Archives quotidiennes : février 18, 2014

Le salarié qui utilise son temps de travail pour son entreprise personnelle commet un abus de confiance!

L’arrêt rendu par la Chambre criminelle de la Cour de cassation le 19 juin 2013 mérite d’être signalé aux lecteurs de ce blog, s’ils ne l’ont pas déjà vu ailleurs (il a été beaucoup commenté, et notamment à la Revue Droit social 2014, p. 1008, par mon cher collègue Laurent Saenko; v. aussi Dalloz, 2013, p. 1936, note G. Beaussonie). L’arrêt peut être lu ici: http://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000027594822&fastReqId=1217411546&fastPos=1

Il donne une solution qui intéresse à la fois le droit pénal et le droit du travail.

Les faits étaient les suivants : un salarié était prothésiste chef de groupe au sein d’un Centre de rééducation (prothèses orthopédiques semble-t-il). Les fonctions du salarié le conduisaient à faire pour les patients admis au centre des moulages de prothèses provisoires, des essayages et des retouches. Les patients restituaient les prothèses lorsqu’ils quittaient le centre, et ils faisaient l’acquisition d’une prothèse définitive auprès d’un prothésiste libéral.

 

Le salarié avait créé une société dont il était le gérant et l’associé unique, et dont le siège était à son domicile. Rien de gênant dans tout cela, si ce n’est que la société avait pour unique client un prothésiste libéral auquel étaient facturées des « prestations d’études », et qu’il apparaissait que sur une période donnée, de 1999 à 2003, le prothésiste libéral avait réalisé la quasi-totalité des prothèses et orthèses des patients suivis par le centre, la facturation précitée apparaissant être la contrepartie de l’organisation de ce quasi-monopole. C’est que le salarié ne se contentait pas d’aiguiller les patients vers le prothésiste, mais il fournissait aussi à celui-ci des moulages qu’il fabriquait pendant ses heures de travail avec le matériel du Centre.

 

La cour d’appel saisie du litige déclarait le salarié coupable d’abus de confiance et de corruption, et le prothésiste coupable de recel d’abus de confiance et de corruption. Le salarié était condamné à dix mois d’emprisonnement avec sursis et 50.000 euros d’amende, et le prothésiste à huit mois avec sursis et 50.000 euros d’amende également. Le salarié et le prothésiste étaient par ailleurs condamnés à verser plus de 131.000 euros de dommages et intérêts au Centre.

La Chambre criminelle de la Cour de cassation rejette les pourvois qu’avaient formés le salarié et le prothésiste contre l’arrêt qui les avait condamnés, et la décision intéresse autant le droit pénal que le droit du travail (d’autant qu’elle est publiée au Bulletin des arrêts, mais aussi mentionnée au Rapport annuel de la Cour de cassation).

 

Du point de vue du droit pénal, l’arrêt innove en jugeant que le délit d’abus de confiance, sanctionné par l’article 314-1 du Code pénal, et qui consiste à détourner un bien qui a été remis pour être rendu ou pour être utilisé pour un but déterminé, peut porter sur le temps de travail du salarié.

 

Des décisions antérieures avaient jugé que l’abus de confiance pouvait porter sur des biens incorporels (numéro de carte bancaire par exemple : Cass. crim., 14 nov. 2000 : http://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000007070782&fastReqId=981983873&fastPos=1) mais la solution n’avait pas été retenue pour la force de travail du salarié (CA Toulouse, 26 avril 2001). C’est désormais le cas.

 

Du point de vue du droit du travail, le salarié doit savoir que s’il utilise son temps de travail pour des fins autres que celles pour lesquelles il est rémunéré par son employeur, il commet un abus de confiance, délit qui est sanctionné rappelons-le d’un maximum de 3 ans d’emprisonnement et 375.000 euros d’amende.

La Cour de cassation donne donc une coloration pénale à cette situation de conflit d’intérêts.

Les faits ont pu avoir une influence sur la solution retenue. Il n’est pas dit que les patients qui avaient besoin de prothèses, et qui étaient directement concernés par l’entente conclue entre le salarié et le prothésiste, aient subi un préjudice. Mais le fait que la victime soit un centre de rééducation exploité par une association a pu jouer. Cet employeur a subi un préjudice puisque le salarié qu’il rémunérait employait une partie de son temps de travail pour œuvrer à son enrichissement personnel et non pour exécuter son contrat de travail.

 

Il demeure que la solution est formulée en termes très larges : « l’utilisation, par un salarié, de son temps de travail à des fins autres que celles pour lesquelles il perçoit une rémunération de son employeur constitue un abus de confiance ». Le salarié qui utiliserait son temps de travail pour au choix, faire fonctionner sa propre entreprise, travailler pour un autre employeur, ou à des fins de loisir, s’expose donc non seulement aux sanctions prévues en cas d’inexécution de son contrat de travail (licenciement) mais également, nous apprend la Chambre criminelle de la Cour de cassation, aux peines d’amende et d’emprisonnement prévues par l’article 314-1 du Code pénal !

Bruno DONDERO

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75% des Français mécontents de la Justice ?

Un sondage de BVA a beaucoup été repris ces derniers jours dans la presse et sur internet, qui voyait 75% des sondés compléter par « mal » la question « Estimez-vous qu’en France la justice fonctionne globalement…? ».

D’autres questions étaient posées, relatives respectivement à l’indépendance des juges d’instruction (estimés ne pas l’être par rapport au pouvoir politique par la majorité des sondés, ce qui est un peu curieux, dès lors que le juge d’instruction ne semble pas la voie d’accès la plus simple pour influencer la justice) et à la popularité de Mme Taubira, comparée à ses prédécesseurs et à M. Valls.

Si l’on s’intéresse à la première question, la réponse est assez troublante. Trois personnes sur quatre n’auraient pas confiance dans l’institution judiciaire. Nos juges seraient-ils corrompus ? incompétents ? Ce n’est certainement pas le cas, nous avons en France une justice à la fois indépendante et d’une très grande qualité.

Ce n’est donc vraisemblablement pas la justice en tant que telle qui est visée en premier lieu, c’est-à-dire l’institution judiciaire, mais plutôt le droit qu’appliquent les tribunaux, qu’il s’agisse des règles de fond ou de la procédure. A cet égard, il est dommage que la question porte sur « la justice », même s’il est compliqué de demander au citoyen de séparer, dans l’image ou l’expérience qu’il a de la justice, l’institution judiciaire, les règles de fond, et la procédure. En revanche, des questions plus précises (qui figuraient peut-être dans le sondage mais ne sont pas reprises, une fois que le chiffre-massue de 75% est asséné!) auraient été utiles: les Français trouvent-ils la justice trop lente ? La trouvent-ils compliquée ? Coûteuse ?

Le problème de ce type d’interrogation est qu’il est difficile et sans doute peu utile de parler tout à la fois de la justice civile, commerciale, pénale, sociale, des petites et des grandes juridictions, des petits et des grands litiges…

 

Bruno DONDERO

 

 

 

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