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La société Mediascop, de société coopérative de production à société par actions simplifiée unipersonnelle…

L’attention a été portée ces derniers jours sur la société Mediascop, société qui a pour associée unique et pour présidente Mme Sophia Chikirou. Une enquête de France Info a évoqué de possibles surfacturations pratiquées par cette société, prestataire de services pour la campagne présidentielle 2017 de Jean-Luc Mélenchon, ainsi que le fait que l’association de financement électorale de celui-ci a supporté des frais qui ne semblent pas justifiés par l’intérêt de cette association (frais d’expert-comptable de Mediascop).

J’avais fait observer il y a quelques mois qu’il était curieux que cette société porte une dénomination sociale qui l’apparente aux sociétés coopératives de production (les SCOP), alors qu’elle n’est pas une SCOP.

La loi de 1978 qui régit les SCOP, sociétés d’exercice en commun d’une profession par des personnes qui adhèrent au statut coopératif, encadre l’utilisation des noms rattachant une société aux SCOP.

L’art. 54, al. 2 de la loi de 1978 dispose qu’ « Aucune société ne peut prendre ou conserver l’appellation de société coopérative de production ou de société coopérative de travailleurs, société coopérative ouvrière de production ou société coopérative et participative ou utiliser cette appellation ou les initiales  » SCOP « , et prétendre au bénéfice des dispositions prévues par les textes législatifs ou réglementaires relatifs aux sociétés coopératives de production si elle n’est pas inscrite, après production des pièces justificatives nécessaires, sur une liste dressée par le ministère du travail dans les conditions fixées par décret ».

Sur le site Infogreffe, la société présente deux versions de ses statuts:

  • l’une date de 2011, lorsqu’elle est créée, et elle comporte trois associés, dont Mme Chikirou, et il s’agit bien d’une société coopérative de production.
  • l’autre version des statuts date de 2017 (pour anecdote: deux jours avant le premier tour des élections présidentielles), et il s’agit d’une société par actions simplifiée (SAS) qui ne compte plus qu’un seul associé, cet associé unique étant Mme Chikirou.

Il est assez surprenant que la société ait perdu son statut de coopérative sans explication.

Qui consulte le procès-verbal de transformation de la société, également accessible à tous sur le site Infogreffe moyennant le paiement de quelques euros, comprend que la société Mediascop change de forme et passe du statut de SARL (alors avec une seule associée, Mme Chikirou) au statut de SAS.

Mais rien n’est dit sur la manière dont la perte du statut de SCOP s’est faite. Une transformation intervient, qui voit la SARL devenir une SAS, mais sans plus de précisions. Simplement, la dénomination sociale « Mediascop » est conservée, et un tampon à la fin du PV de transformation indique « Société coopérative de production », ce qui montre que le statut devait avoir été conservé jusqu’alors.

Cette sortie du statut coopératif surprend, car l’article 25 de la loi du 10 septembre 1947 sur les coopératives ne permet pas si facilement que cela de sortir du statut coopératif:

I. – Toute modification des statuts entraînant la perte de la qualité de coopérative ne peut intervenir qu’après autorisation de l’autorité administrative, prise après avis du Conseil supérieur de la coopération.

Elle ne peut être apportée que dans les cas suivants :

1° Lorsque la qualité de coopérative est un obstacle immédiat à la survie de l’entreprise ;

2° Lorsqu’une stagnation ou une dégradation sérieuse de l’activité de l’entreprise, liée à sa qualité de coopérative, entrave ou obère totalement ses perspectives de développement ;

3° Ou en application de l’article 25-4.

Les réserves qui, à la date de l’autorisation, ne sont pas distribuables aux sociétaires ou incorporables au capital en vertu de dispositions législatives, réglementaires ou statutaires conservent ce caractère pendant une période de dix ans.

Ces dispositions s’appliquent aux opérations de fusion et de scission entraînant la dissolution de la coopérative sauf lorsqu’elles interviennent entre des sociétés régies par la présente loi.

II. – Par exception aux dispositions du premier alinéa du I :

1° Lorsque la coopérative est régie par la loi n° 84-46 du 24 janvier 1984 relative à l’activité et au contrôle des établissements de crédit, l’autorisation de procéder aux opérations prévues au premier alinéa du I est donnée par l’organe central auquel l’établissement de crédit coopératif ou mutualiste est affilié, après avis du Conseil supérieur de la coopération.

2° Lorsque la coopérative fait l’objet d’une procédure de redressement judiciaire, l’autorisation de modifier les statuts, si elle est nécessaire à la survie de l’entreprise, est accordée par le tribunal saisi de cette procédure.

 Il serait intéressant de savoir comment Mediascop est sortie du statut coopératif.

Un article sur le site d’Europe 1 indique qu’en 2013, les associés de la SARL avaient revendu leurs parts à Mme Chikirou. Or les SCOP qui ont la forme de SARL doivent avoir au moins deux associés (art. 5 de la loi de 1978). Il est donc possible que cette sortie du statut coopératif soit intervenue à cette époque… mais le tampon utilisé en 2017 laisse penser le contraire!

En toute hypothèse, il n’est pas normal que la société ait conservé une dénomination sociale laissant entendre qu’elle était encore une SCOP en 2017 et après sa transformation. Si elle était unipersonnelle depuis 2013, elle ne respectait d’ailleurs plus le nombre minimum d’associés requis pour une SCOP.

On se voit demain en cours !

Bruno DONDERO

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Cours de droit des sociétés: clause n° 7 (Mediascop)

Chers étudiants et participants au cours de droit des sociétés,

L’actualité va nous servir de support une fois encore, puisque nous aborderons lors du cours de lundi quelques questions de droit des sociétés liées à la société Mediascop dont on parle ici, dans cette enquête de France Info. Sur ce blog, on avait déjà évoqué le sujet ici.

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Sophia Chikirou, dirigeante et associée unique de la SAS Mediascop

Mais comme notre plan de cours nous amène aussi à parler des actes faits pour le compte d’une société en formation, nous utiliserons cette page que j’ai prise dans les anciens statuts de la société Mediascop, avant qu’ils soient modifiés en 2017 et que cette société qui était une SARL et une SCOP ne devienne une SAS unipersonnelle (j’avais d’ailleurs évoqué il y a quelques mois le problème qu’il y a à porter un nom de SCOP quand on n’en est plus une…).

Page Mediascop formation

Sinon sur les aspects de conflit d’intérêts et d’intérêt social, vous pouvez lire cet article du site Europe 1 paru ce vendredi. La question n’est pas si simple, et les règles sur le financement des campagnes électorales sont plus tournées vers la prohibition des sous-facturations que des surfacturations.

On se voit lundi pour le cours, toujours en direct FacebookLive !

Bruno DONDERO

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Apprendre le droit avec « Le Média »: dirigeant commun et conflits d’intérêts

Le Média est un site d’actualité, plus ou moins apparenté à la France Insoumise. Juridiquement, il repose sur une structure un peu complexe. Les mentions légales du site indiquent qu’il y a un « Président de l’Association Le Média », qui est Gérard Miller, et une « Présidente de l’Entreprise de Presse Le Média », qui est Sophia Chikirou. D’après la presse, cette dernière aurait cessé cette fonction, mais le site du Média n’a pas encore été mis à jour.

On comprend, au-delà des présidents, qu’il y a plusieurs entités qui interviennent dans le fonctionnement du site.

Il est aussi indiqué que Le Média « est édité par la Société de Production audiovisuelle Le Média« , cette société de production étant une SASU, c’est-à-dire une société par actions simplifiée unipersonnelle, forme courante de société commerciale.

Le Média

Sur le site http://www.societe.com, on trouve deux SASU dirigées par Mme Chikirou: « L’Entreprise de Presse Le Média » et « La Société de Production audiovisuelle Le Média ». On comprend que le « montage » sur lequel est fondé Le Média se compose ainsi d’une association et de deux sociétés commerciales, ce qui implique déjà un fonctionnement complexe, dans la mesure où l’intérêt propre de chacune de ces entités devra être pris en compte.

L’association réunit des sociétaires, appelés « socios ». Ceux-ci financent le Média et Gérard Miller avait expliqué au magazine Capital que les socios étaient les « propriétaires » du Média. Cela sous-entendrait que l’association est l’associée unique des sociétés commerciales. Cela serait d’ailleurs cohérent, car les socios pourraient ainsi élaborer dans le cadre de l’association les décisions stratégiques des deux autres structures.

De ce qu’on lit, il n’apparaît cependant pas que l’association soit l’associée unique des sociétés commerciales qui ont été constituées.

En outre, les sociétés « personnelles » de certains des fondateurs du Média interviennent pour fournir des prestations de services au Média. Parmi ces sociétés figure notamment la société Mediascop, qui est encore une SASU dirigée par Mme Chikirou, et dont l’objet est l’activité de conseil.

Les prestations de services.

Mme Chikirou a fait intervenir la société de conseil Mediascop, société qu’elle dirige, pour fournir des prestations de services au Média.

La page Wikipedia du Média indique: « Juste avant son départ du Média, Sophia Chikirou a procédé à deux paiements, pour plus de 130.000 euros, à sa propre société, Médiascop, révèle Mediapart, information reprise dans un article du Point. Aude Lancelin, nouvelle responsable du site, indique qu’elle n’était pas informée de prestations par la société Médiascop. Un chèque de 64.119,61 euros a été honoré par la banque, mais le virement suivant a été bloqué. Pour Henri Poulain, co-fondateur du Média, Sophia Chikirou « était bénévole en tant que présidente mais rémunérée comme conseil en stratégie. En interne, c’est ainsi qu’elle le justifie. Cela me semble problématique de se revendiquer bénévole et de se rémunérer par ailleurs ». Pour Sophia Chikirou « tout le monde au Média était informé de ces prestations, surtout les fondateurs puisque les trois sociétés des fondateurs fournissaient des prestations de communication et audiovisuelles pour lesquelles le Média n’avait pas les compétences en interne ». Accusée de mauvaise gestion, par la nouvelle direction du Média, Sophia Chikirou indique vouloir saisir la justice et « demander la désignation d’un administrateur judiciaire provisoire et un audit pour prouver ma bonne gestion ». Cependant Gérard Miller s’opposerait à cet audit« .

Le journal Libération indique quant à lui « Révélée par Mediapart, l’embrouille a éclaté fin juillet, après que Chikirou, alors toujours présidente de la société de production du Média, a validé les deux paiements en question, au profit de son entreprise personnelle. L’un des deux a été réglé par chèque ; l’autre, sous forme de virement, a été bloqué par la banque. Ils étaient censés rémunérer des prestations de production, de communication et de direction, dont certaines assurées par Chikirou elle-même. C’est peu dire que la nouvelle, dans un contexte de fragilité financière pour le jeune Média, est mal passée. Chikirou étant à l’émission et à la réception des factures, le conflit d’intérêts semble patent et motive le soupçon d’abus de bien social aux yeux de Miller et Poulain. Ces derniers s’interrogent sur la réalité de certains services facturés ». Le journal ajoute que Gérard Miller et le producteur Henri Poulain auraient mis en demeure Mme Chikirou de rembourser les sommes perçues et de renoncer au paiement de la facture encore impayée, sous peine de porter plainte pour « abus de biens sociaux ».

Analyse en droit des sociétés

Y a-t-il conflit d’intérêts lorsque Mme Chikirou fait effectuer par la société Mediascop qu’elle dirige des prestations de services rémunérées pour la société de production Le Média, qu’elle dirige également ?

La réponse est oui, puisque chacune des sociétés parties au contrat a un intérêt qui s’oppose à celui de l’autre partie, et si Mme Chikirou est présidente des deux sociétés, cela signifie qu’elle défend simultanément deux intérêts en conflit. La société prestataire a intérêt à facturer le plus possible, tandis que la société bénéficiant de la prestation a intérêt à ce que la facturation soit au contraire la plus basse possible. Pour autant, « conflit d’intérêts » ne signifie pas nécessairement illégalité.

Le droit des sociétés encadre cette situation de plusieurs manières.

Tout d’abord, les sociétés sont pour la plupart soumises à des règles sur les « conventions réglementées », visant précisément les situations de conflit d’intérêts. S’agissant des SAS, le Code de commerce dispose en substance qu’une consultation des associés doit intervenir sur les conventions conclues par la société avec son dirigeant ou un associé détenant plus de 10% des droits de vote. Rien n’est expressément prévu pour la convention conclue avec une société ayant simplement un dirigeant ou un actionnaire en commun, comme c’est le cas pour les sociétés dirigées par Mme Chikirou. La procédure pourrait toutefois s’appliquer s’il était établi que la convention a été conclue avec Mme Chikirou, « par personne interposée », c’est-à-dire si la société prestataire ne faisait que servir d’écran. Les statuts des SAS en cause pourraient d’ailleurs prévoir un encadrement supplémentaire. Ne pas respecter ces procédures légales ou statutaires pourrait mettre en jeu la responsabilité civile du dirigeant en conflit d’intérêts et être en outre le signe d’un abus de biens sociaux.

Ensuite, le délit d’abus de biens sociaux (ABS) vise effectivement l’utilisation des biens d’une société contraire à son intérêt social, dans l’intérêt personnel du dirigeant. S’il était démontré que les facturations intervenues ne correspondent pas à une véritable prestation, ou que le prix est excessif, alors le délit d’ABS serait constitué, avec une sanction maximale de 5 ans d’emprisonnement et 375.000 euros d’amende à la clé, de possibles dommages-intérêts et une éventuelle restitution des sommes litigieuses (art. L. 242-6 du Code de commerce).

Enfin, la fourniture de prestations de conseil par la société personnelle du dirigeant pose la question de la consistance, et donc de la légalité, de la prestation fournie – on parle de « management fees ». Monsieur X, dirigeant d’une société A, constitue une société B, chargée d’assurer des prestations de conseil. Rien de malhonnête dans cela, en principe. La société B fournit des prestations de conseil à la société A. Toujours rien de malhonnête, si l’on respecte la procédure des conventions réglementées, et si on fournit une réelle prestation, justement rémunérée. La question devient plus délicate lorsque la prestation de conseil fournie par la société B se confond avec les missions de dirigeant de X, qu’il est déjà censé exercer au profit de la société A. Si la société A paye la société B pour lui fournir des conseils que le président X devrait déjà lui donner par sa fonction de président, la prestation est fictive, puisqu’elle correspond à une ressource dont dispose déjà la société A. Cela est d’autant plus grave lorsque X est déjà rémunéré par la société A pour sa présidence.

Dernière observation : il semble que l’entreprise Le Média ait subi depuis sa création des pertes importantes, ce qui aurait dû inciter sa dirigeante à avoir la main plus légère sur la facturation effectuée. La poursuite d’une activité déficitaire est d’ailleurs considérée en droit comme une faute de gestion.

 

Bruno DONDERO

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