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Sanction de la violation d’un pacte entre associés de SAS prévue par les statuts (Cass. com., 27 juin 2018, n° 16-14097)

arrêt financière Amplegest

La Chambre commerciale de la Cour de cassation vient de rendre une intéressante décision pour qui s’intéresse aux pactes d’actionnaires et à leur efficacité, ainsi qu’aux SAS.

 

La décision.

Les associés d’une SAS avaient conclu un pacte, qui comportait de la part de certains associés (les « managers ») une promesse de vendre leurs actions aux autres en cas de cessation de leurs fonctions salariées au sein de la société ou de l’une de ses filiales. Cet engagement était doublé d’une interdiction de céder les titres objet de la promesse pendant toute sa durée.

 

L’un des managers cédait néanmoins ses actions à des tiers, et la SAS, par la voix de son dirigeant, refusait d’enregistrer les ordres de mouvement correspondant aux cessions, au motif que celles-ci contrevenaient au pacte (celui-ci avait été conclu, assez classiquement, « en présence » de la société). Les statuts de la SAS stipulaient que les cessions conclues en violation du pacte étaient frappées de nullité.

Cela n’empêchait pas les juges du fond saisis du litige d’ordonner à la SAS de signer les ordres de mouvement. La cour d’appel accordait de l’importance à un élément assez étonnant, qui était la « résiliation de la promesse de vente contenue dans le pacte ». L’associé partie au pacte avait semble-t-il décidé de s’affranchir de cette partie de la convention, en déclarant qu’il mettait fin à la promesse, avant de céder ses actions à des tiers… La cour d’appel considérait que cette résiliation était « un fait juridique constant » qu’elle devait « nécessairement prendre en compte », et elle reprochait au pacte de ne pas prévoir de sanction en cas de résiliation anticipée. Mais prévoir une telle sanction aurait été reconnaître que la résiliation anticipée était possible, alors que les parties avaient voulu exclure cela, sauf modification de leur accord.

On se souvient qu’il y a une dizaine d’années, la Cour de cassation avait laissé entendre que les pactes d’actionnaires qui n’avaient pas une durée déterminée autre que celle calculée en fonction de la détention des actions de la société pouvaient être anéantis assez simplement par une partie, par le biais de la résiliation du pacte (Cass. com., 6 nov. 2007). Simplement, la promesse dont il était question dans l’affaire soumise à la Cour de cassation en 2018 avait été consentie pour une durée de dix ans à compter de la signature du pacte. Il n’était donc pas question de pouvoir résilier une partie de la convention parce qu’elle aurait été à durée indéterminée.

La Cour de cassation casse par conséquent l’arrêt d’appel pour violation de la loi, précisément pour violation de l’art. 1134 ancien du Code civil (« Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel (…)« ). Ces règles se retrouvent aujourd’hui, après l’ordonnance du 10 févr. 2016, aux articles 1103 et 1193 du Code.

La Chambre commerciale juge que « la révocation unilatérale de la promesse et, par suite, la cession litigieuse constituaient une violation du pacte d’associés entraînant la nullité de la cession » faite aux tiers, nullité fondée sur les statuts de la SAS.

 

Les enseignements.

Premier enseignement: lorsque le pacte n’est pas à durée indéterminée, il n’est pas possible à une partie de décider unilatéralement qu’elle procède à sa résiliation. Si une partie procède ainsi, la cession qu’elle pourrait réaliser ensuite se ferait en violation du pacte, avec les conséquences d’une telle violation: responsabilité civile, remise en cause de la cession, etc. Cette remise en cause trouve un fondement, aujourd’hui, à l’art. 1124 du Code civil relatif à la promesse unilatérale de contrat, qui dispose que « Le contrat conclu en violation de la promesse unilatérale avec un tiers qui en connaissait l’existence est nul« . A contrario, la bonne foi du tiers le protège.

Second enseignement: les statuts d’une SAS peuvent prévoir qu’une cession d’actions intervenue en violation d’un pacte est nulle. L’art. L. 227-15 du Code de commerce dispose que « Toute cession [d’actions de SAS] effectuée en violation des clauses statutaires est nulle« , mais la nullité pourrait-elle découler de la violation, précisément, d’une clause ne figurant pas dans les statuts ?

La décision rendue le 27 juin 2018 répond de manière affirmative, ce qui laisse entendre que les clauses statutaires pourraient opérer un renvoi à des stipulations extérieures, comme un pacte, donc, un règlement intérieur ou une autre convention. La solution apparaît assez audacieuse au regard de la lettre de l’art. L. 227-15 du Code de commerce… mais on parvient à la même solution, pour les promesses, avec le droit commun en réalité: l’art. 1124 du Code civil dispose aujourd’hui que le contrat conclu en violation d’une promesse unilatérale est nul, lorsque le cocontractant connaissait l’existence de la promesse. Or la référence faite par les statuts de la société dont les actions sont cédées à un pacte peut justement être de nature à donner connaissance au tiers de l’existence d’une promesse et à permettre l’application de la sanction de nullité.

Bruno DONDERO

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SAS : la distinction entre promesse de vente des actions contenue dans un pacte et clause d’exclusion statutaire (Cass. com., 6 mai 2014, n° 13-17349)

La Cour de cassation a rendu le 6 mai 2014 (n° 13-17349) une décision qui tranche une question à la fois simple et redoutable, comme c’est souvent le cas en droit des affaires (et qui n’est au surplus pas nouvelle pour beaucoup de praticiens) : la promesse de vendre ses actions, consentie par un associé dans le cadre d’un pacte, constitue-t-elle une clause d’exclusion ?

 Précisons que l’arrêt ne sera pas publié au Bulletin.

 En l’espèce, trois personnes physiques avaient constitué une SAS en janvier 2009. Les associés se partageaient les différents aspects du développement de la société, l’un d’eux, M. V., se voyant confier la responsabilité du marketing. Moins de quarante jours plus tard, ayant peut-être réalisé qu’ils ne couvraient pas certains champs d’activité, nos trois associés décidaient une augmentation de capital, et ils étaient rejoints par deux nouveaux associés, dont un fonds commun de placement. Ce fonds signait (par le biais suppose-t-on de sa société de gestion) un pacte d’associés avec les associés fondateurs. Ce pacte mettait à la charge de M. V l’engagement de céder ses actions dans certaines circonstances.

 Trois mois plus tard, un autre associé (il faisait partie du trio initial), M. P., estimant que les conditions requises pour faire jouer la promesse étaient satisfaites, levait l’option d’achat des actions de M. V. Celui-ci répondait en faisant assigner P. ainsi que la société en annulation de la clause, et en plaidant, subsidiairement, que les conditions d’application de la promesse n’étaient pas réunies. La cour d’appel saisie du litige donnait tort à M. V. et le déboutait de ses demandes.

 La partie la plus importante du débat, devant la cour d’appel et devant la Cour de cassation, portait sur la question de l’assimilation de la promesse contenue dans le pacte à une clause d’exclusion. Nous ne reviendrons pas sur la question des conditions de déclenchement de l’engagement du promettant de céder ses titres. On peut estimer que trois thèses étaient en présence.

 Le demandeur au pourvoi plaidait une assimilation totale des deux. La promesse de vente contenue dans le pacte était pour lui une « clause d’exclusion-sanction qui comme telle était nulle, faute d’avoir été insérée dans les statuts de la société, de prévoir les motifs d’exclusion de façon suffisamment précise ainsi que les conditions de sa mise en œuvre dans le respect des droits de la défense de l’associé évincé ».

 La Cour d’appel de Paris, dans son arrêt, avait pris le parti d’une assimilation limitée. La cour d’appel avait en effet retenu la validité de la clause, mais elle avait en outre relevé des éléments de nature à conforter cette validité, et ce faisant, elle rapprochait finalement cette promesse contenue dans un pacte d’une clause d’exclusion statutaire. Les juges du fond avaient ainsi relevé que la clause poursuivait « un but d’intérêt social », qu’elle résultait d’une décision unanime des associés, qu’elle répondait « à des motifs justes et précis en faisant reposer la levée d’option (…) sur des conditions objectives » et que « l’option d’achat [respectait] l’égalité des associés ».

 La Cour de cassation distingue quant à elle clairement les deux institutions. La cour d’appel avait relevé que « chacun des associés fondateurs s’était engagé, dans l’hypothèse où il viendrait à quitter ses fonctions au sein de la société, dans les cas visés par cette clause, à céder à un prix déterminé, à l’investisseur et aux autres fondateurs, si l’un ou plusieurs d’entre eux en faisaient la demande avec l’accord de l‘investisseur, ou, à défaut, à la société, si celle-ci en faisait la demande, tout ou partie des actions qu’il détiendrait à la date effective de départ ». De ce constat, la cour d’appel « a exactement déduit que l’engagement ainsi souscrit par M. V., conférant aux autres parties, aux conditions qu’il prévoit, une option d’achat de ses droits sociaux en cas de cessation de ses fonctions, devait recevoir la qualification de promesse unilatérale de vente ».

 Quant aux éléments relevés par la cour d’appel pour conforter la validité de la promesse au regard des conditions exigées d’une clause d’exclusion, la Cour de cassation juge qu’ils sont surabondants, ce qui confirme bien que promesse de vente et clause d’exclusion sont distinctes.

 A quoi se résume cette distinction ?

 Une clause d’exclusion est insérée dans les statuts d’une SAS et modifiée à l’unanimité (art. L. 227-19 C. com.), la décision d’exclusion est généralement prise par un organe social mais ce n’est pas un critère de validité, et le caractère déterminable ou déterminé du prix qui sera versé à l’exclu n’est pas une condition de validité de la clause – à défaut de fixation par les statuts ou par un accord des parties, il sera déterminé par application de l’article 1843-4 du Code civil, et donc par un expert nommé au besoin par le juge. La jurisprudence impose le respect des droits de la défense de l’exclu, qui doit participer à la décision collective des associés statuant sur son exclusion, si c’est ainsi que l’exclusion est décidée.

 Une promesse unilatérale de vente est quant à elle une convention qui ne lie pas nécessairement tous les associés, qui peut figurer dans les statuts, mais aussi dans un pacte ou dans un acte ne liant que le promettant et le bénéficiaire. Elle ne suppose que l’accord des parties à la promesse, et pas nécessairement de tous les associés. Le prix doit être déterminé ou déterminable ; si c’est un tiers qui fixe le prix, cela doit être prévu par l’accord des parties. La promesse ne suppose pas que l’on respecte les droits de la défense du promettant, la question ne se posant pas, dès lors que celui-ci ne fait pas l’objet d’une sanction, comme l’est en revanche l’exclusion. L’exécution forcée en nature de la promesse unilatérale de vente n’est en revanche pas assurée, en l’état de notre jurisprudence, comme on le sait.

 Le doute sur la distinction entre les deux institutions naît de deux éléments. D’une part, l’exécution d’une promesse unilatérale de vente produit in fine le même effet que le jeu d’une clause d’exclusion, l’associé devant quitter la société. D’autre part, la formulation de l’article L. 227-16 du Code de commerce, relatif à la clause d’exclusion dans la SAS, entretient le doute, car le texte dispose que « dans les conditions qu’ils déterminent, les statuts peuvent prévoir qu’un associé peut être tenu de céder ses actions », ce qui pourrait définir aussi une promesse statutaire.

 On sait que la jurisprudence de la Cour de cassation a paralysé les clauses d’exclusion présentes dans les statuts de nombreuses SAS, en invalidant dans un premier temps la clause statutaire, très fréquente jusqu’alors, selon laquelle l’associé dont l’exclusion était en discussion était écarté de la décision collective (Cass. com., 23 oct. 2007) et en jugeant dans un second temps que la clause en question devait être régularisée, donc à l’unanimité des associés, et que l’on ne pouvait se contenter de faire voter aussi l’associé dont l’exclusion était en cause (Cass. com., 9 juil. 2013, deux arrêts). La promesse de vente, en dépit de sa faiblesse en cas de refus d’exécution, pourrait être une solution alternative intéressante. Peut-être pourrait-on tenter de sauver certaines clauses d’exclusion en les qualifiant de promesses statutaires, cette position statutaire pouvant d’ailleurs renforcer de manière générale les promesses unilatérales ?

Bruno DONDERO

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