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Quatre colloques et un enterrement (mise à jour)

Il y a quelque temps, j’avais publié le billet ci-dessous. Je le republie avec quelques retouches, car je trouve qu’on a vraiment besoin de sourire en cette période anxiogène, et aussi parce que l’agence de legal design Your Comics m’a proposé d’illustrer ce billet, ce que je fais bien volontiers.

Comme les chanteurs, les chercheurs et les universitaires meurent, mais leurs œuvres leur survivent. Ce qui fait que l’on ne sait pas toujours, au moment où l’on consulte les travaux d’un professeur, si celui-ci est encore de ce monde. On dispose certes de moyens d’information, pour connaître le décès d’une personne, mais ils ne sont pas toujours fiables.

La rubrique nécrologique du journal Le Monde est une source d’information importante s’agissant des disparitions d’universitaires, mais il est des homonymies qui peuvent donner lieu à des confusions fâcheuses, et tout décès dans la communauté universitaire ne donne pas lieu à une notice.

Celui qui est mort n’est – c’est somme toute assez logique – plus invité dans les colloques. Mais certains collègues ne sont pas invités dans les colloques alors qu’ils sont pourtant bien vivants.

On peut donc en conclure que ne pas être invité à un colloque ne prouve pas que l’on est mort (heureusement). Pour autant, est-il si certain que, a contrario, l’invitation à un colloque permette de prouver incontestablement que le destinataire de l’invitation est bien vivant?

Il faut évoquer deux situations dans lesquelles la mort d’un universitaire, réelle ou supposée, peut avoir des conséquences inattendues dans sa vie professionnelle: celle du professeur dont on ne sait pas qu’il est mort (I), et celle du professeur dont on croit à tort qu’il est mort (II).

I – Le professeur dont on ne sait pas qu’il est mort.

Première situation : un professeur meurt, mais on ne le sait pas.

Il y a quelques années, des avocats me contactèrent pour me demander les coordonnées d’un professeur de droit des affaires, dont ils voulaient absolument qu’ils rédigent pour eux une consultation. Malheureusement, ces avocats ne parvenaient pas, en dépit de nombreuses tentatives, à entrer en contact avec l’universitaire. Je ne pouvais pas arrêter mes interlocuteurs dans leur description de l’utilité que ne manquerait pas d’avoir l’intervention de ce grand professeur de droit pour l’affaire de leur client. Au bout d’un moment, je leur assénai la terrible vérité : le professeur V… était décédé dix ans plus tôt. Silence à l’autre bout du fil. Puis un rire nerveux et cette remarque de bon sens: « Voilà pourquoi il ne répondait pas à nos mails! ».

Les morts ne sont pas, il faut le reconnaître, des correspondants très actifs. Quoique. Les réponses automatiques des boites mail ne pourraient-elles prolonger nos existences ? « Je suis dans l’au-delà et n’ai qu’un accès limité à mes mails. Pour toute demande urgente, vous pouvez contacter mon successeur au numéro suivant… ».

Ne pas savoir qu’un universitaire est mort peut d’ailleurs être à l’origine de terribles querelles. De manière étonnante, à une époque où nous sommes pourtant submergés chaque jour sous une avalanche de mails et où les fonctions « spam » font disparaître certains envois dans les tréfonds de nos messageries, on croise parfois des personnes qui sont scandalisées de ne jamais avoir reçu de réponse à un mail. Pourtant, si le destinataire ne répond pas parce qu’il est décédé, ne peut-on faire preuve d’un tout petit peu d’indulgence?

Le problème tient à ce qu’entre l’envoi d’un mail et la découverte de la mort de son destinataire, des mois peuvent s’écouler, pendant lesquels la colère de l’auteur du mail resté sans réponse croîtra inexorablement. De colloque en soutenance de thèse, il fera part à tous ceux qu’il rencontrera de sa profonde déception. Pouvait-on imaginer qu’un collègue aussi admirable que X…, dont les ouvrages sont d’une exceptionnelle qualité, puisse faire preuve d’autant de mépris à son égard, qu’il ne daigne pas même accuser réception de son message ? A force de répandre le fiel à chaque nouvelle rencontre, quelqu’un finira peut-être par révéler à la victime du silence qu’elle n’est pas prête de recevoir une réponse.

II – Le professeur qu’on croit mort alors qu’il est vivant.

L’autre situation que l’on peut rencontrer est celle où un universitaire est encore vivant, mais on le croit mort. Cette version ESR (Enseignement Supérieur et Recherche) du Colonel Chabert peut donner naissance à des querelles encore plus terribles que la précédente hypothèse.

Cette illustration a été réalisée par Your-Comics, agence legal design à Paris

Il faut savoir qu’il existe, dans le monde de la recherche, des manières particulières de citer les auteurs morts. Notamment, on ne cite pas le prénom de l’auteur décédé. En outre, le nom de l’auteur est parfois accompagné, notamment sur les ouvrages auxquels il a participé, d’une petite croix. On peut imaginer la surprise d’un auteur bien vivant qui découvre que la nouvelle édition d’un ouvrage auquel il a participé l’expédie dans le monde des morts.

Autre situation : vous êtes le professeur Z…, vous lisez un article de votre discipline préférée, et vous voyez que l’auteur cite vos travaux en évoquant « l’idée mise en avant dans ses travaux par notre regretté collègue Z… ». En dépit du respect dont fait preuve celui qui a écrit ces mots, il est à parier que leur destinataire ne les accueillera pas avec plaisir.

A rebours des différents hommages qui peuvent être rendus au défunt, le « professeur Chabert » ne devrait plus être invité à participer aux colloques, soutenances de thèses et autres réjouissances universitaires. Quel soulagement de découvrir que si vous étiez blacklisté depuis de nombreuses années, c’est qu’on pensait que vous aviez tragiquement péri il y a longtemps! Inversement, quel avantage d’échapper à toute sorte de corvées de la fonction universitaire en se prétendant trépassé!

Finissons enfin en imaginant l’effroi que suscitera, dans un colloque universitaire, l’apparition d’un collègue que l’on pensait mort depuis longtemps. Lorsque le professeur descendra à pas lents les marches de l’amphithéâtre pour aller s’asseoir dans les travées, l’assemblée pétrifiée se demandera si c’est un fantôme qui vient assister aux travaux du colloque. Et imaginons le moment où le revenant prendra la parole pour critiquer les interventions. Qui osera lui répondre? David Lodge pourrait placer ce type de situation dans l’un de ses ouvrages!

Bruno DONDERO

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Patates sunt servanda!

En cette période de confinement, il faut essayer de s’occuper et de rire. Mais peut-on vraiment rire avec les blagues de juriste?

 

Les blagues de juriste? Vous êtes sérieux, là?

Nous avons déjà évoqué sur ce blog les « blagues de juriste », ces blagues qui ne font rire que les juristes. Ce ne sont pas les « lawyers jokes », les blagues sur les avocats, qui elles font rire tout le monde sauf les juristes et qui, surtout, s’importent mal: elles utilisent surtout les traits que l’on prête aux avocats américains, comme celui d’aimer beaucoup l’argent, alors que l’avocat français exerce ses fonctions, notamment, en respectant le principe de « désintéressement ».

Les blagues de juriste font rire avec le droit, ce qui peut sembler un pari audacieux.

Exemple de blague: 

Pourquoi le publiciste est-il resté en bas de l’immeuble toute la soirée ?

Parce qu’il n’avait pas le code!

Celui qui n’a pas fait de droit public, et ne sait pas que le droit public n’a pas de code fondateur comme le Code civil ou le Code de commerce, ne saisit pas le double sens du mot « code ».

Du coup, si je décide de raconter cette blague en soirée à un public de non-juristes, plusieurs possibilités, une fois que j’ai demandé le silence et que tout le monde m’écoute:

  • Commencer la blague sans explication préalable, et ne faire rire personne;
  • Commencer la blague après avoir expliqué la différence entre le droit privé et le droit public, la manière dont le droit public s’est construit par rapport au droit privé, une brève évocation de l’arrêt Blanco. Si on me laisse terminer mon explication, et que j’arrive à raconter ma blague, j’aurais barbé tout le monde, en plus de ne faire rire personne.

Mais si par chance, ou par obligation, je fréquente une soirée où la majorité du public est composé de juristes, il se trouvera sans doute une bonne âme pour commencer à rire.

 

« Pacta sunt servanda »

En latin, cela veut dire que les contrats doivent être exécutés. Cela veut dire qu’il faut respecter sa parole, et que lorsque l’on conclut un contrat, il faut le respecter et exécuter les obligations que l’on a souscrites. Si je conclus un contrat de vente comme vendeur, je dois remettre le bien à l’acheteur; si je signe comme acheteur, je dois payer le prix au vendeur.

Ce principe était exprimé, entre 1804 et 2016, par l’article 1134 du Code civil, et après la réforme du droit des contrats de 2016, on le retrouve à l’article 1103 du Code civil:

Article 1103 du Code civil: Les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.

C’est un principe fondamental de la vie en Société, et en dehors des relations entre les personnes privées, ce principe vaut dans toutes les relations, même celles qui impliquent la puissance publique. Les contrats conclus par l’Etat sont aussi des contrats, même s’ils obéissent à des règles particulières. Beaucoup de statuts légaux (le mariage par exemple) reposent aussi sur l’idée que l’on consent à s’engager.

Mais pourquoi « Patates sunt servanda », alors?

 

« Patates sunt servanda »?

Cela signifie-t-il qu’il est temps de servir les patates?

Est-ce la traduction latine du désormais célèbre hymne de la famille Tuche (« Des frites! Des frites! Des frites, des frites, des frites!! »)?

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Cela renvoie-t-il à ce merveilleux épisode de la série  The Twilight Zone / La quatrième dimension, qui s’appelle «  To serve man »/ »Servir l’homme » ?

Si vous ne l’avez jamais vu, faites-le, la chute est incroyable, et n’allez surtout pas lire la page Wikipédia consacrée à cette épisode, qui comme bien souvent avec l’encyclopédie collaborative, vous révèle sans complexe la chute et vous prive de tout le suspense!

 

 

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En tous les cas, quand le confinement sera fini et que les cours auront repris à l’Université, ne perdez pas une occasion de faire rire les autres étudiants en leur faisant croire que l’adage a un lien avec la famille Tuche!

On se retrouve demain lundi à 17h pour le Facebook Live de notre cours de droit des sociétés! D’ici là, prenez soin de vous et de vos proches et protégez-vous bien!

Bruno DONDERO

 

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« Le brio », un film sur la fac de droit

Les rapports entre cinéma et justice sont très riches. La justice a donné au cinéma certains de ses moments les plus forts (la scène où le colonel Jessep joué par Jack Nicholson tombe dans le piège que lui tend l’avocat joué par Tom Cruise dans Des hommes d’honneur, pour ne prendre qu’un exemple). Le cinéma peut aussi aider la justice, par exemple en permettant d’enrichir l’enseignement du droit et la formation des futurs avocats et magistrats. Signalons encore, entre droit et cinéma, de belles initiatives comme le procès à venir de Blade Runner, qui verra s’affronter les avocats de Deckard et de Tyrell Corporation, respectivement mon collègue Pierre-Yves Gautier et Me Kami Haeri !

Sur le thème du cinéma et de la justice, le Barreau de Paris organise ces jours-ci la 4ème édition du Festival « Film et justice », ce qui permettait de découvrir en avant-première le mercredi 13 septembre (sortie le 22 novembre) un film consacré à… la Faculté de droit et à au moins un professeur de droit.

C’est du moins ce que l’on attend avec le synopsis du film d’Yvan ATTAL « Le brio ».

Le brio

Un professeur et son étudiante dans le métro…

« Neïla Salah a grandi à Créteil. Jeune femme brillante, elle rêve de devenir avocate. Inscrite à l’université d’Assas, dans les beaux quartiers parisiens, elle suit les cours de Pierre Mazard, professeur reconnu mais provocateur. Pour se racheter une conduite, ce dernier accepte de préparer Neïla au prestigieux concours d’éloquence.

Portée par ce mentor à la fois tyrannique et bienveillant, Neïla plonge dans l’univers des joutes verbales, de la rhétorique et de l’excellence ».

Un film sur la fac de droit.

Le cinéma américain est riche de films consacrés à des étudiants en droit, ou mettant en avant le fait que faire des études de droit est à la fois intéressant, prestigieux, et conduit à des métiers passionnants.

Le cinéma français est, comment dire… moins riche.

Certes, il y avait bien le film Quatre garçons pleins d’avenir, consacré à des étudiants de la Faculté de droit d’Aix-Marseille. Mais on ne peut pas dire qu’il donnait une image très favorable des étudiants en droit.

Comme le résume Wikipedia :

« Arnaud, Axel, Johan et Breitling sont quatre amis étudiants en droit à la faculté d’Aix-en-Provence : Breitling est l’étudiant modèle, Johan le dragueur prêt à séduire sa prof le temps de s’assurer une bonne note, Axel le téméraire qui attire en moins de deux les ennuis et Arnaud qui vient d’échouer pour la troisième fois à l’examen de passage en seconde année. Pour célébrer les résultats des examens et la fin de l’année les amis décident de sortir faire la fête, quitte à pousser un peu Arnaud déprimé par son troisième échec consécutif. C’est le début d’une aventure qui laissera des traces chez les quatre garçons ».

Le film d’Yvan ATTAL est différent.

On y voit les étudiants et professeurs de l’Université Paris 2 (Panthéon-Assas), le grand amphi, les concours d’éloquence, bref, ce monde que connaissent ceux qui y vivent, mais pas forcément le grand public.

Le monde que décrit Le brio comporte il est vrai quelques détails curieux.

Neila habite Créteil mais APB l’a affectée à Paris 2 et non à l’université plus proche de l’UPEC, ce qui l’oblige à de longs trajets en métro.

Les étudiants de première année sont conviés à un cocktail au champagne avec leurs professeurs, ce qui en dit long sur la puissance financière de l’université française (ou au moins de Paris 2) !

On ne va pas beaucoup en cours dans cette université-là quand on est en première année, à part au cours de Pierre Mazard et à un « TD magistral » de droit constitutionnel.

Mais ne boudons pas notre plaisir, d’autant que le film a pour protagoniste un professeur de droit !

Un film sur un collègue professeur de droit.

Quand on lit le synopsis, et que l’on est professeur de droit, on est très intrigué.

Même quand on a décidé de devenir professeur d’université parce que c’est le métier d’Indiana Jones, on doit bien constater qu’il y a moins de films sur les professeurs de droit.

Alors la question se pose. Quel professeur de droit a bien pu servir de modèle aux scénaristes pour le personnage de « Pierre Mazard » ? Le film est-il un bio-pic consacré à mon collègue et amis Denis Mazeaud, au nom habilement déformé ? Mais dans ce cas-là c’était Jack Nicholson qu’il fallait recruter, ou bien Denis Podalydès, et non Daniel Auteuil…

Après on est un peu déçu, car ce Pierre Mazard, qui a manifestement une manière bien à lui de faire cours, avec des saillies politiquement incorrectes pour ne pas dire plus, n’est pas vraiment un professeur de droit.

Son cours parle du droit romain, mais aussi des Fleurs du mal et d’autres sujets, sans que l’on identifie vraiment s’il enseigne l’histoire du droit, l’introduction au droit, la culture générale, etc.

En réalité, Pierre Mazard ne fait pas beaucoup de droit. Il promène en TGV dans toute la France son étudiante de première année d’un concours d’éloquence à un autre, avant de l’emmener dîner en tête-à-tête dans un restaurant étoilé, ce qui ne me semble tout de même pas être une pratique très courante, au-delà de son caractère discutable.

Un film sur les étudiants en droit.

Le brio est aussi un film sur les étudiants en droit, et les concours d’éloquence sont particulièrement bien rendus.

Simplement, deux observations sur la carrière et les dangers qui guettent les étudiants en droit, au vu du film.

1. Neila a pour petit ami un apprenti-VTC.

Elle doit se rendre en urgence (et mal habillée) à la finale du concours d’éloquence qu’elle dispute. Son petit ami la dépose place du Panthéon, alors que la finale du concours d’éloquence a lieu à la bibliothèque de l’Ordre des avocats, et donc pas du tout là.

Il lui fait encore perdre du temps en l’embrassant longuement dans son véhicule mal garé.

Conclusion : s’appuyer sur une logistique défaillante compromet tout l’effort fourni par ailleurs (il est aussi possible que je n’ai pas compris ce passage du film et que Neila se rende directement au conseil de discipline de Paris 2, où l’on entre comme dans un moulin semble-t-il).

 

2. Quelques années plus tard, devenue avocate, Neila s’entretient avec un client, braqueur de supérette récidiviste, qui passe manifestement en comparution immédiate. Neila lui demande s’il veut « prendre 10 ans » ou qu’elle le sauve grâce à un vice de procédure. Puis elle lui explique qu’il devra s’adresser au juge en disant « Monsieur le juge et Messieurs les jurés ».

On est du coup très inquiet pour le client de Neila, car celle-ci, toute avocate qu’elle soit, pense manifestement plaider devant la cour d’assises, seule juridiction pénale qui comporte des jurés et qui est, soit dit en passant, compétente pour les crimes et pas pour les simples braquages de supérettes… Neila va-t-elle vraiment pouvoir trouver des vices de procédure alors qu’elle ne connaît pas les bases des institutions judiciaires ?

Mais c’est que cela relève d’un cours de première année, et que, comme on l’a dit, Neila n’allait pas beaucoup en cours, à part à celui de Pierre Mazard et au TD de droit constitutionnel.

Conclusion : il ne faut pas déserter les cours, surtout quand on y apprend des notions fondamentales.

Clap de fin : il faudrait encore plus de films sur la fac de droit !

Bruno Dondero

 

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« Humour » en amphi et lynchage sur les réseaux sociaux

Mardi 17 janvier 2017, un enseignant-chercheur de l’Université de Lille 2 règle son micro pendant son cours, et dit que « C’est comme les femmes, il faut taper dessus« , puis « C’est comme les femmes, il faut taper dessus deux fois pour qu’elles comprennent« . Des étudiants quittent l’amphithéâtre. L’enseignant leur dit « Ça, c’est les féministes qui se lèvent (…). Ça ne me dérange pas tant qu’il n’y a pas des Femen, manquerait plus que ça… Enfin quoique !« . Les propos sont confirmés par leur auteur.

L’Université annonce déjà une sanction disciplinaire.

Pourquoi parler de cela ?

Ce type de propos, on peut ne pas même vouloir l’entendre. Pas mon genre d’humour, alors dire ça devant un amphi… Si un de mes collègues le fait, cela ne m’intéresse pas, je ne vais pas servir de caisse de résonance à cela.

On peut aussi se dire qu’il faut en parler, au contraire, parce que ce n’est pas normal. Les femmes battues, ce n’est pas un sujet de plaisanterie. Point. Un artiste peut en parler (voir l’affaire Orelsan et la pertinente analyse de Jean-Claude Magendie). Mais qu’un enseignant plaisante avec cela, choque des étudiants/étudiantes et se moque en plus, non, on ne peut pas ne pas réagir. Si j’avais été présent, je ne serais pas resté sans réaction, je pense. Un enseignant, avec l’influence qu’il a sur ses étudiants, n’a pas à leur faire comprendre que la violence faite aux femmes, vrai problème de société, n’est pas si grave.

L’enseignant est libre dans son propos, dans sa mission d’enseignant. L’article L. 952-2 du Code de l’éducation dispose ainsi: « Les enseignants-chercheurs, les enseignants et les chercheurs jouissent d’une pleine indépendance et d’une entière liberté d’expression dans l’exercice de leurs fonctions d’enseignement et de leurs activités de recherche, sous les réserves que leur imposent, conformément aux traditions universitaires et aux dispositions du présent code, les principes de tolérance et d’objectivité« . Mais cette liberté ne vaut que dans l’exercice des fonctions: que l’enseignant assortisse son propos de considérations personnelles et se voulant humoristiques sur les femmes, les religions ou les comportements sexuels, cela n’est tout simplement pas admissible. Ici, on ne rentre sans doute pas dans l’infraction d’incitation ou d’apologie sanctionnée par la loi sur la liberté de la presse de 1881, mais les propos choquent tout de même.

Maintenant, on peut faire trois observations complémentaires.

1) Les faits qui nous intéressent ne laissent pas place à la nuance. On ne plaisante pas avec la violence faite aux femmes devant ses étudiants. Mais ne risque-t-on pas d’aller trop loin dans l’interdiction de s’exprimer ? Si l’enseignant qui fait le cours de droit pénal passe trop vite sur certaines infractions, en considérant qu’elles ne sont pas importantes, ne va-t-on pas l’accuser de mépriser les victimes de ces infractions ? On comprend que la liberté de parole de l’enseignant joue alors à plein, lorsqu’il est dans son rôle d’enseignant.

2) Ensuite, on peut quand même se demander si l’enseignant auteur des propos précités (il demande l’anonymat, indique le site de LCI, mais cela n’est pas très réaliste) mérite le lynchage dont il fait l’objet sur les réseaux sociaux. Ce phénomène de cyber-shaming n’est pas inédit. L’un des premiers articles de ce blog, il y a trois ans, était consacré à l’affaire Justine Sacco. Des propos inadmissibles, certes, mais qui entraînent pour leur auteur un déversement de haine qui peut être très difficile à vivre. On a encore assez peu de recul sur les traces qu’on peut laisser sur internet, mais le risque est que le nom d’une personne soit, plusieurs années après, toujours associé à des propos rapportés par internet, au-delà de toute prescription ou oubli (d’où l’utilité du droit à l’oubli reconnu par la Cour de Justice de l’Union européenne).

3) Enfin, on notera que c’est par Twitter que les propos de l’enseignant ont été rapportés. Ce peut être là un danger de l’utilisation des réseaux sociaux pour faire un enseignement ou pour l’enrichir. En l’espèce, l’enseignant n’utilisait pas lui-même Twitter, d’ailleurs, mais c’est un étudiant qui a signalé le fait. Il faut que l’enseignant soit conscient, qu’il utilise lui-même ou non les réseaux sociaux, que son amphithéâtre n’est souvent pas limité à ses quatre murs!

Bruno DONDERO

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Hémard, Terré et Nabilla… ou pourquoi les blagues de juriste ne sont souvent pas drôles

Les étudiants en droit sont chaque année environ 200.000. Cet effectif considérable devrait constituer le public parfait pour que les quelques milliers d’enseignants s’adressant à ces étudiants puissent se livrer aux fameuses « blagues de juriste ».

Il faut dire ici de quoi il s’agit, et comment fonctionne cette construction curieuse.

Le concept de la blague de juriste.

La blague de juriste est à mi-chemin entre la blague classique et le private joke, c’est-à-dire la blague qui ne fait rire que les personnes qui connaissent l’auteur, et qui partagent avec lui des informations nécessaires pour comprendre la blague, comme le fait d’avoir un ami commun dont tel ou tel trait de caractère sera le ressort de la blague. La blague de juriste suppose presque cela : il faut pour la comprendre une connaissance préalable du système juridique, et encore, d’un point particulier du système juridique… Il n’est par conséquent donné qu’à une fraction réduite de la population de goûter la blague de juriste.

Cette particularité de la blague de juriste explique pour partie qu’elle ne déclenche pas, la plupart du temps, une grande hilarité. Si le destinataire de la blague de juriste n’est pas juriste lui-même, ou s’il est juriste mais ne connaît pas le champ du droit qui fournit le sujet de la blague, celle-ci ne le fera pas rire.

Il est bien sûr possible de donner un mini-cours de droit à son public avant de raconter la blague, mais l’on conviendra que ce n’est pas la manière la plus conviviale de raconter une blague que de commencer par l’exposé de notions juridiques fondamentales, seraient-elles indispensables pour apprécier la blague qui suit. On imagine qu’on n’invitera plus beaucoup le juriste dans les soirées après des attaques comme « Moi, j’ai une très bonne blague… Avant cela, il faut que je vous explique… Vous connaissez la loi de 2008 qui a réformé le régime de la prescription extinctive. Non ? Bon, en quelques mots, cette loi a… ». L’effroi se peindra rapidement sur les visages des convives qui comprendront que la blague a pour prérequis la maîtrise d’un pan du droit donné…

En admettant même que la blague de juriste rencontre son public, c’est-à-dire qu’elle soit racontée à des personnes en mesure d’en comprendre la drôlerie, il est tout de même fort possible qu’elle ne fasse pas beaucoup rire.

Tout d’abord parce que les blagues de juriste sont souvent racontées par des enseignants en droit, qui ne sont pas toujours formés, il faut bien l’admettre, aux techniques de l’humour.

C’en est si vrai que même des ouvrages qui ne parlent absolument pas du monde du droit en veulent à l’humour des professeurs de droit.

Au gré de l’Histoire du pied et autres fantaisies de J. M. G. Le Clézio (Gallimard, 2011, p. 25), on est plongé dans l’ambiance qui règne « au sortir de la Fac de droit » et elle n’est pas gaie : « tout le monde se plaignait, il faisait chaud, il pleuvait, les chaussées étaient embouteillées, trop de monde sur les trottoirs » – mais ça les pauvres professeurs de droit n’y peuvent rien ! – et surtout « les cours étaient chiants, le prof de droit public ânonnait, son accent traînant, ses blagues à deux balles, sa façon de pencher la tête en lisant ses notes d’une voix monocorde, cet ennui qui flottait dans l’air comme une haleine lourde… »

En l’occurrence, l’humour qui est mis en doute est celui d’un professeur de droit public,notoirement de faible qualité par rapport à celui des professeurs de droit privé (clin d’œil à mes amis publicistes), mais tout de même!

Ensuite, les blagues de juriste ne parviennent souvent pas à leur objectif parce qu’elles se résument la plupart du temps à des jeux de mots d’une qualité douteuse (v. la blague des présomptions reproduite plus bas pour un consternant exemple).

Enfin et surtout, parce que structurellement, la blague de juriste, qui joue sur un public déjà restreint, est amenée à en perdre une partie si elle veut surprendre son public.

Il faut ici entrer dans la manière dont fonctionne la blague de juriste.

La mécanique de la blague de juriste.

Il est possible que la blague de juriste reste dans le registre du droit pur. On peut alors parler de « pure blague de juriste », ou de « blague de juriste au carré ».

Exemple trouvé sur internet et assez terrifiant (tout juriste n’est pas nécessairement solidaire de toute blague de juriste !) :

Deux présomptions traversent la route.

La première dit à la seconde : « Attention, tu vas te faire renverser ! ».

L’autre répond : « Ne t’inquiète pas, je suis irréfragable… ».

Note explicative pour le non-juriste perplexe, écrite par un juriste dépité : lorsque le législateur institue une présomption, c’est-à-dire qu’il décide qu’un élément A est présumé en présence d’un élément B, il peut le faire en admettant la preuve contraire (c’est alors une présomption simple qui est instituée, et elle peut être « renversée ») ou non (et c’est alors une présomption irréfragable qui est instituée, d’où notre blague).

Mais si la blague de juriste veut « oser » plus, elle doit aller chercher dans d’autres registres. Elle court alors le risque de voir son public réduit à néant.

Imaginons que l’on veuille intégrer la starlette l’écrivaine Nabilla (parfois orthographiée « Nabila ») à une blague de juriste.

Un ouvrage classique de droit des sociétés nous donne l’occasion de le faire : l’ouvrage de MM. Hémard, Terré et Mabilat (trois volumes parus chez Dalloz il y a une cinquantaine d’années maintenant, fournissant un commentaire détaillé de la loi du 24 juillet 1966 qui constitue encore le socle du droit des sociétés commerciales).

On ne sait même pas vraiment comment l’on peut arriver à une blague de cette manière, en mêlant le nom de Nabilla à celui des auteurs du traité précité. Nous avions déjà tenté de mieux expliquer la notion de groupe de sociétés en nous appuyant sur les propos du présentateur Cyril Hanouna. On pourrait suggérer, parmi les lectures conseillées, la consultation de ce traité bien connu, le Hémard, Terré et Nabilla. Cela ne va cependant pas très loin…

On comprend surtout que le trait d’humour (hum hum) qu’esquisse la référence à ce nouveau traité va réduire le public susceptible de rire à une fraction de la base initiale.

Qui parmi les inconditionnels de Nabilla connaît le traité de Hémard Terré et Mabilat ?

Qui parmi les fans de Hémard, Terré et Mabilat, connaît Nabilla ?

La population des personnes passionnées des deux sujets, ou simplement connaissant à la fois MM. Hémard, Terré et Mabilat et Mademoiselle Nabilla risque d’être assez faible…

On comprend qu’à ce prix là, les blagues sur les avocats, dont nous avons déjà parlé dans ces colonnes, aient davantage de succès.

Bruno DONDERO

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Une curiosité juridique: les frères siamois du Code de commerce

On se souvient qu’il a pu arriver que des juges, et pas des moindres puisqu’il s’agissait de la Cour de cassation, citent un code qui n’existe pas… L’autorité réglementaire est fière de vous annoncer la naissance, à quelques mois d’intervalle, de pas un, mais de deux articles R. 223-18-1 au sein du Code de commerce !

 Un article R. 223-18-1 dans le Code de commerce, c’est bien. Deux articles portant ce même numéro, c’est mieux !

 Cela devait finir par arriver, deux articles ont été créés dans un code avec le même numéro…

 On pourrait se moquer de nos créateurs de normes. On se souvient qu’il a pu arriver que des juges, et pas des moindres puisqu’il s’agissait de la Cour de cassation, citent un code qui n’existe pas… du moins pas officiellement, puisque le Code des sociétés, dont il était question, est une création des éditeurs juridiques. On se souvient que le texte légal donnant compétence aux tribunaux de commerce avait été abrogé en 1991 sans que cela soit remarqué, et que les juridictions commerciales avaient fonctionné pendant dix ans sans assise légale, avant qu’une loi de 2001 vienne ressusciter avec effet rétroactif le texte leur donnant compétence.

Avec un tel passé, on devait s’attendre à ce que notre système juridique se prenne à nouveau les pieds dans le tapis… Qu’avons-nous encore fait ?

Oh, pas grand-chose.

Un décret n° 2015-1380 du 29 octobre 2015 crée un article R. 223-18-1 au sein du Code de commerce, qui dispose que les rapports requis de certaines SARL sur les paiements effectués au profit des Etats ou territoires dans lesquels elles exercent leurs activités (ces SARL doivent à la fois dépasser des seuils et exercer certaines activités: recherche et extraction d’hydrocarbures, de minéraux exploitation de forêts primaires, etc.) sont mis à disposition du public sur le site internet de la société dans un délai de huit mois à compter de la clôture de l’exercice et pendant une durée de cinq années.

Ce texte s’insère dans le Code de commerce, en sa partie réglementaire, après un autre article, également fraichement créé, puisqu’il résulte d’un décret n° 2015-545 du 18 mai 2015, et qu’il indique dans quelles conditions le gérant d’une SARL peut demander au juge la prorogation du délai (normalement de six mois à compter de la clôture de l’exercice) qui s’impose à lui pour réunir les associés en vue de l’approbation des comptes. Ne parlons pas ici du petit embrouillamini qui a conduit une loi de simplification de 2012 à supprimer le texte légal (art. L. 241-5 du Code de commerce) qui permettait de demander la prorogation, ce qui laissait croire que l’on ne pouvait plus la demander, jusqu’à ce qu’une ordonnance de 2014 fasse apparaître à nouveau une référence à la prorogation dans le Code de commerce (art. L. 223-26).

Photo de famille

Photo de famille – de haut en bas: R. 223-18, R. 223-18-1 et R. 223-18-1, et leur cousin R. 223-19

 

 

Pas d’incohérence entre ces deux textes réglementaires.

 Ils sont même très proches l’un de l’autre, puisqu’en plus de se succéder, ils portent le même numéro ! Ce sont des frères jumeaux, par leur nom du moins, on pourrait même dire qu’ils sont siamois. Il est probable qu’un décret de rectification les sépare prochainement.

Le nombre de textes créés, supprimés et modifiés devait bien entraîner cela, et ce n’est sans doute pas la seule erreur de ce genre.

Un soir de mai 2015, dans un ministère, dans un petit bureau encombré de dossiers nombreux et de gobelets de café vides, la dernière main a été apportée au décret qui deviendrait le n° 2015-545, et l’on a créé l’article R. 223-18-1.

Un soir d’octobre 2015, dans un ministère qui n’était peut-être pas le même (car le second décret provient du seul ministère de l’Economie et des finances, quand le premier décret est une œuvre conjointe, impliquant ce ministère mais aussi la Chancellerie), la dernière main a été apportée au décret qui deviendrait le n° 2015-1380, et l’on a créé l’article R. 223-18-1… une deuxième fois.

C’est assez drôle, et l’on imagine déjà les échanges au tribunal de commerce :

Président : Maître, invoquez-vous l’article R. 223-18-1 ou l’article R. 223-18-1 ?

Avocat : Monsieur le Président, mes clients sont des gens sérieux qui ne se permettraient pas de recourir à l’article R. 223-18-1. C’est donc de l’article R. 223-18-1 qu’ils demandent l’application !

Président : Maître, c’est beaucoup plus clair. Je vous remercie.

Bruno DONDERO

 L’auteur adresse ses remerciements à Maître Sabrina BOL, avocate vigilante qui lui a signalé l’existence des frères siamois du Code de commerce.

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Humour et droit: les blagues sur les avocats

L’humour est souvent le révélateur d’une pensée plus sérieuse.

Si vous cherchez des blagues sur les avocats, vous allez en trouver des centaines sur internet, généralement en anglais.

Par exemple sur ce site.

Pourquoi ces blagues sont-elles en anglais ? Parce que les « Lawyers jokes » sont un genre particulier d’humour aux Etats-Unis. Ces blagues se subdivisent en deux courants, qui reposent chacun sur un postulat distinct.

Le courant n° 1 repose sur l’idée selon laquelle un avocat est quelqu’un qui aime l’argent et qui se fait payer très cher pour des prestations peu consistantes.

Cela donne des blagues comme:

Un homme demande à un avocat: « Quel est le montant de vos honoraires ? ».

L’avocat lui répond qu’il est de 10.000 dollars pour trois questions.

L’homme lui demande alors: « N’est-ce pas un peu excessif ? » et l’avocat lui répond:

« Non. Quelle est votre troisième question ? ».

Le courant n° 2 repose quant à lui sur l’idée plus générale qu’un avocat est tout simplement quelqu’un de détestable.

Un exemple de blague relevant du courant n° 2 est la suivante (elle est citée dans les films « La guerre des Roses » et « Philadelphia ») :

What do you call 500 lawyers lying on the bottom of the ocean?

A good start…

VF : qu’est-ce que cinq cent avocats au fond de l’océan ?

Réponse : un bon début…

Comme on le voit, il n’y a pas vraiment besoin de connaissances juridiques pour comprendre les blagues anti-avocats.

Pour autant, elles n’ont pas autant de succès en France qu’aux Etats-Unis.

Cela se comprend aisément pour les blagues du courant n° 1. Difficile de faire rire en France avec l’idée que l’avocat est âpre au gain, alors que l’avocat français est soumis à des règles assez contraignantes quant à ses honoraires, et que le désintéressement est une règle essentielle de la profession d’avocat…

Mais cela n’explique pas l’insuccès en France des blagues du courant n° 2.

La seule explication ? C’est que nous aimons nos avocats !

Bruno DONDERO

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