Après un vote au Sénat intervenu aujourd’hui 20 février (faisant suite à l’intervention d’une commission mixte paritaire), la loi « Accès au logement et urbanisme rénové » (ALUR) a été adoptée. Cette loi complète l’article 1861 du Code civil par un alinéa rédigé ainsi :
« Toute cession de la majorité des parts sociales d’une société civile immobilière, lorsque le patrimoine de cette société est constitué par une unité foncière, bâtie ou non, dont la cession est soumise au droit de préemption prévu à l’article L. 211-1 du code de l’urbanisme, doit être constatée par un acte reçu en la forme authentique ou par un acte sous seing privé contresigné par un avocat ou par un professionnel de l’expertise comptable dans les conditions prévues au chapitre Ier bis du titre II de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques. Le rédacteur de l’acte met en œuvre à cet effet les dispositions prévues à l’article L. 213-2 du même code. »
Rappelons que l’article 1861 est relatif aux cessions de parts de société civile, la « société civile immobilière » n’étant pas une forme juridique autonome. Ce n’est toutefois pas le seul souci que pose le nouveau texte, comme on va le voir.
Lorsqu’intervient une cession de (i) la majorité des parts (ii) d’une société civile immobilière, (iii) dont le patrimoine est constitué par une unité foncière dont la cession est soumise au droit de préemption urbain (DPU) de l’article L. 211-1 du Code de l’urbanisme, alors le législateur impose la participation d’un professionnel.
Cela peut se comprendre sur le principe, car désormais (art. 149 du nouveau texte) les cessions de parts de SCI sont inclues dans le champ d’application du DPU.
Initialement, l’Assemblée nationale (texte adopté en première lecture le 17 sept. 2013 : http://www.assemblee-nationale.fr/14/ta/ta0207.asp) avait proposé d’ajouter à l’article 1861 un alinéa disposant que « Toute cession de parts sociales d’une société civile immobilière ou d’une société à prépondérance immobilière est soumise à l’article 710-1 », c’est-à-dire que toute cession de parts de SCI devait se faire par acte authentique. On pouvait soutenir qu’indirectement, ce sont des biens immobiliers que l’on transmet en cédant les parts de SCI, mais cela revenait à ôter un de ses avantages à la SCI, étant précisé que juridiquement, l’immeuble ne change pas de mains dans l’hypothèse d’une cession de parts.
Par la suite, cette modification de l’article 1861 avait été supprimée par le Sénat, mais elle est revenue lors de la seconde lecture devant l’Assemblée nationale le 16 janvier 2014 (http://www.assemblee-nationale.fr/14/ta/ta0274.asp), sous la forme adoptée dans le texte final, et prévoyant le recours à un acte authentique, ou à un acte d’avocat ou d’expert-comptable.
La question, qui n’est pas insignifiante, que pose la nouvelle loi est la suivante. On sait ce qu’est un acte reçu en la forme authentique, qui émane en premier lieu des notaires (F. Terré, Introduction générale au droit, 9ème éd., Dalloz, 2012, n° 621). Arrive ensuite l’acte sous seing privé « contresigné par un avocat ou par un professionnel de l’expertise comptable dans les conditions prévues au chapitre Ier bis du titre II de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques ». Ce sont là les dispositions de l’acte contresigné par avocat qui sont visées… mais on ne savait pas que cet acte accueillait aussi l’expert-comptable parmi ses auteurs possibles. Le législateur procède donc en faisant de la « loi-fiction », puisqu’il suppose que la loi de 1971 est modifiée alors qu’elle ne l’est pas (et l’on ne peut soutenir que la loi ALUR modifie par voie de conséquence la loi de 1971).
Notre propos n’est pas de prendre ici parti pour une profession contre une autre. Simplement, on ne peut ouvrir de manière incidente l’acte contresigné par avocat, par lequel celui-ci « atteste avoir éclairé pleinement la ou les parties qu’il conseille sur les conséquences juridiques de cet acte » (art. 66-3-1 de la loi du 31 déc. 1971) à une profession dont le conseil juridique n’est pas la première activité. Cela laisse peut-être présager un « acte contresigné par l’expert-comptable », mais outre qu’un tel acte reste à créer, et qu’il n’aurait pas sa place dans une loi sur les professions judiciaires et juridiques, il faut préciser que l’ordonnance du 19 sept. 1945 modifiée qui régit la profession d’expert-comptable précise dans son article 22 la possibilité pour un professionnel du chiffre de faire des actes relevant du domaine juridique : les experts-comptables « peuvent également donner des consultations, effectuer toutes études et tous travaux d’ordre statistique, économique, administratif, juridique, social ou fiscal (…) mais sans pouvoir en faire l’objet principal de leur activité et seulement s’il s’agit d’entreprises dans lesquelles ils assurent des missions d’ordre comptable de caractère permanent ou habituel ou dans la mesure où lesdites consultations, études, travaux ou avis sont directement liés aux travaux comptables dont ils sont chargés ».
On peut être étonné qu’un type d’acte juridique tout entier soit ainsi ouvert à la profession d’expert-comptable sans lien avec son activité première. Il est sans doute possible au législateur de réaliser cela, mais la loi adoptée aujourd’hui procède par référence à un acte – l’acte juridique contresigné par expert-comptable – qui n’existe pas encore !
S’agissant de la délimitation du champ d’activité des deux professions d’avocat et d’expert-comptable, la question n’est pas nouvelle, mais il n’est pas sûr que les mots de Mme Duflot en réponse à la sénatrice qui soulevait le caractère contestable de la création d’un acte juridique d’expert-comptable (« Évitons une bataille d’Hernani sur cet article… ») fassent beaucoup pour apaiser le débat.
Bruno DONDERO