Une curiosité juridique: les frères siamois du Code de commerce

On se souvient qu’il a pu arriver que des juges, et pas des moindres puisqu’il s’agissait de la Cour de cassation, citent un code qui n’existe pas… L’autorité réglementaire est fière de vous annoncer la naissance, à quelques mois d’intervalle, de pas un, mais de deux articles R. 223-18-1 au sein du Code de commerce !

 Un article R. 223-18-1 dans le Code de commerce, c’est bien. Deux articles portant ce même numéro, c’est mieux !

 Cela devait finir par arriver, deux articles ont été créés dans un code avec le même numéro…

 On pourrait se moquer de nos créateurs de normes. On se souvient qu’il a pu arriver que des juges, et pas des moindres puisqu’il s’agissait de la Cour de cassation, citent un code qui n’existe pas… du moins pas officiellement, puisque le Code des sociétés, dont il était question, est une création des éditeurs juridiques. On se souvient que le texte légal donnant compétence aux tribunaux de commerce avait été abrogé en 1991 sans que cela soit remarqué, et que les juridictions commerciales avaient fonctionné pendant dix ans sans assise légale, avant qu’une loi de 2001 vienne ressusciter avec effet rétroactif le texte leur donnant compétence.

Avec un tel passé, on devait s’attendre à ce que notre système juridique se prenne à nouveau les pieds dans le tapis… Qu’avons-nous encore fait ?

Oh, pas grand-chose.

Un décret n° 2015-1380 du 29 octobre 2015 crée un article R. 223-18-1 au sein du Code de commerce, qui dispose que les rapports requis de certaines SARL sur les paiements effectués au profit des Etats ou territoires dans lesquels elles exercent leurs activités (ces SARL doivent à la fois dépasser des seuils et exercer certaines activités: recherche et extraction d’hydrocarbures, de minéraux exploitation de forêts primaires, etc.) sont mis à disposition du public sur le site internet de la société dans un délai de huit mois à compter de la clôture de l’exercice et pendant une durée de cinq années.

Ce texte s’insère dans le Code de commerce, en sa partie réglementaire, après un autre article, également fraichement créé, puisqu’il résulte d’un décret n° 2015-545 du 18 mai 2015, et qu’il indique dans quelles conditions le gérant d’une SARL peut demander au juge la prorogation du délai (normalement de six mois à compter de la clôture de l’exercice) qui s’impose à lui pour réunir les associés en vue de l’approbation des comptes. Ne parlons pas ici du petit embrouillamini qui a conduit une loi de simplification de 2012 à supprimer le texte légal (art. L. 241-5 du Code de commerce) qui permettait de demander la prorogation, ce qui laissait croire que l’on ne pouvait plus la demander, jusqu’à ce qu’une ordonnance de 2014 fasse apparaître à nouveau une référence à la prorogation dans le Code de commerce (art. L. 223-26).

Photo de famille

Photo de famille – de haut en bas: R. 223-18, R. 223-18-1 et R. 223-18-1, et leur cousin R. 223-19

 

 

Pas d’incohérence entre ces deux textes réglementaires.

 Ils sont même très proches l’un de l’autre, puisqu’en plus de se succéder, ils portent le même numéro ! Ce sont des frères jumeaux, par leur nom du moins, on pourrait même dire qu’ils sont siamois. Il est probable qu’un décret de rectification les sépare prochainement.

Le nombre de textes créés, supprimés et modifiés devait bien entraîner cela, et ce n’est sans doute pas la seule erreur de ce genre.

Un soir de mai 2015, dans un ministère, dans un petit bureau encombré de dossiers nombreux et de gobelets de café vides, la dernière main a été apportée au décret qui deviendrait le n° 2015-545, et l’on a créé l’article R. 223-18-1.

Un soir d’octobre 2015, dans un ministère qui n’était peut-être pas le même (car le second décret provient du seul ministère de l’Economie et des finances, quand le premier décret est une œuvre conjointe, impliquant ce ministère mais aussi la Chancellerie), la dernière main a été apportée au décret qui deviendrait le n° 2015-1380, et l’on a créé l’article R. 223-18-1… une deuxième fois.

C’est assez drôle, et l’on imagine déjà les échanges au tribunal de commerce :

Président : Maître, invoquez-vous l’article R. 223-18-1 ou l’article R. 223-18-1 ?

Avocat : Monsieur le Président, mes clients sont des gens sérieux qui ne se permettraient pas de recourir à l’article R. 223-18-1. C’est donc de l’article R. 223-18-1 qu’ils demandent l’application !

Président : Maître, c’est beaucoup plus clair. Je vous remercie.

Bruno DONDERO

 L’auteur adresse ses remerciements à Maître Sabrina BOL, avocate vigilante qui lui a signalé l’existence des frères siamois du Code de commerce.

2 Commentaires

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2 réponses à “Une curiosité juridique: les frères siamois du Code de commerce

  1. Norbert Gradsztejn

    Dans le même genre, on n’a pas encore eu la faute de frappe entre un L. et un R. ou pourquoi pas un D. ?
    Pourvu que 2016 nous épargne ce genre de découverte… sauf naturellement pour vous voir donner une suite sympathique à ce petit papier bien amusant.
    Bonne année à vous.
    Norbert Gradsztejn

    • Robin

      Bonjour,
      Sauf erreur de ma part, le décret du 28 décembre 2015 sur l’information des salariés en cas de vente de l’entreprise a modifié l’article D141-3 du Code de commerce créé par le décret du 28 octobre 2014, lequel a été abrogé par ce même décret de 2015.
      J’aimerais connaître votre avis sur cette « logique » et la façon dont doivent être appliqués ces textes.
      Merci et bonne année

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