Je suis toujours à la recherche de moyens un peu originaux et attractifs pour expliquer telle ou telle notion juridique, après les fictions pédagogiques et autres poèmes jurisprudentiels, en passant par la tirade de la loi.
Les séries, de Suits à Mon Oncle Charlie, nous offrent ici ou là des illustrations du fonctionnement d’institutions juridiques.
La série Les Sopranos nous offre ainsi une explication, certes un peu musclée mais intéressante, de la différence entre le contrat de société et le contrat de prêt dans la scène suivante, extraite de l’épisode 6 de la saison 4 (Everybody Hurts).
Dans cette scène assez violente, Artie Bucco (le monsieur chauve) vient tenter de récupérer les 50.000 dollars qu’il a remis précédemment à un Français, joué par Jean-Hugues Anglade. Ce Français, du nom de Jean-Philippe, avait expliqué à Artie qu’il tentait de développer le commerce de l’armagnac aux Etats-Unis, alcool destiné à devenir selon lui « la nouvelle vodka ». Le financement d’Artie devait contribuer à cette activité.
Pour disposer des fonds, Artie a obtenu un prêt de la part de Tony Soprano, chef de la mafia locale.
Simplement, Jean-Philippe explique à Artie que le commerce de l’armagnac ne démarre pas et ne va peut-être pas se faire, parce que le Crédit lyonnais n’a pas apporté de deuxième tour de table, parce que les personnes qu’il a rencontrées n’ont pas été convaincues par le potentiel de l’armagnac, que les gens ne savent pas comment commercialiser l’armagnac, etc..
Cela ne convainc pas Artie, qui demande son argent, mais qu’il n’obtiendra pas de Jean-Philippe, leur analyse juridique n’étant pas la même.
Cette scène illustre bien la différence entre le contrat de prêt (thèse d’Artie) et le contrat de société (thèse de Jean-Philippe).
Artie pense qu’il a conclu avec Jean-Philippe un contrat de prêt.
Or, dans le cadre d’un contrat de prêt, l’article 1902 du Code civil nous dit clairement que « L’emprunteur est tenu de rendre les choses prêtées, en même quantité et qualité, et au terme convenu« . L’emprunteur ne saurait donc refuser de rembourser le prêteur au motif, comme le fait Jean-Philippe, que l’argent a été dépensé, et que « it’s business, it’s a risk« . Artie n’a même pas besoin de sortir son Code civil (qui pourrait pourtant faire une arme utile).
Jean-Philippe a une analyse juridique différente, et voit dans leur relation un contrat de société.
C’est pour cela qu’il n’envisage pas de rembourser, car si Artie est l’associé de Jean-Philippe et que les 50.000 dollars étaient un apport en numéraire, il n’est aucunement question de « remboursement ». L’article 1832 du Code civil impose à l’associé Artie de contribuer aux pertes, ce qui veut dire que si des créanciers ont été payés avec l’argent apporté et que la société n’a plus cet argent, il perd l’apport qu’il avait fait, sans pouvoir demander la restitution des sommes apportées à quiconque.
excellente métaphore, je ne manquerai pas de la communiquer à mes étudiants en précisant que vous en êtes l’auteur 🙂
Rassurant de constater que le droit et l’humour (noir) font bon ménage. Toutefois, il me semble que ce litige sera réglé en privé et ne donnera jamais lieu à jurisprudence 😉
Bien vu, cher Olivier!
Toujours beaucoup d’humour mis au service du droit : un vrai plaisir !
A quand les cours de droit pénal basés sur « Engrenages » 😉 ?
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Bonjour!
Je pense que c’est la nature de la relation entre les protagonistes d’une affaire qui peut aussi engendrer la différence entre le contrat d’un prêt et le contrat des sociétés.
Si non, merci pour ces quelques sources d’humour du droit
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