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Loi d’habilitation à réformer le Code du travail par ordonnances: la référence à l’ordre public est-elle utile ?

Les députés communistes, nous rapporte Le Monde, ont obtenu dans la soirée de lundi l’adoption d’un de leurs amendements dans le projet de loi d’habilitation pour réformer le Code du travail par voie d’ordonnance, actuellement en cours d’examen à l’Assemblée.

On pourrait faire une blague de juriste et dire que cet amendement est d’ordre public. En réalité, il parle d’ordre public.

« Mais est-il vraiment utile ? »  se demanderont les juristes.

L’art. 1er du projet de loi était rédigé avant l’adoption de l’amendement, comme suit:

« Dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution, et dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement est autorisé à prendre par ordonnances toute mesure relevant du domaine de la loi afin :

1° De reconnaître et attribuer une place centrale à la négociation collective notamment d’entreprise, dans le champ des dispositions, applicables aux salariés de droit privé, relatives aux relations individuelles et collectives de travail, à l’emploi et à la formation professionnelle, en :

a) Définissant les domaines dans lesquels la convention ou l’accord d’entreprise ne peut comporter des stipulations différentes de celles des conventions de branche ou accords professionnels ou interprofessionnels, les domaines et conditions dans lesquels les conventions de branche ou accords professionnels ou interprofessionnels peuvent stipuler expressément s’opposer à toute adaptation par convention ou accord d’entreprise et en reconnaissant dans les autres matières la primauté de la négociation d’entreprise ; (…) »

Après l’adoption de l’amendement, le a) indique (ajouts en gras et sans un point-virgule tombé là par hasard):

« a) Définissant dans le respect des dispositions d’ordre public, les domaines dans lesquels la convention ou l’accord d’entreprise ne peut comporter des stipulations différentes de celles des conventions de branche ou accords professionnels ou interprofessionnels, les domaines et conditions dans lesquels les conventions de branche ou accords professionnels ou interprofessionnels peuvent stipuler expressément s’opposer à toute adaptation par convention ou accord d’entreprise et en reconnaissant dans les autres matières la primauté de la négociation d’entreprise ; (…) »

L’amendement est accompagné d’une note d’explication indiquant : « Alors que le projet de loi d’habilitation à réformer par ordonnance vise à élargir le champ de la négociation collective, il ne fait mention d’aucune disposition d’ordre public, c’est à dire les règles impératives auxquelles il est impossible de déroger par un accord ou une convention. Si la ministre du Travail a laissé entendre que le SMIC ou les 35h resteront d’ordre public, l’ensemble des autres sujets, notamment ceux liés à la santé et à la sécurité, pourraient donc être renvoyés à la négociation de branche ou d’entreprise. Dans le souci de garantir les protections légales essentielles dont bénéficient les salariés, cet amendement de repli propose que la nouvelle articulation des normes proposée dans le présent article se fasse dans le respect des normes d’ordre public.« 

On peut se demander s’il n’était pas suffisant de rappeler, ou plutôt de se rappeler, sans qu’il faille l’insérer dans la loi, que l’article 6 du Code civil dispose « On ne peut déroger, par des conventions particulières, aux lois qui intéressent l’ordre public et les bonnes mœurs« .

Imagine-t-on d’habiliter le Gouvernement à décider par ordonnance que les accords collectifs peuvent toucher à tout, sans respecter l’ordre public, c’est-à-dire les règles impératives, auxquelles on ne peut déroger, et dont le droit du travail regorge déjà ?

On peut donc se dire que l’ajout n’était finalement pas très utile.

Mais cela permet aussi de commencer les travaux parlementaires sur une touche positive: au moins, on est déjà d’accord sur une chose !

Bruno Dondero

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MOOC Sorbonne Droit des entreprises, saison 2 !

Difficile d’avoir échappé aux MOOCs, ces Massive Open Online Courses, cours ouverts en ligne et massif, en bon français.

En clair, les universités et d’autres entités mettent en ligne des cours, recourant beaucoup à des vidéos, et ces cours sont utilisables par tous, généralement gratuitement.

Pourquoi investir dans des cours gratuits?

Je ne répondrai ici que du point de vue du MOOC Sorbonne Droit des entreprises de l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne que j’ai le bonheur d’animer avec Sevim Essiz, David Lorente, les community managers Anne-Charlène Bezzina, Chantal Donzel et Julien Delvallée, et avec le soutien des équipes de Paris 1.

La première session de ce MOOC a vu plus de 11.000 personnes participer, et plus du quart de ces personnes obtenir l’attestation de réussite liée à ce MOOC.

Photo Direct

Lors d’un direct, avec les professeurs Louise-Hélène Richard et Guy Lefebvre, de l’Université de Montréal, venus nous éclairer sur le droit canadien de l’entreprise.

Cela veut dire que ces milliers de personnes ont bénéficié d’une formation faite par des professionnels, avec des instruments pédagogiques de qualité, et qu’elles ont pu travailler à leur rythme. Certains ont découvert le droit pour la première fois, d’autres ont actualisé leurs connaissances, d’autres encore ont pu trouver la réponse à une question juridique qui les concernait et qu’ils se posaient.

Des personnes dont la vie familiale ou professionnelle ne leur permettait pas d’aller suivre des cours à l’Université, ou qui vivent ailleurs qu’en France (un certain nombre de participants étaient basés en Afrique) ont ainsi pu accéder à cette formation.

Ce MOOC a contribué à la diffusion du droit, du droit français et de la langue française.

Il nous a semblé important de proposer une deuxième session, en espérant qu’elle touche plus largement encore que la première des personnes qui n’ont pas d’autre accès à une formation juridique, et en apportant à notre MOOC un certain nombre d’enrichissements.

L’inscription est ici: https://www.france-universite-numerique-mooc.fr/courses/Paris1/16001S02/Trimestre_1_2015/about

La formation commence le 28 janvier 2015.

Bruno Dondero

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Le droit accessible à tous par la vidéo (diffusion du droit français)

Lorsque nous avons mis en place la première session du MOOC Sorbonne Droit des entreprises, session qui s’est déroulée en mai-juin dernier, et qui a rassemblé au final près de 11.000 personnes et délivré plusieurs milliers d’attestations de réussite, nous avons créé un grand nombre de vidéos pédagogiques, d’une durée de 5 à 10 minutes.

Ces vidéos ont été réalisées à l’Université Paris 1, et elles sont de grande qualité technique. S’agissant des intervenants, il s’agissait du professeur Alain Couret, de Stéphane Sylvestre, avocat, et de Dominique Ledouble, expert-comptable et commissaire aux comptes, ainsi que de moi-même.

Elles couvrent, en 5 à 10 minutes chacune, beaucoup des grands thèmes du droit des sociétés.

Ces vidéos sont déjà accessibles, pour certaines d’entre elles, sur le site Canal U, ici: http://www.canal-u.tv/auteurs/dondero_bruno/videos#element_2

 

  • A l’origine de la société, souvent un contrat

    Les apports

  • Le compte courant d’associé

  • L’intention de participer aux résultats – les clauses léonines

  • L’affectio societatis

  • Les sociétés unipersonnelles

Ces différentes vidéos seront bientôt accessibles aussi sur Youtube.

Ainsi, toute personne qui veut se former ou qui a besoin d’animer un cours de droit pourra, où qu’elle soit dans le monde, utiliser ces vidéos.

Un prochain post donnera une indication de programme de cours basé sur ces vidéos.

Bruno DONDERO

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MOOC : Université libre en droit et défense de la culture juridique française

Qu’est-ce qu’un MOOC?

Il est difficile depuis un an et demi d’échapper à la déferlante des MOOCs (Massive Open Online Courses), qui sont des enseignements accessibles par internet, normalement gratuits et ouverts à tous. Une de leurs particularités, mais il n’y a pas de règle universelle dans ce domaine, c’est l’interactivité, avec les enseignants et avec les autres participants. Voilà pourquoi les MOOCs recourent beaucoup aux réseaux sociaux, Facebook et twitter notamment. Cela différencie aussi un MOOC du fait de mettre en ligne une vidéo ou un document. Cela ne fait pas un MOOC, mais si cela sert de support à des échanges entre les enseignants et les participants, de manière encadrée, on va vers le MOOC.

Un enseignant canadien a créé une vidéo (en anglais) qui explique bien les MOOCs:

http://www.youtube.com/watch?v=eW3gMGqcZQc

 

Un MOOC en droit des entreprises.

Cela fait plus d’un an qu’avec plusieurs personnes, à l’Université Paris 1 Panthéon – Sorbonne, nous avons entrepris un travail sur un MOOC consacré au droit des entreprises, et particulièrement aux règles juridiques applicables aux sociétés: comment les constituer, comment fonctionnent-elles, quelles sont les grandes formes de sociétés, etc. Ce MOOC est aujourd’hui accessible sur la plate-forme du Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche: https://www.france-universite-numerique-mooc.fr/courses/Paris1/16001/Trimestre_2_2014/about

Ce MOOC est bien évidemment gratuit et compte plusieurs milliers d’inscrits au jour où j’écris.

 

Les utilités des MOOCs juridiques.

Les utilités des MOOCs juridiques, tel que celui que nous proposons, sont nombreuses.

Tout d’abord, les MOOC constituent un enseignement ouvert à tous, comme les « universités libres » et les « universités de tous les savoirs ». Ils permettent donc de toucher un public qui n’est pas celui des seuls étudiants inscrits à l’Université, mais potentiellement toute la population. On perçoit une première utilité des MOOCs, qui permettront de faire connaître à nos concitoyens tel ou tel aspect de notre système juridique. On peut imaginer toutes les déclinaisons : un MOOC consacré au Code de la route, un autre aux contrats, un troisième aux élections, un autre encore au droit du travail, et ainsi de suite. Alors que nous baignons tous dans le système juridique, nous ne recevons pas tous une formation juridique de base. Les MOOCs juridiques pourraient assurer une telle formation.

Ensuite, ceux qui connaissent déjà le droit ou voudraient le connaître pourront participer avec profit à un MOOC juridique: les lycéens qui se demandent ce qu’est le droit, les étudiants qui veulent réviser ou s’avancer, les professionnels qui veulent approfondir un point de droit ou actualiser leurs connaissances, sont parmi les publics privilégiés d’un MOOC juridique. 

Enfin les MOOCs ont un rôle essentiel à jouer dans la diffusion du droit français, de la culture juridique française et de la francophonie, plus largement. Les MOOCs sont surtout anglophones, aujourd’hui. Les universités américaines ont compris depuis longtemps l’intérêt qu’il y avait à rendre visibles leurs enseignants et leurs cours sur internet par le biais de MOOCs. Parce qu’ils sont gratuits, ouverts à tous et très facilement accessibles, les MOOCs sont un formidable instrument de diffusion du savoir, mais aussi un moyen de diffuser des modèles, en l’occurrence des modèles juridiques. Le MOOC est aussi un instrument de « soft power ». Il permet de faire connaître à la planète entière tel ou tel aspect particulièrement performant de notre système juridique, telle ou telle solution de nos tribunaux, etc.

Il faut préciser un point important. Même si un MOOC est consacré au droit français, il peut servir de support de travail à des participants basés dans un autre pays que la France. Ils pourront constituer des communautés de travail, par les réseaux sociaux, et échanger précisément sur les aspects particuliers de leur système juridique par rapport à ce qu’évoque le MOOC de droit français. Des enseignants de chaque pays pourraient relayer la formation en se servant des supports du MOOC de droit français et en les adaptant. Cela sera d’autant plus facile que le pays en question aura un droit proche du droit français.

Voilà pourquoi il est important de s’intéresser, même à titre expérimental, aux MOOCs et particulièrement aux MOOCs juridiques !

Bruno DONDERO

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L’acte juridique d’expert-comptable rejeté par le Conseil constitutionnel (décision n° 2014-691 du 20 mars 2014)

Le Conseil constitutionnel a rendu sa décision relative à la loi ALUR (loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové).

Il a déclaré conformes à la constitution la plupart des dispositions de la loi, mais il a censuré l’article 153, relatif à « l’acte juridique contresigné par expert-comptable », par ses considérants n° 74 à 76.

La décision est consultable sur le site du Conseil constitutionnel: http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/les-decisions/acces-par-date/decisions-depuis-1959/2014/2014-691-dc/decision-n-2014-691-dc-du-20-mars-2014.140310.html .

Nous avions évoqué la saisine du Conseil constitutionnel ici: https://brunodondero.wordpress.com/2014/02/25/acte-juridique-contresigne-par-expert-comptable-la-loi-alur-devant-le-conseil-constitutionnel/ et nous avions commenté l’art. 153 là: https://brunodondero.wordpress.com/2014/02/20/quand-le-legislateur-invente-lacte-juridique-contresigne-par-expert-comptable-loi-alur-et-cession-de-parts-de-sci/

 

Cet article 153 disparaît donc, ce qui est une bonne chose mais n’épargnera pas une discussion sur le périmètre du droit et l’exercice du droit (nous soulignons le passage pertinent):

« 74. Considérant que l’article 153 complète l’article 1861 du code civil pour imposer que la cession de la majorité des parts sociales d’une société civile immobilière remplissant certaines conditions soit constatée par un acte reçu en la forme authentique ou par un acte sous seing privé contresigné par un avocat ou par un professionnel de l’expertise comptable ; 

75. Considérant que, selon les sénateurs requérants, ces dispositions, en confondant l’acte sous seing privé contresigné par un avocat et celui contresigné par un professionnel de l’expertise comptable, méconnaissent l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi et portent atteinte à la sécurité juridique ; qu’en renvoyant aux conditions prévues au chapitre Ier bis du titre II de la loi du 31 décembre 1971, applicable aux avocats, pour définir l’acte sous seing privé contresigné par un professionnel de l’expertise comptable, le législateur aurait également méconnu l’étendue de sa compétence ; 

76. Considérant que l’article 153 a été introduit par amendement en première lecture à l’Assemblée nationale ; qu’il modifie des dispositions relatives aux actes qui doivent être accomplis par des officiers publics ou des membres des professions réglementées ; que ces dispositions ne présentent pas de lien avec les dispositions du projet de loi initial ; qu’elles ont donc été adoptées selon une procédure contraire à la Constitution ; que, sans qu’il soit besoin d’examiner les griefs soulevés par les sénateurs requérants, l’article 153 doit être déclaré contraire à la Constitution « .

Bruno DONDERO

 

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Condamnation pénale confirmée pour Jérôme Kerviel, mais cassation sur le volet civil (Cass. crim., 19 mars 2014)

La Chambre criminelle de la Cour de cassation vient de rendre sa décision dans l’affaire opposant Jérôme Kerviel et la Société générale (arrêt du 19 mars 2014) : http://www.courdecassation.fr/IMG///CC_crim_arret1193_140319.pdf, avec un communiqué explicatif http://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/chambre_criminelle_578/arret_n_28730.html .

 En substance, la Chambre criminelle confirme la condamnation pénale de Jérôme Kerviel, mais elle casse la décision de la Cour d’appel de Paris en ce qu’elle avait condamné le trader à verser 4,9 milliards d’euros de dommages-intérêts à son ancien employeur.

 Le volet pénal de l’affaire est donc définitivement tranché, mais une autre juridiction (en l’occurrence la Cour d’appel de Versailles) devra statuer à nouveau sur l’indemnisation à laquelle peut prétendre la Société générale.

  

I – Sur les condamnations pénales : confirmation de l’arrêt d’appel.

 La Cour d’appel de Paris avait condamné le trader à une peine de prison (cinq ans dont deux avec sursis) pour la commission de différents délits.

 Il était reproché à Jérôme Kerviel d’avoir commis un abus de confiance, consistant à avoir utilisé les moyens remis par la banque pour réaliser des opérations à haut risque dépourvues de couverture et au-delà de la limite autorisée fixée à 125 millions d’euros. Les positions spéculatives prises par le trader portaient sur plusieurs dizaines de milliards d’euros.

 M. Kerviel avait plaidé que la banque avait eu connaissance de ses activités, ou aurait dû en connaître l’existence, ce qui n’avait pas été retenu par la cour d’appel, qui avait estimé au contraire que la Société générale n’avait pas eu connaissance des activités de son salarié.

 La question était centrale, car l’abus de confiance consiste à utiliser un bien remis à une fin particulière à une fin autre, notamment dans son intérêt personnel (l’ABS est un délit proche d’ailleurs). S’il avait été établi que la banque laissait faire consciemment le trader, le délit n’aurait pas été constitué.

 La Cour de cassation confirme l’arrêt d’appel.

 Jérôme Kerviel avait également été déclaré coupable d’introduction frauduleuse de données dans un système de traitement automatisé (le système mis à sa disposition pour passer ses ordres, et dans lequel il avait saisi ou fait saisir des opérations fictives par centaines pour masquer ses opérations non autorisées).

 Le pourvoi en cassation portait non sur la situation particulière de Jérôme Kerviel ou sur la manière dont la cour d’appel avait statué, mais sur la conformité du délit concerné au principe de légalité des peines et à l’article 7 de la Convention européenne des droits de l’homme, relatif à ce même principe, selon lequel on ne peut être condamné pénalement si, au moment où les faits sont commis, la loi ne définit pas avec précision le comportement pénalement sanctionné. Il était soutenu que ni le « système de traitement automatisé de données », ni la finalité de l’atteinte frauduleuse au système n’étaient définis par le législateur.

 La Cour de cassation considère cependant que le texte concerné (article 323-3 du Code pénal) est suffisamment clair et précis.

 Jérôme Kerviel avait été enfin condamné pour faux et usage de faux, précisément pour avoir créé des courriers électroniques transférés aux organes de contrôle interne de la banque, condamnation que la Cour de cassation ne remet pas en cause.

 

 

II – Sur les condamnations civiles : cassation.

 En revanche, la Chambre criminelle de la Cour de cassation casse l’arrêt d’appel en ce qu’il avait condamné Jérôme Kerviel à une somme de 4,9 milliards d’euros de dommages-intérêts (précisément 4.915.610.154 euros), au titre du préjudice subi par la Société générale du fait du « débouclage impératif » des positions prises par le trader. En clair, la banque avait dû liquider les positions prises par M. Kerviel très vite et donc dans des conditions préjudiciables, pour se mettre en conformité avec la réglementation bancaire, notamment relative aux ratios de solvabilité.

 La cassation est fondée sur les articles 2 du Code de procédure pénale et 1382 du Code civil, relatifs à l’indemnisation de la victime d’une fait dommageable, en l’occurrence d’une infraction pénale.

 La question posée à la Cour de cassation était relative à la faute commise par la banque elle-même. La Commission bancaire, qui était alors l’autorité de régulation du secteur bancaire, avait constaté et sanctionné une « défaillance certaine des systèmes de contrôle de la Société générale », qui avait été condamnée à une amende de 4 millions d’euros.

 En droit français, la faute de la victime réduit en principe son droit à réparation. Dès lors, la faute de la banque, qui avait fait preuve de négligence dans la surveillance des opérations faites pour son compte, doit réduire son droit à réparation.

 

La cour d’appel avait cependant fait application d’une solution jurisprudentielle de la Chambre criminelle de la Cour de cassation selon laquelle le droit à réparation de la victime ne peut pas être réduit par sa faute lorsque son dommage lui est causé par une infraction intentionnelle contre les biens. La raison de cette solution est que si on admettait que l’auteur d’une infraction contre les biens (vol ou escroquerie, par exemple) ne doive pas indemniser la victime pour le tout, du fait de la faute de celle-ci, alors l’auteur du délit pourrait conserver une partie du profit tiré de sa faute pénale. Pour une application, v. Cass. crim., 4 oct. 1990, n° 89-85392, http://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000007067538&fastReqId=68031230&fastPos=1).

 La Chambre criminelle se refuse à appliquer cette solution ici, ce que l’on peut expliquer de deux manières.

 1. Elle se rallie à la position des autres Chambres de la Cour de cassation, et on peut le penser en lisant l’attendu de principe de l’arrêt selon lequel « lorsque plusieurs fautes ont concouru à la production du dommage, la responsabilité de leurs auteurs se trouve engagée dans une mesure dont l’appréciation appartient souverainement aux juges du fond ». La Chambre criminelle ne reprend donc pas sa jurisprudence précédente.

 2. Une autre explication possible est que la Cour de cassation considère que la banque a commis des négligences telles qu’elle aurait quasiment participé à la commission de l’infraction. L’arrêt relève que la cour d’appel avait relevé « l‘existence de fautes commises par la Société générale, ayant concouru au développement de la fraude et à ses conséquences financières ». Or quand la victime participe à la commission de l’infraction, la solution précédemment évoquée ne s’applique plus (v. Cass. crim., 4 oct. 1990, préc.).

 

Bruno DONDERO

 

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Un travail sur la finance islamique (Finance islamique et immobilier au Maroc)

Ces quelques lignes pour signaler aux lecteurs de ce blog la soutenance de la thèse de M. Zakaria Meliani, intervenue le 4 mars 2014, sur un sujet très intéressant: « Finance islamique et immobilier au Maroc ».

Ce travail, qui était dirigé par le professeur Renaud Mortier, de l’Université de Rennes 1, également directeur du Centre de droit des affaires de cette université, s’inscrivait dans le domaine de recherche sur la finance islamique, qui a déjà fait l’objet de nombreux travaux. Le thème précis traité par M. Meliani ne l’avait pas été, et la lecture de sa thèse, qui évoque un certain nombre d’institutions déjà connues et les rapproche des opérations immobilières, sera particulièrement apprécié de ceux qui étudient la finance islamique.

Parmi les institutions évoquées, on signalera notamment, au-delà de la prohibition bien connue du Riba, c’est-à-dire de l’intérêt, les contrats de Mourabaha (contrat d’achat-revente), de Moucharaka (contrat de société), d’Ijara wa iqtina (contrat de bail), ainsi que les Sukuk (titres obligataires islamiques). 

Au-delà du travail du doctorant, désormais docteur, la soutenance était particulièrement riche, et était assez proche d’un colloque sur la finance islamique, tout en ne perdant pas de vue le travail du candidat!  Le jury réunissait, outre le professeur Mortier, directeur des travaux, et l’auteur de ces lignes, rapporteur, le professeur Driss Khoudry, de la Faculté des sciences juridiques, économiques et sociales de Casablanca, Ain Chok, également rapporteur, le professeur Omar Ech-Cherif El Kettani, de la Faculté des sciences juridiques, économiques et sociales de Rabat, Agdal et le professeur Mohamed Naciri, de l’Etablissement Dar Al Hadith El Hassania, de Rabat.

Le candidat ayant eu la bonne idée de faire filmer l’intégralité de la soutenance, j’espère pouvoir insérer prochainement un lien vers la vidéo de ces « entretiens de la finance islamique », en attendant de pouvoir annoncer la publication de cet intéressant travail. 

Bruno Dondero

 

 

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