L’adoption de lois de qualité est bien évidemment un objectif primordial dans une démocratie comme la nôtre.
On peut par conséquent espérer que les lois sont adoptées selon un processus à même d’identifier les possibles imperfections. Le processus législatif doit permettre notamment de repérer les mauvaises informations qui pourraient affecter la loi, de faire du « fact checking » en somme.
Bien entendu, la critique est aisée, et les rédacteurs des textes ne sont pas à l’abri d’erreurs.
Mais l’on se rend compte, de manière inquiétante, que le processus législatif ne met pas le Parlement à l’abri des « fake news » – à prendre ici comme des informations erronées et introduites en connaissance de cause dans le processus, ou simplement colportées sans qu’il ait été procédé à leur vérification.
L’exemple récent de Marine Le Pen à l’Assemblée nationale.
Lors du vote par l’Assemblée nationale de la loi ratifiant l’ordonnance de réforme du droit des contrats, Marine Le Pen a fait deux interventions au soutien d’amendements présentés par son groupe, l’un relatif à la notion d’objet du contrat, l’autre relatif à l’erreur de droit.
Nous en avons parlé sur ce blog, car la députée FN nous donnait l’occasion de présenter ces notions fondamentales du droit des contrats… précisément parce qu’elle ne maîtrisait ni l’une ni l’autre.
Dans un cas, elle soutenait la réintroduction dans le Code civil d’une notion que l’ordonnance fait disparaître – l’objet du contrat.
Dans l’autre, elle s’insurgeait contre l’introduction en droit français d’une notion qu’elle présentait comme issue du droit américain – la possibilité de faire annuler un contrat parce que l’une des parties aurait commis une erreur en droit sur sa situation.
Dans les deux cas, l’amendement soutenu n’a pas été adopté.
Mais dans les deux cas, les arguments donnés par Marine Le Pen au soutien desdits amendements étaient erronés. Précisément, ils étaient faux en droit.
Pour l’objet du contrat, Mme Le Pen confondait la notion d’objet avec celle de cause de l’obligation.
Pour l’erreur de droit, la notion est reconnue depuis la première moitié du 19ème siècle par la jurisprudence française. En termes de « nouveauté » et de nouveauté « venue du droit étranger », on fait mieux…
Ce n’est pas pour le plaisir de critiquer une parlementaire en particulier que je reviens sur ces événements, mais parce qu’il est intéressant de s’interroger sur les informations reçues des députés lorsqu’ils votent, et sur l’influence qu’elle peuvent avoir sur leur consentement.
Si l’amendement de Marine Le Pen sur l’erreur de droit avait été voté, le droit français aurait été modifié d’une manière qui n’aurait sans doute pas été en accord avec le souhait du législateur (lorsqu’il avait habilité le Gouvernement à réformer par ordonnance le droit des contrat): on aurait retiré du droit civil français une cause de nullité reconnue depuis très longtemps par la jurisprudence, mais ce retrait serait intervenu sur un fondement erroné. On aurait entendu préserver le droit français des contrats de l’introduction d’une règle nouvelle, alors que cette règle était en application de longue date devant nos tribunaux. On aurait donc tordu le cou à une jurisprudence bien établie, en voulant préserver la situation de notre droit…
Rappel de la nécessité du consentement
Notre droit connaît une notion très vaste, qui est celle des actes juridiques, c’est-à-dire les manifestations de volonté destinées à produire des effets de droit.
Le contrat est l’un des actes juridiques les plus importants, mettant en contact deux ou plusieurs parties qui s’engagent à exécuter des obligations déterminées ou déterminables.
Mais parmi les actes juridiques, on rencontre aussi une figure différente, qui est celle des actes juridiques collectifs. L’acte juridique collectif est celui « par lequel se manifestent les volontés d’un ensemble de personnes unies par une communauté d’intérêts ou impliquées par une action commune » (F. Terré, Introduction générale au droit, 10ème éd., Dalloz, 2015, n° 221). L’acte juridique collectif peut être notamment un vote en assemblée, qu’il s’agisse de l’assemblée des associés d’une société ou d’une assemblée parlementaire.
Le Code civil, dans sa rédaction la plus récente, définit utilement les actes juridiques et indique qu’ « ils obéissent, en tant que de raison, pour leur validité et leurs effets, aux règles qui gouvernent les contrats » (art. 1100-1).
L’article 1128 du Code civil définit les conditions de validité du contrat et il mentionne en premier « le consentement des parties », c’est-à-dire la volonté de réaliser l’acte juridique en question.
Ce consentement ne doit pas être vicié, ce qui signifie qu’il ne doit pas porter sur des informations erronées.
On connaît en droit des contrats l’erreur au sens strict, qui est une erreur qui trouve son origine chez la seule partie qui se trompe. En clair, elle se trompe toute seule. Je vous achète un objet que je crois en or, alors qu’il est en métal doré. Si cette erreur remplit certaines conditions – elle doit notamment être excusable – le contrat conclu par erreur peut être annulé.
On connaît aussi le dol, qui est l’erreur provoquée par l’autre partie, qui fournit intentionnellement des informations erronées. Par exemple un faux certificat attestant que l’objet vendu est en or, alors qu’il ne l’est pas.
Le dol législatif
Lorsque le Parlement vote la loi, les députés réalisent ensemble un acte juridique, au même titre que le ferait une assemblée réunissant les actionnaires d’une société ou les membres d’association.
Lorsqu’une assemblée d’actionnaires ou de sociétaires prend une décision sur la base d’informations fausses, cette décision peut faire l’objet d’une annulation. Cela n’est pas discuté en droit des groupements.
Mais si le Parlement vote de manière biaisée, c’est-à-dire influencée par de fausses informations, peut-on envisager que son vote soit nul ?
La nullité est effectivement, en droit privé, la sanction de l’erreur et du dol. Maintenant, on a un peu de mal à traiter le vote d’une assemblée parlementaire comme le premier contrat de consommation venu.
L’escroquerie à la loi
On connaît l’escroquerie au jugement. Cette forme particulière d’escroquerie ou de tentative d’escroquerie consiste à produire devant une juridiction des documents de nature à tromper le juge, pour obtenir qu’il prononce une décision favorable à l’auteur de la manipulation ou à une autre personne.
L’escroquerie à la loi pourrait être le fait de produire des informations fausses devant le Parlement pour conduire celui-ci à adopter un texte différent de celui qui serait voté sinon.
Mais au-delà d’éventuelles sanctions pénales, peut-on envisager que la loi elle-même soit remise en cause ?
Est-ce par le biais d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) que la loi adoptée à la suite de la transmission d’informations fausses doit être contestée ?
La Constitution dispose que la loi est votée par le Parlement (art. 24), mais ne doit-on pas considérer que cet article est violé quand l’Assemblée ou le Sénat ne donne son consentement que sur la base de fausses informations ?
Dans le cas de Marine Le Pen, le caractère erroné des informations données était aisément identifiable par n’importe quel juriste maîtrisant les bases du droit des contrats.
Mais le Parlement peut aussi travailler sur la base d’informations erronées relevant du domaine scientifique, notamment médical.
Imaginons qu’une loi autorise l’utilisation d’un pesticide sur le fondement d’études scientifiques présentant le produit comme dépourvu de danger pour l’homme, alors qu’il est extrêmement dangereux.
La loi ne pourrait-elle voir sa validité contestée du fait de l’absence de consentement du Parlement?
Bruno DONDERO