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Mise en examen de Christine Lagarde: le fondement juridique

Les dépêches tombent parlant de mise en examen de Mme Christine Lagarde pour « négligence » dans l’affaire de l’arbitrage Tapie. La « négligence » en tant que telle n’est cependant pas un délit pénal (sinon les tribunaux correctionnels seraient assaillis de procès en « négligence »!).

Le texte qui fonde la mise en examen de Mme Lagarde est l’article 432-16 du Code pénal.

C’est un texte sévère, car il sanctionne une négligence commise, notamment, par une personne dépositaire de l’autorité publique dans l’exercice de ses fonctions.

L’article 432-16 ne se comprend que lu avec l’article 432-15.

L’article 432-15 du Code pénal dispose que « Le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public, un comptable public, un dépositaire public ou l’un de ses subordonnés, de détruire, détourner ou soustraire un acte ou un titre, ou des fonds publics ou privés, ou effets, pièces ou titres en tenant lieu, ou tout autre objet qui lui a été remis en raison de ses fonctions ou de sa mission, est puni de dix ans d’emprisonnement et d’une amende de 1 000 000 €, dont le montant peut être porté au double du produit de l’infraction« . 

L’article 432-15 est ainsi une sorte d’abus de confiance ou d’abus de biens sociaux (ABS) touchant les dirigeants publics. Le fait de détourner des fonds de manière intentionnelle est lourdement condamné.

Mais l’article 432-16 du Code pénal prévoit un autre délit, qui est assez sévère, puisque ce texte dispose que « Lorsque la destruction, le détournement ou la soustraction par un tiers des biens visés à l’article 432-15 résulte de la négligence d’une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public, d’un comptable public ou d’un dépositaire public, celle-ci est punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende« .

En somme, et à la différence d’un ABS qui ne pourrait être sanctionné pénalement en cas de simple négligence, les dirigeants publics encourent des sanctions pénales lorsque des fonds sont « détruits, détournés, ou soustraits par un tiers » uniquement à cause de la négligence, c’est-à-dire du manque d’attention apporté par le dirigeant à sa mission. Il s’agit donc d’un délit non intentionnel.

Il faut encore évoquer un texte du Code pénal pour bien comprendre la situation: l’article 121-3.

Celui-ci dispose qu’ « Il y a également délit, lorsque la loi le prévoit, en cas de faute d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, s’il est établi que l’auteur des faits n’a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait.

Dans le cas prévu par l’alinéa qui précède, les personnes physiques qui n’ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n’ont pas pris les mesures permettant de l’éviter, sont responsables pénalement s’il est établi qu’elles ont, soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’elles ne pouvaient ignorer« .

En somme, il faudra établir que Mme Lagarde n’a pas accompli les diligences normales attendues d’elle dans cette situation particulière que constituait le litige avec Bernard Tapie. Dans Le Figaro du 28 août, l’avocat de Mme Lagarde est cité: « dans le Code pénal, ce délit s’applique au secrétaire de mairie qui emporte chez lui des dossiers par mégarde, c’est dire!« . C’est en effet une possible application de ce délit, qui est comme on l’a dit sévère, parce qu’il sanctionne des négligences, avec la subjectivité que cela implique. 

Comme je l’avais déjà indiqué au Point.fr, dans l’affaire de l’arbitrage Tapie, le préjudice moral très important reconnu par la sentence arbitrale à M. Tapie reste un élément peu compréhensible pour le juriste, d’autant que les délits de presse qui étaient à l’origine du préjudice moral, en admettant qu’ils aient existé, étaient sans doute très largement prescrits.

Bruno Dondero

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