Décret sur le bénéficiaire effectif: ce qui change (D. n° 2018-824 du 18 avril 2018)

Après plusieurs semaines d’attente, le dernier décret attendu sur le dispositif d’identification et de déclaration des bénéficiaires effectifs (BE) est donc paru au Journal Officiel de ce matin. Le décret (n° 2018-824 du 18 avril 2018) est consultable ici.

Le décret a un champ d’application qui ne se limite pas aux BE, et traite plus largement de la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme. Il est applicable au 1er octobre 2018, mais dès le 21 avril 2018 pour ce qui concerne les BE.

Le dispositif légal, opérant la transposition d’une directive 2015/849 du 20 mai 2015, était applicable depuis le 1er août 2017 (pour les sociétés immatriculées depuis cette date) et depuis le 1er avril 2018 (pour les sociétés immatriculées avant). Il n’était pas indiqué qu’un décret supplémentaire était attendu, mais c’était une information qui circulait dans les milieux professionnels (l’Association nationale des sociétés par actions, ANSA, avait évoqué le projet de décret) et il manquait au moins un morceau du dispositif, puisque rien n’était dit dans les textes de droit français sur la question de l’impossible identification d’un BE.

Le décret du 18 avril fait évoluer la question du BE essentiellement sur deux points.

La définition des BE

Le BE est, selon l’art. L. 561-2-2 du Code monétaire et financier, une personne physique qui 1) soit contrôle en dernier lieu, directement ou indirectement, une entité juridique, 2) soit pour lequel une opération est exécutée ou une activité exercée.

C’est surtout à la première branche que l’on s’est intéressé, la seconde apparaissant davantage concerner l’obligation faite aux professionnels (des banquiers aux avocats) de connaître leurs clients.

Le Code monétaire et financier précisait par trois articles (art. R. 561-1 à 3) la définition du BE dans les sociétés, dans les organismes de placement collectif (OPC) et dans les autres entités.

Ces trois articles sont modifiés et le dernier est scindé en deux, pour appréhender séparément les personnes morales autres que des sociétés et des OPC (art. R. 561-3) et les trusts, fiducies et mécanismes comparables de droit étrangers, pour la connaissance desquels Johnny Hallyday et ses avocats auront fait beaucoup (art. R. 561-3-0).

 

C’est l’art. R. 561-1 qui retiendra l’attention des entités les plus nombreuses, puisque ce texte concerne les sociétés en général, qui sont des centaines de milliers et même des millions à devoir se mettre en conformité avec le dispositif. Par rapport à la version précédente, le nouveau texte est heureusement plus précis.

Précédemment, était un BE la personne physique qui:

  • a) soit détenait, directement ou indirectement, plus de 25% du capital ou des droits de vote d’une société;
  • b) soit exerçait, « par tout autre moyen, un pouvoir de contrôle sur les organes de gestion, d’administration ou de direction de la société ou sur l’assemblée générale des associés« .

Désormais, le BE est la personne physique qui:

La référence au Code de commerce restreint les hypothèses envisageables. Précédemment, l’absence de définition précise dans le texte laissait craindre que le pouvoir de contrôle puisse être envisagé très largement. La référence au Code de commerce réduit les cas à deux qui supposent soit de disposer de droits de vote, soit d’être associé ou actionnaire:

  • 3° du L. 233-3, I: est BE celui qui détermine en fait, par les droits de vote dont il dispose, les décisions dans les assemblées générales de la société ;
  • 4° du L. 233-3, I: est BE celui qui  (i) est associé ou actionnaire d’une société et (ii) dispose du pouvoir de nommer ou de révoquer la majorité des membres des organes d’administration, de direction ou de surveillance de cette société.

 

L’impossibilité d’identifier un BE: que faire ?

La directive de 2015 qui obligeait les Etats de l’UE à mettre en place un système d’identification et déclaration des BE indiquait que si une société ou une entité assujettie ne pouvait identifier un ou plusieurs BE, elle devait déclarer son dirigeant principal.

Les greffes demandaient déjà cela aux sociétés qui ne parvenaient pas à identifier leur BE. Mais le droit français ne comportait pas une telle règle, jusqu’à la publication du décret.

Les différents textes sur les sociétés, les OPC et les entités autres (mais pas celui sur les trusts et assimilés) prévoient chacun des solutions en cas d’impossibilité.

Par exemple, en matière de sociétés:

« Lorsqu’aucune personne physique n’a pu être identifiée selon les critères prévus au précédent alinéa, et que la personne mentionnée à l’article L. 561-2 n’a pas de soupçon de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme à l’encontre du client mentionné au précédent alinéa, le bénéficiaire effectif est la ou les personnes physiques ci-après ou, si la société n’est pas immatriculée en France, leur équivalent en droit étranger qui représente légalement la société :
« a) Le ou les gérants des sociétés en nom collectif, des sociétés en commandite simple, des sociétés à responsabilité limitée, des sociétés en commandite par actions et des sociétés civiles ;
« b) Le directeur général des sociétés anonymes à conseil d’administration ;
« c) Le directeur général unique ou le président du directoire des sociétés anonymes à directoire et conseil de surveillance ;
« d) Le président et, le cas échéant, le directeur général des sociétés par actions simplifiées.
« Si les représentants légaux mentionnés au a ou au d sont des personnes morales, le bénéficiaire effectif est la ou les personnes physiques qui représentent légalement ces personnes morales. »

 

On pourra s’étonner que soient visés les DG des SAS, mais pas le DGD de la SA. Et en matière de SAS, soustrait-on à la qualification de BE le DG… D, puisque seul le « DG » est visé ?

Les sociétés qui ont plusieurs gérants, par exemple les SCP dont tous les associés sont gérants, devront les déclarer tous.

On est content d’avoir une base textuelle claire, en tous les cas.

 

En guise de conclusion, on indiquera deux autres modifications:

  • Possibilité de déposer le document sur les BE par voie électronique, mais avec une signature électronique (art. R. 123-77 du Code de commerce);
  • Le délai pour actualiser le document sur les BE fait en outre l’objet d’une mesure de clémence pour les OPC (art. R. 561-55 du Code monétaire et financier).

Bruno DONDERO

1 commentaire

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Une réponse à “Décret sur le bénéficiaire effectif: ce qui change (D. n° 2018-824 du 18 avril 2018)

  1. MJP

    Bonjour,
    Merci pour vos articles très éclairants. Je vous lis régulièrement avec grand intérêt. Je me demandais si le commandité d’une SCA était le BE dans la mesure où il contrôle la gérance ?
    Avez-vous une avis ?

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