Radio France: président à retardement et autres belles questions juridiques

Les sociétés France Télévisions et Radio France (France Culture, France Info, France Inter, etc.) sont des sociétés anonymes à statut particulier. La loi Léotard du 30 septembre 1986 définit les règles applicables à ces sociétés, ainsi qu’à d’autres sociétés comme Arte.

L’article 47 de la loi est important, puisqu’il indique que l’Etat détient directement la totalité du capital de la société Radio France, et que celle-ci est soumise « à la législation sur les sociétés anonymes, sauf dispositions contraires de la loi ».

Cela donne à ces sociétés un statut complexe, puisqu’elles sont soumises à la fois au droit commun des sociétés et à des règles spéciales. En plus, des règles supplémentaires peuvent encore s’appliquer, comme celle obligeant les dirigeants à procéder à une déclaration d’intérêts sous peine d’annulation de leur nomination, comme l’a expérimenté récemment une dirigeant de France Médias Monde.

L’une des dispositions contenues dans la loi Léotard dérogeant à la législation sur les sociétés anonymes (SA) est celle relative à la désignation du président du conseil d’administration de la société.

Dans une SA de droit commun, le président serait nommé par le conseil d’administration. Mais dans la société Radio France, c’est un tiers, si l’on peut dire, qui procède à cette nomination, puisque la loi donne ce pouvoir au Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA).

L’art. 47-4 de la loi prévoit quant à lui la manière dont le président de Radio France est nommé. Ce n’est pas le conseil d’administration qui nomme le président, mais le CSA, par une décision prise à la majorité de ses membres, étant précisé que la nomination « fait l’objet d’une décision motivée se fondant sur des critères de compétence et d’expérience ».

On discute actuellement de la restitution au conseil d’administration de Radio France et France Télévisions du pouvoir de nommer le président.

Ces conseils comportent certes des parlementaires et des représentants de l’Etat (pour moitié des administrateurs, les autres étant des personnalités indépendantes et des représentants du personnel), mais on peut penser que l’on renforcerait la relation de confiance entre le conseil d’administration et le président en permettant que le premier choisisse directement le second.

Une nomination à retardement.

Le président de Radio France, Mathieu Gallet, a vu le CSA mettre fin à ses fonctions, et nous avons déjà évoqué dans les colonnes de ce blog certains aspects juridiques de cette révocation.

Le CSA a diffusé récemment sur son site le calendrier de nomination du successeur de Mathieu Gallet.

Il est indiqué :

« Les candidatures seront reçues au siège du Conseil, à compter du 15 février 2018 et jusqu’au 16 mars 2018, par courrier ou dépôt. Le Conseil procèdera à l’ouverture des enveloppes le 21 mars 2018 et établira au plus tard le 4 avril 2018 la liste des candidats auditionnés. Les auditions auront lieu au cours de la semaine du 9 au 13 avril 2018 et le Conseil nommera la Présidente ou le Président de Radio France au plus tard le 14 avril 2018 ».

Simplement, une précision mériterait d’être donnée, qui tient à la date à laquelle ce nouveau dirigeant entrera en fonctions à la tête de la société Radio France.

L’article 47-4 de la loi Léotard dispose en effet que « Les nominations des présidents de la société France Télévisions, de la société Radio France et de la société en charge de l’audiovisuel extérieur de la France interviennent trois à quatre mois avant la prise de fonctions effective » (je souligne).

Ce délai très long est assez curieux. On comprend l’intérêt de préparer à l’avance la succession à la tête d’une société importante, en prévoyant que sa nomination interviendra avec un délai confortable, plutôt qu’à la veille de sa prise de fonctions.

Mais le délai devient gênant quand la société en question n’a plus de président, comme c’est le cas de Radio France. Précisément, ce sera bientôt le cas, puisque la décision du CSA mettant fin aux fonctions de M. Gallet, intervenue le 31 janvier dernier, prévoit une prise d’effet au 1er mars 2018.

Concrètement, le nouveau président, s’il est nommé le 14 avril, ne prendra ses fonctions, au plus tôt, que le 14 juillet 2018 !

S’il voulait accomplir des actes en sa nouvelle qualité de président entre le 14 avril et le 14 juillet, on pourrait lui opposer l’illégalité de ses décisions, puisque la loi Léotard nous fait bien comprendre que la prise de fonctions n’est pas encore « effective » dans cette période.

Il est dommage que l’article 47-4, qui est sans doute une mesure de bonne organisation (le fait que le délai soit de « trois à quatre mois » le confirme), se révèle ici contre-productif, en retardant l’entrée en fonctions du nouveau président.

Un président intérimaire sans base légale ?

Dans l’intervalle, c’est l’administrateur le plus ancien parmi les administrateurs nommés par le CSA qui assure la présidence de Radio France.

Les statuts de Radio France stipulent en effet en leur article 13 que « En cas d’empêchement temporaire du président ainsi que dans le cas où le président cesserait définitivement d’exercer son mandat pour quelque cause que ce soit, il est suppléé de plein droit par le doyen en âge des administrateurs nommés par le Conseil supérieur de l’audiovisuel ».

On peut s’interroger sur la valeur juridique de cette solution, en réalité.

La loi Léotard de 1986 ne prévoit pas la possibilité d’un tel intérim.

Mais dans la mesure où Radio France est une société anonyme, si la solution est prévue par le Code de commerce, elle trouve alors son fondement juridique dans cette dernière source.

Sauf que ce n’est pas le cas, puisque l’article L. 225-50 du Code de commerce, texte applicable aux sociétés anonymes, dispose qu’ « En cas d’empêchement temporaire ou de décès du président, le conseil d’administration peut déléguer un administrateur dans les fonctions de président ».

C’est donc une solution différente qui est prévue par les statuts de Radio France, puisque l’administrateur le plus âgé parmi ceux nommés par le CSA assure « de plein droit » la fonction de président dans l’intervalle.

Maintenant, la situation est rendue plus complexe par le fait que les statuts de Radio France sont approuvés par décret.

Il demeure qu’on peut s’interroger sur la validité de la désignation automatique par les statuts, seraient-ils approuvés par décret, d’un président par intérim de manière non conforme à ce que prévoit le droit des SA, et hors du cadre d’une exception prévue par la loi Léotard.

Bruno DONDERO

1 commentaire

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Une réponse à “Radio France: président à retardement et autres belles questions juridiques

  1. Adama Coulibaly

    A l’exception des dispositions intéressant l’ordre public, les statuts peuvent aménager les règles de gestion et de fonctionnement de la société.
    La question de droit ici peut-être de savoir si l’article L225-50 est d’ordre public, tout en sachant que l’idée de cet article est d’attribuer aux compétences du conseil d’administration le pouvoir de remplacer le président en cas de vacance et non l’exclusivité de ce pouvoir.

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