Lorsqu’une société est partie à un litige, il arrive fréquemment que son adversaire invoque contre elle sa propre organisation. Le plaideur, ayant pris connaissance des règles créées par la société ou ses associés (statuts, règlement intérieur, pacte d’actionnaires si le tiers en a connaissance, etc.), mettra le comportement de la société à l’épreuve de ces règles. Ainsi, si les statuts subordonnaient l’exercice d’une action en justice à une autorisation d’un organe particulier, conseil d’administration par exemple, l’adversaire de la société pourra contester la validité des actes de procédure faits pour le compte de celle-ci, en ce qu’ils auront été faits par une personne dépourvue du pouvoir d’agir.
Il peut arriver plus souvent qu’on ne croit qu’une société commette une violation de sa propre organisation, et ce, aussi bien dans une PME que dans un très grand groupe. Dans une société de grande taille, il ainsi possible que l’équipe contentieux n’ait que de lointains contacts avec l’équipe « corporate ». La PME pourra de son côté vivre avec des statuts que les dirigeants ne connaissent finalement pas parfaitement. C’est particulièrement à propos d’une action en justice ou d’une déclaration de créance que l’argument est utilisé, mais le cocontractant d’une société pourrait tout autant lui reprocher de ne pas avoir suivi la procédure statutairement prévue pour conclure le contrat, ou pour mettre en œuvre celui-ci, par exemple au moment d’en demander l’exécution.
Les sociétés ont-elles dès lors intérêt à se limiter à une organisation simple et pas nécessairement adaptée à leurs souhaits en matière de gouvernance, afin d’éviter de se voir reprocher de n’avoir pas respecté leur propre organisation ?
Un arrêt non publié de la Chambre commerciale de la Cour de cassation du 13 novembre 2013, passé assez inaperçu (v. cependant note au Dalloz 2014, p. 183 et éditorial à la Gazette du Palais des 2/4 février 2014, p. 3; v. aussi les obs. de P. Le Cannu à la RTD com. 2013, p. 765) donne une solution simple, ou plutôt confirme l’efficacité d’une solution simple que des sociétés mettent déjà en œuvre. L’arrêt est consultable ici: http://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000028208374&fastReqId=429252773&fastPos=14 .
La Cour de cassation censure l’arrêt d’appel qui avait permis à un tiers de se prévaloir du non-respect de la procédure statutaire par une SARL. Les statuts de cette société prévoyaient qu’une décision collective des associés devait autoriser le gérant à exercer une action en justice au nom de la société, et la décision des associés n’avait pas été obtenue. La cour d’appel en avait déduit l’irrecevabilité de la demande faite au nom de la société. L’arrêt d’appel est cassé: il lui est reproché de ne pas avoir tenu compte de la clause statutaire selon laquelle la limitation des pouvoirs du gérant ne valait qu’ « à titre de règlement intérieur » et ne pouvait être opposée aux tiers ou être invoquée par eux .
L’arrêt est donc une invitation à généraliser, dans les statuts, la clause selon laquelle « les limitations aux pouvoirs légaux des dirigeants contenues dans les présents statuts sont inopposables aux tiers et ne peuvent être invoquées par eux ». On ajoutera qu’un pacte d’actionnaires ou un autre acte relatif au fonctionnement de la société ou aux droits des associés pourrait utilement comporter une telle stipulation.
Bruno DONDERO
Bonjour, merci pour la mention de cet arrêt! Pourriez-vous svp indiquer les références de celui-ci? Sauf erreur de ma part, je ne crois pas qu’elles figurent dans votre commentaire.
Cher Monsieur, il y a un lien vers la page Legifrance de l’arrêt dans le commentaire, c’est Cass. com., 13 novembre 2013, n° de pourvoi 12-25678, http://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000028208374&fastReqId=1531090096&fastPos=1
Bien à vous,
BD
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Bonjour M. le Professeur,
Il me semble que l’arrêt du 30 juin 2015 rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation, N° de pourvoi: 14-17649, publié au bulletin va le même sens :
« Mais attendu que la clause statutaire organisant les modalités de prorogation de la société ne peut être invoquée par les tiers »
http://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000030841491&fastReqId=851309347&fastPos=1
Je n’ai pas comparé les visas des deux arrêts de la Cour de cassation..
Bien cordialement,
Re-bonjour M. le Professeur,
Est-ce que le fait que le fait que les statuts ne puissent pas être invoqués par les tiers découlent du principe de l’effet relatif du contrat, prévu à l’article 1165 du code civil, qui implique le les statuts ne créent pas de « droit » (droit d’agir en justice a priori) ni d’obligation au bénéfice ou à la charge des tiers ?..puisque selon l’article 1134 du code civil la force obligatoire des statuts (puisque la société est instituée par un contrat » le pacte social ») est restreinte au cercle des parties contractantes (les actionnaires ou associés)..
Toutefois, il me semble que si l’exécution des statuts cause un préjudice aux tiers, alors ceux-ci doivent pouvoir ce fonder sur ce contrat pour demander la réparation de leur préjudice ..et donc voir leur demande en justice être déclarée recevable sur ce fondement.
Bien cordialement,
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