Le crowdsourcing consiste à interroger le public sur une question donnée. C’est ce que font déjà bon nombre d’entreprises depuis des décennies. Le choix de telle évolution d’un produit alimentaire, le choix de la mascotte de la Coupe du monde de football, etc., peuvent être faits en interrogeant les consommateurs au sens large.
Avec le crowdsourcing du droit, on envisage de confier l’élaboration de la règle de droit à la collectivité. Autre chose que de choisir le nom d’un nouveau soda !
On pourrait cependant se dire qu’il n’y a pas grand-chose d’innovant, puisque la loi est déjà faite en France par le biais des représentants du peuple que sont les députés et les sénateurs. Mais en l’occurrence, la loi va être faite directement par le peuple.
Là encore, cela est-il fondamentalement différent d’un référendum ? Oui, en ce que le crowdsourcing du droit ne doit pas consister à poser des questions sur une orientation à donner à la loi. L’idée est que l’on ne va pas se contenter de collecter les réponses et de faire triompher celle ayant obtenu le plus grand nombre de soutiens, mais on va faire travailler les participants sur la règle de droit, à plusieurs stades.
On peut déjà les faire travailler à l’identification de la règle de droit, et c’est en cela que consiste l’élaboration de pages Wikipedia consacrées aux questions juridiques.
Mais le travail peut porter sur l’élaboration même de la règle de droit.
D’après un très intéressant article publié sur le site tendance.droit, fondé sur des échanges avec Mme Hélène Landemore, maître de conférences à l’Université de Yale (USA), c’est en Finlande qu’a été menée une expérience concrète en ce sens, puisque la population a participé à l’élaboration d’un texte de loi sur les transports, en étant sollicitée en trois phases successives : une phase 1 d’identification des problèmes et difficultés rencontrés, une phase 2 de proposition de solution, et une phase 3 d’évaluation des solutions proposées lors de la phase 2. La phase 3 a fait aussi intervenir des experts internationaux, ce qui apparaît prudent. On ne sait jamais : les quelques centaines de citoyens finlandais qui ont proposé des solutions lors de la phase 2 étaient peut-être majoritairement favorables à un transport recourant exclusivement à des centrales nucléaires portatives installées sur chaque automobile…
Internet permet de donner une forme plus organisée et rapide à ce travail collectif.
Sans internet, il est bien entendu déjà possible de faire du crowdsourcing du droit. Il suffit de convier l’intégralité de la population à donner son opinion sur ce que devrait être la règle de droit, et de tenir compte des réponses obtenues. C’est d’ailleurs ce qui se fait déjà en France sur un certain nombre de sujets. L’AMF, par exemple, fait régulièrement des « consultations de place », en sollicitant de manière publique l’opinion des acteurs de la place financière (mais toute personne intéressée peut répondre, en réalité, y compris le plus petit épargnant) sur ce que devrait être la règle de droit. Le grand projet de réforme du droit des contrats a quant à lui été soumis à une consultation publique par le ministère de la Justice, au début de l’année 2015. Les consultations de l’AMF reçoivent quelques dizaines de réponses, généralement, tandis que la Chancellerie en aurait reçu quelques centaines. Reste ensuite à exploiter les réponses reçues.
C’est bien entendu un danger du crowdsourcing, qui pourrait consister à consulter l’ensemble des citoyens pour leur permettre de s’exprimer… et puis c’est tout ! Les réponses reçues pourraient très bien être entièrement ignorées, voire immédiatement détruites dès leur réception, mais leurs auteurs auront eu le sentiment d’être entendus. Peut-être auront-ils reçu dès la réception de leur envoi un message les remerciant de leur contribution ! Le crowdsourcing peut ainsi n’être qu’un défouloir.
Ce n’est heureusement pas ainsi que fonctionnent nos institutions, qui ont au moins le respect, lorsqu’elles sollicitent des consultations publiques, de procéder au traitement des réponses reçues. C’est ensuite au plan politique que la question de la prise en compte des réponses reçues va être tranchée. Cela peut conduire à ne pas retenir une solution proposée par un nombre important de personnes, de même que le Gouvernement pourrait décider de ne pas tenir compte de l’opinion de manifestants très nombreux et de prendre quand même les mesures auxquelles s’opposent ces manifestants.
Une autre question que pose le crowdsourcing, surtout, est celle de savoir comment l’on hiérarchise les réponses reçues, et finalement quelle utilisation fait-on de ces réponses. Si l’on interroge la population française sur une question, la « bonne réponse » est-elle nécessairement celle qui a recueilli le plus de voix? Peut-être que la masse des personnes ayant répondu n’est absolument pas représentative. Il pourrait ainsi y avoir des « biais statistiques ». Cela tient déjà au fait que si vous procédez à une consultation de la population par internet, consultation ouverte à tous, vous n’interrogez en réalité qu’une partie de la population, car tous les Français n’ont pas accès à internet à ce jour…
Le phénomène de l’abstention ou de la non-inscription sur les listes électorales pourrait se retrouver alors, sous une forme différente.
Bruno DONDERO