Archives quotidiennes : février 12, 2014

Le préjudice affectif des fans de Michael Jackson… en attendant celui des amis Facebook ?

 

Une juridiction française, précisément un juge de proximité d’Orléans, compétent pour les plus petits litiges, vient de condamner le médecin de Michael Jackson, qui lui avait administré une trop forte dose d’anesthésique et avait causé sa mort (ce pour quoi la justice américaine avait condamné le praticien à une peine d’emprisonnement pour homicide involontaire). Le juge français a condamné le médecin à verser un euro symbolique de dommages-intérêts à cinq fans de Michael Jackson, au titre du préjudice d’affection. On ne sait pas si le médecin était représenté devant cette juridiction, ni s’il avait été valablement invité à participer, mais le fond de la décision retient davantage l’attention.

 

Les demandeurs étaient une trentaine, mais seuls cinq d’entre eux ont été en mesure d’établir la réalité de leur préjudice à l’aide de témoignages et de certificats médicaux. La décision est qualifiée de « première mondiale » dans la presse, mais il faut tout de même relativiser.

 

La réparation d’un préjudice d’affection est reconnue depuis très longtemps par notre droit de la responsabilité civile. Simplement, les tribunaux ont toujours été très exigeants pour accorder des dommages-intérêts réparant le préjudice causé indirectement à des tiers par le décès ou les souffrances de la victime directe. Le préjudice d’affection dont il est question est en effet un préjudice indirect, « par ricochet ». Jusqu’à présent, la jurisprudence française avait réservé aux proches de la victime le droit d’invoquer un préjudice d’affection. Les juges ont ainsi reconnu un préjudice d’affection réparable aux enfants en cas de décès des parents, aux parents en cas de décès des enfants, aux époux et concubins, à la fiancée en cas de décès du futur mari, et même, en 1973, à la gouvernante d’un ecclésiastique victime d’un accident mortel !

 

Le juge de proximité qui indemnise les fans du chanteur décédé le fait de manière semble-t-il prudente et modérée, mais au-delà du caractère médiatique de la décision, il faut signaler les dangers de la trop grande admission des préjudices indirects. Les médecins oseront-ils encore soigner leurs patients célèbres si un cortège d’admirateurs traumatisés est susceptible de les traîner en justice sur la planète entière ? Au-delà, si on accepte d’indemniser la souffrance morale des admirateurs, ne faut-il pas indemniser a fortiori celle des amis, potentiellement très nombreux ? Et pourquoi pas aussi celle des amis Facebook ?

 

La décision rendue s’agissant des fans de Michael Jackson a été modérée, mais le juge aurait pu aussi considérer que le préjudice subi était d’un montant supérieur. Il n’est d’ailleurs pas dit que d’autres juges, en France ou ailleurs, n’ont pas été saisis de demandes d’un montant très élevé, auxquelles ils pourraient être tentés de donner satisfaction… L’arbitrage Tapie nous a enseigné qu’un préjudice moral peut être évalué à un peu plus qu’un euro !

 

Dans le sillage de cette décision, ne risque-t-on pas d’ailleurs de voir le supporter de football déçu intenter un procès au joueur qui n’aura pas marqué un but, ou les spectateurs attristés par la fin d’une émission demander réparation aux producteurs, au titre de leur préjudice moral ? On se plaint souvent de l’encombrement des tribunaux, qui ralentit la justice. La décision du juge de proximité d’Orléans, de ce point de vue, ne va pas dans le bon sens !

 

Bruno DONDERO

Professeur de droit à l’Université Paris 1 (Panthéon – Sorbonne)

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