L’histoire de Justine Sacco, telle qu’elle est rapportée aujourd’hui par une infinité de journaux papier ou en ligne, et de sites internet en général, est – en admettant qu’elle soit réelle ! – un véritable cas d’école. En substance, cette personne occupait la fonction de directrice de la communication d’une société américaine du secteur des médias. Avant de prendre l’avion pour se rendre en Afrique du Sud, elle rédige et diffuse un message sur twitter comportant un propos doublement raciste (à peu près « je vais en Afrique ; j’espère ne pas attraper le SIDA ; je plaisante, je suis blanche »). Pendant le temps que dure le vol, son message est relayé à d’innombrables reprises sur internet, et le fait qu’elle supprime ledit message puis son compte twitter peu après ne ralentit pas la propagation des commentaires choqués et/ou très agressifs. Au final, et en dépit d’excuses publiques, elle est licenciée par son employeur et on l’imagine durablement traumatisée. Gageons qu’elle réfléchira désormais longuement avant d’appuyer sur la touche « tweet », « post » ou autre « envoyer »…
Le message diffusé était bien entendu inadmissible, et diffuser publiquement des propos racistes est un délit pour le droit français, si l’on veut adopter un point de vue de juriste pour commencer. Si le juge pénal français était saisi, il pourrait estimer que Mme Sacco s’est rendue coupable du délit consistant à provoquer publiquement à la discrimination d’un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance à une ethnie, une nation ou une race. Ces faits sont sanctionnés d’une peine d’un an d’emprisonnement et/ou de 45.000 euros d’amende, aux termes de notre loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881. Cette loi est ancienne, mais elle a été modifiée à de nombreuses reprises, et elle appréhende clairement la diffusion par voie électronique.
Au-delà du traitement pénal du tweet raciste de Mme Sacco, on doit surtout s’étonner de notre situation actuelle : nous vivons tous à l’heure d’internet et nous utilisons massivement les mails et les réseaux sociaux sans que la plupart d’entre nous aient été réellement éduqués en ce domaine ! Mme Sacco aura appris dans la douleur qu’un tweet peut avoir des conséquences ravageuses. La leçon prolongera ses effets dans le temps, d’ailleurs, car dans quelques années, cette personne risque de continuer à trouver des références à cette déplorable affaire lorsqu’elle entrera son nom dans un moteur de recherche. Il n’est d’ailleurs pas exclu qu’elle ne trouve que cela, sauf à avoir fait appel à une de ces entreprises qui restaurent votre « e-réputation » en s’assurant que ce ne sont que des résultats positifs qui apparaissent en premier en cas de recherche sur internet et en « enfouissant » ‘c’est le terme qu’utilisent ces professionnels) les résultats que l’on veut voir disparaître.
La mésaventure de Mme Sacco est d’une dureté exceptionnelle, si l’on y pense. Elle a perdu son emploi et sans doute une grande partie de ses perspectives professionnelles pour quelque temps, à moins de travailler sous une autre identité. Elle n’est cependant pas la seule à vivre ce genre de catastrophe, même si la concernant, cela a pris une ampleur planétaire. Les mésaventures causées quotidiennement par la mauvaise utilisation d’internet sont variées. Chacun ou presque a expérimenté, comme émetteur ou comme destinataire, le mail mal adressé. L’utilisation massive de Facebook et des autres sites sur lesquels on peut diffuser des photos causera ces prochaines années – et cause déjà – des déconvenues aux personnes apparaissant dans un contexte de fête, d’alcool, etc. Les propos tenus sur un site dans une discussion avec une personne, et qui sont en réalité accessibles à tous, constituent encore une autre hypothèse d’utilisation dommageable d’internet.
Alors, que faire ? Faut-il renoncer à internet, de peur de diffuser des informations ou des messages qui vont tourner à notre désavantage un jour ou l’autre ? A notre époque, cela est à peu près impensable, sauf à accepter de se priver d’un outil de communication extraordinaire. Ou ne suffirait-il pas d’éduquer nos concitoyens, quel que soit leur âge, à l’utilisation du net, en les informant de quelques-unes des règles fondamentales applicable à cet outil ? Avant tout, leur faire savoir que la liberté d’expression n’est pas absolue. Les propos injurieux, diffamatoires (imputant à tort à une personne un comportement contraire à l’honneur) ou racistes engagent la responsabilité pénale mais aussi civile de leur auteur, et peuvent l’exposer à de lourds dommages-intérêts. Il faudrait aussi informer les utilisateurs sur le fait qu’il est très difficile de faire disparaître les écrits mis en ligne. Que celui qui se prépare à mettre en ligne un commentaire sur son blog ou sur un autre site s’imagine un instant que juridiquement, il est dans la même situation que s’il adressait un texte signé à un journal, qui va le publier… à la différence que cela sera beaucoup plus rapide et que la diffusion de données mises en ligne peut se faire vertigineusement vite ! On parle des digital natives pour désigner ceux qui sont nés à l’heure de l’internet, un clavier ou une tablette entre les mains, en somme. Nous sommes également tous des digital victims potentielles, car nous pourrions être victimes, comme Justine Sacco, de notre utilisation maladroite d’internet !
Bruno DONDERO
Professeur de droit
Université Paris 1 (Panthéon – Sorbonne)
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