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Apprendre le droit avec l’histoire: négocier un contrat (l’Armistice 14-18)

Dans son édition du 17 juillet dernier, le journal Le Monde consacre à la négociation de l’Armistice du 11 novembre 1918 un très riche article rédigé par Gérard Courtois.

La négociation qui a précédé la signature de l’accord est intervenue du vendredi 10 novembre 1918 à 10h jusqu’au samedi 11 novembre à 5h12 du matin. Elle a mis face-à-face, dans un wagon en forêt de Compiègne, près de Rethondes, les quatre représentants de l’Allemagne et ceux des Alliés (Foch, accompagné d’officiers supérieurs français et anglais). L’accord signé, la première Guerre mondiale était terminée.

 

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« J’avais quelques propositions de modification… »

 

Au-delà de l’intérêt de l’événement historique, le récit est passionnant pour qui s’intéresse au phénomène du contrat, car c’est bien à la signature d’un contrat que les parties à la négociation entendent parvenir. Ce sont ici des Etats qui négocient, mais le récit de cette négociation est riche d’enseignements sur ce qu’il est possible de faire face à une partie refusant toute ouverture, ou sur la manière d’assouplir l’engagement pris, entre autres. Et ces enseignements valent pour toute négociation, entre entreprises du secteur privé ou entre particuliers.

1er conseil : bien choisir le responsable de la négociation.

Les Allemands ont donné la présidence de leur délégation à Matthias Erzberger, ministre sans portefeuille, en lieu et place du général auquel ce rôle devait être initialement attribué. Ce n’est pas tant pour sa compétence que cet homme politique a été choisi, mais parce que l’état-major ne souhaite pas assumer directement la responsabilité d’une négociation vue comme humiliante.

Il est vrai que la responsabilité de la conclusion d’un mauvais accord peut peser lourdement sur le négociateur en chef. Politiquement, dans la vie des affaires, il est intéressant, si l’on sait que la conclusion d’un contrat désavantageux est inévitable, d’en attribuer la responsabilité à un bouc émissaire, qui préservera, au moins au sein de l’entreprise, le crédit du grand dirigeant.

2ème conseil : adopter la bonne posture de négociation.

Les Allemands sont là parce qu’ils n’ont pas le choix. Leurs alliés ont déjà arrêté de se battre, leurs armées reculent de tous côtés, et si un accord n’est pas trouvé, l’Allemagne va être envahie. Le pays, affamé par un blocus, est d’ailleurs en proie à une crise politique gravissime (émeutes, insurrection, mutineries, qui vont conduire à l’abdication du Kaiser et au changement de régime). Bref, les négociateurs allemands doivent repartir avec un armistice signé, et le plus vite possible.

Les Alliés n’ont pas cette urgence, et ils peuvent donc se présenter comme n’ayant pas la volonté de conclure un accord, et encore moins de négocier.

« Qu’est-ce qui amène ces messieurs ? Que désirez-vous de moi ? » sont les mots par lesquels Foch accueille la délégation allemande. Les Allemands répondent qu’ils  « attendent des propositions relatives à la conclusion d’un armistice sur mer, sur terre, dans les airs et sur tous les fronts« . Réponse de Foch : « Je n’ai pas de propositions à faire !« .

Laisser entendre à l’autre partie, qui veut la conclusion du contrat, que l’on n’en a aucune envie, aucun besoin. « Vous voulez acheter ma maison ? Mais elle n’est pas à vendre ! » ou bien « Venir travailler dans votre entreprise ? Mais je suis très bien là où je suis ! ».

Une fois que l’on a posé ce cadre et pris la position avantageuse de celui qui refuse par principe la conclusion de l’accord, il est plus facile de refuser le détail des clauses qui ne nous plaisent pas.

3ème conseil : négocier à partir de son modèle de contrat.

Une partie peut préparer, avant la négociation, le contrat le plus avantageux pour elle. La négociation a alors pour objectif de s’éloigner le moins possible de ce contrat idéal. Si la partie qui a rédigé ce document est en position de force par rapport à l’autre partie, elle peut adopter la position « à prendre ou à laisser » : soit vous signez mon contrat-type, soit vous allez voir ailleurs.

On appelle cela, en droit des contrats, un contrat d’adhésion.

La notion, connue depuis longtemps, a été consacrée dans notre Code civil par la réforme du droit des contrats de 2016/2018. Une définition a été donnée en 2016, se référant aux « conditions générales », une seconde a été retenue en 2018 : aux termes de l’art. 1110 du Code civil, le contrat d’adhésion est « celui qui comporte un ensemble de clauses non négociables, déterminées à l’avance par l’une des parties » (définition en vigueur à compter du 1er octobre 2018).

Cette qualification de contrat d’adhésion a deux conséquences :
– s’il faut interpréter le contrat, cette interprétation se fait en faveur de la partie qui n’a pas rédigé le contrat (art. 1190 du Code civil);
– surtout, les clauses qui accordent un avantage excessif peuvent être remises en cause, puisque l’art. 1171 dispose que dans un contrat d’adhésion, « toute clause non négociable, déterminée à l’avance par l’une des parties, qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite« .

Après avoir fait semblant de ne pas vouloir conclure d’accord, Foch pose la question aux Allemands : « Demandez-vous l’armistice ?« . Réponse : « Nous le demandons« .

Foch ordonne alors à son chef d’état-major de lire, en français, les conditions de l’armistice.

La langue de négociation et de rédaction du contrat mériterait de plus amples observations, mais on comprend qu’on est avantagé quand on peut travailler dans sa langue maternelle.

L’accord à signer par les Allemands a donc été préparé par les Alliés, qui ont produit un document de 13 pages, et 34 articles, couvrant à la fois la question de la cessation des hostilités, mais aussi celle des réparations demandées aux Allemands, la livraison de matériels militaires et civils, l’occupation d’une partie du territoire allemand et l’évacuation de l’Afrique orientale.

Les Allemands veulent commencer la négociation.

Foch leur répond qu’il n’est aucunement permis de négocier les conditions de l’armistice. L’Allemagne doit accepter ou refuser de signer, point.

C’est donc bien un contrat d’adhésion.

 

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4ème conseil : créer les espaces de négociation.

L’autre partie a préparé le contrat, elle vous le présente comme non négociable, et refuser de le signer n’est pas une option pour vous (vous avez un besoin vital de conclure ce contrat)… que faire ? Il vous faut arriver à négocier quand même le contrat, pour réduire les avantages de l’autre partie.

Pour cela, il faut ouvrir un espace de négociation.

Le négociateur allemand veut ouvrir cet espace, mais on lui dit qu’il n’y aura pas de négociations. Il obtient tout de même de pouvoir faire connaître ses « observations » au général Weygand, qui est l’un des membres de l’équipe de négociation des Alliés.

C’est donc (1) sous couvert de faire des observations et (2) par le biais d’un membre du groupe de négociation des Alliés que les Allemands vont parvenir à ouvrir l’espace de négociation.

Et les Allemands vont effectivement en profiter, puisque Matthias Erzberger écrira ensuite : « A propos de presque chaque article de l’armistice, j’essayais d’obtenir de nouvelles atténuations« . Et il y parvient : la zone neutre sur la rive gauche du Rhin, que les Alliés voulaient de 30 kilomètres, n’en fera plus que 10, ce ne sont pas 10.000 camions qui seront livrés, mais 5.000, pas 2.000 avions, mais 1.700, et ainsi de suite.

Les Alliés étaient-ils, en réalité, désireux de laisser les Allemands négocier ? Le fait de passer par le général Weygand permet au maréchal Foch de conserver sa posture hostile à toute négociation.

5ème conseil : négocier même après la conclusion de l’accord.

L’Armistice vient d’être signé. Mais la négociation n’est pas terminée. Matthias Erzberger se lève et lit un texte dont il demande l’annexion à l’accord !

« Le gouvernement allemand s’efforcera naturellement de veiller de toutes ses forces à l’exécution des conditions imposées… » lit-on notamment dans ce texte complémentaire.

« Conditions imposées » : les Allemands posent ainsi un témoin du fait que l’armistice s’est fait à des conditions auxquelles ils n’ont pas consenti.

« Veiller de toutes ses forces à l’exécution des conditions » : c’est une distinction classique du droit des contrats que les Allemands tentent d’introduire – la distinction entre les obligations de moyens et les obligations de résultat. Si je vous promets un résultat (vous livrer 1.700 avions, par exemple), il n’y a pas de marge de discussion si vous ne recevez pas la prestation promise, et je subirai, en tant que contractant coupable d’inexécution, toutes les conséquences en termes de responsabilité contractuelle, pénalités, etc. Mais si mon engagement n’est que de moyens, ma responsabilité sera moins évidente. Si je n’ai pris que l’engagement de « faire de mon mieux » pour vous livrer vos avions, je n’ai pas promis la livraison, j’ai promis un comportement diligent pour tenter de livrer les avions, ce qui n’est pas la même chose.

 

En conclusion, on rappellera que cet accord, négocié comme on vient de le voir d’une manière un peu particulière, avait avant tout pour mérite de mettre fin à un conflit qui avait causé la plus grande tragédie que l’Humanité avait – alors – connue. Malheureusement, les choses ne resteraient pas longtemps apaisées, le négociateur Erzberger étant d’ailleurs assassiné quelques années après l’Armistice par les membres d’une association pangermaniste.

Bruno DONDERO

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La réforme de la réforme du droit des contrats (suite et normalement fin)

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Les membres titulaires de la Commission mixte paritaire

 

L’Assemblée nationale et le Sénat n’avaient pas réussi à s’accorder sur le texte de la loi de ratification de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations. La commission mixte paritaire (CMP) qui s’est réunie ce matin est parvenue à trouver un accord entre députés et sénateurs. Le texte des articles est disponible ici.

Reprenons les différentes dispositions qui ont fait l’objet d’un accord, avant d’envisager la suite.

I – Formation et contenu du contrat.

L’offre est caduque en cas d’incapacité ou de décès de son auteur, mais aussi, comme le Sénat le souhaitait, en cas de décès de son destinataire (art. 1117 du Code civil).

Lorsque, dans les contrats de prestation de services, le prix est fixé unilatéralement par le créancier, le juge peut être saisi d’une demande de dommages-intérêts, comme l’art. 1165 le prévoyait, mais aussi d’une demande de résolution.

L’article 1166 n’aura quant à lui pas été modifié pour intégrer la notion d’attente raisonnable du seul créancier quant à la qualité de la prestation fournie, et il fera donc encore référence aux « attentes légitimes des parties ».

Sur les contrats d’adhésion et le sort des clauses abusives dans ces contrats, le dispositif de l’art. 1171 permettant de réputer une clause non écrite en ce qu’elle serait abusive car créant un déséquilibre significatif est modifié comme le voulait le Sénat : la clause abusive est nécessairement « non négociable, déterminée à l’avance par l’une des parties ». Rappelons que dans le même temps, l’article 1110 donne une définition du contrat d’adhésion qui retient qu’il « comporte un ensemble de clauses non négociables, déterminées à l’avance par l’une des parties » (mais les deux Chambres étaient tombées d’accord sur cette définition).

II – Exécution du contrat.

Sur la révision pour imprévision :

  • le juge conserve, comme le voulait l’Assemblée, le pouvoir de réviser le contrat, en plus de pouvoir y mettre fin, lorsque l’exécution devient excessivement onéreuse (art. 1195) ;
  • la rédaction de l’article L. 211-40-1 du Code monétaire et financier qui soustrait certaines opérations (celles portant sur les titres financiers et sur les contrats financiers) est celle de l’Assemblée nationale.

Précisons, mais les Chambres étaient d’accord, qu’il est précisé à l’article 1221 que le débiteur doit être de bonne foi pour que l’exception de disproportion manifeste entre le coût pour le débiteur et l’intérêt pour le créancier puisse s’opposer à une demande d’exécution forcée en nature.

L’article 1223 est modifié, et des différentes versions qui avaient été votées, c’est plutôt dans le sens de l’une des versions voulues par les députés que l’on s’est orienté. La rédaction définitive clarifie l’intervention du juge et le fait que chaque alinéa concerne une hypothèse différente (al. 1er : le créancier n’a pas encore payé tout ou partie de la prestation ; al. 2 : le créancier a déjà payé).

III – Entrée en vigueur.

L’article 15 de la loi de ratification définit dans quelles conditions le texte entre en vigueur, dans les termes qui avaient été retenus par l’Assemblée… à quelques nuances près.

Cela revient à reconnaître trois droits des contrats, de la preuve et du régime général de l’obligation, si l’on peut dire :

  • le droit antérieur à l’ordonnance, applicable aux contrats conclus avant le 1er octobre 2016 ;
  • le droit applicable aux contrats conclus entre le 1er octobre 2016 et jusqu’au 1er octobre 2018, qui est celui de l’ordonnance du 10 février 2016 non modifiée. Toutefois, une série de modifications opérées par la loi de ratification le sont avec un caractère interprétatif, ce qui doit leur donner un effet « rétroactif », et permettre leur application aux contrats conclus avant le 1er octobre 2018 (mais après le 1er octobre 2016) ;
  • le droit applicable aux « actes juridiques conclus ou établis à compter » du 1er octobre 2018, c’est-à-dire de l’entrée en vigueur de la loi de ratification. C’est ici une formulation retenue par la CMP, qui suscitera probablement quelques interrogations.

Une interrogation tient aussi à la manière dont la jurisprudence naissante intégrera cette nouvelle « tranche » de droit, alors qu’elle avait entrepris d’intégrer par anticipation certains aspects de l’ordonnance du 10 février 2016…

IV – Et après ?

L’article 45 de la Constitution dispose :

« (…) Le texte élaboré par la commission mixte peut être soumis par le Gouvernement pour approbation aux deux Assemblées. Aucun amendement n’est recevable sauf accord du Gouvernement.

Si la commission mixte ne parvient pas à l’adoption d’un texte commun ou si ce texte n’est pas adopté dans les conditions prévues à l’alinéa précédent, le Gouvernement peut, après une nouvelle lecture par l’Assemblée nationale et par le Sénat, demander à l’Assemblée nationale de statuer définitivement. En ce cas, l’Assemblée nationale peut reprendre soit le texte élaboré par la commission mixte, soit le dernier texte voté par elle, modifié le cas échéant par un ou plusieurs des amendements adoptés par le Sénat ».

Scénario le plus probable : la version adoptée par la CMP sera soumise rapidement aux deux Chambres, qui l’adopteront.

Restera certes l’hypothèse d’une saisine du Conseil constitutionnel, mais il semble que l’histoire de cette réforme, ou plus exactement l’histoire de l’adoption de cette réforme, touche à sa fin.

Pour le reste, ce nouveau droit des contrats n’en est qu’à ses débuts !

Bruno DONDERO

 

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Apprendre le droit avec Marine Le Pen (II): l’erreur de droit

 

Lors des débats qui ont eu lieu à l’Assemblée nationale lundi dernier, lors du vote en première lecture du projet de loi de ratification de l’ordonnance réformant le droit des contrats (ordonnance du 10 févr. 2016), Marine Le Pen s’est distinguée.

Elle a notamment réussi à manier le paradoxe par deux fois… à son détriment!

Le premier paradoxe de Marine Le Pen (rappel).

Une première fois, nous en avons parlé, lorsqu’elle a ardemment pris la défense de la notion d’objet du contrat, qui disparaît du Code civil du fait de la réforme. Malheureusement, en voulant défendre cette notion, elle a montré qu’elle la confondait avec une autre notion, la notion de cause.

Certes, on a souvent entendu : « Si vous avez compris la cause, c’est qu’on vous l’a mal expliquée », formule empruntée au défunt professeur Rouast.

Mais on a manifestement très bien expliqué l’objet et la cause à Marine Le Pen, tellement bien que la députée du Front national s’oppose avec vigueur (mais en vain) à la suppression de ces notions qu’elle confond !

Et l’erreur de droit, c’est quoi ?

L’ordonnance portant réforme du droit des contrats a consacré dans le Code civil, à l’article 1132, une notion que l’on connaissait depuis longtemps : l’erreur de droit comme cause de nullité d’un contrat.

En clair, si je conclus un contrat et que je commets une erreur sur les qualités essentielles de l’une des prestations, je n’ai pas donné valablement mon consentement et je peux demander en justice l’annulation du contrat.

Cette erreur peut porter sur des éléments de fait (je crois vous acheter un tableau certes vilain mais d’un grand peintre et c’est en réalité une croûte signée d’un parfait inconnu).

Elle peut aussi porter sur des éléments de droit (je crois acheter un véhicule autorisé à rouler sur les routes françaises, et celui-ci est d’un modèle qui a fait l’objet d’une interdiction ; je crois que la loi m’impose de rembourser le bien que vous aviez laissé chez moi et qui a été volé par un tiers, et je conclus avec vous une convention d’indemnisation alors que rien ne m’y oblige).

Tout n’est pas source d’annulation du contrat : il faut que l’erreur, de droit ou de fait, soit excusable.

Rien de nouveau, Maître Le Pen !

De manière étonnante (mais il faut bien vivre politiquement), lorsque Marine Le Pen présente l’article 1132 du Code civil contre lequel elle dépose un amendement, elle invoque, pour prétendre les combattre, toutes les forces qui représentent pour elle le Mal.

Ce pauvre article 1132 qui ne s’attendait pas à un tel traitement serait rien de moins qu’ « un nouvel exemple, assumé semble-t-il, de la globalisation du droit, à laquelle nous ne souscrivons pas ». Alors que « le droit est l’instrument premier de la souveraineté nationale, par laquelle chaque peuple, chaque pays, chaque nation peut déterminer ses propres règles normatives, régissant la vie de sa société », nous subirions aujourd’hui « l’influence considérable et croissante du droit américain », qui « du fait de la puissance économique américaine, impose à marche forcée l’introduction de concepts juridiques anglo-saxons dans notre droit ».

 

L’Europe est également du complot, sans doute là encore par le biais de l’infâme article 1132! Marine Le Pen rappelle que l’Union européenne impose « aux États membres une harmonisation du droit par l’introduction de la supériorité juridique des normes européennes sur toutes les normes nationales ». Si l’on excepte l’aspect dictatorial de l’Europe et le fait que le droit européen ne couvre que certains champs, c’est à peu près la seule chose juste dite par Marine Le Pen.

Surtout, les faiblesses de Marine Le Pen apparaissent lorsqu’elle expose que « l’erreur de droit, concept venant des pays anglo-saxons, est par définition totalement inconnue de notre droit français », et que « Parce que nul n’est censé ignorer la loi, l’erreur de droit n’existe pas »…

Il y a effectivement un principe en vigueur, qui est que par principe, nul ne peut se soustraire au droit en prétendant qu’il l’ignorait. Mais cela n’empêche pas les juges, depuis longtemps, de prononcer la nullité d’actes juridiques auxquels il n’a été consenti que du fait d’une conception erronée du droit applicable.

 

Le second paradoxe de Marine Le Pen.

Parce que Marine Le Pen n’a pas révisé son cours de droit des contrats de 2ème année, elle croit voir une nouveauté venue d’outre-Atlantique alors qu’il est admis depuis longtemps en droit français des contrats (comme dans d’autres droits européens) que l’erreur de droit peut être une cause de nullité du contrat.

Une recherche rapide dans la jurisprudence fait remonter des décisions qui dès la première moitié du 19ème siècle reconnaissent l’erreur de droit comme cause de nullité du contrat (Cass. civ., 12 mars 1845, par exemple).

Comme nouveauté et comme nouveauté venue de l’étranger, on fait mieux…

Surtout, Marine Le Pen nous offre un second paradoxe : en affirmant que l’erreur de droit n’existe pas, elle en commet une splendide !

Mais après tout, un avocat n’est pas censé tout connaître du droit, et Marine Le Pen pratiquait sans doute davantage le droit pénal que le droit des contrats.

Simplement, le Code pénal aussi connaît l’erreur de droit, à l’article 122-3 (« N’est pas pénalement responsable la personne qui justifie avoir cru, par une erreur sur le droit qu’elle n’était pas en mesure d’éviter, pouvoir légitimement accomplir l’acte »).

Alors « Nul n’est censé ignorer la loi », certes, mais on pourrait dire aussi que « Nul (député) n’est censé ignorer (autant) la loi (qu’il prétend faire modifier) » !

Bruno DONDERO

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Apprendre le droit avec Marine Le Pen: l’objet et la cause du contrat

 

L’examen en première lecture par l’Assemblée nationale du projet de loi de ratification de l’ordonnance du 10 février 2016 réformant le droit des contrats, de la preuve et le régime général des obligations a été l’occasion, lundi 11 décembre, de beaux échanges sur le droit des contrats.

Il a été question, comme on l’a évoqué hier sur ce blog, entre autres, du professeur Denis Mazeaud, de l’objet du contrat, de la simplification du droit, du doyen Carbonnier, de la cause, de la complexification du droit, des étudiants en droit, etc.

MLP

On a vu la France Insoumise prendre la défense de la théorie de la cause, pourquoi pas, mais on a aussi vu intervenir une députée qui devrait être particulièrement compétente pour parler du droit des contrats, puisqu’elle est avocate: Marine Le Pen.

Madame Le Pen est descendue dans l’arène pour dire qu’elle n’aimait pas le flou dans le droit, et pour défendre un amendement visant « à préciser que le contenu du contrat doit comporter un objet certain, c’est-à-dire l’existence réciproque d’une contrepartie à l’obligation de l’autre partie« . Elle ajoute: « En l’absence d’une contrepartie réelle, le contrat n’a plus d’objet« .

Ce faisant, notre juriste confond en réalité deux notions fondamentales du droit des contrats, à savoir l’objet (ce sur quoi portent les obligations des parties ou le contrat dans son ensemble) et la cause (ici la cause de l’obligation: l’obligation d’une partie constitue la contrepartie de l’obligation de l’autre partie – par exemple dans la vente, l’obligation du vendeur de transférer la propriété du bien vendu a pour contrepartie l’obligation de l’acheteur de payer le prix).

Lorsqu’on lit d’ailleurs « l’exposé sommaire » de l’amendement n° 11 que Marine Le Pen défend, on y retrouve mot pour mot la même confusion entre l’objet et la cause.

Ce sont là des notions fondamentales du droit des contrats, que l’on demandait jusqu’à présent aux étudiants en droit de maîtriser lors de l’étude du droit des contrats, en deuxième année. L’ordonnance du 10 février 2016 a fait disparaître ces notions pour les remplacer par le « contenu du contrat ». La notion a été critiquée, et l’avenir nous dira comment elle est interprétée.

Il reste que, de manière paradoxale, Marine Le Pen tente de barrer la route à un texte qui supprime du droit français des notions que manifestement elle ne maîtrise pas!

Bruno DONDERO

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Réforme du droit des contrats: l’Assemblée nationale en action !

Il est intéressant de suivre les évolutions du projet de loi de ratification de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

Le Sénat, on s’en souvient, avait apporté plusieurs modifications importantes au projet de loi initial, qui ne comportait il est vrai qu’un article unique, ratifiant purement et simplement l’ordonnance.

Le Gouvernement avait soutenu certains amendements, dont au moins deux très utiles:

  • celui ne faisant plus de l’utilité au regard de l’objet social un critère de validité des actes des personnes morales;
  • celui limitant à la représentation des personnes physiques le système de prévention des conflits d’intérêts de l’article 1161 du Code civil, qui posait la délicate question de sa coordination avec les règles applicables aux dirigeants des personnes morales, et notamment des sociétés.

Ces deux mesures sont maintenues dans le texte voté par l’Assemblée nationale en première lecture.

La lecture des discussions parlementaires est d’ailleurs passionnante, puisqu’on y cite abondamment Denis Mazeaud, qui avait déjà été mis à l’honneur avec le film d’Yvan Attal Le brio, et que l’on comprend que les réformes ne sont pas faites (que) pour les étudiants en droit…

On retiendra tout de même plusieurs modifications importantes:

  • tout d’abord, les contrats d’adhésion font l’objet d’une nouvelle définition, puisque les conditions générales, qui sont un élément du contrat d’adhésion, sont désormais définies comme « un ensemble de stipulations non négociable, déterminé à l’avance par l’une des parties et destiné à s’appliquer à une multitude de personnes ou de contrats » (art. 1119 nouveau);
  • ensuite, le pouvoir accordé au juge de réviser le contrat en cas d’imprévision est rétabli, là où le Sénat avait limité le pouvoir judiciaire à la seule résolution du contrat (l’exception pour les opérations portant sur des titres financiers ou des contrats financiers est maintenue).

Notons qu’un amendement de la France insoumise visant à introduire une disposition listant des règles d’ordre public a été rejeté, de même qu’un amendement présenté par Marine Le Pen visant à soustraire la conclusion du contrat à l’exigence de bonne foi, ceci pour éviter que des salariés ayant fourni des CV inexacts soient sanctionnés (?).

De même, les tentatives du député LFI Eric Coquerel de rétablir la cause n’ont pas eu plus de succès que celle de Marine Le Pen de rétablir l’objet…

 

Last but not least, les règles d’entrée en vigueur des textes modifiés par la loi de ratification ont été précisées.

Bruno Dondero

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La réforme de la réforme du droit des contrats ?

MISE A JOUR du 12 oct. 2017: à la fin de l’article.

 

L’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, qui a réformé le droit des contrats et dont nous avions présenté une synthèse ici, est applicable aux contrats conclus depuis le 1er octobre 2016.

Mais se pose maintenant la question de sa ratification…

Même lorsque le Parlement a habilité le Gouvernement à statuer par voie d’ordonnance dans une matière donnée, le Parlement conserve la possibilité de retoucher le travail des ministères lors de la phase de ratification de l’ordonnance.

Cette ratification peut prendre la forme d’une confirmation pure et simple du travail ministériel, et assez logiquement, lorsque le Gouvernement dépose un projet de loi de ratification, c’est un article unique indiquant que « l’ordonnance du XXXXXX est ratifiée » qu’il propose au vote des parlementaires.

L’éphémère Garde des Sceaux Bayrou avait proposé un projet de loi allant en ce sens s’agissant de la ratification de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, même si ce texte n’avait pas été préparé sous son autorité.

C’est devant le Sénat que le débat parlementaire va commencer, à compter du 17 octobre prochain, et le moins que l’on puisse dire, c’est que les sénateurs n’entendent pas se contenter d’une ratification en un article.

On se souvient de l’opposition qui avait eu lieu entre le Sénat et l’Assemblée nationale quant à la question du recours à une ordonnance. Les sénateurs ne voulaient pas que la réforme du droit des contrats se fasse par voie d’ordonnance, et ils souhaitaient que la loi soit utilisée. Mais l’Assemblée nationale avait fait prévaloir son point de vue, et c’était finalement le recours à l’ordonnance qui avait été retenu par la loi n° 2015-177 du 16 février 2015 relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures.

Les sénateurs entendent donner de la voix lors de la phase de ratification, et ils ont à cette fin procédé à de nombreuses auditions de praticiens, d’associations professionnelles, d’universitaires (dont Daniel Mainguy, Philippe Stoffel-Munck et le rédacteur de ces lignes).

Le résultat est assez impressionnant, puisque ce sont quatorze amendements qui ont été déposés par le sénateur Pillet, rapporteur du texte.

La plupart des modifications proposées améliorent la qualité des textes du Code civil, certaines d’entre elles, plus rares, touchent en revanche à des questions de fond.

Il est heureux que l’on ait limité ces dernières modifications, car si la loi de ratification est votée avec des modifications importantes, on verra apparaître un « nouveau nouveau droit des contrats », avec application des textes de l’ordonnance aux contrats conclus entre le 1er octobre 2016 et, par exemple, avant le 1er juin 2018, si la loi de ratification entre en vigueur à cette date, et le droit des contrats résultant de la loi de ratification s’appliquant aux contrats conclus à compter du 1er juin 2018…

Voyons le contenu des différents amendements, dans l’attente de leur discussion au Sénat, puis à l’Assemblée (qui devrait tout de même en retenir au moins quelques-uns…).

Précision: à la fin du mois de septembre, deux propositions de loi ont été déposées à l’Assemblée pour retoucher deux dispositions relatives à la preuve.

 

 

I – Définitions, négociations et consentement (amendement n° 1 à 4).

L’amendement n° 1 clarifie utilement la définition du contrat de gré à gré (art. 1110, al. 1er du Code civil), dont les stipulations sont librement « négociables », selon l’amendement, et non « négociées », selon le texte actuel.

Est également clarifiée la définition du contrat d’adhésion, en supprimant la référence aux conditions générales, et en la remplaçant par la référence à des « clauses non négociables, unilatéralement déterminées à l’avance par l’une des parties » (il manque une virgule pour que la définition soit claire).

Sans doute moins utile en revanche est l’ajout d’une référence aux « bonnes mœurs » à l’article 1102 : le contrat ne peut déroger à l’ordre public, est-il indiqué actuellement, et il ne pourra pas non plus déroger aux bonnes mœurs. Le texte aura il est vrai le mérite de la cohérence avec l’article 6 du Code civil.

L’amendement n° 2 précise le préjudice réparable en cas de faute commise dans les négociations précontractuelles, en excluant la perte de chance d’obtenir les avantages attendus du contrat non conclu.

L’amendement n° 3 étend la caducité de l’offre au cas de décès de son destinataire.

Ce même amendement précise le délai raisonnable prévu par l’article 1123 pour l’action interrogatoire sur l’existence d’un droit de préférence, et qui est fixé à deux mois.

L’amendement n° 4 précise que la réticence dolosive consiste à ne pas avoir communiqué une information que l’on devait fournir conformément à la loi, ce qui remplace la référence à la connaissance du caractère déterminant pour l’autre partie (déjà visée par le devoir général d’information de l’article 1112-1).

Le même amendement précise que la dépendance qui peut être le siège du vice de violence doit être une dépendance économique (art. 1143).

II – Capacité et représentation (amendement n° 5).

C’était un domaine dans lequel des corrections étaient vraiment nécessaires, mais le travail comporte encore quelques imperfections.

L’amendement n° 5 supprime la référence figurant à l’article 1145 du Code civil aux « actes utiles à la réalisation » de l’objet des personnes morales, mais le résultat final n’est pas formidable, puisque l’article disposerait que « La capacité des personnes morales est limitée dans le respect des règles applicables à chacune d’entre elles »…

Le délai de l’action interrogatoire pour savoir si une personne a le pouvoir d’en représenter une autre est fixé à deux mois, ce qui est trop long s’agissant d’une situation où l’on est sur le point de conclure un contrat, et l’on ne voit pas pourquoi il faudrait deux mois pour répondre sur l’existence ou non d’un pouvoir de représentation.

Surtout, l’article 1161 relatif aux situations de conflit d’intérêts (contrat conclu par le représentant avec le représenté, ou contrat où le même représentant intervient pour les deux parties) est limité aux situations où le représenté est une personne physique, ce qui fait disparaître les questions d’articulation de ce texte avec les règles de représentation du droit des sociétés et du droit des autres groupements.

III – Contenu du contrat (amendements n° 6 et 7).

L’amendement n° 6 ajoute à l’article 1162 une référence aux bonnes mœurs, et surtout il permet, lorsque le prix d’un contrat de prestation de services a été fixé unilatéralement par le créancier, que l’autre partie obtienne du juge, en cas d’abus dans la fixation du prix, la résolution du contrat, et pas seulement des dommages et intérêts.

Est clarifiée la référence aux attentes légitimes du créancier à l’article 1166.

Surtout, la clause abusive présente dans un contrat d’adhésion et qui est réputée non écrite (art. 1171) est seulement celle qui n’est pas négociable et qui est déterminée à l’avance par une partie.

L’amendement n° 7 est l’un des plus attendus, puisqu’il retouche l’article 1195 relatif à l’imprévision, et retire au juge le pouvoir de réviser le contrat, ne lui laissant que celui d’y mettre fin.

Il est indiqué par le rédacteur de l’amendement, que le pouvoir accordé au juge par l’ordonnance excédait le champ de l’habilitation consentie par la loi n° 2015-177 du 16 février 2015 relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures. Il est vrai que l’article 8 de cette loi permettait au Gouvernement de « 6° Préciser les règles relatives aux effets du contrat entre les parties et à l’égard des tiers, en consacrant la possibilité pour celles-ci d’adapter leur contrat en cas de changement imprévisible de circonstances », ce qui n’est pas tout à fait ce que retient l’article 1195, en introduisant le juge dans la relation contractuelle…

Par ailleurs, les opérations sur instruments financiers (actions et obligations notamment) sont exclues du champ d’application du texte (par l’ajout d’un article au sein du Code monétaire et financier), ce qui évitera notamment, dans les opérations de capital-risque, que l’exécution des promesses de rachat d’actions soit gênée par le jeu de l’article 1195.

IV – Exécution du contrat (amendement n° 8).

L’amendement n° 8 limite au débiteur de bonne foi la possibilité de s’opposer à l’exécution forcée en nature du contrat lorsqu’il y a disproportion entre l’intérêt pour le créancier et le coût pour le débiteur.

Par ailleurs, la réduction du prix par le créancier insatisfait est clarifiée, pour préciser que c’est bien lui qui décide unilatéralement de la réduction du prix (art. 1217 et 1223).

V – Autres modifications (amendements n° 9 à 13).

L’amendement n° 9 apporte une clarification quant à la possibilité pour la partie engagée sous condition de renoncer à celle-ci (art. 1304-4) et quant à l’inopposabilité de la déchéance du terme, étendue aux cautions (art. 1305-5).

L’amendement n° 10 soumet la cession de dette au formalisme de l’écrit (art. 1327), comme la cession de créance et la cession de contrat. L’amendement n° 11 corrige une erreur de plume relative à l’opposabilité de la cession de dette au créancier lorsque celui-ci a par avance donné son accord à la cession et n’y est pas intervenu (le « et » remplace un « ou » malencontreux).

C’est ensuite la restitution impliquant un mineur ou un majeur protégé qui est confirmée comme étant celle due par celui-ci, et non à ce mineur ou majeur protégé (art. 1352-4).

Une correction est apportée à l’article 1343-3 du Code civil par l’amendement n° 12, qui remplace la référence au contrat international, permettant qu’un paiement ait lieu dans une autre monnaie que l’euro, par la référence plus large à une « opération à caractère international ».

L’amendement n° 13 apporte enfin des précisions quant à la possibilité pour la caution et le codébiteur solidaire de se prévaloir de la compensation, alors même qu’elle n’aurait pas été invoquée par le débiteur principal, un codébiteur ou le créancier.

VI – Application de la réforme du droit des contrats dans le temps.

L’amendement n° 14 retouche enfin l’article 9 de l’ordonnance, en précisant que les contrats conclus avant le 1er octobre 2016 demeurent soumis à la loi ancienne, et en ajoutant que cela vaut aussi pour leurs effets légaux et pour les dispositions d’ordre public.

Ce faisant, on veut éviter que la réforme soit appliquée à des contrats conclus avant sa date d’entrée en vigueur, parce que telle règle nouvelle serait vue comme étant d’ordre public ou régissant les effets légaux du contrat et non les seuls effets contractuels.

 

Mise à jour du 12 oct. 2017: la Commission des lois du Sénat a adopté la totalité des amendements, à l’exception des deux ajouts de la référence aux bonnes mœurs.

La suite lors de la première lecture du texte le 17 octobre…

Le document est consultable ici.

 

Bruno DONDERO

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L’effet immédiat de la loi nouvelle (Cass. civ. 3ème, 9 févr. 2017, n° 16-10350)

L’arrêt rendu par la troisième Chambre civile de la Cour de cassation le 9 février dernier a suscité l’intérêt de plusieurs commentateurs, et il mérite certainement qu’on le lise avec attention.

Un auteur, sur un blog référencé par l’Express, intitule son commentaire : « La Cour de cassation bouscule la réforme du droit des contrats ». Du coup, j’ai relu l’arrêt, que j’avais vu passer sur le blog de mon cher collègue Daniel Mainguy, avec plus d’attention.

L’arrêt sera publié aux deux Bulletins de la Cour de cassation, et il a été mis en ligne sur son site internet.

Il n’est cependant pas, à mon sens, si inquiétant que cela.

I – Que dit l’arrêt ?

L’arrêt est relatif à l’application d’une disposition du Code de commerce, l’article L. 145-7-1. Ce texte est issu d’une loi du 22 juillet 2009, et il dispose que « Les baux commerciaux signés entre les propriétaires et les exploitants de résidences de tourisme mentionnées à l’article L. 321-1 du code du tourisme sont d’une durée de neuf ans minimum, sans possibilité de résiliation à l’expiration d’une période triennale ».

Il vient déroger à l’article L. 145-4, qui prévoit quant à lui que « La durée du contrat de location ne peut être inférieure à neuf ans. Toutefois, le preneur a la faculté de donner congé à l’expiration d’une période triennale, au moins six mois à l’avance, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou par acte extrajudiciaire (…) ».

En 2009, est donc apparue une règle particulière pour les baux relatifs à une résidence de tourisme.

Avant 2009, il était possible au bailleur de mettre fin au bail tous les trois ans.

Après 2009, cela n’est plus possible, puisque l’article L. 145-7-1 nouvellement créé écarte cette possibilité.

La question posée à la Cour de cassation était celle de savoir quel était le régime de la résiliation d’un bail conclu antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi de 2009, et encore en cours à cette date.

Deux baux relatifs à des appartements situés dans une résidence de tourisme étaient conclus en 2007. Le 26 décembre 2012, la locataire donnait congé pour le 1er juillet 2013, à l’expiration de la deuxième période triennale.

Le bailleur estimait que le congé était nul, la locataire ne pouvant résilier les baux.

La cour d’appel validait les congés, en retenant que « les baux, conclus avant l’entrée en vigueur de l’article L. 145-7-1 du code de commerce, sont régis par les dispositions de l’article L. 145-4 du même code prévoyant une faculté de résiliation triennale pour le preneur » et que « l’article L. 145-7-1 créé par la loi du 22 juillet 2009, qui exclut toute résiliation unilatérale en fin de période triennale pour l’exploitant d’une résidence de tourisme, n’est pas applicable au litige ».

Son arrêt est cassé pour violation de l’article L. 145-7-1 du Code de commerce, issu de la loi du 22 juillet 2009, et de l’article 2 du Code civil.

Rappelons que l’article 2 du Code civil dispose : « La loi ne dispose que pour l’avenir ; elle n’a point d’effet rétroactif ».

La Cour de cassation juge par un attendu de principe que « l’article L. 145-7-1 précité, d’ordre public, s’applique aux baux en cours au jour de son entrée en vigueur ».

Donc, dès lors que les baux étaient en cours au 25 juillet 2009, date d’entrée en vigueur de la loi, ils étaient soumis au texte nouveau, et la résiliation ne pouvait plus intervenir à l’expiration d’une période triennale.

II – Pourquoi il n’est pas particulièrement inquiétant ?

Qui conclut un bail relatif à une résidence de tourisme en 2007 pense pouvoir résilier son contrat tous les trois ans. Simplement, quand la loi de 2009 est promulguée, voici qu’il serait privé de cette possibilité.

Commençons par dire qu’il n’y a pas là, selon nous, d’application rétroactive de la loi nouvelle. La loi nouvelle ne remet aucunement en cause la validité d’un bail antérieurement conclu.

Simplement, il y a application de la loi nouvelle à un bail conclu antérieurement. C’est ce que l’on appelle l’effet immédiat de la loi nouvelle.

En matière contractuelle, le principe est que le contrat reste soumis au droit en vigueur au jour de sa conclusion.

Mais la loi nouvelle peut venir régir les effets du contrat conclu antérieurement à son entrée en vigueur dans deux cas :

  • soit quand ce sont les « effets légaux » du contrat qui sont en cause ;
  • soit quand la loi nouvelle est vue comme relevant d’un ordre public justifiant son application immédiate.

Il n’apparaît pas si choquant que cela de voir le régime de certains baux encadré et modifié par le législateur.

Enfin, s’agissant de la réforme du droit des contrats, je ne crois pas que l’arrêt conduise à remettre en cause la règle, clairement formulée par l’article 9 de l’ordonnance du 10 février 2016, selon laquelle les contrats conclus avant le 1er octobre 2016 demeurent soumis à la loi ancienne.

Bruno DONDERO

 

 

 

 

 

 

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Toutes les vidéos du MOOC Sorbonne Droit des contrats

Le MOOC Sorbonne Droit des contrats a été une belle expérience, puisqu’il a réuni plus de 16.000 participants qui ont pu étudier ensemble la réforme du droit des contrats résultant de l’ordonnance du 10 février 2016. Pour information, il y a eu plus de participants au MOOC qu’il n’y a d’étudiants en droit à l’Université Paris 1 Panthéon – Sorbonne sur une année universitaire, toutes formations confondues!

Le cœur du dispositif pédagogique était constitué des 36 vidéos réalisées par des universitaires, des juristes d’entreprise et des avocats.

Ces vidéos sont désormais accessibles de manière permanente sur la chaine Canal U.

Vidéos du MOOC Sorbonne DC 3

Comme pour les vidéos du MOOC Sorbonne Droit des entreprises, l’idée est que chacun puisse utiliser à sa guise ces vidéos pour se former, pour réviser, ou pour animer une formation. Bon visionnage!

Bruno DONDERO

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MOOC Sorbonne Droit des contrats, ça va commencer!

L’ordonnance du 10 février 2016 a modifié de manière complète la partie du Code civil consacrée au droit des contrats. Nous en avons déjà parlé dans les colonnes de ce blog. Mais vous avez maintenant la possibilité, au-delà de faire des lectures, de vous former aux textes issus de cette réforme en participant à une formation interactive et gratuite.

L’Université Paris 1 Panthéon – Sorbonne vous propose, en partenariat avec l’Association Française des Juristes d’Entreprise (AFJE), une formation au droit des contrats issu de la réforme, dans le cadre d’un cours ouvert en ligne et massif, un Massive Open Online Course, c’est-à-dire un MOOC, qui commence le 10 mars prochain.

Au jour où j’écris, la barre des 10.000 inscrits à ce MOOC vient d’être franchie, ce qui promet des échanges très riches!

L’inscription se fait ici: https://www.fun-mooc.fr/courses/Paris1/16003/session01/about

MOOC Sorbonne Droit des contrats
Concrètement, comment la formation interviendra-t-elle?
Elle se déroulera sur quatre semaines:
– Semaine 1: le cadre général de la réforme;
– Semaine 2: la formation du contrat;
– Semaine 3: l’exécution du contrat;
– Semaine 4: la fin du contrat – autres questions.
Le 10 mars, vous aurez déjà accès à la plateforme, ce qui permettra des présentations, une prise de contact avec l’utilisation de ladite plateforme, et de premiers échanges avec l’équipe pédagogique.
Chaque semaine à partir du lundi 15 mars, nous traiterons une petite dizaine de thèmes, et vous aurez accès pour chacun d’entre eux à des vidéos pédagogiques que nous avons réalisées avec des universitaires (Thomas CLAY, Philippe DUPICHOT, Fabrice ROSA, Caroline TABOUROT-HYEST), des directeurs juridiques (Maurice BENSADOUN, Stéphanie FOUGOU, Laure LAVOREL) et des avocats (Christophe ECK, Stéphane SYLVESTRE).
Vous aurez également accès à différents documents pour lesquels nous vous donnerons des indications de travail.
Chaque semaine, le jeudi soir, je vous retrouverai pour une séance d’une heure en direct sur une chaine internet, et je recevrai un invité, pour voir avec vous les principaux thèmes de la partie traitée, les questions faisant difficulté, et pour résoudre ensemble le cas pratique de la semaine. Vous pourrez intervenir en direct par Twitter.
Chaque semaine, vous aurez accès à un QCM, et un QCM plus important vous sera proposé en fin de formation. Si vous répondez avec succès, vous pourrez obtenir une attestation de réussite au MOOC.
Le MOOC commence le 10 mars, mais l’inscription est possible même après, jusqu’au 10 avril.
Bruno DONDERO

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La réforme du droit des contrats (ordonnance n° 2016-131 du 10 févr. 2016)

Enfin, le droit des contrats, de la preuve et du régime de l’obligation a été réformé. Le Gouvernement a quasiment été jusqu’au bout du délai d’un an qui lui avait été accordé, puisque l’ordonnance n° 2016-131 aura été prise moins d’une semaine avant l’expiration de ce délai, en l’occurrence le 10 février 2016, avec publication au Journal officiel du 11 février.

 Avant des commentaires plus exhaustifs sur l’impact de la réforme, je formulerai ici quelques observations sur les évolutions qui me semblent les plus importantes.

Sur la forme, tout d’abord.

La numérotation change. Fini les articles 1134 et même 1382 (la responsabilité civile délictuelle fera l’objet d’une autre réforme, annoncée comme proche lors du Conseil des ministres du 10 février). L’article 1134 a été scindé en deux, l’affirmation selon laquelle « les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits » figurant dans un des premiers articles de la nouvelle organisation (art. 1103), l’article suivant (1104) disposant que « les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi », avec la précision selon laquelle « cette disposition est d’ordre public ». L’interdiction d’une modification ou révocation du contrat par une seule partie est quant à elle placée à l’article 1193.

Sur le caractère d’ordre public du nouveau droit des contrats.

Le rapport au Président de la République qui accompagne l’ordonnance indique que le principe serait le caractère supplétif des nouveaux textes, et il est vrai que quelques-unes seulement des nouvelles dispositions mentionnent, comme le fait l’article 1104 nouveau précité qu’elles sont d’ordre public, ou comme le fait la disposition sur l’obligation générale d’information, que l’on ne peut réduire ou exclure l’obligation en cause (art. 1112-1). Il est vrai que le principe est la liberté contractuelle, d’ailleurs clairement et heureusement affirmée par le nouvel article 1102. Il demeure que l’on est un peu sceptique quant à l’affirmation selon laquelle, par exception, l’on pourrait déroger à tout. Quand l’article 1124 nouveau affirme que « la révocation de la promesse pendant le temps laissé au bénéficiaire pour opter n’empêche pas la formation du contrat promis », revenant sur la fameuse et controversée jurisprudence Consorts Cruz, peut-on y déroger ? Oui, sans doute en laissant au promettant une faculté de rétractation. Mais la rédaction souvent directive des textes, ainsi que l’implication des tiers parfois, peuvent laisser un doute.

Un droit plus efficace.

La réaction dominante à la lecture des nouveaux textes est certainement une satisfaction devant des textes plus clairs, pour un droit des contrats plus efficace. Loin des critiques que l’on a pu lire ou entendre, le nouveau droit des contrats est clarifié et dynamisé. Des solutions qui étaient connues de tous mais qui résultaient de décisions de la Cour de cassation, par définition d’accès plus difficile et toujours susceptibles d’une remise en cause ou d’une interprétation différente, sont désormais consacrées par des textes. C’est par exemple la jurisprudence sur la conduite et la rupture des pourparlers que l’on retrouve à l’article 1112, ou celle sur la réticence dolosive (rétention d’une information) assimilée au dol, qui est consacrée par l’article 1137.

Surtout, la liberté contractuelle fait l’objet d’une affirmation plus claire par l’article 1102 que celle qui résultait et résulte encore de l’article 6 du Code civil par a contrario, lorsque l’on prévoit que l’on ne peut déroger aux dispositions qui intéressent l’ordre public et les bonnes mœurs…

C’est aussi le droit de l’exécution qui se trouve dynamisé, avec, entre autres, la reconnaissance claire du droit à l’exécution en nature, par principe (art. 1221), et la liste des « remèdes » à l’inexécution formulée par l’article 1217 (même si en définitive, ce n’est plus de remèdes mais de « sanctions » qu’il est question dans ce texte).

Les quatre révolutions… abouties ou non.

On peut retenir quatre mesures phares de la réforme, qui sont celles qui suscité les discussions les plus intenses après la diffusion du projet de texte, et voir quel a été leur sort.

Certaines se sont maintenues et ont même été amplifiées, d’autres ont au contraire été réduites à peu de chose.

S’agissant du devoir général d’information, qui figure à l’article 1112-1, il a été à la fois restreint et renforcé. Il n’est plus question d’une obligation de donner à l’autre partie l’information que l’on « connaît ou devrait connaître », mais simplement celle que l’on connaît tout court. L’information concernée, qui est celle qui a une importance déterminante, est davantage définie. En revanche, il est désormais dit que « Les parties ne peuvent ni limiter, ni exclure ce devoir ».

S’agissant de la violence économique, la référence à l’état de nécessité a disparu. Cette violence consistant à profiter de la situation économique de l’autre partie ne se rencontrer donc plus que quand on abuse de l’état de dépendance de celle-ci, et que l’on en tire au surplus un « avantage manifestement excessif » (art. 1143).

On avait craint l’introduction d’un dispositif de sanction des clauses abusives dans le Code civil, c’est-à-dire d’un mécanisme permettant de remettre en cause les clauses accordant à une partie un avantage excessif. Un tel dispositif existe déjà dans le Code de la consommation (la clause est réputée non écrite) et dans le Code de commerce (le bénéficiaire de la clause peut engager sa responsabilité), mais le risque était qu’une partie accepte des clauses désavantageuses en ouvrant ensuite une seconde phase de négociations, mais devant le juge. Le nouvel article 1171 prévoit certes que la « clause qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite », mais il précise que ce mécanisme ne joue que dans les contrats d’adhésion, c’est-à-dire « celui dont les conditions générales, soustraites à la négociation, sont déterminées à l’avance par l’une des parties ». Ce n’est donc que lorsqu’il n’y a pas eu de négociation que ce mécanisme pourra jouer.

Dernier mécanisme « révolutionnaire » : l’introduction de la théorie de l’imprévision, qui figure à l’article 1195. On en a déjà parlé dans les colonnes de ce blog, mais ce mécanisme, qui figure dans d’autres droits, et qui permet de demander une renégociation du contrat si celui-ci devient excessivement onéreux du fait d’un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat, a connu une évolution, puisque le juge peut non seulement mettre fin au contrat, à la date et aux conditions qu’il fixe, mais également « réviser le contrat ». Rappelons surtout que ce mécanisme ne peut jouer si une partie a accepté d’assumer le risque de voir l’exécution du contrat devenir excessivement onéreuse. En clair, les parties peuvent écarter cette faculté de demander au juge la révision ou la résolution du contrat.

Entrée en vigueur de la réforme.

Dernier point : la réforme entre en vigueur, aux termes de son article 9, le 1er octobre 2016, et elle ne s’appliquera qu’aux contrats conclus à compter de cette date, à l’exception de trois dispositions concernant des actions déclaratoires (art. 1123, 1158 et 1183).

Cela veut donc dire que pour les contrats conclus avant le 1er octobre 2016, il faudra conserver son Code civil ancien, avec la numérotation ancienne et la combinaison des textes de 1804 et de l’acquis jurisprudentiel… à moins que l’on soit tenté de lire l’ordonnance comme consacrant des solutions qui étaient en germe dans le droit ancien…

Bruno DONDERO

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La réforme du droit des contrats est presque là…

Ces derniers jours, on pouvait se demander si l’ordonnance relative au droit des contrats, de la preuve et du régime général de l’obligation allait effectivement paraître dans les délais.

On est rassuré, puisque le Conseil des ministres qui se tient au moment où j’écris ces lignes mentionne, dans son ordre du jour, notre ordonnance.

Un retard, même léger, aurait reporté de beaucoup le processus. L’habilitation du Gouvernement à modifier le Code civil résultait de la loi n° 2015-177 du 16 février 2015 relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures. On se souvient que la loi avait été adoptée malgré l’opposition du Sénat, qui estimait qu’une réforme aussi importante – ou plutôt, faut-il dire pour être exact, une réforme touchant à des sujets aussi importants – ne pouvait se faire hors du Parlement.

C’était donc de haute lutte que l’habilitation avait été donnée au Gouvernement, l’Assemblée nationale ayant fait jouer son « droit de priorité » (qui lui permet de faire passer une loi en dépit de l’opposition du Sénat – art. 45 de la Constitution). Ainsi que le prévoit l’article 38 de la Constitution s’agissant des ordonnances, l’habilitation donnée au Gouvernement de recourir à cet instrument n’avait été donnée qu’assortie d’un délai.

L’article 27 de la loi du 16 février 2015 avait ainsi prévu que « Les ordonnances prévues par la présente loi doivent être prises dans un délai de (…) douze mois à compter de la publication de la présente loi en ce qui concerne l’article 8 ». La loi en question étant parue au JO du 17 février 2015, on comprend que l’on arrivait aux derniers jours ouverts pour prendre l’ordonnance.

Ne pas prendre l’ordonnance dans le délai aurait-il été gênant?

Ainsi que l’écrit un précis de droit constitutionnel (L. Favoreu, P. Gaïa, R. Ghevontian, J.-L. Mestre, O. Pfersmann, A. Roux et G. Scoffoni, Droit constitutionnel, 18ème éd., Dalloz, 2016, n° 1256): « A l’expiration du délai d’habilitation le Parlement retrouve l’intégralité de sa compétence et le Gouvernement ne peut plus prendre d’ordonnance« .

Si le délai avait expiré, modifier le droit des contrats, de la preuve et du régime de l’obligation par voie d’ordonnance aurait donc supposé que le Parlement vote une nouvelle loi d’habilitation.

Il n’est pas sûr que cette loi aurait été prise rapidement. Ce qui veut dire que l’utilité de la diffusion du projet de réforme, au début de l’année 2015, le processus de consultation publique, la réception des 257 réponses, les discussions avec les différentes associations professionnelles et les praticiens, les nombreux commentaires dans les manuels, revues et colloques, les formations, les MOOCs à venir, etc., tout cela n’aurait pas servi, du moins pas tout de suite… Mais renvoyer la réforme à plus tard aurait très bien pu se traduire par une absence de réforme. Pour peu qu’une dernière consultation soit lancée, on aurait pu repartir pour des discussions sans fin.

Si l’ordonnance est effectivement adoptée, cela signifie que l’on aura, sans doute au Journal officiel publié samedi ou dimanche, notre ordonnance.

Bruno DONDERO

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Réforme imminente du droit des contrats: les points à surveiller

Dans un délai très bref (moins de trois semaines au plus tard), l’ordonnance réformant le droit des contrats, le régime général de l’obligation et le régime de la preuve aura été publiée au Journal officiel. Un tweet récent de la Chancellerie parlant déjà au passé laisse entendre que tout est bouclé… en espérant que la démission de Mme Taubira, annoncée ce mercredi 27 janvier, ne retarde pas le processus.

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On a eu le temps d’étudier avec attention le projet de réforme qui a été soumis à consultation publique entre février et avril 2015. Depuis, aucune version mise à jour du projet d’ordonnance n’a été diffusée officiellement, même si un certain nombre d’informations, parfois contradictoires, ont circulé.

Quelques points sensibles – les plus sensibles – peuvent être listés ici, qui sont autant de changements qui pourraient être apportés à notre droit des contrats. Ce sont aussi, à notre connaissance, les points qui ont suscité le plus de discussion, et vraisemblablement le plus de commentaires et de propositions de modification lors de la consultation publique.

1) Les clauses abusives généralisées au droit commun des contrats.

Le Code de la consommation et le Code de commerce ont chacun un mécanisme de sanction des clauses abusives créant un déséquilibre excessif entre les droits et obligations des parties. Fallait-il reproduire un tel dispositif dans le Code civil ? La crainte est celle d’une phase de renégociation des contrats devant le juge. Vous avez accepté telle ou telle clause très contraignante dans le contrat ? Qu’à cela ne tienne : vous pourrez la discuter devant le juge. Il faudra voir si le champ d’application de ce mécanisme a été restreint ou non aux seuls contrats d’adhésion, comme cela a été demandé.

 

2) L’obligation générale d’information.

Il semble assez normal de penser qu’une partie contractante A doit communiquer à l’autre partie B les informations essentielles relatives au contrat, lorsque B n’a pas ces informations, et qu’elles sont déterminantes de son consentement. Il n’est donc pas absurde d’instituer une obligation générale d’information. Reste à savoir si les parties pourront définir contractuellement l’étendue de leur obligation d’information, et s’il est maintenu que les informations concernées sont celles qu’une partie « connaît ou devrait connaître », ce qui apparaît assez dangereux.

3) La théorie de l’imprévision.

Dans les contrats de longue durée, le changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat et rendant l’exécution de celui-ci excessivement onéreuse pourra conduire une partie à demander à l’autre la renégociation du contrat. Si cette demande n’est pas satisfaite, le projet de réforme permettait au juge de mettre fin au contrat. Reste à voir si cette possibilité, que l’on rencontre dans d’autres droits en Europe et qui devrait pouvoir être écartée par une clause appropriée, est maintenue en l’état.

4) La violence économique.

Cela fait une quinzaine d’années que la Cour de cassation a reconnu l’existence de la violence économique : une partie impose à une autre, en situation de détresse économique, des conditions qu’elle n’aurait pas acceptées si elle n’avait pas été dans cette situation. Le moins que l’on puisse dire est que la reconnaissance de cette notion n’a pas changé la donne en matière de contrats soumis au droit français. La consécration dans le Code civil, si elle est maintenue, conduira-t-elle à un développement de la notion ?

5) Le pouvoir du juge.

Un certain nombre de dispositions présentes dans le projet qui a été soumis à consultation publique tendaient à reconnaître au juge un pouvoir, en lui permettant de modifier ou de mettre fin au contrat. La plupart de ces dispositions n’ont fait que reconnaître des prérogatives que le juge mettait déjà en œuvre, mais il est certain que faire apparaître le juge comme un rouage normal de la vie du contrat n’est pas un message rassurant.

6) La conciliation avec les droits spéciaux et avec les clauses particulières.

La réforme ne porte que sur le droit commun des contrats, ce qui laisse en l’état les droits spéciaux, présents dans le Code civil, le Code de la consommation, le Code de commerce, etc. Reste à voir comment les nouvelles dispositions générales se concilieront avec les règles particulières prévues par ces droits et si des précisions sont apportées sur ce point par l’ordonnance. Se pose par ailleurs la question de savoir si les nouvelles règles seront d’ordre public ou non, ce qui est rarement précisé, dans les textes du premier projet.

7) L’application dans le temps des nouvelles dispositions.

En principe, un contrat est soumis, tant pour ses conditions de formation que pour son exécution, au droit applicable le jour de sa conclusion. La réforme ne devrait donc concerner que les conventions conclues postérieurement à son entrée en vigueur (qui pourra être fixée à quelques mois après sa publication au Journal officiel). Mais comme on a beaucoup dit que la réforme était avant tout de consolidation, davantage que de rupture, ne devra-t-on pas en tenir compte aussi dans l’application du droit antérieur ? La violence économique, par exemple, ne doit-elle pas tenir compte de la consécration faite par la réforme (si elle est maintenue – v. supra) ?

Attendons maintenant la publication de l’ordonnance. Aurons-nous des surprises? Les partisans de la cause auront-ils réussi à réintroduire celle-ci en substituant un fichier informatique à un autre ? Après tout, on se souvient que lorsque le Code de commerce avait été repris à droit constant en 2000, des textes anciens avaient réussi à se glisser dans le nouveau Code… Les hackers au service de la théorie de la cause ?

Bruno DONDERO

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French Contract Law : what is going to change ?

Some time ago, I put on this blog some basic informations about French Contract Law, in four posts (the first of them is here).

In February 2015, a law was voted by the French Parliament, which allowed the Government to enact a reform of our Contract Law.

The February 2015 Act leaves until February 2016 for enacting the ordinance that will set forth the revised Contract Law.

It is already possible to give a quick look at what will be the revised French Contract Law, as opposed to what it is today.

I – French Contract Law as of today

In 1804, the Code civil has set forth the core of Contract Law, the rules that apply to every contract (i.e. how does a contract come into existence and under which conditions, and how it is executed, modified and terminated).

Such rules were left almost unchanged for more than two centuries, except for two major adjunctions:

1) During all that time, French courts were very prolific and even if there is no formal rule of precedent in our legal system, the Code civil provisions have been enriched by our judges, who built coherent adjunctions to the texts written in 1804. It must be said that their work was generally useful and well-thought. For instance, essential rules about precontractual negotiations were issued by our judges, who set forth that as a rule of principle, you can walk away from the negotiations as long as the parties do not agree on closing the contract, but a party that allows precontractual discussions to go on without telling the other that he/she has no intention of closing the contract can be liable to the other party.

 2) After the Code civil was passed, specific bodies of rules were enacted, generally aiming at protecting a weaker party, from a structural point of view. The best examples are Labor Law and Consumer Law which today have their own body of texts and case law, and their own logic, but each of these branches of law is based on general contract Law and therefore on the Code civil.

II – French Contract Law from now on.

Two elements give us some clues about what the revised French Contract Law will be, because the February 2015 act contained some indicatory provisions, and because our Ministry of Justice submitted a project to a public consultation.

The three trends that I identified in the project can be synthetized as follows: security, clarification, and protection.

1) The revised Contract Law project brings more security to the parties, notably by consecrating in the Code civil solutions that were created by the courts, and useful ones, like the precontractual negotiations rules, hence protecting such solutions from a change in case law. At the same time, case law solutions viewed as bad for the business are clearly rejected by the legislator, like the insufficient protection given to the promise to enter a contract.

2) The project also brings clarification, by setting forth some principles, which were until now only expressed by the courts and the legal literature. For instance, formal recognition is given to the freedom of entering a contract. The notion of cause, which is at the same time the consideration and the reason why a party enters a contract is suppressed, even if the concrete solutions based on that notion are kept onboard (like the possibility to set aside a clause that contradicts a debtor’s essential obligation).

3) Finally, the project means to give better protection to the weakest party, and that could be criticized. For instance, a legal hardship provision will be introduced, allowing a party who has to face increased costs of contract execution, due to a change in the economic context, to ask for a renegotiation… if such party did not waive that possibility in the contract. Such legal protection is not absurd, but it is a subject that is already addressed (i) by specific bodies of law, like Consumer Law, (ii) by French bankruptcy Act, and possibly (iii) by contractual provisions.

 Bruno DONDERO

Professor at Paris 1 Panthéon – Sorbonne University

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Les entreprises doivent-elles anticiper l’introduction de la théorie de l’imprévision en droit français ?

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Faut-il déjà intégrer dans les contrats existants des clauses les protégeant du mécanisme de révision qui devrait être intégré prochainement dans notre droit?

Le droit des contrats français est en passe d’être réformé, et il semble acquis que la théorie de l’imprévision va être introduite. La loi du 16 février 2015 a habilité le Gouvernement à prendre par voie d’ordonnance les mesures visant notamment à « préciser les règles relatives aux effets du contrat entre les parties et à l’égard des tiers, en consacrant la possibilité pour celles-ci d’adapter leur contrat en cas de changement imprévisible de circonstances ».

En clair, une clause de hardship légale va être introduite dans la loi, ce qui va remettre en cause la solution fondée sur l’arrêt rendu par la Cour de cassation en 1876, dit du Canal de Craponne. Cela va par ailleurs rapprocher le droit français de ce que connaît le droit allemand avec le § 313 du BGB.

La question qui se pose est celle de savoir si les contrats qui sont conclus actuellement ne devraient pas prendre en compte cette évolution probable de notre droit.

Revenons tout d’abord sur le contenu du dispositif attendu (I), avant de s’arrêter sur la condition d’application de celui-ci relative à la non-acceptation du risque (II) et de formuler quelques observations complémentaires (III).

I – Le contenu du dispositif attendu.

Le projet d’ordonnance réformant le droit des contrats qui a été soumis à consultation publique prévoit l’insertion d’un article 1196 qui disposerait :

« Art. 1196. – Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation.

En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent demander d’un commun accord au juge de procéder à l’adaptation du contrat. A défaut, une partie peut demander au juge d’y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe ».

Il est possible que ce texte soit modifié, mais l’habilitation donnée au Gouvernement par le législateur le 16 février dernier fait comprendre que le principe devrait être introduit, même si le texte définitif de l’ordonnance ne sera peut-être pas celui reproduit ci-dessus.

Comme on le voit, ce dispositif comporte une ou deux phases, la deuxième phase correspondant à deux hypothèses alternatives :

Phase 1 : demande de renégociation faite par la partie qui supporte une exécution excessivement onéreuse du contrat à la ou les autres parties au contrat. Si la renégociation est acceptée et qu’elle donne satisfaction aux parties, les choses s’arrêtent là.

Phase 2 a : si la renégociation a été refusée, ou en cas d’échec (donc si les parties ne parviennent pas à un accord satisfaisant), elles peuvent demander d’un commun accord au juge de procéder à l’adaptation du contrat. On ne sait s’il s’agit d’un mandat en blanc donné au juge de modifier le contrat, ou si les parties peuvent lui donner des indications précises ou des fourchettes. Il faut penser que les parties n’ont pas pu renégocier leur contrat, donc le juge qui intervient va trancher des points de désaccord. Il faut cependant que les deux parties soient d’accord pour saisir le juge.

Phase 2 b : « à défaut » d’adaptation du contrat par le juge, ce qui doit viser surtout le cas où toutes les parties n’étaient pas d’accord pour saisir le juge, et peut-être aussi le cas où le juge a refusé d’adapter le contrat, pour une raison qui n’est pas l’inapplicabilité de l’article 1196, alors une partie peut demander au juge d’y mettre fin. La formule n’est pas de la plus grande clarté, car on ne sait si le juge doit mettre fin au contrat, ou s’il peut rejeter cette demande.

II – La condition de l’acceptation du risque.

Ce qui est particulièrement intéressant dans l’article 1196, c’est qu’il prévoit une condition d’application tenant à l’évolution des circonstances (changement de circonstances imprévisible, rendant l’exécution du contrat excessivement onéreuse pour une partie) et une condition tenant au fait que la partie qui subit l’exécution devenue excessivement onéreuse n’avait pas accepté d’en assumer le risque.

Il apparaît donc clair qu’il doit être possible à l’une ou plusieurs des parties au contrat d’exclure l’application de l’article 1196, en acceptant le risque de voir l’exécution du contrat devenir excessivement onéreuse.

On peut même se demander si une telle stipulation ne deviendra pas une clause de style, étant précisé que les juges pourront manifester des exigences particulières en termes de formalisation de la clause, comme ils l’ont fait pour la clause résolutoire. Ainsi, peut-être exigeront-ils que la clause écartant l’article 1196 du Code civil vise expressément ce texte.

En présence d’une telle acceptation de l’exécution du contrat devenue excessivement onéreuse, la partie qui la subit ne pourra alors pas demander la renégociation du contrat, ou, plus précisément, elle pourra la demander, mais il faut supposer que le juge ne pourra pas procéder à l’adaptation du contrat ou mettre fin à celui-ci.

III – Observations complémentaires : application de la loi dans le temps et droit des entreprises en difficulté.

Deux observations méritent d’être faites, l’une relative à l’application de la loi dans le temps, l’autre au droit des entreprises en difficulté.

S’agissant de l’application de la loi dans le temps, on sait qu’un contrat est en principe soumis au droit en vigueur au jour de sa conclusion, même si l’exécution de ce contrat se poursuit dans le temps et que le droit applicable au type de contrat en cause change ensuite. Pour autant, il n’est pas garanti que les juges distingueront entre les contrats conclus avant et ceux conclus après l’entrée en vigueur de l’article 1196 nouveau, les premiers étant absolument exclus de toute révision ou résolution fondée sur le changement de circonstances.

Les parties pourraient donc envisager utilement, me semble-t-il, l’introduction d’une clause écartant la révision pour imprévision, et ce, y compris dans les contrats qui sont en cours de négociation et qui seront conclus avant l’entrée en vigueur de la réforme.

Elles pourraient aussi réfléchir à l’insertion d’une telle clause dans les contrats déjà conclus et en cours d’exécution.

La seconde observation que je souhaite faire est relative au droit des entreprises en difficulté. Ce sont avant tout des entreprises qui seront concernées par le dispositif de l’article 1196, faut-il penser. Or, ces entreprises bénéficient déjà de plusieurs dispositifs spécifiques de traitement de leurs difficultés, figurant dans le livre VI du Code de commerce, dont la procédure de sauvegarde, qui est ouverte à celui qui « sans être en cessation des paiements, justifie de difficultés qu’il n’est pas en mesure de surmonter » et est « destinée à faciliter la réorganisation de l’entreprise afin de permettre la poursuite de l’activité économique, le maintien de l’emploi et l’apurement du passif ».

L’article 1196, en envisageant la difficulté spécifique à un contrat seulement, créerait donc un nouvel instrument de traitement des difficultés des entreprises.

 Bruno DONDERO

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Le projet d’ordonnance portant réforme du droit des contrats

Le site de la Chancellerie vient de mettre en ligne, pour consultation publique, un projet d’ordonnance portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations.

http://www.textes.justice.gouv.fr/textes-soumis-a-concertation-10179/reforme-du-droit-des-contrats-27897.html

On se souvient du débat ayant opposé l’Assemblée nationale et le Sénat, les sénateurs estimant qu’une réforme portant sur un secteur aussi central de notre droit ne pouvait se faire par voie d’ordonnance mais devait être discutée au Parlement, tandis que les députés étaient disposés à laisser la main au Gouvernement. Le point de vue des députés a prévalu, et le Conseil constitutionnel a refusé de censurer la loi n° 2015-177 du 16 février 2015 relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures. Sa décision en date du 12 février a notamment retenu que l’habilitation conférée au Gouvernement était suffisamment précise : http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do;jsessionid=C60BF38B4AE6D715A60D6DDB17E2B1C5.tpdila21v_3?cidTexte=JORFTEXT000030248794&categorieLien=id.

La consultation publique est ouverte jusqu’au 30 avril 2015, et il faut espérer qu’elle donnera lieu à de riches interventions, et que le débat sera aussi largement diffusé que possible, à défaut de débats parlementaires.

C’est en réalité un texte déjà assez ancien qui est soumis à la consultation publique (I), mais il ne faut pas s’arrêter à cela, et il faut regarder le contenu du texte (II), qui va moderniser notre droit des contrats (III).

I – Consultation publique… sur un texte vieux de plus d’un an !

A la fin de l’année 2013, un projet d’ordonnance avait été publié sur le site des Echos. Il n’était pas absurde de penser que ce texte était celui rédigé par la Chancellerie, et l’on en a confirmation, puisque c’est en réalité ce texte vieux de plus d’un an qui est soumis aujourd’hui à consultation publique !

Certes, il y a des modifications mineures dans le « nouveau » texte.

Parfois, ce sont des précisions qui ont été apportées.

Par exemple, il est indiqué à l’article 1141 que la violence est une cause de nullité « relative », ce qui n’était pas précisé dans le texte précédent, mais qui était une solution établie en droit positif : seul celui qui a conclu le contrat parce qu’une violence morale a été exercée contre lui, sa fortune ou ses proches peut demander l’annulation du contrat sur ce fondement.

Ce sont aussi des coquilles ont été introduites, parce qu’on a remplacé le mot « convention » par le mot « contrat », à l’article 1203 sur la dissimulation d’une partie du prix, mais qu’on n’a pas accordé le reste du texte, qui énonce ainsi : « Est également nul tout contrat (…) lorsqu’elle porte sur une vente d’immeubles… » ! Le « s » à immeuble n’était sans doute pas indispensable, d’ailleurs.

Plus mystérieusement, des crochets apparaissent à l’article 1304-1, qui dispose que « La condition doit être [possible et] licite », là où le texte précédent se dispensait des crochets, la condition impossible étant déjà invalidée, aujourd’hui, par l’article 1172 du Code civil.

II – Le contenu substantiel de la réforme.

Nous avions déjà fait sur ce blog ce rapide travail de revue de la réforme, à partir du texte diffusé fin 2013.

Pour mémoire, la réforme du droit des contrats a, au cours des dix dernières années, fait l’objet de trois textes distincts. Deux sont d’origine doctrinale, et sont l’avant-projet Catala (http://www.justice.gouv.fr/art_pix/RAPPORTCATALASEPTEMBRE2005.pdf) et l’avant-projet Terré. La Chancellerie a diffusé pour sa part en 2008 un avant-projet, qui a connu des évolutions. Puis nous avons pu lire le texte diffusé sur le site des Echos.

Le texte présenté traite du droit des contrats dans ses pages 2 à 22, les pages restantes traitant du régime général de l’obligation et de la preuve.

S’agissant du droit des contrats, auquel nous nous intéressons ici, c’est le régime général du contrat qui est réformé. Le mot de réforme recouvre plusieurs mouvements différents, en réalité.

De grands principes sont affirmés :

  • Liberté de contracter et de ne pas contracter, du choix du cocontractant, du contenu et de la forme du contrat (art. 1102) ;
  • Formation et exécution des contrats de bonne foi (disposition autonome – art. 1103) ;
  • Principe du consensualisme (art. 1171) ;
  • Parallélisme des formes (art. 1173) ;
  • Affirmation d’un devoir général d’information (art. 1129) ;
  • Principe du droit à l’exécution en nature (art. 1121).

Des notions et des solutions dégagées par la doctrine ou la jurisprudence sont consacrées :

  • Contrat consensuel, solennel, d’adhésion, de gré à gré, qui sont définis ;
  • Offre et acceptation (art. 1113 et s.) ;
  • Conditions générales (art. 1120) ;
  • Violence économique, résultant de l’abus d’un état de nécessité ou de dépendance (art. 1142) ;
  • Fixation unilatérale du prix par une partie (art. 1163 et 1164, avec l’introduction d’une notion de « contrat de prestation de service ») ;
  • Prohibition des engagements perpétuels et règles relatives à la durée des contrats (art. 1211 à 1216).

Des solutions jurisprudentielles sont au contraire remises en cause ou modifiées :

  • La promesse unilatérale voit son efficacité renforcée, la révocation de la promesse ne pouvant empêcher la formation du contrat promis (art. 1124) ;
  • Renforcement également de l’efficacité du pacte de préférence, les sanctions de nullité et de substitution étant introduites lorsqu’un contrat a été conclu en violation du pacte avec un tiers qui en connaissait l’existence (art. 1125) ;
  • La réticence dolosive est consacrée, mais de manière restrictive. Rappelons que le dol tel que prévu par l’article 1116 du Code civil consiste en des manœuvres destinées à tromper son cocontractant, mais que la jurisprudence avait créé la notion de réticence dolosive, consistant à ne pas communiquer, de manière intentionnelle, une information à son cocontractant, cette information devant être déterminante de son consentement. Le projet d’ordonnance (art. 1136) définit comme dol, notamment, la « dissimulation intentionnelle d’une information » à l’autre partie, information que le contractant « devait lui fournir conformément à la loi » (à relier au devoir d’information de l’art. 1129). Le mot « dissimulation » donnera sans doute lieu à de nombreuses discussions… ;
  • La théorie de l’imprévision est reconnue (art. 1196) : si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend son exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’a pas accepté d’en assumer le risque, cette partie peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Si la renégociation n’aboutit pas, les parties peuvent demander d’un commun accord au juge de procéder à l’adaptation du contrat, ou bien une partie seule peut lui demander de mettre fin au contrat.

La cause disparaît des conditions de validité du contrat (art. 1127) mais les solutions fondées sur cette notion sont maintenues : le contrat ne peut déroger à l’ordre public par son but (art. 1161), et est nul le contrat à titre onéreux en cas de contrepartie illusoire ou dérisoire au moment de sa formation (art. 1167). La clause qui prive de sa substance l’obligation essentielle du débiteur est en outre réputée non écrite, consécration de la jurisprudence Chronopost (art. 1168).

Une théorie générale de la représentation est instituée (art. 1152 à 1160). Des règles issues de la théorie du mandat sont reprises, et un article consacré aux conflits d’intérêts apparaît (art. 1160).

Une théorie générale de la nullité et de la caducité est établie (art. 1178 à 1193).

La notion de clause abusive, qui est celle qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, est introduite dans le droit général des contrats ; une telle clause peut être supprimée par le juge (art. 1169).

Quelques innovations encore sont à signaler en cas d’inexécution, comme la possibilité reconnue au créancier de réduire proportionnellement le prix en cas d’exécution imparfaite du contrat (art. 1223) ou la consécration du droit pour le créancier de résoudre le contrat par voie de notification à son cocontractant après une inexécution ayant donné lieu à une mise en demeure infructueuse (art. 1226) et l’affirmation du fait que la résolution n’affecte pas les clauses relatives au règlement des différends (art. 1230).

III – Vers un droit moderne des contrats.

Le droit des contrats tel que notre Code civil l’a énoncé en 1804 est un modèle en termes de rédaction législative. Ce n’est pas une idée nouvelle ni sujette à discussion d’évoquer l’obsolescence de ces textes, qui ont été complétés, nuancés, voire contredits par la jurisprudence. Des régimes spéciaux, le droit de la consommation particulièrement, ont quant à eux édicté des obligations nouvelles, qui finissent par faire ressentir leur influence dans tout contrat ou presque. La doctrine a également travaillé.

Il est donc utile de « faire monter » dans nos textes tant l’acquis jurisprudentiel que les nouvelles règles et obligations empruntées aux droits spéciaux. Il est essentiel que le droit français des contrats que chacun peut consulter en ouvrant un Code civil, soit autant que possible décrit exactement par la loi.

On se félicitera donc de ce premier pas, en attendant la suite, à savoir le débat des deux prochains mois, puis la diffusion probable d’un projet d’ordonnance amendé.

Bruno DONDERO

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Des nouvelles de la réforme du droit des contrats: « je vais bien, mais je n’arrive pas tout de suite! »

Elle est passée par ici, elle repassera par là… Ou bien « now you see it, now you don’t ».

Pour ceux qui s’inquiètent, et se prennent à penser que notre droit des contrats ne sera jamais réformé, juste un point d’étape.

Pour rappel, un projet de loi prévoyait que le gouvernement serait habilité à réformer par voie d’ordonnance, entre autre, le droit des contrats. L’article relatif au droit des contrats avait été supprimé par le Sénat, mais rétabli par l’Assemblée nationale. https://brunodondero.wordpress.com/2014/04/21/reforme-du-droit-des-contrats-par-ordonnance-le-retour/

Dans cette situation, la procédure parlementaire prévoit qu’une commission mixte paritaire (CMP), regroupant des députés et des sénateurs se réunit. Cette CMP n’a pu parvenir à un accord. Le site du Sénat indique: Réunie le mardi 13 mai 2014, la commission mixte paritaire a constaté ne pouvoir parvenir à élaborer un texte commun sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures.

Conformément à ce que prévoit l’art. 45 de la Constitution: Si la commission mixte ne parvient pas à l’adoption d’un texte commun ou si ce texte n’est pas adopté dans les conditions prévues à l’alinéa précédent, le Gouvernement peut, après une nouvelle lecture par l’Assemblée nationale et par le Sénat, demander à l’Assemblée nationale de statuer définitivement. En ce cas, l’Assemblée nationale peut reprendre soit le texte élaboré par la commission mixte, soit le dernier texte voté par elle, modifié le cas échéant par un ou plusieurs des amendements adoptés par le Sénat.

C’est donc l’Assemblée nationale, et le parti des « pro-réforme du droit des contrats par voie d’ordonnance » qui devraient l’emporter. Mais la route est encore longue, avant d’arriver à la loi d’habilitation, qui elle-même débouchera sur une ordonnance… après un certain temps. Le projet de loi contient rappelons-le un article 16 relatif aux délais de « réalisation » de la loi. Il est prévu que « I. Les ordonnances prévues par la présente loi doivent être prises dans un délai de (…) 3° Douze mois à compter de la publication de la présente loi en ce qui concerne (…) l’article 3 [relatif au droit des contrats]« .

Ce même article 16 prévoit en un II que « Pour chaque ordonnance prévue par la présente loi, un projet de loi de ratification est déposé devant le Parlement« . Ce texte prévoit différents délais, dont un de « six mois à compter de sa publication en ce qui concerne le I des articles 1er, 2 et 3« . Or l’article 3, relatif au droit des contrats, ne comporte pas de I, ni de II ou de III… Bref, encore un peu de travail, y compris de forme…

Bruno Dondero

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Réforme du droit des contrats par ordonnance: le retour…

L’Assemblée nationale vient de redonner vie, le 16 avril dernier, à un article du projet de loi « relatif à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures ». Cet article, qualifié par la rapporteure du texte, de « plus important du projet de loi », est relatif à la réforme du droit des contrats par voie d’ordonnance.

La réforme envisagée a même un périmètre plus large que le seul droit des contrats, car elle toucherait aussi les quasi-contrats et le régime général de l’obligation, ainsi que le droit de la preuve. 

Le texte adopté en 1ère lecture par l’Assemblée est le suivant: http://www.assemblee-nationale.fr/14/ta/ta0324.asp .

L’article relatif à la réforme du droit des contrats par voie d’ordonnance avait été supprimé par le Sénat, lors de l’examen du texte en 1ère lecture, au motif, en substance, que la question était trop importante pour être déléguée à une ordonnance.

Lors de la discussion à l’Assemblée, a été évoqué par Mme Colette Capdevielle, rapporteure du texte, le fait que la question avait été beaucoup débattue en commission des lois, compte tenu de l’avis du Sénat, et que si la réforme du droit des contrats n’était pas faite par ordonnance, elle ne serait pas faite du tout, du moins pendant la présente législature. 

On peut citer ce passage de l’intervention de Mme Capdevielle: « C’est vrai, pendant des années, d’éminents spécialistes, des universitaires, des magistrats, des parlementaires ont travaillé sur cette question. Nous aurions sans doute tous, surtout les civilistes, aimé débattre de la cause des obligations, de la naissance du contrat, de l’accord des volontés, des causes d’imprévisibilité. Cela étant, je constate tout de même que ce sujet ne passionne pas les foules. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) C’est certainement dommage, mais aurions-nous passé trois semaines, voire un mois, à en discuter ici alors que l’agenda parlementaire est particulièrement chargé ? Très franchement, je ne le crois pas, d’autant plus que, pour tout vous dire, je n’ai pas été assaillie de demandes de mes collègues désireux de connaître précisément le contenu de l’avant-projet. Reconnaissons-le : le texte que m’a transmis la garde des sceaux est bien écrit et clair. Il aborde tous les aspects : l’avant-contrat, la naissance du contrat, sa vie et sa fin. On voit bien qu’il est rédigé par des spécialistes du droit, d’autant plus qu’il reprend l’ensemble de la jurisprudence, modernise le droit des contrats et le rend enfin lisible et applicable. Si des questions m’avaient été posées, j’aurais bien évidemment donné toutes les réponses. Ce texte, je l’ai indiqué en commission, était à la disposition de tous ceux qui voulaient bien le consulter. On peut s’enferrer, s’enfermer dans des questions de principe, mais cette attitude ne fera absolument pas avancer la situation parce que personne, ici, je dis bien : personne, ne peut discuter l’urgence et la nécessité de ce texte ».

Il est également dit, à propos de l’avant-projet, qu’il « comprend des innovations significatives mais aussi un nettoyage nécessaire » et qu’il « ne bouleverse pas profondément notre droit des contrats ».

 

L’article 3 du projet de loi, tel qu’il a été rétabli, dispose:

« Dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution, le Gouvernement est autorisé à prendre par voie d’ordonnance les mesures, relevant du domaine de la loi, nécessaires pour modifier la structure et le contenu du livre III du code civil, afin de moderniser, de simplifier, d’améliorer la lisibilité, de renforcer l’accessibilité du droit commun des contrats, du régime des obligations et du droit de la preuve, de garantir la sécurité juridique et l’efficacité de la norme et, à cette fin :

1° Affirmer les principes généraux du droit des contrats tels que la bonne foi et la liberté contractuelle ; énumérer et définir les principales catégories de contrats ; préciser les règles relatives au processus de conclusion du contrat, y compris conclu par voie électronique, afin de clarifier les dispositions applicables en matière de négociation, d’offre et d’acceptation de contrat, notamment s’agissant de sa date et du lieu de sa formation, de promesse de contrat et de pacte de préférence ;

2° Simplifier les règles applicables aux conditions de validité du contrat, qui comprennent celles relatives au consentement, à la capacité, à la représentation et au contenu du contrat, en consacrant en particulier le devoir d’information et la notion de clause abusive et en introduisant des dispositions permettant de sanctionner le comportement d’une partie qui abuse de la situation de faiblesse de l’autre ;

3° Affirmer le principe du consensualisme et présenter ses exceptions, en indiquant les principales règles applicables à la forme du contrat ;

4° Clarifier les règles relatives à la nullité et à la caducité, qui sanctionnent les conditions de validité et de forme du contrat ;

5° Clarifier les dispositions relatives à l’interprétation du contrat et spécifier celles qui sont propres aux contrats d’adhésion ;

6° Préciser les règles relatives aux effets du contrat entre les parties et à l’égard des tiers, en consacrant la possibilité pour celles-ci d’adapter leur contrat en cas de changement imprévisible de circonstances ;

7° Clarifier les règles relatives à la durée du contrat ;

8° Regrouper les règles applicables à l’inexécution du contrat et introduire la possibilité d’une résolution unilatérale par notification ;

9° Moderniser les règles applicables à la gestion d’affaires et au paiement de l’indu et consacrer la notion d’enrichissement sans cause ;

10° Introduire un régime général des obligations et clarifier et moderniser ses règles ; préciser en particulier celles relatives aux différentes modalités de l’obligation, en distinguant les obligations conditionnelles, à terme, cumulatives, alternatives, facultatives, solidaires et à prestation indivisible ; adapter les règles du paiement et expliciter les règles applicables aux autres formes d’extinction de l’obligation résultant de la remise de dette, de la compensation et de la confusion ;

11° Regrouper l’ensemble des opérations destinées à modifier le rapport d’obligation ; consacrer, dans les principales actions ouvertes au créancier, les actions directes en paiement prévues par la loi ; moderniser les règles relatives à la cession de créance, à la novation et à la délégation ; consacrer la cession de dette et la cession de contrat ; préciser les règles applicables aux restitutions, notamment en cas d’anéantissement du contrat ;

12° Clarifier et simplifier l’ensemble des règles applicables à la preuve des obligations ; en conséquence, énoncer d’abord celles relatives à la charge de la preuve, aux présomptions légales, à l’autorité de chose jugée, aux conventions sur la preuve et à l’admission de la preuve ; préciser, ensuite, les conditions d’admissibilité des modes de preuve des faits et des actes juridiques ; détailler, enfin, les régimes applicables aux différents modes de preuve ;

13° Aménager et modifier toutes dispositions de nature législative permettant d’assurer la mise en œuvre et de tirer les conséquences des modifications apportées en application des 1° à 12°.« 

 

L’article 16 du projet de loi prévoit quant à lui que les ordonnances correspondantes devront être prises dans un délai de douze mois à compter de la publication de la loi.

 

La prochaine étape est un passage en commission mixte paritaire.

Bruno DONDERO

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