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Quatre colloques et un enterrement (mise à jour)

Il y a quelque temps, j’avais publié le billet ci-dessous. Je le republie avec quelques retouches, car je trouve qu’on a vraiment besoin de sourire en cette période anxiogène, et aussi parce que l’agence de legal design Your Comics m’a proposé d’illustrer ce billet, ce que je fais bien volontiers.

Comme les chanteurs, les chercheurs et les universitaires meurent, mais leurs œuvres leur survivent. Ce qui fait que l’on ne sait pas toujours, au moment où l’on consulte les travaux d’un professeur, si celui-ci est encore de ce monde. On dispose certes de moyens d’information, pour connaître le décès d’une personne, mais ils ne sont pas toujours fiables.

La rubrique nécrologique du journal Le Monde est une source d’information importante s’agissant des disparitions d’universitaires, mais il est des homonymies qui peuvent donner lieu à des confusions fâcheuses, et tout décès dans la communauté universitaire ne donne pas lieu à une notice.

Celui qui est mort n’est – c’est somme toute assez logique – plus invité dans les colloques. Mais certains collègues ne sont pas invités dans les colloques alors qu’ils sont pourtant bien vivants.

On peut donc en conclure que ne pas être invité à un colloque ne prouve pas que l’on est mort (heureusement). Pour autant, est-il si certain que, a contrario, l’invitation à un colloque permette de prouver incontestablement que le destinataire de l’invitation est bien vivant?

Il faut évoquer deux situations dans lesquelles la mort d’un universitaire, réelle ou supposée, peut avoir des conséquences inattendues dans sa vie professionnelle: celle du professeur dont on ne sait pas qu’il est mort (I), et celle du professeur dont on croit à tort qu’il est mort (II).

I – Le professeur dont on ne sait pas qu’il est mort.

Première situation : un professeur meurt, mais on ne le sait pas.

Il y a quelques années, des avocats me contactèrent pour me demander les coordonnées d’un professeur de droit des affaires, dont ils voulaient absolument qu’ils rédigent pour eux une consultation. Malheureusement, ces avocats ne parvenaient pas, en dépit de nombreuses tentatives, à entrer en contact avec l’universitaire. Je ne pouvais pas arrêter mes interlocuteurs dans leur description de l’utilité que ne manquerait pas d’avoir l’intervention de ce grand professeur de droit pour l’affaire de leur client. Au bout d’un moment, je leur assénai la terrible vérité : le professeur V… était décédé dix ans plus tôt. Silence à l’autre bout du fil. Puis un rire nerveux et cette remarque de bon sens: « Voilà pourquoi il ne répondait pas à nos mails! ».

Les morts ne sont pas, il faut le reconnaître, des correspondants très actifs. Quoique. Les réponses automatiques des boites mail ne pourraient-elles prolonger nos existences ? « Je suis dans l’au-delà et n’ai qu’un accès limité à mes mails. Pour toute demande urgente, vous pouvez contacter mon successeur au numéro suivant… ».

Ne pas savoir qu’un universitaire est mort peut d’ailleurs être à l’origine de terribles querelles. De manière étonnante, à une époque où nous sommes pourtant submergés chaque jour sous une avalanche de mails et où les fonctions « spam » font disparaître certains envois dans les tréfonds de nos messageries, on croise parfois des personnes qui sont scandalisées de ne jamais avoir reçu de réponse à un mail. Pourtant, si le destinataire ne répond pas parce qu’il est décédé, ne peut-on faire preuve d’un tout petit peu d’indulgence?

Le problème tient à ce qu’entre l’envoi d’un mail et la découverte de la mort de son destinataire, des mois peuvent s’écouler, pendant lesquels la colère de l’auteur du mail resté sans réponse croîtra inexorablement. De colloque en soutenance de thèse, il fera part à tous ceux qu’il rencontrera de sa profonde déception. Pouvait-on imaginer qu’un collègue aussi admirable que X…, dont les ouvrages sont d’une exceptionnelle qualité, puisse faire preuve d’autant de mépris à son égard, qu’il ne daigne pas même accuser réception de son message ? A force de répandre le fiel à chaque nouvelle rencontre, quelqu’un finira peut-être par révéler à la victime du silence qu’elle n’est pas prête de recevoir une réponse.

II – Le professeur qu’on croit mort alors qu’il est vivant.

L’autre situation que l’on peut rencontrer est celle où un universitaire est encore vivant, mais on le croit mort. Cette version ESR (Enseignement Supérieur et Recherche) du Colonel Chabert peut donner naissance à des querelles encore plus terribles que la précédente hypothèse.

Cette illustration a été réalisée par Your-Comics, agence legal design à Paris

Il faut savoir qu’il existe, dans le monde de la recherche, des manières particulières de citer les auteurs morts. Notamment, on ne cite pas le prénom de l’auteur décédé. En outre, le nom de l’auteur est parfois accompagné, notamment sur les ouvrages auxquels il a participé, d’une petite croix. On peut imaginer la surprise d’un auteur bien vivant qui découvre que la nouvelle édition d’un ouvrage auquel il a participé l’expédie dans le monde des morts.

Autre situation : vous êtes le professeur Z…, vous lisez un article de votre discipline préférée, et vous voyez que l’auteur cite vos travaux en évoquant « l’idée mise en avant dans ses travaux par notre regretté collègue Z… ». En dépit du respect dont fait preuve celui qui a écrit ces mots, il est à parier que leur destinataire ne les accueillera pas avec plaisir.

A rebours des différents hommages qui peuvent être rendus au défunt, le « professeur Chabert » ne devrait plus être invité à participer aux colloques, soutenances de thèses et autres réjouissances universitaires. Quel soulagement de découvrir que si vous étiez blacklisté depuis de nombreuses années, c’est qu’on pensait que vous aviez tragiquement péri il y a longtemps! Inversement, quel avantage d’échapper à toute sorte de corvées de la fonction universitaire en se prétendant trépassé!

Finissons enfin en imaginant l’effroi que suscitera, dans un colloque universitaire, l’apparition d’un collègue que l’on pensait mort depuis longtemps. Lorsque le professeur descendra à pas lents les marches de l’amphithéâtre pour aller s’asseoir dans les travées, l’assemblée pétrifiée se demandera si c’est un fantôme qui vient assister aux travaux du colloque. Et imaginons le moment où le revenant prendra la parole pour critiquer les interventions. Qui osera lui répondre? David Lodge pourrait placer ce type de situation dans l’un de ses ouvrages!

Bruno DONDERO

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Hémard, Terré et Nabilla… ou pourquoi les blagues de juriste ne sont souvent pas drôles

Les étudiants en droit sont chaque année environ 200.000. Cet effectif considérable devrait constituer le public parfait pour que les quelques milliers d’enseignants s’adressant à ces étudiants puissent se livrer aux fameuses « blagues de juriste ».

Il faut dire ici de quoi il s’agit, et comment fonctionne cette construction curieuse.

Le concept de la blague de juriste.

La blague de juriste est à mi-chemin entre la blague classique et le private joke, c’est-à-dire la blague qui ne fait rire que les personnes qui connaissent l’auteur, et qui partagent avec lui des informations nécessaires pour comprendre la blague, comme le fait d’avoir un ami commun dont tel ou tel trait de caractère sera le ressort de la blague. La blague de juriste suppose presque cela : il faut pour la comprendre une connaissance préalable du système juridique, et encore, d’un point particulier du système juridique… Il n’est par conséquent donné qu’à une fraction réduite de la population de goûter la blague de juriste.

Cette particularité de la blague de juriste explique pour partie qu’elle ne déclenche pas, la plupart du temps, une grande hilarité. Si le destinataire de la blague de juriste n’est pas juriste lui-même, ou s’il est juriste mais ne connaît pas le champ du droit qui fournit le sujet de la blague, celle-ci ne le fera pas rire.

Il est bien sûr possible de donner un mini-cours de droit à son public avant de raconter la blague, mais l’on conviendra que ce n’est pas la manière la plus conviviale de raconter une blague que de commencer par l’exposé de notions juridiques fondamentales, seraient-elles indispensables pour apprécier la blague qui suit. On imagine qu’on n’invitera plus beaucoup le juriste dans les soirées après des attaques comme « Moi, j’ai une très bonne blague… Avant cela, il faut que je vous explique… Vous connaissez la loi de 2008 qui a réformé le régime de la prescription extinctive. Non ? Bon, en quelques mots, cette loi a… ». L’effroi se peindra rapidement sur les visages des convives qui comprendront que la blague a pour prérequis la maîtrise d’un pan du droit donné…

En admettant même que la blague de juriste rencontre son public, c’est-à-dire qu’elle soit racontée à des personnes en mesure d’en comprendre la drôlerie, il est tout de même fort possible qu’elle ne fasse pas beaucoup rire.

Tout d’abord parce que les blagues de juriste sont souvent racontées par des enseignants en droit, qui ne sont pas toujours formés, il faut bien l’admettre, aux techniques de l’humour.

C’en est si vrai que même des ouvrages qui ne parlent absolument pas du monde du droit en veulent à l’humour des professeurs de droit.

Au gré de l’Histoire du pied et autres fantaisies de J. M. G. Le Clézio (Gallimard, 2011, p. 25), on est plongé dans l’ambiance qui règne « au sortir de la Fac de droit » et elle n’est pas gaie : « tout le monde se plaignait, il faisait chaud, il pleuvait, les chaussées étaient embouteillées, trop de monde sur les trottoirs » – mais ça les pauvres professeurs de droit n’y peuvent rien ! – et surtout « les cours étaient chiants, le prof de droit public ânonnait, son accent traînant, ses blagues à deux balles, sa façon de pencher la tête en lisant ses notes d’une voix monocorde, cet ennui qui flottait dans l’air comme une haleine lourde… »

En l’occurrence, l’humour qui est mis en doute est celui d’un professeur de droit public,notoirement de faible qualité par rapport à celui des professeurs de droit privé (clin d’œil à mes amis publicistes), mais tout de même!

Ensuite, les blagues de juriste ne parviennent souvent pas à leur objectif parce qu’elles se résument la plupart du temps à des jeux de mots d’une qualité douteuse (v. la blague des présomptions reproduite plus bas pour un consternant exemple).

Enfin et surtout, parce que structurellement, la blague de juriste, qui joue sur un public déjà restreint, est amenée à en perdre une partie si elle veut surprendre son public.

Il faut ici entrer dans la manière dont fonctionne la blague de juriste.

La mécanique de la blague de juriste.

Il est possible que la blague de juriste reste dans le registre du droit pur. On peut alors parler de « pure blague de juriste », ou de « blague de juriste au carré ».

Exemple trouvé sur internet et assez terrifiant (tout juriste n’est pas nécessairement solidaire de toute blague de juriste !) :

Deux présomptions traversent la route.

La première dit à la seconde : « Attention, tu vas te faire renverser ! ».

L’autre répond : « Ne t’inquiète pas, je suis irréfragable… ».

Note explicative pour le non-juriste perplexe, écrite par un juriste dépité : lorsque le législateur institue une présomption, c’est-à-dire qu’il décide qu’un élément A est présumé en présence d’un élément B, il peut le faire en admettant la preuve contraire (c’est alors une présomption simple qui est instituée, et elle peut être « renversée ») ou non (et c’est alors une présomption irréfragable qui est instituée, d’où notre blague).

Mais si la blague de juriste veut « oser » plus, elle doit aller chercher dans d’autres registres. Elle court alors le risque de voir son public réduit à néant.

Imaginons que l’on veuille intégrer la starlette l’écrivaine Nabilla (parfois orthographiée « Nabila ») à une blague de juriste.

Un ouvrage classique de droit des sociétés nous donne l’occasion de le faire : l’ouvrage de MM. Hémard, Terré et Mabilat (trois volumes parus chez Dalloz il y a une cinquantaine d’années maintenant, fournissant un commentaire détaillé de la loi du 24 juillet 1966 qui constitue encore le socle du droit des sociétés commerciales).

On ne sait même pas vraiment comment l’on peut arriver à une blague de cette manière, en mêlant le nom de Nabilla à celui des auteurs du traité précité. Nous avions déjà tenté de mieux expliquer la notion de groupe de sociétés en nous appuyant sur les propos du présentateur Cyril Hanouna. On pourrait suggérer, parmi les lectures conseillées, la consultation de ce traité bien connu, le Hémard, Terré et Nabilla. Cela ne va cependant pas très loin…

On comprend surtout que le trait d’humour (hum hum) qu’esquisse la référence à ce nouveau traité va réduire le public susceptible de rire à une fraction de la base initiale.

Qui parmi les inconditionnels de Nabilla connaît le traité de Hémard Terré et Mabilat ?

Qui parmi les fans de Hémard, Terré et Mabilat, connaît Nabilla ?

La population des personnes passionnées des deux sujets, ou simplement connaissant à la fois MM. Hémard, Terré et Mabilat et Mademoiselle Nabilla risque d’être assez faible…

On comprend qu’à ce prix là, les blagues sur les avocats, dont nous avons déjà parlé dans ces colonnes, aient davantage de succès.

Bruno DONDERO

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