responsabilité.

S’agissant de la société Lactalis, on comprend que le fait d’être en même temps l’actionnaire majoritaire (actionnariat indirect, faisant intervenir, des informations qu’on trouve sur internet, une société holding) peut placer M. Besnier dans un rôle de pouvoir qui dépasse celui du « simple » président du conseil de surveillance. Il demeure que le fait d’être présenté partout comme « président de Lactalis » est assez étonnant. On en vient à se demander si le conseil de surveillance de cette société joue véritablement son rôle. Ce n’est pas seulement au vu de la crise actuelle que l’on peut s’interroger, mais aussi parce que si le président du conseil joue le rôle d’un PDG, chargé de la direction générale de la société, on se demande finalement si la mission de surveillance est correctement exercée par le conseil qu’il préside. Difficile d’être à la fois l’organe surveillé (le directoire et son président) et l’organe de surveillance (le conseil de surveillance), et c’est précisément pour renforcer l’efficacité du contrôle que la loi interdit au conseil de surveillance d’exercer des fonctions de direction.

 Bruno DONDERO

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Nabilla, les bitcoins et l’AMF

Nabilla, les bitcoins et l’Autorité des marchés financiers (l’AMF)…

Cela pourrait être le résumé d’une blague particulièrement tordue (« qu’a dit l’AMF à Nabilla qui avait un bitcoin coincé dans son peignoir? »). Mais c’est la réalité de ces premiers jours de janvier 2018.

Sur son compte Snapchat, la starlette Nabilla met en ligne une vidéo où, avec de petits cœurs autour de la tête, elle invite qui l’écoute à investir dans le bitcoin, monnaie virtuelle (comprenez: monnaie non créée par un Etat) et dont le cours a connu ces derniers mois des envolées spectaculaires, et aussi quelques replis.

Elle explique qu’il n’y a pas de risque, et que l’on peut investir « les yeux fermés ».

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On avait déjà parlé de Nabilla sur ce blog, à propos des blagues de juriste. On ne s’attendait pas à la voir investir le domaine des monnaies virtuelles.

L’AMF a réagi par une double « mise en garde », qu’elle n’a pas publiée sur son site, comme elle l’a fait précédemment pour d’autres investissements, mais qu’elle a diffusée par son compte Twitter.

En faisant cela, l’AMF est dans le rôle que lui donne la loi, en l’occurrence l’article L. 621-1 du Code monétaire et financier: cette autorité veille à la « protection de l’épargne investie dans (…) [des] placements offerts au public« , et elle « veille également à l’information des investisseurs« .

Certes, on est déçu de ne pas avoir un monsieur ou une dame de l’AMF expliquer avec un air sérieux et avec des petits éclairs autour de la tête les dangers de l’investissement en bitcoins, mais le message de l’AMF est passé, d’autant qu’il a été largement repris par les sites de presse.

Nabilla peut-elle faire cela, en droit ?

Précisons déjà qu’elle pourrait engager sa responsabilité civile, en donnant des conseils d’investissement causant un préjudice à ceux qui les suivent. Dire que l’on peut investir dans le bitcoin « les yeux fermés » et que l’on est sûr de récupérer sa mise est en effet  un propos un peu imprudent. Si l’un des fans de Nabilla, n’écoutant que son idole, place toutes ses économies dans la monnaie virtuelle juste avant que son cours s’effondre, il pourra sans doute demander à Nabilla de l’indemniser d’une partie de son préjudice.

Une autre question délicate est celle du site de courtage auquel Nabilla fait référence dans sa vidéo. Celui-ci est normalement soumis à un statut réglementé particulier, et lorsqu’il s’adresse au public français, il le fait sous le contrôle de l’AMF. Reste à savoir si Nabilla a été mandatée par l’entreprise en question pour communiquer comme elle le fait. On notera tout de même que le site de l’entreprise Traderlebitcoin (qui soit dit en passant est située dans la Principauté d’Andorre), est beaucoup plus prudent que Nabilla, puisque ce site indique « Tout trading comporte un risque. Risquez uniquement le capital susceptible d’être perdu« … Il n’est plus vraiment question d’investir « les yeux fermés »!

Bruno DONDERO

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Apprendre le droit avec Marine Le Pen: l’objet et la cause du contrat

 

L’examen en première lecture par l’Assemblée nationale du projet de loi de ratification de l’ordonnance du 10 février 2016 réformant le droit des contrats, de la preuve et le régime général des obligations a été l’occasion, lundi 11 décembre, de beaux échanges sur le droit des contrats.

Il a été question, comme on l’a évoqué hier sur ce blog, entre autres, du professeur Denis Mazeaud, de l’objet du contrat, de la simplification du droit, du doyen Carbonnier, de la cause, de la complexification du droit, des étudiants en droit, etc.

MLP

On a vu la France Insoumise prendre la défense de la théorie de la cause, pourquoi pas, mais on a aussi vu intervenir une députée qui devrait être particulièrement compétente pour parler du droit des contrats, puisqu’elle est avocate: Marine Le Pen.

Madame Le Pen est descendue dans l’arène pour dire qu’elle n’aimait pas le flou dans le droit, et pour défendre un amendement visant « à préciser que le contenu du contrat doit comporter un objet certain, c’est-à-dire l’existence réciproque d’une contrepartie à l’obligation de l’autre partie« . Elle ajoute: « En l’absence d’une contrepartie réelle, le contrat n’a plus d’objet« .

Ce faisant, notre juriste confond en réalité deux notions fondamentales du droit des contrats, à savoir l’objet (ce sur quoi portent les obligations des parties ou le contrat dans son ensemble) et la cause (ici la cause de l’obligation: l’obligation d’une partie constitue la contrepartie de l’obligation de l’autre partie – par exemple dans la vente, l’obligation du vendeur de transférer la propriété du bien vendu a pour contrepartie l’obligation de l’acheteur de payer le prix).

Lorsqu’on lit d’ailleurs « l’exposé sommaire » de l’amendement n° 11 que Marine Le Pen défend, on y retrouve mot pour mot la même confusion entre l’objet et la cause.

Ce sont là des notions fondamentales du droit des contrats, que l’on demandait jusqu’à présent aux étudiants en droit de maîtriser lors de l’étude du droit des contrats, en deuxième année. L’ordonnance du 10 février 2016 a fait disparaître ces notions pour les remplacer par le « contenu du contrat ». La notion a été critiquée, et l’avenir nous dira comment elle est interprétée.

Il reste que, de manière paradoxale, Marine Le Pen tente de barrer la route à un texte qui supprime du droit français des notions que manifestement elle ne maîtrise pas!

Bruno DONDERO

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Apprendre le droit avec Gérard Filoche: le retweet

Injurier le président de la République sur Twitter et diffuser à cette occasion un photomontage antisémite a des conséquences lourdes, y compris quand vous êtes un homme politique expérimenté.

Etonnant, non ?

C’est la leçon que nous apprend Gérard Filoche, membre du Parti socialiste, exclu depuis peu de cette formation politique.

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Au-delà du caractère odieux du message retweeté, cette « mésaventure » de Gérard Filoche nous rappelle que la communication sur internet comporte des dangers.

On se souvient de l’affaire Justine Sacco, que nous avions évoquée sur ce blog. Cette américaine, pourtant professionnelle de la communication, avait expérimenté les effets dévastateurs d’un tweet. Après avoir fait un tweet raciste, elle avait pris l’avion et pendant les quelques heures que durait son vol, son tweet avait été vu des millions de fois, elle avait fédéré contre elle des milliers d’internautes, et elle allait, peu de temps après, perdre son travail à cause de ce tweet.

Après Justine, Gérard…

Après Justine, Gérard, est-on tenté de dire.

Gérard Filoche est un homme politique, rattaché au Parti socialiste, et qui se caractérise par un franc-parler qui dépasse occasionnellement les bornes, pour parler poliment.

Vendredi 17 novembre, il va retweeter un photomontage, qu’il n’a pas réalisé lui-même, mais qu’il a trouvé sur internet.

Ce photomontage, déjà diffusé au début de l’année 2017 sur le site du blogueur d’extrême-droite Alain Soral, représente le président de la République Emmanuel Macron devant un globe terrestre, le président portant un brassard qui évoque ceux des nazis, mais où la croix gammée a été remplacée par le symbole du dollar. Deuxième élément du photomontage : figurent derrière le président MM. Jacques Attali, Patrick Drahi et Jacob Rotschild. Troisième et dernier élément : les drapeaux israélien et américain.

Chacun comprendra le message antisémite qui est véhiculé par le photomontage, message qui aurait eu sa place dans les années 1930.

Un fait aggravant et un autre qui ne l’est pas doivent être relevés.

Le fait aggravant est le message de Gérard Filoche qui accompagnait son retweet : « Un sale type, les Français vont le savoir tous ensemble bientôt ».

En revanche, le message était supprimé quelques minutes à peine après avoir été diffusé.

Mais en droit, ça donne quoi ?

Un homme politique qui s’exprime sur les réseaux sociaux, quoi de plus banal aujourd’hui ?

Donald Trump a donné le ton, et l’on peut avoir le sentiment qu’une communication réussie sur Twitter ou sur un autre réseau social est une communication qui secoue, qui perturbe, qui « disrupte » !

Mais en droit, rappelons tout de même que la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse sanctionne :

  • d’un an d’emprisonnement et/ou 45.000 euros d’amende le fait de provoquer publiquement et y compris par voie électronique à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée (art. 24) ;
  • de 12.000 euros d’amende l’injure publique, y compris par voie électronique (article 33).

 

Quand Filoche s’effiloche…

Après son retweet, la chute de Gérard va être rapide.

Son message fait immédiatement l’objet de critiques venant de toutes parts.

La LICRA, le CRIF et Jacques Attali annoncent leur intention de saisir la justice.

Le lundi 20 novembre, le parquet de Paris ouvre une enquête pour « provocation à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne en raison de son origine ou de son appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion ».

Le mardi 21 novembre, Gérard Filoche est exclu du Parti socialiste, son exclusion étant votée à l’unanimité par le Bureau national. Au passage, on a assez peu de détails sur cette exclusion. Apparemment, il n’y a pas eu de problème de quorum comme en avaient rencontré les Républicains pour exclure, pour d’autres motifs sans aucun rapport, certains de leurs membres. Mais on ne sait pas si l’exclu, qui est d’ailleurs membre du Bureau national, a été entendu et a pu présenter ses arguments en défense…

Un enseignement.

Comme Justine Sacco, Gérard Filoche nous donne un enseignement, et pas seulement sur le droit.

Il nous apprend que les réseaux sociaux sont à manier avec prudence. Notre smartphone, avec son accès immédiat aux réseaux sociaux, est comme une arme que nous avons dans notre poche, et une arme qui peut être dégainée très vite et faire beaucoup de dégâts.

La question du traitement pénal du retweet a déjà été analysée de manière claire et complète, par mon collègue Emmanuel Netter.

Si vous retweetez un message injurieux ou diffamatoire, vous devenez l’auteur du message injurieux ou diffamatoire.

Cela veut dire qu’en un clic, qui transforme les deux petites flèches grises en petites flèches vertes, vous avez diffusé publiquement un message.

Rien de commun avec l’article de presse que vous allez peut-être mettre des mois à écrire, que vous allez taper, retaper, imprimer, corriger, et envoyer à un journal accompagné d’une lettre manuscrite et signée, pensez-vous ?

Et bien si, l’un et l’autre, le retweet fait en une fraction de seconde et l’article qui aura occupé une partie de votre année, sont des écrits publics, traités de manière identique par le droit pénal de la communication.

Un rappel.

On remerciera aussi Gérard Filoche de permettre de rappeler aux internautes de France que ce n’est pas parce que c’est sur internet que « ça ne compte pas ».

En admettant même qu’il n’ait pas bien vu ce qu’il retweetait, le simple fait de traiter le président de la République de « sale type » est déjà un délit en soi, comme le serait d’ailleurs le fait de traiter n’importe qui de sale type publiquement, soit dit en passant.

Il faut donc savoir gré à Gérard d’éduquer les foules, même si c’est au prix de sa carrière politique.

Maintenant, on peut aussi se dire que Gérard Filoche, âgé de 71 ans, est un grand garçon, qui prend ses responsabilités, et qu’il avait déjà par le passé fait des messages inadmissibles. Il avait donc semble-t-il une volonté de marquer les esprits par ce type de dérapage. On ne versera donc pas forcément de larmes sur son sort.

A-t-il mal vu ce qu’il diffusait ? Des internautes ont pris sa défense en relevant qu’il n’était « pas né avec un iPhone dans les mains »…

Mais cette histoire illustre bien les risques de la communication par les réseaux sociaux.

Ce ne sont pas seulement les plus jeunes des utilisateurs des réseaux sociaux qu’il faut mettre en garde contre les dangers d’un tweet, d’un retweet ou d’un post diffamatoire, injurieux, raciste, etc.

Mais eux sont bien entendu particulièrement concernés. Une fois le message diffusé, vous ne le contrôlez plus. Il n’est pas sûr que vous arriviez facilement à vous débarrasser de cette tache, qui vous poursuivra peut-être pendant des années, voire pendant toute votre vie et votre vie professionnelle. Quand on tapera votre nom sur Google, ce sera pour tomber sur dix pages relayant « l’affaire », ce qui compliquera relations sociales et recherche d’emploi…

Bruno DONDERO

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Apprendre le droit avec Les Républicains: le bureau politique, le quorum et l’exclusion

Les partis politiques sont des groupements passionnants, avec leurs péripéties, leurs guerres internes, leurs revirements et trahisons… Mais les partis politiques sont aussi des groupements régis par le droit, et parfois, le droit se rappelle au parti, comme l’a vécu le parti Les Républicains (LR), ce qui est l’occasion d’apprendre au pays entier un point de droit fondamental, qui est la distinction entre quorum et majorité.

Ce qui est singulier, c’est que l’on se demande si les responsables LR maîtrisent parfaitement cette distinction…

I – Et si on excluait les Constructifs ?

Dernièrement, les cartes du monde politique français ont été quelque peu rebattues, et il a fallu trouver de nouveaux noms pour identifier les rassemblements nouveaux.

Cela fait un peu penser aux schtroumpfs, avec les Insoumis, ou aux équipes de hand-ball ou de basket-ball, avec les Experts, les Braqueuses, etc.

 

 

Insoumis 2

Encore un coup des Insoumis !

Au sein du parti Les Républicains, les Schtroumpfissimes, pardon, les dirigeants du parti, ont donc voulu exclure les insoumis de deux sortes : d’une part, les insoumis qui avaient rejoint le gouvernement (Edouard Philippe, Gérald Darmanin, Sébastien Lecornu) et d’autre part les insoumis qui ont formé un groupe dissident à l’Assemblée nationale, les « Constructifs ».

On connaissait chez les robots Transformers les Constructicons, qui sont des robots très méchants, mais les Constructifs sont autre chose.

Constructicons 2

Les députés Constructifs (allégorie)

Donc il est décidé de procéder à l’exclusion des Constructifs, ce qui en soi n’est pas un message publicitaire très vendeur, mais bon…

Pour procéder à l’exclusion du membre d’un parti politique, il faut faire un peu de droit, puisque l’exclusion est finalement une résiliation du contrat d’association, décidée contre la volonté, ou à tout le moins sans la volonté, du membre exclu.

Mais alors, comment est-ce que cela se passe ?

II – L’exclusion de chez Les Républicains, mode d’emploi.

Il faut consulter les statuts du parti, qui sont accessibles en ligne.

L’article 5.6 des statuts stipule : « Toute personne n’ayant pas renouvelé sa cotisation pendant deux années consécutives perd la qualité d’adhérent.

La qualité d’adhérent se perd également par la démission ou l’exclusion, dans les conditions fixées par le Règlement intérieur ».

On se saisit alors du Règlement intérieur, également accessible en ligne.

L’article 4 du Règlement intérieur stipule :

« 1. Les sanctions applicables aux adhérents du Mouvement sont la suspension et l’exclusion.

  1. Les sanctions à l’égard des adhérents sont prononcées à l’issue d’une procédure contradictoire dans le cadre de laquelle le dossier est communiqué à l’intéressé qui peut demander à être entendu.

La décision de suspension ou d’exclusion est notifiée à l’intéressé par lettre recommandée avec accusé de réception.

  1. Sous réserve des dispositions des paragraphes 4, 5 et 6 du présent article, le pouvoir disciplinaire à l’égard des adhérents du Mouvement est exercé par le Comité départemental.

(…)

  1. Sous réserve des dispositions des paragraphes 5 et 6 du présent article, le pouvoir disciplinaire à l’égard des adhérents du Mouvement titulaires d’un ou plusieurs mandat électif et des adhérents du Mouvement exerçant une fonction gouvernementale est exercé par le Bureau Politique.

Le Bureau Politique instruit, sur le rapport du Secrétaire général, les demandes de sanction présentées par le Président du Mouvement à l’égard de ces adhérents. Le Bureau Politique peut déléguer l’instruction des demandes de sanction à une commission spéciale, composée de trois membres désignés en son sein et constituée à cet effet (…) »

A part suggérer une petite correction d’accord au 4. (« un ou plusieurs mandats électifs »), on n’a rien à dire.

On comprend que c’est donc le Bureau Politique (on l’appellera le « BP ») qui est compétent pour statuer sur l’exclusion d’un ministre ou d’un secrétaire général en exercice ou d’un député.

Or que disent les statuts sur le fonctionnement du BP ?

C’est l’article 24 qui nous intéresse ici, et il est assez complexe.

III – Le Bureau Politique chez les Républicains, mode d’emploi.

Un bureau lourd à déplacer…

On comprend déjà que le BP ne va pas être facile à organiser, puisqu’il est composé, selon l’article 24.1 des statuts :

« – du Président et du Vice-président délégué du Mouvement ;

– du Secrétaire Général ;

– du Trésorier national ;

– de 80 membres élus par le Conseil National, dans les conditions définies par le Règlement intérieur et selon les modalités arrêtées en Bureau Politique, pour un mandat de deux ans et demi ;

– de trois représentants des « Jeunes Républicains », élus conformément au Règlement intérieur des « Jeunes Républicains » et dans les conditions arrêtées en Bureau Politique, pour un mandat de deux ans et demi ;

– des anciens Présidents de la République, du Premier ministre en exercice et des anciens Premiers ministres ;

– des présidents des Assemblées, des présidents des groupes parlementaires de l’Assemblée nationale, du Sénat et du Parlement européen et, le cas échéant, de son vice-président français, et du président de la délégation française au Parti Populaire Européen au Parlement européen ;

– du président du Parti populaire européen et du Vice-président français du Parti populaire européen ;

– des anciens Présidents du Mouvement ;

Les membres du gouvernement et de la Commission européenne adhérant au Mouvement mais n’appartenant pas au Bureau Politique, peuvent y assister, sans prendre part aux votes ».

A prendre le texte à la lettre, on comprend donc qu’Edouard Philippe, en tant que premier ministre, mais également, par exemple, François Hollande, en tant qu’ancien Président de la République (6ème tiret), peuvent participer et voter au bureau politique des Républicains, de même, pourquoi pas, que Nicolas Hulot en tant que membre du gouvernement, mais lui ne pourra pas voter (dernier alinéa)…

Il va sans doute de soi que seuls les membres du parti seront admis au sein du BP, mais la rédaction un peu trop généreuse du texte pourrait donner lieu à des interprétations surprenantes.

On comprend en tous les cas que l’on peut avoir plus d’une centaine de personnes présentes au BP…

C’est alors qu’intervient la notion de quorum.

Et le quorum, alors ?

De quoi s’agit-il ?

C’est un mot latin, abréviation de quorum maxima pars, ce qui signifie « la plus grande partie desquels ».

Instituer un quorum, pour l’organe d’un groupement, cela signifie mettre en place un seuil, en nombre de membres notamment, en dessous duquel cet organe ne peut valablement prendre de décisions, car il n’est pas régulièrement constitué.

Par exemple, le droit des sociétés anonymes prévoit qu’un « conseil d’administration ne délibère valablement que si la moitié au moins de ses membres sont présents » (art. L. 225-37 du Code de commerce).

Si l’on n’avait pas prévu une telle règle, que se passerait-il ?

Le droit des groupements n’offre pas de solution certaine, et il pourrait être soutenu que l’organe ne prend valablement de décisions que si 100% de ses membres sont présents.

Mais les statuts du parti Les Républicains sont bien faits, et ils prévoient un quorum.

L’article 24.4 des statuts stipule en effet :

« Le Bureau Politique délibère à la majorité des suffrages exprimés.

Il ne délibère valablement que lorsque la majorité de ses membres en exercice est présente. Lorsque le quorum n’est pas atteint, une nouvelle réunion du Bureau Politique est fixée, à trois jours au moins d’intervalle, au cours de laquelle il délibère sans condition de quorum ».

Pour que le BP soit valablement réuni, il faut donc que la majorité, c’est-à-dire la moitié plus un, de ses « membres en exercice » soient présents.

Difficulté : on ne sait pas nécessairement ce que sont les « membres en exercice ». On peut supposer que ce sont ceux qui ont le droit de vote, mais cela n’est, là encore, pas si évident, et il aurait été souhaitable que ce point soit précisé par les statuts.

Quoiqu’il en soit, il semble peu discutable que cette majorité n’avait pas fait le déplacement mardi 24 octobre dernier, puisque le vote qui est intervenu donnait comme résultat, d’après les informations présentées dans la presse : 37 voix pour l’exclusion, 7 contre et 3 abstentions, soit 47 membres présents.

Mais que s’est-il passé ?

Pourquoi a-t-on fait tout de même voter le bureau ?

IV – Un vote irrégulier sur une décision sensible.

Les statuts disent bien que le BP « ne délibère valablement que lorsque la majorité de ses membres en exercice est présente ».

Il est donc assez étonnant que les dirigeants des Républicains aient fait tout de même voter le BP, alors que celui-ci n’était pas valablement constitué, faute de quorum.

Je ne sais pas s’il y a un rapprochement à faire avec le film Le dîner de cons, comme l’a fait Rachida Dati, mais il y a tout de même une irrégularité juridique.

Certes, il n’est sans doute pas interdit au BP, même s’il n’était pas en état de délibérer, de commencer une discussion informelle, et peut-être même, pourquoi pas, de procéder à un vote informel, pour prendre la température, en quelque sorte.

Mais il est curieux dans ce cas de comptabiliser aussi précisément les votes ainsi que les abstentions, et de communiquer ce résultat à l’extérieur comme s’il s’agissait d’un vote formel.

Il est également curieux de rapporter dans une déclaration officielle « à l’issue du Bureau Politique du 24 octobre 2017 » que le BP a voté en faveur de l’exclusion à une large majorité…

« Après avoir entendu les membres de la commission spéciale chargée de recueillir les explications de MM Gérald DARMANIN, Sébastien LECORNU, Edouard PHILIPPE, Franck RIESTER et Thierry SOLERE :

– constatant leur ralliement individuel à la majorité présidentielle ;

– constatant que, pour certains, ils ont directement soutenu des candidats contre les candidats investis par Les Républicains aux élections législatives ou se sont présentés sur des listes La République en Marche aux élections sénatoriales ;

– ayant pris connaissance de leurs déclarations annonçant la création imminente d’un nouveau parti politique, après avoir créé un groupe dissident à l’Assemblée nationale ; Les membres présents du Bureau politique se sont prononcés à une très large majorité en faveur de leur exclusion et a acté le départ d’Edouard PHILIPPE »

Cela est d’autant plus délicat que la décision sur laquelle on fait voter ici le BP est une décision sensible, puisque l’exclusion est la sanction la plus radicale qu’un groupement puisse prendre à l’égard de l’un de ses membres.

Qui connaît un peu ce type de contentieux sait que la décision d’exclusion doit respecter les droits de la défense des membres pour lesquels la sanction est envisagée, et faire « pré-statuer » un bureau qui n’est pas valablement constitué fait courir un risque à la sanction qui sera – peut-être – prise ultérieurement par le BP valablement constitué.

Il n’est pas sûr que l’affaire soit un jour portée devant la justice, mais voici tout de même quelques petits conseils juridiques que l’on peut adresser aux Républicains en vue du prochain BP statuant sur une exclusion :

  1. vérifier que le quorum est bien atteint… du moins si l’on arrive à déterminer qui sont les « membres en exercice » du BP ;
  2. ne pas faire statuer le second BP sur un vote de confirmation de la décision prise lors de la délibération précédente ;
  3. ne pas porter atteinte aux droits de la défense des membres visés par la sanction (droit à présenter ses arguments contre l’exclusion) sous prétexte qu’ils auraient eu l’occasion de le faire lors du bureau précédent.

Conclusion en forme de clin d’œil : quand on apprend aux étudiants, dans son cours de droit des sociétés, que le quorum doit être réuni pour que l’on puisse valablement procéder à un vote, on aimerait bien que les partis politiques donnent l’exemple !

Bruno DONDERO

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Raquel Garrido, insoumise… à la Caisse de retraite des avocats

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Maître G…, toujours prête à défendre le faible et l’opprimé…

Le Canard enchaîné nous fait découvrir la tragique situation des avocats parisiens, dont les revenus ne leur permettent pas de payer leurs cotisations retraite, ni ce qu’ils doivent régler à leur Ordre professionnel. C’est ainsi le cas de la malheureuse Maître Raquel G…, qui depuis six ans, n’a pu régler ce qu’elle doit à la Caisse de retraite des avocats, et ne paye plus l’Ordre depuis un an. Trop prise par ses engagements associatifs, Maître G… a même été obligée de devenir pigiste pour une petite chaîne de télévision.

La misère du Barreau est décidément grande, et l’on rapprochera cette situation terrible d’un autre article du Canard enchaîné du même jour, intitulé « Les clodos des tribunaux« …

Sauf que l’avocate en question est très en vue, puisqu’il s’agit de Raquel Garrido, qui est également porte-parole de la France Insoumise, le mouvement politique de Jean-Luc Mélenchon.

Au-delà de la plaisanterie, on retrouve ici un trait de l’affaire Fillon: on attend de ceux qui prétendent occuper des places politiques en vue qu’ils soient irréprochables. Si pour dérouler votre discours politique vous occupez les écrans télé en permanence et bombardez Twitter de messages, il ne faut pas que l’on pense à chaque fois que l’on vous voit ou vous entend que vous n’êtes pas irréprochable, et que vous ne vous soumettez pas aux règles de la vie en société: travailler en contrepartie des rémunérations que vous percevez, payer vos impôts, payer vos cotisations retraite, etc.

Si le messager est suspect, le message politique ne passe pas…

Raquel Garrido, nous dit le Canard enchaîné, n’aurait pas réglé pendant six ans ses cotisations à la Caisse de retraite des avocats, et elle devrait également un an de cotisations ordinales.

Bien sûr, si Maître Garrido voulait faire appliquer le Code de la Sécurité sociale, elle pourrait refuser de payer une partie de ses cotisations en invoquant la prescription. L’article L. 244-3 du Code de la sécurité sociale prévoit en effet une prescription par trois ans des cotisations et contributions sociales (et les textes sur la Caisse des avocats renvoient à ce régime de prescription).

Mais non, parions que Raquel paiera sans sourciller, après ce regrettable oubli. Heureusement que la presse est là pour servir de pense-bête à nos hommes et femmes politiques, et leur rappeler que les dettes doivent être payées.

Il est tout de même étonnant que ces créances n’aient jamais été réclamées ni par la Caisse de retraite ni par l’Ordre des avocats.

Rappelons que laisser prescrire une créance par négligence caractérise à tout le moins une mauvaise gestion de l’organisme créancier, pour ne pas dire plus.

Pour conclure, regardons dans le passé, dans le glorieux passé des Révolutionnaires avec un grand R.

Raquel est avocate, Fidel Castro l’était aussi, et Che Guevara, le Che, était médecin. A-t-on jamais entendu que la Caisse de retraite des avocats du Barreau de La Havane ait eu des difficultés à recouvrer les cotisations de Maître Castro, ou que le docteur Guevara n’ait pas payé sa secrétaire ?

Bruno « Che » Dondero

Bruno « Che » Dondero

 

 

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La main de Jean-Pierre Raffarin – assister à des colloques (en direct ou en différé) grâce à Facebook

Depuis la dernière rentrée universitaire, j’ai entrepris de filmer mon cours de droit des sociétés (septembre à décembre: droit général des sociétés; janvier à avril: cours de droit spécial des sociétés). L’Université Paris 1 a apporté son soutien à cette opération en créant une page Facebook sur laquelle sont diffusés ces cours.

Précisons: ces cours sont accessibles:

  • en direct sur la page Facebook;
  • en différé (on dit « en replay » ;-)) sur cette même page Facebook, avec les questions et interventions faites par les personnes suivant le cours;
  • en différé sur YouTube.

La page Facebook a servi également à diffuser des colloques, et cela mérite quelques mots.

Les colloques organisés dans les universités réunissent un public souvent restreint. Cela tient à différents facteurs. L’un de ces facteurs est la communication sur la tenue du colloque. Les personnes susceptibles d’être intéressées par le thème d’un colloque doivent s’organiser pour être présentes une journée ou une demi-journée, ce qui suppose de les prévenir un peu à l’avance. Mais avant même cette question pratique, il est possible que l’existence même du colloque leur reste inconnue. Des affiches à l’université et une information sur le site du centre de recherche organisant le colloque ne suffisent pas à toucher, par exemple, la plupart des avocats et des autres praticiens du droit.

Les réseaux sociaux permettent déjà, sans parler des mails, de diffuser largement l’information relative à la tenue du colloque.

Mais surtout, il est concevable de filmer et de diffuser les colloques, et les réseaux sociaux, particulièrement Facebook, permettent de faire cela avec une grande facilité.

C’est ce que j’ai fait la semaine passée pour deux colloques.

Le premier s’est tenu au Sénat, et il était organisé notamment par l’association Paris Place de droit et par le Barreau de Paris. Le programme est lisible ici.

Le second colloque était consacré à la gouvernance des entreprises, et il s’est tenu à l’Université Paris 1. Son annonce était faite là.

Dans l’un et l’autre cas, c’est avec mon iPhone que j’ai filmé ou fait filmé le colloque. La qualité de l’enregistrement n’est pas celle d’un professionnel. Lorsque Jean-Pierre Raffarin fait le brillant discours de clôture du colloque au Sénat, quelqu’un déplace le trépied avec mon iPhone et c’est sa main qui est filmée pendant plusieurs minutes…

Colloque

Mais peu importe ce petit incident. Celui qui ne peut venir ce matin-là peut écouter tout ce qui se dit au Sénat en salle Monnerville. Et celui qui le souhaite peut indéfiniment prendre connaissance des colloques filmés en consultant la page Facebook Paris 1 Panthéon Sorbonne Live.

D’autres colloques suivront, et les moyens de retransmission s’amélioreront, mais voilà déjà un moyen simple de diffuser les propos souvent passionnants qui se tiennent dans ces manifestations.

Bruno DONDERO

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En taxi avec Agnès Saal

Taxi

Taxi, à l’INA s’il vous plait!

Agnès Saal est connue du grand public depuis la révélation d’une histoire de notes de taxi. Présidente de l’INA (Institut national de l’audiovisuel), Mme Saal bénéficie d’une voiture de fonction et d’un chauffeur. Cela ne l’empêche pas de recourir de manière intensive à des taxis, et au printemps 2015, il est révélé qu’elle a dépensé en notes de taxi la somme de 40.000 euros sur dix mois, ce qui fait tout de même beaucoup. En même temps que ce montant, est révélé le fait qu’une partie des facturations sont imputables à son fils, et qu’une autre partie correspondrait à des déplacements personnels de Mme Saal.

 

 Mme Saal a déjà subi, et risque de subir encore les conséquences de cette affaire. Elle a fait l’objet d’une exclusion de la fonction publique, et l’affaire (ainsi qu’une autre affaire de frais de taxi dans sa fonction précédente) pourrait avoir un volet pénal. Le fait qu’elle ait remboursé une partie des frais de taxi est anecdotique.

Au-delà de la question juridique, l’affaire des notes de taxi de Mme Saal a bien sûr été emblématique. Voilà un haut fonctionnaire, du secteur de la culture qui plus est, secteur déjà suspecté d’utiliser les ressources publiques à des fins discutables (car la culture et l’art font l’objet d’appréciations subjectives), qui « roule carrosse » aux frais du contribuable. Qui a une voiture de fonction avec chauffeur. Et qui dépense quand même plusieurs Smic annuels en taxi. Et qui fait cela aussi pour des déplacements personnels. Et qui en fait profiter ses proches. Cela fait beaucoup. Viennent de surcroît prendre sa défense publiquement des responsables du secteur de la culture, entretenant l’idée d’une solidarité de classe (je laisserai à d’autres le soin d’analyser le soutien apporté par la CGT Culture).

L’affaire revient sur le devant de la scène avec une interview donnée au journal Le Monde par Mme Saal (édition du 12 janvier 2016).

 Au-delà de l’exercice de contrition (« Je comprends bien sûr cette indignation », « J’assume cette faute, je la regrette à un point infini », etc.), on appréciera le travail de communication qui est réalisé.

Mais revenons sur quelques-uns des aspects juridiques de l’affaire et de la défense que Mme Saal développe dans son interview.

L’intérêt social de l’INA.

Du point de vue juridique, l’affaire des notes de taxi place Mme Saal dans la classe assez large de ceux qui utilisent dans un intérêt personnel des moyens qui leur ont été attribués à des fins professionnelles. Elle rejoint ainsi le dirigeant d’entreprise qui invite sa famille au restaurant avec la carte bancaire de sa société, ou le salarié qui prend du mobilier de bureau dans son entreprise et le rapporte à son domicile.

 Juridiquement, il y a incontestablement faute. Que l’on soit salarié ou dirigeant, que la structure concernée soit privée ou publique, le fait d’utiliser à des fins personnelles les moyens mis à disposition dans un but professionnel constitue une faute. Il y a faute civile, mais il y a sans doute aussi faute pénale. Des infractions pénales spécifiques existent à cet égard, les plus connues étant celle d’abus de confiance et d’abus de biens sociaux.

Le texte le plus à même de s’appliquer à notre affaire de taxis est l’article 432-15 du Code pénal, qui sanctionne de dix ans d’emprisonnement et un million d’euros d’amende « le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public (…) de détruire, détourner ou soustraire un acte ou un titre, ou des fonds publics ou privés, ou effets, pièces ou titres en tenant lieu, ou tout autre objet qui lui a été remis en raison de ses fonctions ou de sa mission ».

Ajoutons qu’en tant que responsable d’une structure publique, Mme Saal est dans une position d’agent, au sens économique du terme. Elle ne gère pas ses propres deniers, mais des fonds qui lui sont remis pour un usage déterminé, dans un intérêt distinct de son intérêt personnel. Il lui appartient d’agir dans l’intérêt social de la structure qu’elle dirige, en l’occurrence l’INA, et d’être vigilante dans l’utilisation de cet argent qui ne lui appartient pas. C’est d’ailleurs pour cela que sa défense n’est pas très heureuse lorsqu’elle indique qu’elle ne prêtait aucune attention au montant de ses dépenses de taxi…

Une défense Kerviel/Platini.

Dans ce bel exercice de communication qu’est l’interview donnée par Mme Saal au Monde, on voit apparaître une ligne de défense déjà vue dans l’affaire Kerviel. Que disait à ses juges le trader breton ? Ils ne m’ont pas arrêté, les systèmes de contrôle n’ont pas fonctionné, ou bien ils étaient trop faciles à contourner… Défense surprenante qui peut être rapprochée – et l’a été au cours du procès de Jérôme Kerviel – de celle du cambrioleur qui reproche à ses victimes d’avoir insuffisamment protégé leur domicile.

C’est bien une « défense Kerviel » que met en œuvre Mme Saal lorsqu’elle dit : « A aucun moment on ne vient me dire : « Attention, les montants sont trop élevés, certaines courses semblent anormales… ». Les processus de cadrage et d’alerte ne fonctionnent pas ».

Il n’est pas sûr que cette défense soit très pertinente, d’autant qu’à la différence de Jérôme Kerviel qui pouvait tenter de jouer de son image de « petit trader », emporté par la grosse machine bancaire qui lui avait fait perdre la tête, Mme Saal était la présidente de l’INA. Il n’y avait donc personne au-dessus d’elle. Il n’est pas évident d’imaginer qu’un cadre travaillant sous ses ordres aurait pu lui demander des comptes sur son dernier voyage en taxi…

Elle complète cependant sa défense par un argument dont l’avenir dira s’il était bien choisi, et qui est emprunté quant à lui à la défense de Michel Platini. On se souvient que dans une interview donnée au Monde, là encore, M. Platini expliquait en substance (à propos du versement que la FIFA lui a fait et qui est à l’origine de ses déboires actuels) que l’argent n’avait pas d’importance pour lui.

C’est à peu près la même chose que nous dit Mme Saal : « Je ne voyais pas moi-même le détail de mes courses, je n’y pensais même pas. Quand je montais dans le taxi, je ne regardais pas le compteur, car je travaillais. Je regardais mes parapheurs, mon téléphone… J’aurais dû exercer un autocontrôle. Je ne l’ai pas fait ».

On peut déjà donner une indication utile à Mme Saal, qui lui servira lorsqu’elle devra prendre des taxis et les payer elle-même : ce n’est pas lorsque l’on monte dans un taxi qu’il est utile de regarder le compteur, mais plutôt lorsque l’on se prépare à en descendre ! Au-delà de la plaisanterie, est-il crédible de dire que l’on n’attache pas d’importance à la dépense que l’on engage ?

On se dit tout de même que les deniers publics ne sont pas gérés avec une grande attention.

Si ce n’est moi, c’est donc… mon fils.

Le bel exercice de communication connaît par ailleurs un passage plus faible lorsque Mme Saal explique avoir commis une erreur en ne vérifiant pas les conditions dans lesquelles son fils utilisait le code de l’abonnement taxi qu’elle lui avait remis « en cas d’urgence ».

On ne sait pas, et l’on ne veut pas savoir, qui est le fils de Mme Saal ni quel est son âge. S’agit-il d’un petit enfant blond qui mange innocemment une barre chocolatée, assis avec son gros cartable à l’arrière d’un taxi le ramenant de l’école où sa maman qui travaille tard n’a pu aller le chercher ? Ou s’agit-il d’un jeune Frédéric Beigbeder avachi sur la banquette, rentrant de boîte de nuit au bras de sa dernière conquête éphémère à laquelle il explique que c’est ce cochon de contribuable qui paye la course ?

Peu importe, mais la défense consistant à reporter la faute sur son enfant n’est en toute hypothèse pas très glorieuse.

Elle est de surcroît assez peu crédible, car l’on parle de centaine d’heures de taxi, le montant des dépenses imputées au jeune Saal étant de 6.700 euros sur la période des dix mois litigieux.

Cela fait quand même beaucoup d’argent de poche non vérifié…

Bruno DONDERO

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Apprendre le droit avec Myriam El Khomri: le renouvellement du CDD

Il n’est pas facile d’être ministre, et notamment d’être ministre du travail en 2015. On est ministre d’un monde scindé entre les salariés et les employeurs, ministre d’une relation qui, si elle n’est pas par principe conflictuelle, repose sur une opposition d’intérêts entre celui qui met sa force de travail à disposition, et attend en retour un moyen de subsistance, et celui qui utilise cette force de travail. Depuis quelques mois, il est question d’une refonte à venir du Code du travail, qui a été promené par les responsables politiques sur les plateaux télévisés, pour montrer combien il était devenu obèse et par conséquent difficile à comprendre et à appliquer. Passons sur le fait que c’est un Code du travail des éditions Dalloz qui a fait les frais de cette exposition en place publique, et que cet ouvrage rassemble des textes, et pas seulement ceux du Code du travail, mais aussi beaucoup de résumés de jurisprudence.

Bref, c’est une mission difficile, et elle suppose de connaître aussi le droit applicable au monde du travail. Pour être ministre du travail, faut-il alors être titulaire d’un master 2 de droit social ou avoir fait une thèse sur le contrat de travail ? On se dira que le droit du travail changeant très vite, cela n’est sans doute pas indispensable, car ce que l’on a appris est vite obsolète.

Mais il est tout de même des connaissances de base qu’il est indispensable d’avoir, surtout lorsque l’on va prendre des risques à la télévision.

Qui allumait son poste de télé jeudi 5 novembre au matin sur BFMTV, dans l’émission de Jean-Jacques Bourdin, ce discret journaliste aux questions posées avec subtilité et sans insistance, tombait sur une scène qui rappelle un peu les oraux à la Faculté de droit. Je dis « qui rappelle un peu », car il n’est pas si fréquent que ça de secouer les étudiants de cette manière.

Cette scène voit donc la ministre du travail, Myriam El Khomri, se faire interroger par le sympathique Jean-Jacques sur le nombre de renouvellements possibles d’un contrat de travail à durée déterminée (CDD). L’idée étant que le droit du travail français doit trancher entre deux impératifs. L’entreprise, d’un côté, doit pouvoir recruter des salariés en fonction de ses besoins, et si elle n’est pas assurée de conserver une activité de manière indéfinie, elle doit pouvoir recourir à des contrats dont la durée est limitée dans le temps, des CDD donc. Le salarié, de l’autre côté, se trouve dans une situation de dépendance à l’égard de l’entreprise, et il ne faut pas qu’il soit maintenu trop longtemps dans l’état de précarité relative que constitue le CDD. Si plusieurs CDD s’enchaînent, se pose alors la question de la conclusion d’un contrat à durée indéterminée (CDI), porteur de plus de stabilité pour le salarié.

Le grand mérite de la scène qui s’est jouée sur BFMTV et qui va continuer à se jouer quelque temps sur les réseaux sociaux est de permettre d’apprendre une règle de droit à tout un pays.

Précisons que l’article L. 1243-13 du Code du travail, tel que modifié par la loi du 17 août 2015, dispose :

« Le contrat de travail à durée déterminée est renouvelable deux fois pour une durée déterminée.

La durée du ou, le cas échéant, des deux renouvellements, ajoutée à la durée du contrat initial, ne peut excéder la durée maximale prévue à l’article L. 1242-8.

Les conditions de renouvellement sont stipulées dans le contrat ou font l’objet d’un avenant soumis au salarié avant le terme initialement prévu.

Ces dispositions ne sont pas applicables au contrat de travail à durée déterminée conclu en application de l’article L. 1242-3. »

On peut expliquer ce texte sur un blog, mais ce ne sera jamais aussi percutant, et cela ne marquera pas autant les esprits, que le genre d’échanges vus à la télé jeudi dernier.

Il est d’ailleurs drôle de retrouver ensuite, dans la bouche de la ministre, un peu les mêmes phrases que prononcent les étudiants qui viennent de rater un oral. Sur BFMTV, plus tard dans la journée, elle a indiqué que le chiffre de trois qu’elle citait était en fait la bonne réponse, car elle pensait non pas au nombre de renouvellements, mais en réalité au nombre total de contrats…

Ce vendredi matin, la presse indique qu’elle reconnaît avoir « merdé » (sic), ce qui est une appréciation assez honnête de l’effet rendu par sa prestation télé. Elle a indiqué aussi ne plus consulter les réseaux sociaux.

Le monde politique est d’ailleurs resté assez silencieux sur l’événement. Je pense que tous nos responsables sont occupés à réviser les chiffres de base qui ne manqueront pas de leur être demandés dans les prochains jours : quelle durée maximum pour une garde à vue ? Combien d’actionnaires au minimum dans une société anonyme ? Et ainsi de suite…

J’avoue ne pas avoir vu l’émission en son intégralité, mais je tremble pour la ministre, puisque la minute que dure l’extrait se termine par une nouvelle question de l’examinateur, dont on n’entend que le début : « Heures supplémentaires défiscalisées… ». En bref, notre étudiante malheureuse en droit du travail tombe sur un examinateur qui, en plus d’être peu commode, est particulièrement cruel, puisqu’il commence par les questions les plus faciles et enchaîne, quand la candidate est en difficulté, avec les plus complexes…

J’avais suggéré dans un article précédent qu’Enora Malagré et Cyril Hanouna fassent des cours de droit dans l’émission Touche pas à mon poste. Jean-Jacques Bourdin m’a visiblement entendu, mais attention M. Bourdin, il ne faut pas faire passer les examens avant d’avoir commencé les cours !

Bruno DONDERO

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Apprendre le droit avec la série Dix Pour Cent

Après Cyril Hanouna, Michel Platini, les Sopranos, nous continuons notre tour des cours de droit originaux, avec la série Dix Pour Cent.

Il s’agit d’une fiction française actuellement diffusée sur France 2, qui voit son intrigue se dérouler dans une agence d’acteurs. Les personnages principaux sont quatre agents et leurs collaborateurs, et chaque épisode est centré sur une guest star, en l’occurrence un acteur ou une actrice jouant son propre rôle. C’est ainsi Audrey Fleurot qui joue son rôle dans l’épisode Audrey, diffusé le mercredi 21 octobre.

Pour les juristes, cette série est intéressante car elle comporte parfois des références au droit, et cela est particulièrement vrai pour l’épisode Audrey. On peut relever les différentes références juridiques présentes dans cet épisode, et on peut se demander quel est leur sens exact.

1ère référence : « Dix pour cent ».

La profession d’agent d’acteur fait partie de la catégorie plus large des agents artistiques, qui sont régis par le Code du travail, celui-là même que l’on veut simplifier aujourd’hui. Au sein de ce Code, deux articles se suivent, qui ont l’air contradictoire. Le premier, l’article R. 7121-6 dispose que le mandat conclu entre un artiste et son agent est « établi à titre gratuit ». L’article suivant, R. 7121-7, dispose quant à lui que « L’agent artistique perçoit en contrepartie de ses services, dans les conditions fixées par le mandat mentionné à l’article R. 7121-6, une rémunération calculée en pourcentage des rémunérations, fixes ou proportionnelles à l’exploitation, perçues par l’artiste », et que ces sommes ne peuvent en principe « excéder un plafond de 10 % du montant brut des rémunérations » perçues par l’artiste.

Voilà donc où trouve sa source le chiffre de 10% qui donne son nom à la série et qui constitue comme on le voit un maximum. L’agent artistique n’est pas le seul à se voir imposer un tel plafond de rémunération, que l’on retrouve pour l’agent sportif. La saison 2 de Dix Pour Cent se déroulera-t-elle dans le milieu sportif ?

Clin d’œil au droit fait par Dominique Besnehard, cité par le magazine GQ (nov. 2015, p. 100) : « On est passé de l’artisanat de l’imprésario à un rôle de juriste et d’homme d’affaires. Les contrats faisaient dix pages, ils en font quatre-vingts. La culture a été remplacée par le culot, à l’américaine. Je suis content d’avoir arrêté au bon moment ». Les juristes attentifs à l’image des métiers du droit noteront que la citation de M. Besnehard est par ailleurs reproduite en rouge et en très gros en milieu de page… mais réduite à la première et à la dernière phrase, ce qui déforme quelque peu le propos cité.

A ceux qui trouveront qu’un professeur de droit ne devrait pas citer le magazine GQ, je répondrai que la lecture de ce numéro particulier est au contraire recommandée aux juristes, car elle comporte le fameux « Top 30 » du barreau, sous la plume entre autres de Marine Babonneau, rédactrice des éditions Dalloz. A quand la rubrique « Jurisprudence » dans GQ ?

2ème référence : les manuels de droit.

Cette référence est visuelle, et on la retrouve dans d’autres épisodes. Le bureau de l’un des agents, Mathias, contient une étagère abritant quelques ouvrages juridiques. L’œil exercé de qui fréquente depuis longtemps les bibliothèques de droit repère un précis Montchrestien, rouge et blanc, et un manuel LGDJ vert. Pour le premier ouvrage, il me semble qu’il s’agit du Droit des obligations d’Alain Bénabent. Quant au second, il s’agit d’un ouvrage de droit civil. Précisément, c’est le manuel écrit par les professeurs Pierre Voirin et Gilles Goubeaux. Simplement, la couleur vert pâle de sa couverture et la taille des caractères du titre indiquent que c’est une édition qui a presque vingt ans. Attention, cher Mathias, à ne pas utiliser d’ouvrages qui ne sont pas à jour dans votre activité d’agent ! Le second ouvrage est d’ailleurs très synthétique et sert a priori davantage aux révisions d’un étudiant qu’à un usage professionnel. C’est sans doute un souvenir des études de Mathias.

Mathias

3ème référence : le droit fiscal.

La deuxième référence emprunte au droit fiscal. L’agence ASK fait l’objet d’un contrôle, et une inspectrice des impôts s’invite pour quelques jours dans les locaux. Simplement, elle décide d’opérer aussi des vérifications dans les domiciles respectifs des différents associés, à 7 heures du matin, vérifiant si les costumes d’un associé « correspondent bien avec ses frais ».

Je ne suis pas spécialiste du droit fiscal, mais je ne suis pas sûr qu’une descente-surprise soit aussi facile que cela chez l’associé d’une société soumise à un contrôle fiscal. En outre, le message donné n’est pas opportun, car il est sous-entendu que les costumes achetés pour se rendre au bureau seraient pris en compte dans le calcul des impôts, au titre des frais déductibles, faut-il comprendre. Or ce n’est que de manière limitée que les vêtements de travail sont déductibles, du moins selon l’administration fiscale. Pour faire simple, sont concernés les seuls vêtements « spéciaux », comme la robe des avocats, et pas les vêtements portés dans les circonstances courantes de la vie (http://bofip.impots.gouv.fr/bofip/4628-PGP.html?identifiant=BOI-BNC-BASE-40-60-60-20130208).

4ème référence : la déclaration sous forme de pléonasme.

Passons sur la déclaration faite un peu plus tard par Mathias à ses associés qui le menacent d’un procès, déclaration digne d’une mauvaise copie de première année : « Juridiquement, j’ai tous les droits ».

Dans le même genre, c’est-à-dire le pléonasme, on peut aussi dire : « Financièrement, je suis le plus riche », ou « Sentimentalement, c’est vous que j’aime », etc.

5ème référence : l’abus de biens sociaux.

Autre référence juridique, plus intéressante celle-là : les associés découvrent que Samuel, le fondateur de l’agence, qui meurt au début de la série, « louait une chambre à l’année à l’Hôtel Saint-Georges ». Simplement, la location était supportée par la société.

Cela donne lieu à un dialogue savoureux entre deux des associés de l’agence :

Il payait avec l’argent de l’agence, ce qui s’appelle…

– Un lupanar !

– Non, un abus de bien social.

La crainte vient de ce que l’inspectrice des impôts risque de découvrir cela. Elle dit d’ailleurs un peu plus tard : « Vous avez essayé de masquer un abus de bien social ». Notons au passage que l’on parle généralement de l’abus des biens sociaux (ABS) au pluriel, mais c’est un détail.

La vraie question est : en quoi l’ABS intéresse-t-il une inspectrice des impôts ? Elle pourrait certes en communiquer l’existence à la justice pénale. Mais il y a une autre incidence. Ce qui est un abus de biens sociaux, en droit pénal, est pour le fisc un acte anormal de gestion. Commettre un ABS est puni de cinq ans d’emprisonnement et d’une lourde amende, au plan pénal. Au plan fiscal, un acte anormal de gestion entraîne l’impossibilité de déduire du revenu imposable les sommes concernées.

6ème référence : la clause de confidentialité et le rapport créancier/débiteur.

Dernière référence : Audrey Fleurot se fait rémunérer, selon l’intrigue de l’épisode, 20.000 euros pour accompagner un milliardaire russe lors de sa soirée d’anniversaire, et elle se retrouve ensuite en couverture de la presse people. Elle dit à son agent qu’elle compte bien faire un procès au milliardaire car elle a « signé une clause de confidentialité » et a « une preuve écrite ».

Mathias lui donne cependant un cours accéléré de droit des contrats : « Confidentialité pour vous, pas pour eux ». Toute la différence entre être débiteur et être créancier, en somme…

Conclusion.

Cette série n’est bien entendu pas seulement intéressante par ses références juridiques. Elle montre aussi que le rôle de l’agent est multiforme, et finalement très difficile à définir. Ainsi quand Audrey Fleurot charge son agent Mathias de prévenir l’administration fiscale du prochain paiement de ses impôts parce qu’elle a « une phobie administrative », en référence à l’affection qui frappe parfois jusqu’à de hauts dirigeants politiques, ou quand ledit agent l’accompagne à un rendez-vous à Bercy, on peut se demander où s’arrête finalement le rôle de l’agent.

Bruno DONDERO

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FIFA: apprendre le droit des contrats avec Michel Platini et Sepp Blatter

Ces derniers jours, le versement de deux millions de francs suisses (1,84 million d’euros) fait en 2011 par Sepp Blatter à Michel Platini est au cœur des débats. Ce paiement, fait par la FIFA en réalité, est à l’origine de la suspension de 90 jours prononcée par le comité d’éthique de l’organisation.

Ce qui est intéressant pour les juristes, ce sont surtout les déclarations faites par Michel Platini et Sepp Blatter sur le paiement intervenu.

Le « gentlemen’s agreement » de la FIFA.

M. Blatter a tout d’abord déclaré qu’il s’agissait d’un gentlemen’s agreement. Il a déclaré précisément: « C’était un contrat que j’avais avec Platini, un gentlemen’s agreement, et il a été mis en œuvre, je ne peux pas donner de détails« .

Il y a une petite contradiction dans le fait d’avoir un contrat, au sens juridique, et un gentlemen’s agreement, qui est un engagement d’honneur, pris en dehors du droit et en principe insusceptible d’exécution par les voies de droit.

Il y a aussi un détail, qui est que l’accord a été pris non par M. Blatter mais par la FIFA.

Il n’est pas impossible qu’une personne morale prenne un engagement d’honneur, mais ce point mérite d’être souligné, d’autant que les intéressés n’ont visiblement pas une conscience parfaite de la distinction. Ainsi, quand Michel Platini est interviewé par le Monde, il évoque le fait que « Blatter (…) me devait de l’argent« .

L’ambiguïté tient aussi à ce que Michel Platini rapporte que Sepp Blatter lui avait demandé d’être « son conseiller pour le foot », ce qui pourrait suggérer une relation plus personnelle.

L’objet de l’obligation contractée par la FIFA.

Lorsque l’on conclut un contrat, il est une condition qui est celle de l’objet de l’obligation. Il faut savoir à quoi l’on s’engage. Si je m’engage à « faire quelque chose » pour vous, nous n’avons pas un contrat valable. Cela ne veut pas dire qu’il faut nécessairement que tout soit défini de manière préalable. Nous pouvons nous mettre d’accord, dans certains contrats, sur le fait que la prestation sera effectuée, et que le prix sera communiqué par la suite. Cela donnera peut-être lieu à des difficultés d’ailleurs, dès lors que celui qui recevra la facture pourra être surpris et en contester le montant, ce qu’il aurait moins facilement fait s’il avait donné préalablement son accord.

Mais le contrat conclu par Michel Platini était très étonnant, voire unique, puisqu’il avait demandé… « un million », mais sans préciser un million de quoi. C’est cet échange improbable, intervenu en 1998 quand Sepp Blatter lui propose d’être son conseiller pour le football que rapporte Michel Platini dans l’interview qu’il donne dans le Monde à la talentueuse Raphaëlle Bacqué.

« Combien tu veux? » demande Blatter.

Je réponds: « Un million ».

« De quoi? »

« De ce que tu veux, des roubles, des livres, des dollars ».

Il répond: « D’accord, 1 million de francs suisses par an ».

Dans cet échange, passent les unes après les autres des devises très diverses, correspondant à des montants très éloignés. Au 31 décembre 1998, un million de livres (en admettant que Michel Platini parle bien de livres sterling) équivalent à plus de 15 millions de roubles.

C’est finalement sur le franc suisse que s’arrête Blatter, qui est à mi-chemin entre les livres et les roubles, puisqu’il vaut à l’époque 6,66 roubles.

En réalité, comme le dit Michel Platini, il donnait à Sepp Blatter le choix du montant de sa rémunération.

Notons d’ailleurs que cette rémunération va poser un autre problème, qui est celui de son montant (v. infra).

Le contrat oral qui vaut comme un contrat écrit.

Dans l’interview qu’il donne au Monde, Michel Platini répond à la critique reposant sur le fait que son contrat n’existe pas. Cela permet de mettre le doigt sur la différence qui existe entre les deux sens du mot « contrat ». Un contrat est un accord, un negotium, et ce peut être aussi un instrumentum, une manifestation matérielle du contrat, par exemple un écrit signé des parties. Tous les contrats donnent lieu à un accord, mais tous ne donnent pas lieu à une trace écrite.

Michel Platini nous dit: « J’ai appris depuis qu’en droit suisse, un contrat oral vaut comme un contrat écrit« .

Pour le juriste, cela suscite deux observations.

La première est celle de la distinction entre le contrat et sa preuve. Votre contrat est peut-être valable sans écrit, mais l’absence d’écrit rend difficile d’établir son existence. Voilà pourquoi l’instrumentum est utile. Voilà d’ailleurs pourquoi en droit français, le principe est la nécessité d’un écrit pour les contrats de plus de… 1.500 euros! Sans écrit signé des parties lorsque celui-ci est exigé, vous ne pouvez tout simplement pas obtenir l’exécution forcée du contrat si l’autre partie se refuse à l’exécuter. Cela ne veut pas dire que le contrat n’existe pas, ou qu’il n’est pas valable (sauf si un texte spécial demande la forme écrite comme condition de validité), mais si le montant de la somme à payer en vertu du contrat est contesté, il ne sera pas possible d’obtenir l’exécution de ce qui avait été convenu.

La seconde observation est relative à l’utilité des avocats. Michel Platini nous dit: « Cela fait longtemps que je n’ai plus ni avocat ni agent qui négocient pour moi« . Certes, mais signer, pardon, conclure un contrat pour des montants aussi importants, et ne découvrir qu’après coup que ce contrat est valable sous forme orale est une prise de risque que la présence d’un avocat aurait évitée. L’écrit aurait aussi permis de clarifier les innombrables questions que la conclusion d’un contrat aussi important ne manque pas de poser. La FIFA, par exemple, a-t-elle remboursé des sommes à Michel Platini au titre des frais engagés par lui (il indique: « j’accompagne beaucoup Blatter dans ses voyages« ) ? Si c’est le cas, l’a-t-elle fait sur le fondement de ce contrat dont il n’y a pas de trace ? Et ce contrat relevait-il vraiment du droit suisse ? Autant de difficultés qu’un écrit aurait permis de prévenir.

Le montant de la rémunération et la prescription.

Le dialogue rapporté par Michel Platini est intéressant.

Sepp Blatter lui dit après quelques mois qu’il ne peut pas le payer un million de francs suisses « à cause de la grille des salaires« . Il lui dit: « Tu comprends, le secrétaire général gagne 300.000 francs suisses. Tu ne peux pas avoir plus de trois fois son salaire. Alors on va te faire un contrat pour 300.000 francs suisses et on te donnera le solde plus tard« .

On peut ainsi s’affranchir de la « grille des salaires » en payant « plus tard »…

Ce « plus tard » est à l’origine d’une autre difficulté. Car Michel Platini a travaillé jusqu’en 2002 et ne demande à être payé qu’en 2011. Or, selon ses dires, sa créance aurait alors été prescrite, et comme il le dit justement « on peut refuser d’honorer une dette » lorsqu’elle est atteinte de prescription.

Autre point surprenant de cette relation contractuelle: le paiement par la FIFA de sommes dépassant la grille des salaires et atteintes par la prescription.

Il n’est pas interdit de payer une dette prescrite. On peut simplement se demander si le dirigeant d’une personne morale qui honore un tel engagement sans sourciller ne porte pas atteinte à l’intérêt de la personne morale.

Il faut simplement espérer que le paiement d’une dette 1) prescrite 2) dépassant la grille des salaires et 3) correspondant à un contrat non écrit soit licite au regard du droit applicable, qu’il s’agisse du droit suisse des contrats ou des règles applicables à la FIFA…

Bruno DONDERO

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