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Le dirigeant, payé à ne rien faire ? (Cass. com., 21 juin 2017, n° 1519593)

La société à responsabilité limitée (SARL) étant encore une société très répandue, les décisions relatives à son régime sont toujours intéressantes. L’arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 21 juin 2017 et destiné à publication aux deux Bulletins, déjà mis en ligne sur le site de la Cour, l’est d’autant plus qu’il enrichit la question de la rémunération des dirigeants, au-delà du seul cadre de la SARL.

Le 14 septembre 2006, M. X cédait les parts qu’il détenait dans le capital de la SARL (en l’occurrence une SELARL) dont il était associé et cogérant. Postérieurement à cette cession, il assignait son ancienne société, qu’il estimait lui devoir diverses sommes, particulièrement, selon les termes employés par la décision, au titre d’ « indemnités de gérance ».

La société défenderesse soulevait de son côté l’irrecevabilité des demandes formées par son ancien maître en se prévalant de l’existence d’un protocole d’accord.

La cour d’appel saisie du litige déclarait la demande en paiement recevable, mais mal fondée.

La question de la recevabilité était discutée par un pourvoi incident formé par la SELARL, rejeté pour des raisons qui n’intéressent pas le droit des sociétés.

En revanche, sur pourvoi formé par l’ancien associé et gérant, l’arrêt d’appel est cassé en ce qu’il avait rejeté la demande en paiement.

Voyons la question et la réponse qui lui est donnée par la Cour de cassation (I), avant de tenter de comprendre l’apport de la décision (II).

I – La question posée et la réponse apportée.

La cour d’appel avait rejeté la demande de l’ancien gérant en relevant que :

  1. l’assemblée générale ordinaire des associés avait fixé la rémunération à laquelle chaque gérant aurait droit à 6 000 euros par mois ;
  2. l’indemnité due à un gérant doit correspondre à un travail réalisé pour la société ;
  3. l’associé absent pour maladie ne pouvait accomplir ce travail, sauf à celui-ci à établir qu’il était demeuré à même d’exercer sa fonction de cogérant ;
  4. il ne rapportait pas cette preuve.

La Cour de cassation censure l’arrêt d’appel pour violation de l’article L. 223-18 du Code de commerce. Ce texte est relatif au gérant de SARL, mais il ne traite à aucun moment de la rémunération éventuellement due à celui-ci.

La Chambre commerciale juge par un attendu de principe que la SARL « est gérée par une ou plusieurs personnes physiques, associées ou non, dont la rémunération, fixée soit par les statuts soit par une décision collective des associés, est due tant qu’aucune décision la révoquant n’est intervenue ».

Plusieurs arrêts de la Cour de cassation avaient rappelé l’importance de la fixation de la rémunération du gérant de SARL par les statuts de celle-ci ou par une décision collective des associés (v. not. Cass. com., 25 sept. 2012, deux arrêts, n° 11-22337, Bull. IV, n° 169 ; BRDA 22/12, n° 5 ; D. 2012, p. 2301, obs. A. Lienhard ; BJS 2013, p. 26, note B. Dondero et n° 11-22754, Bull. IV, n° 171 ; BRDA 19/12, n° 1 ; D. 2012, p. 2302, obs. A. Lienhard ; BJS 2013, p. 22, note B. Dondero). Cette jurisprudence visait à combattre, particulièrement dans les petites sociétés, les pratiques d’auto-attribution d’une rémunération par le gérant sans l’accord des associés, ou les situations dans lesquelles le gérant étant également associé, le gérant (associé) s’attribuait des sommes avec l’accord tacite de l’associé (gérant)…

La détermination de la rémunération du gérant de SARL par les statuts ou par une décision des associés était jusqu’à présent une condition formelle de validité du versement d’une rémunération. La décision commentée semble déplacer le débat sur le terrain de la preuve.

Pour que la société soit tenue de verser la rémunération au gérant, faut-il que celui-ci établisse avoir fourni la prestation de direction attendue ? Si c’était là la solution retenue, le gérant qui aurait été absent – en l’occurrence il était indiqué par la cour d’appel que « l’associé » était « absent pour maladie » – et qui n’aurait pas pu diriger effectivement la société se verrait privé de rémunération.

La Cour de cassation juge cependant que la rémunération, déterminée par une clause des statuts ou par une décision des associés, est due sans que l’absence du gérant puisse s’opposer à cela.

II – L’apport de la décision.

On comprend de la décision commentée que, une fois la rémunération déterminée par les statuts ou par une décision des associés, le gérant n’a pas à établir la preuve de ce qu’il exerçait effectivement ses fonctions pour obtenir le versement de la rémunération.

On peut admettre que la charge de la preuve repose sur la société, et que l’on n’impose pas au dirigeant, une fois sa rémunération décidée, de prouver l’existence de son activité. Mais est-il possible à la société de refuser de verser à son gérant la rémunération prévue, motif tiré de l’absence du dirigeant ou, plus largement, du fait qu’il n’aurait pas fourni la prestation de direction attendue ?

L’arrêt commenté semble dire que non puisqu’il juge que « la rémunération, fixée soit par les statuts soit par une décision collective des associés, est due tant qu’aucune décision la révoquant n’est intervenue » (je souligne).

Il serait possible, mais l’on n’en doutait pas, qu’une décision des associés modifie pour l’avenir la rémunération convenue, en la réduisant ou en la supprimant complétement. Cela pourrait d’ailleurs aboutir, peut-on imaginer, à une révocation déguisée du dirigeant. Si la révocation du gérant de SARL suppose de démontrer un juste motif (art. L. 223-25 du Code de commerce), on pourrait, à défaut de juste motif, pousser le gérant rémunéré vers la sortie en instituant la gratuité de ses fonctions ou en le payant très peu.

Hors ce cas de « révocation » de la rémunération, pour reprendre les termes approximatifs de la Cour de cassation, la rémunération du gérant de SARL – et avec elle la rémunération des dirigeants sociaux en général – connaît peut-être une évolution avec l’arrêt du 21 juin 2017.

En indiquant que la rémunération est due peu important la maladie du dirigeant, la Cour de cassation éloigne le mandat social du contrat à titre onéreux classique, puisque si la rémunération est déterminée par les statuts ou par une décision des associés, elle est due, peu important la contrepartie reçue par la société… sous quelques réserves.

Tout d’abord, la rémunération excessive, qui recouvre l’hypothèse de sommes versées sans aucune contrepartie, pourra certainement donner lieu à restitution. Un fondement concevable est celui du traitement civil de l’abus de biens sociaux ; un autre est celui de l’abus de majorité.

Ensuite, et comme le rappelle l’arrêt commenté, la rémunération peut toujours être remise en cause. Si les associés estiment que la rémunération du dirigeant est excessive par rapport aux services fournis, il leur appartient de la revoir à la baisse… du moins si le dirigeant n’est pas en position de bloquer cette décision. Le principe est que le dirigeant associé peut voter, en qualité d’associé, sur la rémunération qui lui est due en tant que dirigeant.

Enfin, le fondement de ce statut particulier de la rémunération du dirigeant est sans doute à rechercher dans le caractère complexe des fonctions exercées. Même s’il est absent pour cause de maladie, le dirigeant n’en demeure pas moins tenu par son mandat social. Outre la possibilité de prendre des décisions à distance, il conserve notamment toutes les responsabilités attachées à la qualité de dirigeant (responsabilité pénale du chef d’entreprise notamment). La solution inverse à celle retenue, qui aurait consisté à admettre une direction par intermittence, suspendue au gré des empêchements et maladies du dirigeant, n’aurait été bonne pour personne : la société aurait été dépourvue de dirigeant, et la responsabilité de celui-ci aurait pu être écartée d’un coup d’arrêt-maladie opportun !

Bruno DONDERO

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Rémunérations des dirigeants, nouvel épisode

Régulièrement, la question des rémunérations des dirigeants de nos grandes entreprises revient dans le débat public. C’est au printemps que la question ressurgit chaque année. Cet effet « marronnier » s’explique par le fait que c’est à cette période de l’année que se tiennent les assemblées des grandes sociétés, et que la rémunération des dirigeants (ce que les journalistes appellent « le salaire des patrons ») revient alors sur la table.

J’emploie à dessein cette expression, car jusqu’à récemment, c’était une information qui était donnée à l’assemblée et rien de plus. Dans une société anonyme, à la différence de ce que l’on rencontre dans les SARL, ce ne sont pas les actionnaires qui décident de la rémunération du dirigeant (PDG, DG, etc.) mais cette compétence est conférée au conseil d’administration ou au conseil de surveillance.

Pendant longtemps, il n’était d’ailleurs même pas prévu que les actionnaires aient connaissance du montant des rémunérations accordées par le conseil aux dirigeants! Puis, en 2001, la loi NRE a exigé que la rémunération de chaque mandataire social soit indiquée dans le rapport de gestion annuel. Cette mesure visait initialement toutes les sociétés anonymes, cotées et non cotées, mais dès 2003, une loi a restreint la mesure aux seules sociétés cotées et à leurs filiales.

Dans les années qui ont suivi, la rémunération des dirigeants a fait l’objet de débats intenses, se focalisant alternativement sur tel ou tel aspect, allant des « golden hellos » (sommes versées lors de l’entrée en fonctions) aux « golden parachutes » (sommes versées en cas de cessation des fonctions), en passant par les « retraites chapeaux » (compléments de retraite).

Vote

Les actionnaires vont-ils pouvoir contraindre le conseil à réduire la rémunération des dirigeants ?

 

En 2013, le Code AFEP-MEDEF – qui est un code de bonne gouvernance auquel adhèrent la plupart de nos grandes entreprises – a introduit le principe du « Say on Pay« , qui consiste à soumettre la rémunération des dirigeants à l’assemblée des actionnaires. Ceux-ci n’ont pas le pouvoir de modifier le montant de la rémunération retenu par le conseil d’administration ou de surveillance, mais ils peuvent émettre un vote de désapprobation, ce qui conduira le conseil d’administration ou de surveillance à réexaminer la question. Ce vote de l’assemblée n’est pas contraignant, mais on peut penser que si l’assemblée des actionnaires – qui nomme le conseil d’administration et le conseil de surveillance et peut mettre fin aux fonctions de ces organes – manifeste sa désapprobation,  cela devrait avoir un impact sur la rémunération du dirigeant. La pratique n’est pas toujours en ce sens, cependant.

Dans une tribune au Monde publiée en 2013, j’avais suggéré d’aller plus loin et de donner compétence à l’assemblée générale pour statuer sur la grille des rémunérations de l’entreprise. Il ne faut pas oublier que la société exploite une entreprise, et que le dirigeant est membre de cette entreprise, au même titre que les salariés. Faire voter l’assemblée sur la politique générale des rémunérations, et notamment sur l’écart maximum admissible entre les rémunérations les plus basses et les plus élevées servies par l’entreprise, devrait permettre aux actionnaires de prendre conscience de cet écart et de réduire, s’ils l’estiment opportun, les rémunérations les plus élevées.

C’est vers une solution proche que pourrait s’orienter prochainement notre Code de commerce, puisqu’un amendement visant à rendre le vote des actionnaires contraignant va bientôt être soumis au vote des députés. Cela supposera toutefois que la loi commence par intégrer le mécanisme du Say on Pay, qui ne figure aujourd’hui que dans des codes de gouvernance auxquels les entreprises choisissent d’adhérer, et donc sans y être contraintes par la loi.

Bruno DONDERO

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La rémunération du président de SAS: contractuelle ou non ? (Cass. com., 4 nov. 2014, n° 13-24889)

Par cet arrêt qui sera publié au Bulletin (http://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000029741588&fastReqId=782671367&fastPos=1), La Chambre commerciale de la Cour de cassation tranche une question qui se pose souvent aux praticiens: la rémunération accordée au président de SAS est-elle de nature conventionnelle ou non ? L’enjeu était ici l’application de la procédure des conventions réglementées. Un autre enjeu de la reconnaissance de cette nature conventionnelle, c’est qu’une convention ne peut être remise en cause qu’avec l’accord des deux parties. Si l’on n’est pas en présence d’une convention, mais d’une décision prise par un organe de la société en application de la loi ou des statuts, la rémunération n’est plus conventionnelle mais institutionnelle, ce qui a) la rend modifiable de manière unilatérale par l’organe l’ayant décidée et b) doit écarter la procédure des conventions réglementées.

La Cour de cassation applique cette distinction depuis longtemps à propos des compléments de retraite versés aux dirigeants d’une société anonyme (v. not. Cass. com., 3 mars 1987, UBP c. Lebon, Bull. civ. IV, no 64) et plus récemment, elle s’en est servi à propos de la rémunération du gérant de SARL. Lorsque celle-ci donne lieu à une décision des associés, il fallait déterminer s’il s’agit d’une décision « normale » d’attribution de la rémunération, non prévue par la loi mais soumise au droit commun des décisions ordinaires, ou si l’on était en présence d’une décision d’approbation d’une convention réglementée, prise conformément à l’article L. 223-19 du Code de commerce et donc sans la participation au vote du gérant, lorsqu’il a la qualité d’associé. C’est la première solution qui a été retenue par la Cour de cassation (Cass. com., 4 mai 2010, no 09-13205 ; Bull. civ. IV, no 84).

Qu’en est-il de la SAS ? Il est possible que cette société conclue une convention avec son dirigeant, et que cette convention porte sur la rémunération due au mandataire social. On pourrait d’ailleurs être tenté de croire que ce mode conventionnel de détermination de la rémunération du dirigeant est plus fréquemment utilisé dans la SAS, qui est vue comme une société « contractuelle ». Une telle opinion a pu être exprimée en doctrine. Le mandat social, quel que soit la société concernée, est aussi de nature contractuelle. Mais les dirigeants d’une SAS, comme ceux des autres sociétés, sont plus souvent des organes que des mandataires. Leur statut est défini par la loi, ou par les statuts de la société intervenant dans le cadre qui leur est tracé par la loi. Même en l’absence d’un texte légal traitant de manière spécifique de la rémunération du président de SAS, le fait que l’article L. 227-5 dispose que « Les statuts fixent les conditions dans lesquelles la société est dirigée » nous semble suffire à faire passer la rémunération du dirigeant de SAS dans la sphère institutionnelle et organique, dès lors que les statuts se sont prononcés sur la question (v. cependant la solution retenue par la Compagnie nationale des commissaires aux comptes il y a quelques années, qui avait estimé que la procédure des conventions réglementées demeurait applicable lorsque le président se voyait reconnaître par les statuts le droit de fixer lui-même sa propre rémunération – Bull. CNCC, déc. 2006, p. 712).

Le deuxième angle d’attaque du minoritaire, dans le litige qui l’opposait au majoritaire, était celui de l’abus de majorité, et les éléments de réponse que fournit ici la Cour de cassation sont transposables à toute société. L’abus est écarté essentiellement au motif que le président assumait la responsabilité inhérente à ses fonctions et que la rémunération accordée par la société à son dirigeant n’était pas disproportionnée au regard de son résultat.

Bruno DONDERO

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