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Décret sur le bénéficiaire effectif: ce qui change (D. n° 2018-824 du 18 avril 2018)

Après plusieurs semaines d’attente, le dernier décret attendu sur le dispositif d’identification et de déclaration des bénéficiaires effectifs (BE) est donc paru au Journal Officiel de ce matin. Le décret (n° 2018-824 du 18 avril 2018) est consultable ici.

Le décret a un champ d’application qui ne se limite pas aux BE, et traite plus largement de la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme. Il est applicable au 1er octobre 2018, mais dès le 21 avril 2018 pour ce qui concerne les BE.

Le dispositif légal, opérant la transposition d’une directive 2015/849 du 20 mai 2015, était applicable depuis le 1er août 2017 (pour les sociétés immatriculées depuis cette date) et depuis le 1er avril 2018 (pour les sociétés immatriculées avant). Il n’était pas indiqué qu’un décret supplémentaire était attendu, mais c’était une information qui circulait dans les milieux professionnels (l’Association nationale des sociétés par actions, ANSA, avait évoqué le projet de décret) et il manquait au moins un morceau du dispositif, puisque rien n’était dit dans les textes de droit français sur la question de l’impossible identification d’un BE.

Le décret du 18 avril fait évoluer la question du BE essentiellement sur deux points.

La définition des BE

Le BE est, selon l’art. L. 561-2-2 du Code monétaire et financier, une personne physique qui 1) soit contrôle en dernier lieu, directement ou indirectement, une entité juridique, 2) soit pour lequel une opération est exécutée ou une activité exercée.

C’est surtout à la première branche que l’on s’est intéressé, la seconde apparaissant davantage concerner l’obligation faite aux professionnels (des banquiers aux avocats) de connaître leurs clients.

Le Code monétaire et financier précisait par trois articles (art. R. 561-1 à 3) la définition du BE dans les sociétés, dans les organismes de placement collectif (OPC) et dans les autres entités.

Ces trois articles sont modifiés et le dernier est scindé en deux, pour appréhender séparément les personnes morales autres que des sociétés et des OPC (art. R. 561-3) et les trusts, fiducies et mécanismes comparables de droit étrangers, pour la connaissance desquels Johnny Hallyday et ses avocats auront fait beaucoup (art. R. 561-3-0).

 

C’est l’art. R. 561-1 qui retiendra l’attention des entités les plus nombreuses, puisque ce texte concerne les sociétés en général, qui sont des centaines de milliers et même des millions à devoir se mettre en conformité avec le dispositif. Par rapport à la version précédente, le nouveau texte est heureusement plus précis.

Précédemment, était un BE la personne physique qui:

  • a) soit détenait, directement ou indirectement, plus de 25% du capital ou des droits de vote d’une société;
  • b) soit exerçait, « par tout autre moyen, un pouvoir de contrôle sur les organes de gestion, d’administration ou de direction de la société ou sur l’assemblée générale des associés« .

Désormais, le BE est la personne physique qui:

La référence au Code de commerce restreint les hypothèses envisageables. Précédemment, l’absence de définition précise dans le texte laissait craindre que le pouvoir de contrôle puisse être envisagé très largement. La référence au Code de commerce réduit les cas à deux qui supposent soit de disposer de droits de vote, soit d’être associé ou actionnaire:

  • 3° du L. 233-3, I: est BE celui qui détermine en fait, par les droits de vote dont il dispose, les décisions dans les assemblées générales de la société ;
  • 4° du L. 233-3, I: est BE celui qui  (i) est associé ou actionnaire d’une société et (ii) dispose du pouvoir de nommer ou de révoquer la majorité des membres des organes d’administration, de direction ou de surveillance de cette société.

 

L’impossibilité d’identifier un BE: que faire ?

La directive de 2015 qui obligeait les Etats de l’UE à mettre en place un système d’identification et déclaration des BE indiquait que si une société ou une entité assujettie ne pouvait identifier un ou plusieurs BE, elle devait déclarer son dirigeant principal.

Les greffes demandaient déjà cela aux sociétés qui ne parvenaient pas à identifier leur BE. Mais le droit français ne comportait pas une telle règle, jusqu’à la publication du décret.

Les différents textes sur les sociétés, les OPC et les entités autres (mais pas celui sur les trusts et assimilés) prévoient chacun des solutions en cas d’impossibilité.

Par exemple, en matière de sociétés:

« Lorsqu’aucune personne physique n’a pu être identifiée selon les critères prévus au précédent alinéa, et que la personne mentionnée à l’article L. 561-2 n’a pas de soupçon de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme à l’encontre du client mentionné au précédent alinéa, le bénéficiaire effectif est la ou les personnes physiques ci-après ou, si la société n’est pas immatriculée en France, leur équivalent en droit étranger qui représente légalement la société :
« a) Le ou les gérants des sociétés en nom collectif, des sociétés en commandite simple, des sociétés à responsabilité limitée, des sociétés en commandite par actions et des sociétés civiles ;
« b) Le directeur général des sociétés anonymes à conseil d’administration ;
« c) Le directeur général unique ou le président du directoire des sociétés anonymes à directoire et conseil de surveillance ;
« d) Le président et, le cas échéant, le directeur général des sociétés par actions simplifiées.
« Si les représentants légaux mentionnés au a ou au d sont des personnes morales, le bénéficiaire effectif est la ou les personnes physiques qui représentent légalement ces personnes morales. »

 

On pourra s’étonner que soient visés les DG des SAS, mais pas le DGD de la SA. Et en matière de SAS, soustrait-on à la qualification de BE le DG… D, puisque seul le « DG » est visé ?

Les sociétés qui ont plusieurs gérants, par exemple les SCP dont tous les associés sont gérants, devront les déclarer tous.

On est content d’avoir une base textuelle claire, en tous les cas.

 

En guise de conclusion, on indiquera deux autres modifications:

  • Possibilité de déposer le document sur les BE par voie électronique, mais avec une signature électronique (art. R. 123-77 du Code de commerce);
  • Le délai pour actualiser le document sur les BE fait en outre l’objet d’une mesure de clémence pour les OPC (art. R. 561-55 du Code monétaire et financier).

Bruno DONDERO

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Décret sur le bénéficiaire effectif (D. n° 2018-284 du 18 avril 2018)

Le dernier décret sur le bénéficiaire effectif, complétant le dispositif issu de l’ordonnance du 1er décembre 2016 et repris par la loi Sapin II (mais cette dernière fait doublon, et sera sans doute abrogée sur ce point) est donc (finalement) paru.

Le décret est consultable ici. Sa date d’entrée en vigueur est fixée au 1er octobre 2018, mais certains articles, dont l’article 5 reproduit ci-dessous, entrent en vigueur le 21 avril 2018.

Ce décret sera bientôt commenté sur ce blog et ailleurs. Le texte qui retiendra particulièrement l’attention est l’article 5, qui réécrit l’art. R. 561-1 du Code monétaire et financier:

« L’article R. 561-1 est remplacé par les dispositions suivantes :

« Art. R. 561-1. – Lorsque le client d’une des personnes mentionnées à l’article L. 561-2 est une société, on entend par bénéficiaire effectif, au sens du 1° de l’article L. 561-2-2, la ou les personnes physiques qui soit détiennent, directement ou indirectement, plus de 25 % du capital ou des droits de vote de la société, soit exercent, par tout autre moyen, un pouvoir de contrôle sur la société au sens des 3° et 4° du I de l’article L. 233-3 du code de commerce.
« Lorsqu’aucune personne physique n’a pu être identifiée selon les critères prévus au précédent alinéa, et que la personne mentionnée à l’article L. 561-2 n’a pas de soupçon de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme à l’encontre du client mentionné au précédent alinéa, le bénéficiaire effectif est la ou les personnes physiques ci-après ou, si la société n’est pas immatriculée en France, leur équivalent en droit étranger qui représente légalement la société :
« a) Le ou les gérants des sociétés en nom collectif, des sociétés en commandite simple, des sociétés à responsabilité limitée, des sociétés en commandite par actions et des sociétés civiles ;
« b) Le directeur général des sociétés anonymes à conseil d’administration ;
« c) Le directeur général unique ou le président du directoire des sociétés anonymes à directoire et conseil de surveillance ;
« d) Le président et, le cas échéant, le directeur général des sociétés par actions simplifiées.
« Si les représentants légaux mentionnés au a ou au d sont des personnes morales, le bénéficiaire effectif est la ou les personnes physiques qui représentent légalement ces personnes morales. » »

 

La disposition de la directive de 2015 prévoyant qu’en cas d’impossibilité d’identifier un bénéficiaire effectif, il faut procéder à la déclaration des dirigeants de la société est donc transposée en droit français.

Bruno DONDERO

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Intelligence artificielle et bénéficiaire effectif

Les sociétés françaises non cotées en bourse et immatriculées au registre du commerce et des sociétés sont aujourd’hui soumises à une obligation particulièrement lourde, puisqu’elles sont tenues de procéder à l’identification de leurs bénéficiaires effectifs et de déclarer l’identité de ceux-ci, ainsi qu’un certain nombre d’autres informations. Les déclarations, adressées au greffier du tribunal de commerce vont nourrir un fichier, le registre des bénéficiaires effectifs (RBE), consultable par différentes autorités et, sur autorisation judiciaire, par toute personne intéressée. Le but de ce dispositif est de lutter contre le blanchiment et le financement du terrorisme (voir ici pour une explication-flash en vidéo).

Le choix qui a été fait pour constituer le RBE est celui d’imposer aux sociétés de procéder individuellement aux déclarations requises par la loi. Des centaines de milliers de sociétés sont donc soumises à une obligation lourde, qui passe par un formulaire qui doit être rempli et adressé au greffier.

L’Intelligence artificielle pourrait alléger considérablement la tâche des sociétés soumises à cette nouvelle obligation.

Notons que la directive du 20 mai 2015 qui impose d’identifier et de déclarer les bénéficiaires effectifs n’évoque pas le recours à un algorithme pour faciliter l’accomplissement de cette nouvelle obligation, mais que cela ne devrait pas être interdit.

 

Un coût immense.

Le coût de l’accomplissement de la formalité de déclaration des bénéficiaires effectifs s’annonce immense.

La partie visible de l’iceberg réside dans les sommes qui vont être prélevées par les greffiers. Le dépôt du formulaire relatif aux bénéficiaires effectifs est en effet payant, de même que la modification de la déclaration. Pour rappel, ces sommes sont de l’ordre de 50 euros pour le dépôt et de 40 euros pour les modifications.

 

 

Mais pour pouvoir remplir la déclaration, certaines sociétés vont devoir se lancer dans un processus de recherches approfondies. Bien sûr, beaucoup de situations seront simples, comme ce sera le cas lorsque des personnes physiques détiendront directement plus de 25% du capital social ou des droits de vote de la société. Mais de très nombreuses situations seront particulièrement complexes à gérer, notamment parce que la détention prise en compte peut aussi être indirecte. De ce fait, la société A qui n’a que des actionnaires personnes morales, les sociétés X, Y et Z, devra interroger celles-ci pour connaître les personnes physiques qui sont les actionnaires de X, Y et Z, et qui pourraient être les bénéficiaires effectifs de la société A.

En somme, le coût entraîné par l’obligation de déclaration des bénéficiaires effectifs sera toujours supérieur aux sommes prélevées par les greffes des tribunaux de commerce.

Un risque important d’inexécution.

Demander à toutes les sociétés de procéder « manuellement » et individuellement à la déclaration de leurs bénéficiaires effectifs est non seulement absurde au regard du coût que cela représente pour ces sociétés, mais ce choix a aussi comme inconvénient d’entraîner un risque d’inexécution considérable.

La déclaration des bénéficiaires effectifs peut être entravée à la fois, notamment, par :
– l’ignorance par les dirigeants des sociétés concernées de l’existence de l’obligation de déclarer ;
– l’inertie dont certains dirigeants feront preuve ;
– la lenteur dont les greffiers des tribunaux de commerce pourront faire preuve dans le traitement des très nombreuses déclarations ;
– l’impossibilité pour certaines sociétés ou le refus de supporter les coûts attachés à la déclaration ;
– la difficulté réelle à identifier les bénéficiaires effectifs du fait de l’absence de réponse fournie par les personnes concernées (par ex. : défaut de réponse de la société mère interrogée par sa filiale) ;
– l’existence de questions juridiques complexes.

L’utilité de l’Intelligence artificielle.

On se trouve donc confronté à une situation où il faut procéder à une tâche de grande ampleur, et où l’automatisation pourrait jouer un rôle important.

Plutôt que d’obliger des millions de personnes à accomplir une tâche complexe et répétitive, ne pourrait-on trouver dans l’intelligence artificielle (IA) les ressources pour, sinon remplacer complétement l’homme, du moins l’assister très efficacement ?

Les critères d’identification du bénéficiaire effectif sont de deux types :
– soit détenir plus de 25% du capital ou des droits de vote d’une société ;
– soit exercer un pouvoir de contrôle sur les organes de cette société.

Le second critère est assez subjectif pour qu’un algorithme ne puisse identifier à coup sûr les situations concernées, mais le premier critère devrait être appréhendé plus aisément, et il est probable que ce premier critère épuisera la grande majorité des situations dans lesquelles un bénéficiaire effectif doit être identifié.

Un algorithme pourrait poser des questions simples au dirigeant d’une société, tout en suggérant des réponses à partir des informations qu’il aura trouvées sur les registres publics (registre du commerce et des sociétés, en premier lieu) ou sur internet. Le formulaire de déclaration des bénéficiaires effectifs sera donc prérempli, ce qui accélérera considérablement les choses.

La déclaration des bénéficiaires effectifs en est à ses débuts, ne serait-ce qu’en termes d’identification des difficultés juridiques que cette obligation soulève, mais il serait regrettable de ne pas utiliser dès aujourd’hui les ressources de la technologie pour permettre aux dirigeants concernés de se mettre plus facilement en conformité avec cette obligation de transparence.

Bruno DONDERO

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La tragicomédie du bénéficiaire effectif, ou « Avec ou sans décret ? »

Le droit connaît beaucoup de belles histoires passionnantes, dont la presse se délecte, et qui font naître des vocations de juriste: par exemple, les questions posées par la succession de Johnny Hallyday et l’intérêt que cette affaire suscite vont peut-être donner naissance à une génération de nouveaux étudiants en droit, passionnés par le droit des successions, si possible à caractère international.

Et puis le droit connaît aussi de plus petites histoires, moins passionnantes, comme celle du bénéficiaire effectif, dont nous avons déjà parlé dans les colonnes de ce blog.

Cette histoire touche au genre de la tragicomédie, avec des moments difficiles voire tragiques (des questions compliquées, des sommes d’argent à payer, peut-être de la prison) et d’autres plus drôles (« mais où est passé mon décret ? »)… C’est un peu une comédie à l’italienne, en somme, du genre de celles jouées par le grand Alberto Sordi.

 

 

 

Des questions et des frais…

Une directive européenne impose une nouvelle obligation, celle d’identifier et de faire connaître les personnes physiques qui sont les véritables bénéficiaires de l’activité d’une entité, particulièrement d’une société. Le droit français a transposé cette obligation dans le Code monétaire et financier et a institué un registre des bénéficiaires effectifs, le non-respect du dispositif étant assorti de sanctions pénales.

Dit comme cela, ce dispositif a l’air simple. Il soulève en réalité de nombreuses difficultés d’application, et les entités concernées (c’est sur les sociétés et autres personnes morales que pèse l’obligation d’identifier leurs bénéficiaires effectifs, ceux-ci n’ont pas à se déclarer) ont intérêt à ne pas oublier ou rater leur déclaration.

Ne pas faire de déclaration expose les dirigeants et l’entité concernée à des sanctions pénales (7.500 euros d’amende, soit pour les sociétés un maximum de 5 fois cela, c’est-à-dire 37.500 euros, et jusqu’à 6 mois d’emprisonnement pour les personnes physiques).

Mal faire sa déclaration expose à devoir la corriger, ce qui n’est pas sans effet.

 

Tarifs BE

Les tarifs indiqués par le greffe du Tribunal de commerce de Paris

 

Modifier sa déclaration, par exemple pour rectifier un oubli ou une inexactitude coût tout de même près de 50 euros comme on le voit.

Ici on est dans la tragédie, entre les sanctions et les frais susceptibles de frapper les sociétés et leurs dirigeants.

 

Entrée en vigueur un dimanche ?

Pour les sociétés qui ont été immatriculées au Registre du commerce et des sociétés à compter du 1er août 2017, le dispositif a été applicable dès cette date.

Pour les sociétés « anciennes », constituées avant le 1er août 2017, le dispositif prévoit une date limite de mise en conformité, qui est celle du 1er avril 2018, à savoir un dimanche.

On peut s’interroger sur la pertinence de prévoir un délai tombant un dimanche. Vraisemblablement, cela reporte le dernier jour à mardi 3 avril, mais cela n’est pas dit par les textes. Les délais de procédure sont calculés selon le Code de procédure civile en reportant l’échéance, lorsqu’elle tombe un dimanche ou un jour férié, au premier jour ouvrable suivant (art. 642 du Code de procédure civile). Ici, il est peu probable que les greffes resteront ouverts le dimanche 1er avril pour attendre les « déclarations du dernier jour », donc il semble raisonnable de penser que le premier jour ouvrable, le mardi 3 avril, est la véritable date du dernier jour.

 

Qui a vu le décret ?

Dernier élément de la tragicomédie du bénéficiaire effectif, cette fois-là presque comique: on attend depuis des jours un décret qui doit, d’après les informations qui circulent 1) préciser les éléments d’identification du bénéficiaire effectif et 2) dire que lorsque l’entité ne peut identifier un bénéficiaire effectif, c’est son dirigeant qui doit être déclaré (la directive le prévoit, mais pas encore le droit français, même si les greffiers le demandent déjà…).

Ce matin, le Journal officiel du 31 mars ne contenait toujours pas le décret. Celui-ci va donc être publié au mieux le 1er avril, qui est officiellement le dernier jour pour se mettre en conformité avec le dispositif, pour les sociétés « anciennes » (immatriculées avant le 1er août 2017).

Au-delà de l’aspect « poisson d’avril », il faut en effet rappeler que le dispositif, sans ce décret, est déjà pleinement opérationnel pour les sociétés constituées depuis le 1er août 2017…

Bruno DONDERO

Complément: petite vidéo faite avec mon ami et collègue Alain Couret et le cabinet CMS Francis Lefebvre Avocats sur le bénéficiaire effectif.

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Dirigeants de société (SARL, SAS, SCI, etc.), n’oubliez pas de déclarer les bénéficiaires effectifs!

Le 1er avril 2018, toutes les sociétés immatriculées en France (à l’exception des sociétés cotées en bourse) auront l’obligation d’identifier leurs bénéficiaires effectifs, c’est-à-dire, en substance, les personnes physiques qui soit détiennent plus de 25% du capital ou des droits de vote, soit qui exercent un pouvoir de contrôle sur la société. Les sociétés constituées depuis le 1er août 2017 sont déjà soumises à cette obligation.

Une fois l’identification faite, une déclaration doit être adressée au greffier du tribunal de commerce tenant le registre du commerce et des sociétés. Dans les 30 jours d’un fait ou acte rendant nécessaire une modification, il faut actualiser la déclaration.

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Cette obligation doit permettre de lutter contre le blanchiment, contre le financement du terrorisme, et sans doute aussi contre l’évasion fiscale.

Les informations fournies par les sociétés seront inscrites dans un registre qui n’est pas librement accessible au public, mais peut être consulté par toute une série d’autorités (judiciaires, douanières, fiscales, etc.) et d’autorités professionnelles (représentants des avocats, des notaires, des commissaires aux comptes, notamment). Le document relatif au bénéficiaire effectif d’une société pourra aussi être communiqué à tout intéressé, autorisé par une décision de justice.

Voilà en quelques mots le dispositif qui a été introduit en droit français par une ordonnance du 1er décembre 2016, transposant une directive du 20 mai 2015.

 

Deux transpositions pour le prix d’une seule, approchez, approchez !

Ce blog parle souvent des petites « gaffes » du droit, comme la loi simplifiant l’intitulé de la loi de… simplification, ou les arrêts de la Cour de cassation citant un Code qui n’existe pas. Je ne ferai que mentionner la petite gaffe de législateur (variante de la blague de juriste ?) qui a été faite à propos du bénéficiaire effectif, puisque la directive du 20 mai 2015 a fait l’objet non pas d’une transposition, mais de deux, à quelques jours d’intervalle!

Aussi étonnant que cela puisse paraître, le Code monétaire et financier a été enrichi de  nouveaux articles sur la déclaration des bénéficiaires effectifs, d’abord par l’ordonnance du 1er décembre 2016, puis par la loi Sapin II du 9 décembre 2016.

Les deux séries d’articles coexistent encore aujourd’hui, mais seul le premier texte, l’ordonnance, a été visé par les mesures d’application (décret et arrêtés). On peut donc penser que l’ordonnance a triomphé, et ce sera définitivement le cas quand la loi de ratification aura abrogé, implicitement au moins, la loi Sapin II sur ce point.

Précision: un dernier décret d’application est attendu dans les tout prochains jours, mais le dispositif fonctionne déjà sans ce décret. Simplement, le nouveau texte devrait préciser les critères d’identification du bénéficiaire effectif, ainsi que traiter de l’hypothèse où son identification est impossible.

 

Les inconvénients du dispositif.

Au-delà de cette question, on reprochera au dispositif essentiellement deux choses, et l’on signalera en outre la sanction radicale prévue en cas de non-respect de l’obligation de déclarer.

Tout d’abord, il s’agit là d’un dispositif très coûteux, puisqu’il est demandé à toutes les sociétés, c’est-à-dire aux millions de SARL, SAS, SCI, sociétés de professionnels, sociétés agricoles, etc. de procéder à une déclaration qui est facturée pour une somme approchant les 50 euros, et dont les modifications auront également un coût. Le simple dépôt va donc coûter plus d’une centaine de millions d’euros, somme à laquelle il faut ajouter le coût des inscriptions modificatives, d’une part, et le coût supporté par les sociétés pour identifier leurs bénéficiaires effectifs (recherches en interne, honoraires d’avocat).

Ensuite, il s’agit là d’un dispositif extrêmement complexe, puisque les critères retenus pour qualifier une personne de bénéficiaire effectif sont parfois subjectifs (exercer un pouvoir de contrôle sur les organes de la société) et qu’il existe une grande variété de situations complexes (détention indirecte, pacte d’actionnaires, indivision, démembrement de propriété, détention via un trust, assurance-vie, entre autres) qui rendront plus délicate la tâche d’identification du bénéficiaire effectif.

Enfin, l’obligation d’identifier et déclarer les bénéficiaires effectifs voit son non-respect sanctionné de manière radicale par un nouveau délit pénal, institué à l’article L. 561-49 du Code monétaire et financier, prévoyant six mois d’emprisonnement et 7.500 euros d’amende pour ceux qui ne procéderont pas à la déclaration ou le feront de manière incomplète. Les autres droits européens que j’ai eu l’opportunité de connaître sur cette question ne prévoient pas de peine de prison !

Un nouveau chantier pour les juristes, comme on l’aura compris. Un nid de questions difficiles, qui concerneront de très nombreuses entreprises, et pour lesquelles il faudra trouver rapidement des solutions sures.

 

Bruno DONDERO

PS: il y a déjà eu de nombreux écrits sur le bénéficiaire effectif au cours de l’année 2017. Nous publierons dans les semaines qui viennent un ouvrage consacré à la question avec mon collègue et ami Alain Couret, aux éditions Lextenso.

 

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La société zombie (Cass. com., 13 sept. 2017, n° 16-12479)

La société zombie dont il est question est celle qui est morte sans le savoir, celle qui continue son activité alors que son terme statutaire a expiré.

La durée de la société fait partie des mentions qui doivent figurer dans les statuts (art. 1835 du Code civil et L. 210-2 du Code de commerce). Parce que la société a le plus souvent une longue durée de vie, les associés peuvent perdre de vue son caractère mortel, et oublier de proroger son existence. Combien de sociétés en activité aujourd’hui sont-elles des groupements morts-vivants? Il faudrait que ces sociétés vérifient leurs propres signes vitaux, comme le leur conseillerait le groupe de rock Green Day (Boulevard of Broken Dreams : « Check my vital signs, To know I’m still alive and I walk alone », American Idiot, 2004).

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L’assemblée des associés, régulièrement convoquée, va pouvoir se tenir…

 

En présence d’une société dont le terme statutaire a expiré, mais qui a poursuivi son activité, se pose la question de la possibilité d’analyser cette poursuite d’activité comme la manifestation tacite d’une volonté des associés de proroger la société. Cette solution est cependant clairement exclue par la Cour de cassation, par l’arrêt rendu par la Chambre commerciale le 13 septembre 2017 (n° 16-12479, à paraître au Bulletin).

I – La question de la prorogation.

Lorsqu’une société arrive au terme de sa durée de vie statutaire, que se passe-t-il si les associés n’en ont pas prorogé l’existence ? La réponse est simple : la société prend fin, et elle est dissoute. L’article 1844-7 du Code civil ne dit pas autre chose lorsqu’il énumère les causes de dissolution d’une société et mentionne en premier « l’expiration du temps pour lequel elle a été constituée, sauf prorogation… ».

La prorogation est donc possible, qui permet de régénérer la société, et peut la voir, de quatre-vingt-dix-neuf ans en quatre-vingt-dix-neuf ans (durée maximum prévue par l’article 1838 du Code civil), se maintenir plusieurs siècles durant. Les modalités de cette prorogation sont définies, au sein des dispositions applicables à toutes les sociétés, par l’article 1844-6 du Code civil, qui encadre la consultation des associés. On pourrait déjà en déduire qu’en l’absence de prorogation dans les conditions prévues par le texte, la société est irrémédiablement dissoute.

La solution peut toutefois apparaître brutale lorsque les associés ont oublié le terme statutaire, et qu’ils ont laissé celui-ci expirer sans procéder à sa prorogation. Si la société est effectivement dissoute, cela veut dire qu’il faut la liquider (sauf à la faire absorber par une autre) et la constituer à nouveau, avec les coûts et les contraintes que l’on imagine, la fin des relations contractuelles existantes, etc. Cela veut dire aussi que les actes faits par la société depuis sa dissolution sont menacés de nullité, soit parce qu’ils ne se rattachaient pas aux besoins de la liquidation (la personnalité juridique de la société dissoute ne subsistant que pour les besoins de la liquidation, aux termes des art. 1844-8 C. civ. et L. 237-2 C. com.), soit parce qu’ils ont été faits par des dirigeants qui avaient perdu leurs pouvoirs, alors qu’ils auraient dû être faits par un liquidateur qui n’a jamais été nommé.

La jurisprudence avait mentionné à plusieurs reprises une possibilité de prorogation tacite de la société (v. not. Cass. com., 23 oct. 2007, n° 05-19.092, Bull. IV, n° 224), et l’on s’interrogeait sur le sens à donner à cette expression, qui désignait peut-être la poursuite de l’activité en dépit de l’expiration du terme statutaire, mais qui pouvait désigner aussi une hypothèse plus rare, qui est celle de la clause prévoyant, dans les statuts, une prorogation automatique de la société. La première solution était intéressante, mais elle s’accordait mal avec le courant jurisprudentiel reconnaissant que la société dont l’existence se poursuit au-delà de son terme est une société « devenue de fait » (Cass. civ. 1ère, 13 déc. 2005, n° 02-16605, Bull. I, n° 487 ; Cass. civ. 3ème, 23 oct. 2013, n° 13-30129).

Le législateur aurait pu apporter une solution à cette question des sociétés mortes sans l’avoir réalisé. Lors des travaux parlementaires relatifs à la loi Sapin 2, le Sénat avait enrichi l’article 1844-6 du Code civil d’un alinéa, aux termes duquel « Lorsque la consultation n’a pas eu lieu, le président du tribunal, statuant sur requête à la demande de tout associé dans l’année suivant la date d’expiration de la société, peut constater l’intention des associés de proroger la société et autoriser la consultation à titre de régularisation dans un délai de trois mois, le cas échéant en désignant un mandataire de justice chargé de la provoquer. Si la société est prorogée, les actes conformes à la loi et aux statuts antérieurs à la prorogation sont réputés réguliers » (art. 41 bis du projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, Sénat, 3 nov. 2016). Cet ajout n’a finalement pas été retenu dans la version finale du texte.

 

II – L’arrêt de la Cour de cassation et ses enseignements.

La Chambre commerciale de la Cour de cassation tranche un litige relatif à un groupement agricole d’exploitation en commun (GAEC), c’est-à-dire à une forme de société civile, régie par les articles L. 323-1 et suivants du Code rural et de la pêche maritime. La solution retenue devrait cependant valoir pour toutes les sociétés.

Le GAEC en cause avait été constitué en 1972 pour une durée initiale de sept ans, puis il avait fait l’objet de prorogations à répétition, à chaque fois pour des durées assez brèves. La dernière prorogation avait été plus longue, puisqu’une assemblée tenue en 2005 avait allongé la durée de vie du GAEC de cinquante ans. Seul souci : la précédente prorogation, intervenue en 1994, avait été de dix ans, et la société avait donc vu son terme expirer en 2004. Les associés du GAEC avaient vu le problème, puisque lors de l’assemblée générale de 2005, ils avaient procédé à une prorogation rétroactive, prenant effet « pour cinquante ans à compter du 21 avril 2004 ».

Le GAEC se trouvait opposé à la société qui lui louait diverses parcelles de terre depuis 1996, et qui avait dénoncé le bail en 2012. Le GAEC ayant contesté le congé devant le tribunal paritaire des baux ruraux, son bailleur soutenait qu’il n’avait pas qualité à agir, du fait de la dissolution intervenue en 2004. Cela n’avait pas convaincu la cour d’appel saisie du litige, qui avait donc jugé que le GAEC était recevable à agir en justice. Si les formalités nécessaires à la prorogation de la durée du GAEC n’avaient été accomplies que le 14 décembre 2005, soit après la survenance du terme, il avait été retenu que le GAEC avait néanmoins continué à exploiter les terres pendant cette période et postérieurement pendant près de dix ans, ce qui témoignait indiscutablement, selon les juges du fond, du maintien de l’activité de la société et de l’affectio societatis. Il en était déduit que le GAEC avait été prorogé tacitement entre le 21 avril 2004 et le 14 décembre 2005 et que, n’ayant pas été dissous, il avait pu valablement être prorogé par la délibération du 14 décembre 2005.

Cette solution est cependant condamnée par la Cour de cassation, motif tiré de la violation des articles 1844-6 et 1844-7 du Code civil. Il est jugé qu’ « en l’absence de toute prorogation expresse, décidée dans les formes légales ou statutaires, un groupement agricole d’exploitation en commun est dissous de plein droit par la survenance du terme, de sorte que le GAEC, dont le terme était arrivé le 21 avril 2004, n’avait pu être valablement prorogé par la délibération du 14 décembre 2005 ».

Par cette décision publiée au Bulletin, la Cour de cassation apporte une confirmation et un élément nouveau.

La confirmation porte sur l’impossibilité de procéder à une prorogation rétroactive. Lorsqu’une société est arrivée au bout de la durée de vie statutairement prévue, elle ne peut faire l’objet d’une décision de prorogation. L’article 1844-6 du Code civil prévoit que les associés soient consultés un an au moins avant l’expiration du terme, et les statuts peuvent anticiper davantage encore cette consultation. Mais l’on doutait peu que la prorogation doive être antérieure à l’expiration du terme. D’ailleurs, lorsque l’article 1213 du Code civil, issu de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, envisage la prorogation du contrat, il exige également que les parties manifestent la volonté de voir la durée de leur relation prolongée « avant son expiration ».

L’élément nouveau résultant de la décision commentée tient à l’impossibilité de procéder à la prorogation tacite d’une société. Les décisions précédentes qui mentionnaient cette possibilité avaient suscité des interrogations. La Cour de cassation met fin à celles-ci en excluant clairement la prorogation tacite, qui résulterait de la poursuite de l’activité.

Des interrogations subsistent cependant.

  • tout d’abord, on peut se demander si les statuts peuvent stipuler une prorogation automatique de la société. Il me semble que oui, dès lors que même prévue à l’avance, cette prorogation est expresse, mais en même temps, la référence faite par l’arrêt à l’article 1844-6 qui prévoit une procédure particulière de prorogation incite à la prudence ;
  • ensuite, la Cour de cassation a parfois considéré que la décision des associés autorisant la conclusion d’un contrat d’une durée supérieure à celle de la société pourrait valoir prorogation du terme de celle-ci (Cass. civ. 3ème, 4 févr. 2009, n° 07-22012, Bull. III, n° 28). Cette forme de prorogation, qui serait implicite plutôt que tacite, semble condamnée par les termes de la décision commentée.

 

Bruno DONDERO

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SAS: les pactes relatifs à la direction sont-ils interdits ? (Cass. com., 25 janv. 2017, n°14-28792)

L’arrêt rendu le 25 janvier 2017 par la Chambre commerciale de la Cour de cassation est une décision importante, au sens où cet arrêt pourrait fort bien perturber considérablement la pratique.

A le prendre à la lettre, cet arrêt interdit de placer dans un pacte d’actionnaires des règles relatives à l’organisation de la direction d’une SAS. Excusez du peu.

En attendant les nombreux commentaires que suscitera cet arrêt (je le commenterai au Répertoire Defrénois), observons déjà qu’il est destiné à une très large publication : publication aux deux Bulletins, site internet de la Cour de cassation, et mention dans son rapport annuel.

I – Les faits de l’espèce et la question posée.

Les faits étaient assez simples, même si la clause qui donne lieu à l’affaire n’est sans doute pas courante.

Une personne physique, M. X, cédait à une société les actions qu’il détenait dans une société anonyme (SA), la SA Cabinet Rexor. Une clause particulière figurait dans le protocole de cession, ou dans le SPA comme on dit dans les cabinets internationaux (à prononcer « Esse-Pi-Hey »). Cette clause prévoyait une possible réduction du prix de cession des actions « en cas de baisse du chiffre d’affaires au cours des exercices 2005 et 2006 dans la mesure où M. X… serait maintenu à son poste d’administrateur ».

Ce n’était pas une clause de complément de prix, d’ earn out, où celui qui vend ses actions a droit à un complément de prix si les résultats sont meilleurs qu’attendus pendant la période qui suit la cession. C’était une clause de loose out, si l’on peut dire. Si les résultats étaient moins bons que précédemment, le vendeur devait rendre une partie du prix.

Pour que la clause joue, une autre condition devait être remplie : le cédant devait être encore administrateur de la société.

M. X était-il encore administrateur de la société ?

Répondre à cette question était compliqué par le fait que peu après la cession des actions de M. X, l’assemblée générale de la société avait décidé de changer de forme sociale. La SA avait été transformée en société par actions simplifiée (SAS).

Une différence entre ces deux formes sociales tient à ce que la SA, dans sa version la plus utilisée, a nécessairement un conseil d’administration et donc des administrateurs, tandis que la SAS n’est dotée d’administrateurs que si ses statuts l’ont prévu.

Les statuts de la SAS Cabinet Rexor ne prévoyaient pas de conseil d’administration… mais la pratique de la société avait été de conserver un tel organe. Et M. X avait siégé au sein de cet organe « de fait ».

Les magistrats de la cour d’appel en avaient déduit que M. X était resté administrateur. La seconde condition de la clause était donc remplie, et il devait restituer une partie du prix.

L’arrêt d’appel est cependant censuré.

II – La solution de la Cour de cassation.

L’arrêt d’appel est cassé pour violation des articles L. 227-1 et L. 227-5 du Code de commerce. Le premier texte exclut notamment des dispositions régissant la SAS les articles du Code de commerce relatifs au conseil d’administration de la SA, tandis que le second texte dispose que « Les statuts fixent les conditions dans lesquelles la société est dirigée ».

La Cour de cassation formule un attendu de principe, selon lequel « il résulte de la combinaison [des articles L. 227-1 et L. 227-5] que seuls les statuts de la société par actions simplifiée fixent les conditions dans lesquelles la société est dirigée ».

Ainsi, dès lors que les statuts de la SAS ne parlaient pas d’un conseil d’administration, M. X ne pouvait avoir conservé sa qualité d’administrateur.

On peut comprendre que laisser les statuts définir la manière dont une société est organisée, plutôt que de mettre en place une organisation légale (c’est le cas de la SA) est source de complications, puisque chaque SAS est susceptible d’être différente de sa voisine. En pratique, il existe une certaine standardisation des statuts de SAS, mais la Cour de cassation a sans doute voulu rappeler que si la loi donne compétence aux statuts, ce n’est pas pour que des pratiques apparaissent, à côté de l’organisation statutaire, pratiques conduisant à un fonctionnement de la SAS différent de celui prévu par les statuts.

Mais là où la solution surprend, c’est que si l’on prend l’attendu à la lettre, la Cour de cassation semble interdire les pactes d’actionnaires dans les SAS lorsqu’ils sont relatifs à la direction de la société. La pratique recourt de longue date à des conventions qui viennent compléter les statuts, et la création de la SAS, en 1994, visait notamment à faire remonter les pactes d’actionnaires dans les statuts. L’arrêt du 25 janvier 2017 conduit-il à ce que les pactes ne puissent plus encadrer la direction de la société ? Cela serait pour le moins gênant, car beaucoup de pactes ont été signés qui encadrent les pouvoirs des dirigeants de SAS, créent des organes de contrôle, etc. Faut-il considérer que ces pactes ne sont plus valables ?

En réalité, la SAS avait en l’espèce (comprend-t-on en lisant le moyen de cassation qui reprenait l’arrêt d’appel) conservé des administrateurs, alors que ses statuts ne le prévoyaient pas. C’est pour faire primer l’organisation statutaire sur celle, différente, retenue dans les faits que la Cour de cassation formule de manière énergique sa solution. Il est tout de même regrettable que les pactes s’en trouvent menacés…

D’autant que la très large diffusion de l’arrêt laisse entendre, me semble-t-il, que la Cour de cassation a un message à faire passer.

Dernière observation : si l’organisation statutaire prime, celui qui n’est pas dirigeant de par les statuts mais se comporte en fait en dirigeant doit prendre garde à la responsabilité particulière attachée à cette qualification, qui concerne aussi le dirigeant de fait. Rappelons que si une société est mise en liquidation judiciaire, ses dirigeants (et l’administrateur en est un, même s’il n’est pas un dirigeant exécutif) sont personnellement responsables des fautes de gestion ayant contribué à l’insuffisance d’actif de la société (art. L. 651-2 du Code de commerce). Précisons que la loi Sapin 2 a allégé cette responsabilité, comme je l’ai expliqué précédemment.

Bruno DONDERO

 

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L’administrateur geek et la loi Sapin 2

Le projet de loi Sapin 2 (loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016) comportait, dans la version adoptée en lecture définitive par l’Assemblée nationale, au sein de son Titre VII intitulé « De l’amélioration du parcours de croissance pour les entreprises », un article 134. Celui-ci entendait ajouter un alinéa à l’article L. 225-18 du Code de commerce, disposition relative à la désignation des administrateurs.

Cet alinéa disposait que « L’assemblée générale ordinaire peut désigner un administrateur chargé du suivi des questions d’innovation et de transformation numérique ». Le Conseil constitutionnel a toutefois censuré l’alinéa que le législateur entendait consacrer à « l’administrateur numérique », par sa décision n° 2016-741 DC du 8 décembre 2016.

Ce faisant, le Conseil constitutionnel apparaît remettre en cause ce qui aurait été une manifestation supplémentaire du courant de diversification des administrateurs (I). Sa décision mérite cependant d’être examinée de plus près (II). On formulera enfin quelques observations complémentaires (III).

I – Le courant de diversification des administrateurs.

Le conseil d’administration avait été pensé, aux termes de la loi du 24 juillet 1966, comme un organe collégial. Dans cet organe, pas une tête ne devait dépasser, à l’exception de celle du président du conseil. Cette approche était tout de même à nuancer, puisque l’attribution de missions particulières à tel ou tel administrateur était expressément prévue par des textes légaux ou réglementaires.

L’article L. 225-46 du Code de commerce disposait déjà qu’ « Il peut être alloué, par le conseil d’administration, des rémunérations exceptionnelles pour les missions ou mandats confiés à des administrateurs ». Surtout, l’article R. 225-49 du Code de commerce prévoyait que « Le conseil d’administration peut conférer à un ou plusieurs de ses membres ou à des tiers, actionnaires ou non, tous mandats spéciaux pour un ou plusieurs objets déterminés », dans un premier alinéa, le second alinéa étant quant à lui relatif à la création de comités spécialisés. Rappelons enfin que le Code Afep-Medef énonce que « Lorsque le conseil décide de confier des missions particulières à un administrateur, notamment en qualité d’administrateur référent ou de vice-président, en matière de gouvernance ou de relations avec les actionnaires, ces missions ainsi que les moyens et prérogatives dont il dispose, sont décrites dans le règlement intérieur (…) » (art. 6.3).

La diversification des administrateurs est cependant un phénomène qui a été croissant ces dernières années, puisque, au sein du conseil, on a vu apparaître des administrateurs qui se fondent moins que les autres dans le paysage. Ce n’est pas tant par leurs pouvoirs qu’ils se distinguent des autres administrateurs, que par les raisons et les modalités de leur nomination. Certains administrateurs sont ainsi nommés par les salariés (art. L. 225-27 C. com.) ou représentent ceux-ci sans nécessairement être nommés directement par eux (art. L. 225-27-1 et s. C. com.). La loi Copé-Zimmermann sur la parité au sein des conseils fait quant à elle émerger la nécessité de désigner des administrateurs / administratrices en fonction de leur sexe (art. L. 225-17 et L. 225-18-1 C. com.). D’autres administrateurs sont quant à eux nommés pour leur indépendance et leurs compétences particulières en matière financière ou comptable (art. L. 823-19 C. com.). Si l’on sort du cadre légal strict, on rencontre d’autres figures comme celle de l’administrateur référent (mentionné notamment par le Code Afep-Medef, art. 6.3 préc.), etc.

Il n’était donc pas absurde que ce mouvement de diversification se poursuive et qu’il soit prévu qu’un administrateur serait nommé en raison de son appétence, réelle ou supposée, préexistante ou postérieure à sa désignation, pour le numérique et plus largement pour l’innovation. Celui-ci aurait été peut-être le plus jeune des administrateurs, ou le plus geek… Rappelons que ce terme, entré dans l’édition 2010 du Dictionnaire Larousse, désigne un ou une « fan d’informatique, de science-fiction, de jeux vidéo, etc., toujours à l’affût des nouveautés et des améliorations à apporter aux technologies numériques ».

Simplement, pour introduire cette nouvelle figure au sein du conseil d’administration, encore fallait-il ne pas se tromper de ton, indépendamment du fond de la mesure mise en place. Et c’est bien le ton employé par les rédacteurs de l’article 134 qui cause la perte de l’administrateur numérique…

II – La censure intervenue.

Le Conseil constitutionnel juge l’article 134 du projet de loi Sapin 2 tout simplement « contraire à la Constitution ». La mise en place d’un administrateur chargé du suivi des questions d’innovation et de transformation numérique porterait-elle donc atteinte à des normes de nature constitutionnelle ?

En 1991, le Conseil d’Etat énonçait dans son rapport annuel une formule qui a marqué les esprits : « Quand le droit bavarde, le citoyen ne lui prête plus qu’une oreille distraite ». La concision et l’élégance de cette formule, qui semble empruntée à Carbonnier, ne doivent pas faire oublier que la fonction de la loi est bien d’édicter des normes. La loi qui bavarde n’est peut-être pas écoutée, mais elle devrait même être censurée, comme le Conseil constitutionnel l’a déjà fait à plusieurs reprises.

Dans une décision n° 2005-512 DC du 12 avril 2005 relative à la loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école, a été ainsi censuré un article qui entendait affirmer « l’objectif de l’école » (cons. n° 16 et 17). Le projet de loi adopté par le Parlement disposait ainsi que « L’objectif de l’école est la réussite de tous les élèves. – Compte tenu de la diversité des élèves, l’école doit reconnaître et promouvoir toutes les formes d’intelligence pour leur permettre de valoriser leurs talents. – La formation scolaire, sous l’autorité des enseignants et avec l’appui des parents, permet à chaque élève de réaliser le travail et les efforts nécessaires à la mise en valeur et au développement de ses aptitudes, aussi bien intellectuelles que manuelles, artistiques et sportives. Elle contribue à la préparation de son parcours personnel et professionnel ». Ces belles déclarations ont cependant été jugées « manifestement dépourvues de toute portée normative », et ont par conséquent été censurées (cons. n° 17).

C’est ce même reproche qui est retenu, à la suite d’une requête faite par des sénateurs, par la décision n° 2016-741 DC du 8 décembre 2016 (cons. n° 96 à 99). Il est rappelé qu’aux termes de l’article 6 de la Déclaration de 1789, « La loi est l’expression de la volonté générale… », et le Conseil constitutionnel énonce qu’ « Il résulte de cet article comme de l’ensemble des autres normes de valeur constitutionnelle relatives à l’objet de la loi que, sous réserve de dispositions particulières prévues par la Constitution, la loi a pour vocation d’énoncer des règles et doit par suite être revêtue d’une portée normative » (cons. n° 98). Il en est déduit que « Les dispositions de l’article 134 de la loi déférée, qui se bornent à conférer à l’assemblée générale ordinaire d’une société anonyme le pouvoir de confier à un administrateur la charge de suivre des évolutions technologiques, sont dépourvues de portée normative. Dès lors, cet article est contraire à la Constitution » (cons. n° 99).

La disposition censurée ne faisait en effet qu’émettre une suggestion, que l’assemblée générale des actionnaires pouvait suivre ou non. On peut donc se dire que ce n’était pas là le rôle du législateur.

III – Observations complémentaires.

Deux observations complémentaires méritent encore d’être faites.

La première est relative à la place que l’alinéa censuré aurait dû occuper au sein de l’article L. 225-18 du Code de commerce. Ce texte donne pouvoir à l’assemblée générale constitutive, à l’assemblée générale ordinaire et aux statuts pour nommer les administrateurs d’une société anonyme, ainsi qu’à l’assemblée générale extraordinaire en cas de fusion ou de scission. Il formule par ailleurs des règles relatives à la réélection et à la révocation. Il se termine enfin par un alinéa aux termes duquel « Toute nomination intervenue en violation des dispositions précédentes est nulle », à l’exception des hypothèses de cooptation. Le nouvel alinéa, relatif à l’administrateur numérique, aurait donc été d’autant moins doté de force obligatoire que la sanction de la nullité ne s’appliquait même pas, puisque les « dispositions précédentes » n’incluaient pas le nouvel alinéa. Placer le nouvel alinéa relatif à l’administrateur numérique parmi les dispositions sanctionnées par la nullité aurait été un moyen de donner plus de force au texte. Cela aurait eu pour conséquence de donner une compétence exclusive à l’assemblée générale ordinaire, puisque la violation de celle-ci aurait été sanctionnée par la nullité. On comprend cependant que cela aurait été plus problématique qu’utile, car les stipulations des statuts ou des règlements intérieurs prévoyant qu’une mission relative à l’innovation et au numérique pourrait être confié à un administrateur auraient été menacées. La solution la moins gênante consistait donc bien à placer le nouvel alinéa à la fin de l’article L. 225-18. De la sorte, on ne faisait qu’ajouter une prérogative à celles dont dispose déjà l’assemblée générale ordinaire.

La seconde observation est relative à l’utilité du texte. Tout de même, n’y avait-il aucun ajout réel résultant du nouvel alinéa ? Qui ne lirait que le texte modifié pourrait penser que la mesure était en réalité utile, au-delà de la simple suggestion. L’assemblée générale ordinaire des actionnaires s’étant vu reconnaître le pouvoir de nommer les administrateurs par le premier alinéa de l’article L. 225-18 du Code de commerce, il n’allait pas de soi qu’elle ait la possibilité d’assigner des missions particulières à tel ou tel administrateur. Dès lors, il appartenait au législateur de conférer expressément ce pouvoir à l’assemblée.

Mais c’était oublier qu’un texte préexistant, l’article L. 225-98 du Code de commerce, dispose déjà depuis longtemps que l’assemblée générale ordinaire « prend toutes les décisions autres que celles [relatives à la modification des statuts et au changement de nationalité de la société] ». C’est donc dans le cadre de l’article L. 225-98 que l’attribution d’une mission liée au numérique et à l’innovation pouvait prendre place sans difficulté. Ou alors, c’était la figure d’un administrateur doté d’un statut différent de celui des autres que le législateur voulait faire émerger, mais il fallait alors prévoir ce statut, au moins dans ses grandes lignes, et ne pas se contenter de renvoyer ce travail de définition à l’assemblée des actionnaires…

Bruno Dondero

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Vigilance, transparence, négligence: trois nouveautés résultant de la loi Sapin 2

La loi Sapin 2 (loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016) est une loi-fleuve, puisqu’elle aborde, avec ses 169 articles (moins en réalité car le Conseil constitutionnel est passé par là, en supprimant quelques-uns), de très nombreux sujets, qui vont de la création de l’Agence française anticorruption et de la protection des lanceurs d’alerte à une énième modernisation du droit des sociétés, en passant par la saisie des biens détenus en France par les dictateurs étrangers et l’apprentissage de la profession de coiffeurs.

Il est tout de même trois mesures qui me semblent mériter un premier commentaire rapide, parce qu’elles sont toutes trois importantes pour les entreprises et leurs dirigeants.

 

I – Le devoir de vigilance avant l’heure : les programmes anti-corruption.

On discute de la mise en place d’un devoir de vigilance en droit français qui imposerait aux sociétés de surveiller l’activité de leurs filiales et de leurs sous-traitants. C’est une démarche proche que réalise l’article 17 de la loi en imposant aux sociétés employant au moins 500 salariés, d’une part, mais aussi à celles qui appartiennent à un groupe de sociétés dont la mère est en France et dont l’effectif et le chiffre d’affaires ou chiffre d’affaires consolidé atteignent des seuils (500 salariés, 100 millions d’euros) de prendre des mesures destinées à prévenir et détecter la commission en France ou à l’étranger de faits de corruption ou de trafic d’influence.

Concrètement, c’est toute une batterie de mesures qui doit être mise en place sous peine de sanctions, allant d’un code de conduite définissant les « différents types de comportements à proscrire » et intégré au règlement intérieur de l’entreprise à un « régime disciplinaire permettant de sanctionner les salariés de la société en cas de violation du code de conduite de la société », en passant par une cartographie des risques et l’instauration de procédures de contrôle.

Ceci entre en vigueur le 1er juin 2017.

On notera avec intérêt que la plupart des mesures qui s’imposent aux sociétés ou groupes de sociétés dépassant les seuils précités sont par ailleurs érigées en peine applicable aux personnes morales commettant certains délits (corruption et trafic d’influence). Cela peut surprendre : ce qui est la norme pour certaines entreprises devient une sanction pour d’autres organisations. Maintenant, la sanction est intéressante, puisqu’elle permettra de « soigner », par exemple, une association qui se serait rendue coupable de corruption en formant son personnel, en se dotant d’un code de bonne conduite, en mettant en place un régime disciplinaire, etc.

II – La prise en compte des « Panama papers » : la révélation par les sociétés de leurs « bénéficiaires effectifs ».

Une mesure importante est celle prévue par l’article 139 de la loi Sapin 2. Il est fait référence à la notion de « bénéficiaire effectif », qui figurait à l’article L. 561-2-2 du Code monétaire et financier, et qui avait été introduite par l’ordonnance n° 2009-104 du 30 janvier 2009 relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme. Cette notion nous vient du droit européen (directive 2005/60) et est utilisée dans la lutte contre le blanchiment.

Simplement, la mesure mise en place par la loi Sapin 2 est indépendante du déclenchement d’un dispositif de lutte anti-blanchiment. L’idée est ici de pouvoir connaître les personnes qui se cacheraient derrière une société, sans doute en réaction à ce que l’on a appelé les « Panama papers », qui ont mis en évidence l’effet d’écran attaché aux sociétés.

Est inséré au sein du Code monétaire et financier un article L. 561-46 imposant aux sociétés civiles et commerciales établies sur le territoire français, sans conditions de seuil d’ « obtenir et de conserver des informations exactes et actualisées sur leurs bénéficiaires effectifs », de communiquer ces informations au registre du commerce et des sociétés et de les mettre à jour ensuite.

Un décret en Conseil d’Etat fixera la liste des informations collectées ainsi que les conditions et modalités selon lesquelles ces informations seront obtenues, conservées, mises à jour et communiquées au registre du commerce et des sociétés.

Le Code monétaire et financier définit les bénéficiaires effectifs comme « la ou les personnes physiques : 1° Soit qui contrôlent en dernier lieu, directement ou indirectement, le client ; 2° Soit pour laquelle une opération est exécutée ou une activité exercée ».

C’est également un décret en Conseil d’Etat qui précisera les informations sur les bénéficiaires effectifs qui seront mises à la disposition du public et celles qui ne seront accessibles qu’aux autorités publiques, notamment celles compétentes dans les domaines de la lutte contre le blanchiment, le financement du terrorisme, la corruption et l’évasion fiscale.

Précisons que ce dispositif est applicable à compter du 1er avril 2017, à condition qu’aient été publiés les décrets attendus.

La mesure n’est pas anodine du tout, puisqu’elle va obliger les sociétés qui jusqu’à présent pouvaient demeurer opaques à faire connaître certains de leurs associés. Ainsi, une SAS qui serait contrôlée par des personnes physiques devra en communiquer l’identité au registre du commerce et des sociétés. Notons tout de suite que pour une société, la notion de « personne pour laquelle une opération est exécutée » ne s’applique pas aisément. Est-ce que tous les associés sont visés ? La réponse devrait raisonnablement être négative.

III – L’allégement de la responsabilité des dirigeants de sociétés en « faillite ».

Dernière mesure qui appelle un commentaire ici : l’allégement de la responsabilité du dirigeant d’une société en « faillite ».

Le droit des procédures collectives permet de longue date de mettre en œuvre une action en responsabilité à l’encontre du dirigeant, de droit ou de fait, dont la faute de gestion a contribué à l’insuffisance d’actif de la société. Sont actuellement concernés les dirigeants de droit ou de fait d’une société en liquidation judiciaire. Si les créanciers ne sont pas payés de l’intégralité de leurs créances, et qu’il est possible d’identifier une faute de gestion imputable au dirigeant, alors le tribunal peut condamner le dirigeant à supporter sur son patrimoine personnel tout ou partie de l’insuffisance d’actif.

La jurisprudence est fournie, car c’est sans doute dans le contexte de la « faillite » d’une société que la responsabilité d’un dirigeant est le plus souvent sollicitée.

Cette jurisprudence s’est progressivement fixée, au cours des décennies, et il est admis, conformément au droit commun de la responsabilité civile, que la négligence fautive engage la responsabilité du dirigeant. Le Code civil ne dit d’ailleurs pas autre chose lorsque l’article 1241, précédemment article 1383, dispose que « Chacun est responsable du dommage qu’il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence ». Une négligence souvent retenue comme faute de gestion est ainsi celle qui consiste à avoir procédé tardivement au dépôt de bilan.

C’est cette œuvre jurisprudentielle qui est bousculée par l’article 146 de la loi, qui ajoute un alinéa à l’article L. 651-2 du Code de commerce :

« Toutefois, en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la société, sa responsabilité au titre de l’insuffisance d’actif ne peut être engagée ».

Après l’affaire Lagarde, la négligence est décidément sous les feux de l’actualité. Pour le dirigeant d’une société en faillite, cela veut donc dire que sa responsabilité ne peut plus être mise en œuvre s’il n’a commis qu’une « simple négligence ».

Deux observations.

La mesure apparaît trop indulgente. Pourquoi le dirigeant bénéficierait-il d’une telle dérogation au droit commun lorsque la société est en liquidation judiciaire ? Ce n’est pas un bon message envoyé aux dirigeants, et il est possible que les tribunaux trouvent d’autres moyens de sanctionner le dirigeant négligent.

La mesure est peu cohérente. Il est question de la « simple négligence » du dirigeant de fait. Mais être dirigeant de fait est déjà une attitude fautive en soi, puisque cela signifie que l’on agit sans pouvoir donné conformément aux règles de désignation des dirigeants.

Bref, une mesure très discutable, que le Sénat avait d’ailleurs tenté d’écarter.

Bruno DONDERO

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L’usufruitier de droits sociaux, quel statut ? (Cass. civ. 3ème, 15 sept. 2016, n° 15-15172, Bull.)

L’arrêt rendu par la troisième Chambre civile de la Cour de cassation le 15 septembre 2016, destiné à publication au Bulletin, est important à la fois d’un point de vue pratique et du point de vue des notions fondamentales. Il est un nouvel élément dans le débat sur la reconnaissance ou non de la qualité d’associé à celui qui n’est pas pleinement propriétaire mais seulement usufruitier de parts sociales ou d’actions, lorsque ces droits sociaux ont fait l’objet d’un démembrement de propriété.

Etaient en cause en l’occurrence les parts d’une société civile immobilière (SCI), qui étaient détenues par une usufruitière et un nu-propriétaire. L’usufruitière n’ayant pas été convoquée à une assemblée générale de la SCI, le nu-propriétaire demandait en justice l’annulation de l’assemblée concernée. Précisons que l’assemblée en question avait statué sur la vente de l’immeuble de la SCI, question sur laquelle l’usufruitier n’est généralement pas appelé à voter.

Tant les juges du premier degré de juridiction que la cour d’appel rejetaient la demande d’annulation formée par le nu-propriétaire. Celui-ci s’étant pourvu en cassation, cet ultime recours n’est pas davantage couronné de succès.

Reprenons successivement la motivation de la décision attaquée (I), l’argumentation du demandeur au pourvoi (II) et la solution de la Cour de cassation (III). Nous verrons aussi la possible évolution des textes sur le sujet (IV).

I – La motivation de l’arrêt d’appel.

L’arrêt rendu par la Cour de cassation ne dit pas expressément que l’usufruitier a ou n’a pas la qualité d’associé.

Mais la cour d’appel saisie du litige s’était quant à elle clairement prononcée sur cette question, ainsi qu’on le comprend à la lecture des moyens de cassation, qui reprenait les motifs de l’arrêt attaqué. Les juges du fond avaient en effet retenu qu’il résultait de la lecture de l’article 1844-5 du Code civil que l’usufruitier n’a pas la qualité d’associé, et ils avaient ajouté que cette interprétation est confirmée par l’analyse des débats parlementaires qui révèlent que dans l’esprit du législateur l’usufruitier n’a pas la qualité d’associé.

L’article 1844-5 du Code civil est un texte relatif à la dissolution des sociétés, et il prévoit que si, en principe, la réunion de toutes les parts sociales permet à tout intéressé de demander en justice la dissolution de la société si la situation n’a pas été régularisée dans le délai d’un an, « L’appartenance de l’usufruit de toutes les parts sociales à la même personne est sans conséquence sur l’existence de la société ». On peut donc en déduire que l’usufruitier n’est pas un associé.

La cour d’appel avait en tous les cas pleinement pris parti.

Rappelons que cette question, qui a divisé la doctrine, n’a jamais reçu de réponse parfaitement claire de la part de la Cour de cassation. Le fait qu’il n’ait jamais été affirmé que l’usufruitier avait la qualité d’associé, alors que la reconnaissance de cette qualité a été faite depuis longtemps pour le nu-propriétaire (v. infra), pourrait sembler suffisant pour dire que l’usufruitier n’est pas un associé. Mais il exerce tout de même des droits d’associé…

II – L’argumentation du demandeur au pourvoi.

L’argumentation du demandeur au pourvoi était la suivante. Il plaidait que l’usufruitier a le droit, en application de l’article 1844 du Code civil, de participer aux décisions collectives. De ce fait, quand bien même l’usufruitière des parts de la SCI n’était pas appelée à voter à l’assemblée générale, elle aurait dû être convoquée, ce qui lui aurait permis de participer aux discussions précédant le vote, vote auquel elle n’aurait pas pris part.

Le demandeur au pourvoi n’affirmait pas de manière absolument explicite (du moins si l’on s’en tient à la synthèse de son argumentation faite par l’arrêt commenté) que l’usufruitier de parts sociales a la qualité d’associé. Mais en invoquant une violation de l’article 1844 du Code civil, qui dispose que « Tout associé a le droit de participer aux décisions collectives », et en reprochant à l’arrêt d’appel de ne pas avoir pris en compte « le droit qu’a l’usufruitier de participer aux décisions collectives », il faisait clairement comprendre son point de vue sur la question.

III – La solution de la Cour de cassation.

Notons tout d’abord que c’est la troisième Chambre civile de la Cour de cassation qui se prononce, et qu’elle n’est donc pas la formation de la Cour de cassation « normalement » compétente pour le droit des sociétés. Mais ce n’est pas la première fois que cette formation de la Cour rend des décisions importantes sur des questions de droit fondamental des sociétés. On se souvient ainsi notamment de l’arrêt rendu le 8 juillet 2015, par lequel la troisième Chambre civile avait jugé que seuls les associés ont le droit de participer aux décisions collectives (n° 13-27248, publié au Bulletin).

Les deux arrêts les plus importants rendus à ce jour à propos du statut et des prérogatives du nu-propriétaire et de l’usufruitier de droits sociaux étaient cependant l’œuvre de la Chambre commerciale.

L’arrêt de Gaste, en date du 4 janvier 1994, avait reconnu la qualité d’associé au nu-propriétaire, interdisant de ce fait de porter atteinte à son droit de participer aux décisions collectives.

Plus surprenant au regard des textes, l’arrêt Hénaux n’avait pas reconnu à l’usufruitier la qualité d’associé, mais il avait interdit qu’on le prive du droit de voter sur l’affectation des bénéfices de la société (Cass. com., 31 mars 2004). L’article 1844 du Code civil, après avoir affirmé le droit de l’associé de participer aux décisions collectives, prévoit une répartition des pouvoirs entre l’usufruitier et le nu-propriétaire, mais en indiquant que les statuts peuvent y déroger. L’arrêt Hénaux avait donc un peu surpris en venant juger que l’on ne pouvait dessaisir l’usufruitier du droit de se prononcer sur l’affectation des bénéfices.

L’arrêt rendu le 15 septembre 2016 approuve fermement la cour d’appel (elle a « exactement retenu ») d’avoir jugé « que l’assemblée générale du 14 janvier 2005, ayant pour objet des décisions collectives autres que celles qui concernent l’affectation des bénéfices, ne saurait être annulée au motif que Marie-Thérèse X…, usufruitière des parts sociales, n’avait pas été convoquée pour y participer ».

C’est donc, sans doute, que l’usufruitier de droits sociaux n’a pas la qualité d’associé. Mais pourquoi ne pas l’avoir dit clairement, si c’est le cas ?

Par les termes employés, l’arrêt se prête à une interprétation qui permettra à ceux qui défendent encore la qualité d’associé de l’usufruitier de poursuivre la lutte, même si leur territoire se réduit.

L’usufruitier ne serait-il pas en effet un associé particulier, si particulier qu’il ne serait pas nécessaire de le convoquer aux assemblées qui statuent sur des questions qui ne sont pas de sa compétence ? Il est vrai qu’il est toujours troublant de voir un non-associé pouvoir exercer le droit de vote, et l’usufruitier peut effectivement voter sur les questions qui sont de sa compétence. S’il peut voter sur l’affectation des bénéfices (il le doit même, nous dit l’arrêt Hénaux) et sur d’autres questions, ainsi que cela aura été défini par les statuts, alors, n’est-il pas un « associé à géométrie variable », dont le droit de participer aux décisions collectives porte sur les seules questions sur lesquelles il est appelé à voter, le nu-propriétaire jouissant quant à lui ce droit en toutes circonstances ?

La réticence de la Cour de cassation à dire expressément que l’usufruitier n’est pas un associé conforte une telle lecture.

IV – Vers une évolution des textes ?

La loi Sapin 2 (Projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique) est en cours d’adoption par le Parlement. Mais on sait que l’Assemblée et le Sénat s’opposent sur plusieurs points. Le Sénat avait prévu de modifier l’article 1844 du Code civil (art. 41 bis du projet de loi modifié, adopté par le Sénat le 8 juillet 2016).

Le troisième alinéa du texte, qui dispose aujourd’hui :

« Si une part est grevée d’un usufruit, le droit de vote appartient au nu-propriétaire, sauf pour les décisions concernant l’affectation des bénéfices, où il est réservé à l’usufruitier. »

deviendrait :

« Si une part est grevée d’un usufruit, le nu-propriétaire et l’usufruitier ont le droit de participer aux délibérations. Le droit de vote appartient au nu-propriétaire, sauf pour les décisions concernant l’affectation des bénéfices, où il est réservé à l’usufruitier, et sauf dans les cas où le nu-propriétaire a délégué son droit de vote à l’usufruitier. »

Il serait dit en outre que l’on ne peut pas déroger par les statuts au droit de participer aux délibérations de l’usufruitier et du nu-propriétaire.

Cet article a cependant été supprimé par l’Assemblée nationale lors de sa dernière lecture du texte (projet modifié adopté le 29 septembre 2016 et transmis au Sénat le 30).

On sait qu’en dernier lieu, c’est la position de l’Assemblée qui est appelée à prévaloir, mais il sera intéressant de voir si le Sénat reprend son texte initial ou en propose une version différente.

Affaire à suivre, donc, et qui plus est aussi bien au Parlement qu’au Palais…

Bruno DONDERO

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