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Parachute doré et performance

Le parachute doré est une institution qui fascine jusqu’à nos artistes. Orelsan en parle dans Suicide social, et avant lui c’était Alain Souchon qui avait consacré une chanson au sujet.

« Adieu tous ces grands PDG
Essaie d’ouvrir ton parachute doré quand tu t’fais défenestrer »

Orelsan, Suicide social

« La boîte a coulé, mais pouce
On va se la couler douce
La pilule on va se la dorer
J’ai le parachute, chut, doré »

Alain Souchon, Parachute doré

L’idée est de donner au dirigeant d’entreprise qui est révoqué de ses fonctions une somme d’argent qui compense la perte de son mandat. Au départ, on peut trouver que cela est juste. Le dirigeant n’a pas un contrat de travail pour diriger la société, comme nous l’avons vu en cours. Il n’a donc pas la protection du salarié licencié, que ce soit en termes de contrôle des motifs de licenciement ou en termes d’indemnités. Il n’apparaît pas absurde que la société et le dirigeant mettent en place une protection que la loi ne prévoit pas.

 

Une prime à la mauvaise gestion?

Si l’idée n’est pas incohérente, sa mise en œuvre a donné lieu à des abus, que ce soit en France ou à l’étranger. Si l’on révoque le dirigeant, c’est souvent parce que sa gestion n’est pas satisfaisante et que la société subit des pertes. On va demander des sacrifices à l’entreprise et à ses salariés, dont certains vont perdre leur emploi. Dans le même temps, le dirigeant qui est révoqué va quitter l’entreprise avec un « cadeau de départ » d’un montant qui peut atteindre plusieurs millions d’euros, voire plusieurs dizaines de millions d’euros.

La page Wikipédia consacrée au sujet comporte ainsi un tableau dont voici un extrait:

Parachutes

Cela fait envie: on n’a plus besoin de vos services, vous pouvez libérer votre  bureau et retrouver votre liberté, mais voici tout de même quelques millions d’euros pour nous excuser…

Plus sérieusement, on comprend bien le problème que peut poser le fait que des grands dirigeants d’entreprise soient « récompensés » pour leur mauvaise gestion par l’octroi de telles sommes (lorsque l’on ne les révoque pas pour d’autres raisons).

 

L’intervention du législateur.

En 2005, le législateur était intervenu une première fois pour soumettre ces engagements à la procédure des conventions réglementées, dans les sociétés cotées en bourse. De cette manière, les parachutes dorés étaient soumis à l’approbation de l’assemblée générale des actionnaires.

En 2007, nouvelle intervention, pour subordonner le versement de ces indemnités de départ à la satisfaction de conditions de performance.

225-42-1 old

 

Dans les sociétés cotées en bourse, il était donc exclu qu’un parachute doré soit versé au dirigeant si celui-ci n’avait pas satisfait à des conditions de performance, ce qui limitait le versement d’indemnités de départ au cas où le dirigeant était révoqué pour d’autres raisons que sa mauvaise gestion. Par exemple, si les actionnaires contrôlant la société changeaient, les nouveaux maîtres de la société pouvaient changer la direction, mais le dirigeant débarqué bénéficiait d’une protection.

La contrainte de la performance pouvait être contournée plus ou moins facilement, que ce soit en faisant verser les sommes par des sociétés plus ou moins éloignées de la société dirigée, ou en faisant naître artificiellement un contentieux post-révocation et en le soldant par une transaction avantageuse pour le dirigeant. Ces pratiques pouvaient cependant être contestées.

 

La situation actuelle.

Notre droit des sociétés cotées a été récemment modifié par une ordonnance n° 2019-1234 du 27 novembre 2019 relative à la rémunération des mandataires sociaux des sociétés cotées. Celle-ci transpose en droit français une directive de 2017 relative aux droits des actionnaires, et au passage, l’article L. 225-42-1 du Code de commerce est abrogé.

De manière assez discrète, la condition de performance qui était précédemment imposée par le législateur n’est donc plus applicable! Certes, un lien est encore fait entre le versement des indemnités de départ et la question des performances de la société.

L’article L. 225-37-3 du Code de commerce dispose en effet:

« I.-Les sociétés dont les actions sont admises aux négociations sur un marché réglementé présentent, de manière claire et compréhensible, au sein du rapport sur le gouvernement d’entreprise mentionné au dernier alinéa de l’article L. 225-37, s’il y a lieu, pour chaque mandataire social, y compris les mandataires sociaux dont le mandat a pris fin et ceux nouvellement nommés au cours de l’exercice écoulé, les informations suivantes :
(…) 7° L’évolution annuelle de la rémunération, des performances de la société, de la rémunération moyenne sur une base équivalent temps plein des salariés de la société, autres que les dirigeants, et des ratios mentionnés au 6°, au cours des cinq exercices les plus récents au moins, présentés ensemble et d’une manière qui permette la comparaison ;
8° Une explication de la manière dont la rémunération totale respecte la politique de rémunération adoptée, y compris la manière dont elle contribue aux performances à long terme de la société, et de la manière dont les critères de performance ont été appliqués« 

On parle encore de performance, certes, mais il n’est plus dit clairement qu’il faut constater que des performances prédéterminées ont été réalisées pour que le parachute doré puisse être versé.

Une autre question qui se pose est celle de la sortie des parachutes dorés de la sphère des conventions réglementées. S’ils sont rattachés à la rémunération du dirigeant, cela signifie que les parachutes dorés en suivent le régime, et notamment que la société peut les modifier unilatéralement!

On parle de tout cela demain en cours, et nous verrons si M. Ghosn, en tant que dirigeant de la société Renault, bénéficie ou non d’un parachute doré!

Ghosn parachute

« Attendez, je n’ai pas mon parachute doré! » (@SpaceCowboyFuku)

Bruno Dondero

 

 

 

 

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La loyauté du dirigeant due à la société et à l’actionnaire (Cass. com., 5 juil. 2016, n° 14-23904)

La Chambre commerciale de la Cour de cassation vient de rendre un arrêt confirmant la solution retenue il y a deux ans par la Cour d’appel de Versailles, dans le litige médiatisé opposant la société Europcar Groupe à son ancien dirigeant Philippe Guillemot. L’arrêt ne sera pas publié au Bulletin des arrêts de la Cour de cassation. Ce n’est pas un arrêt de principe qui a été rendu, mais la décision est intéressante tout de même. Elle fait d’ailleurs l’objet d’un commentaire aux Echos de ce jour.

I – Les faits et les décisions rendues antérieurement.

En 2012, la société Europcar avait révoqué son directeur général. Elle lui reprochait d’avoir tenu des propos négatifs quant à la situation financière de la société, auprès des partenaires financiers de celle-ci, d’avoir recherché un nouvel actionnaire pour remplacer l’actionnaire majoritaire en place, et d’avoir dissimulé ses agissements au conseil d’administration.

Le directeur général révoqué avait alors réclamé à la société le paiement de son « parachute doré », et il avait obtenu satisfaction devant le premier juge saisi, le tribunal de commerce de Versailles ayant condamné Europcar à verser à son ex-directeur général quasiment 2,5 millions d’euros.

Sur appel de la société, le jugement était infirmé. C’est que, plaidait avec succès la société Europcar, son ancien dirigeant avait commis une faute grave, et la convention accordant une indemnité au directeur général en cas de cessation de son mandat social prévoyait précisément que ladite somme ne serait pas due en cas de révocation pour faute grave.

L’arrêt d’appel était intéressant, car il reconnaissait que le dirigeant avait un devoir de loyauté non seulement envers la société, mais également envers ses associés – en l’occurrence envers l’actionnaire majoritaire, la société Eurazeo. Précisément, il était jugé par l’arrêt de la Cour d’appel de Versailles que le directeur général en cause « était en sa qualité de dirigeant, mandataire social, spécialement tenu à un devoir de loyauté envers les associés et au profit de l’entreprise ».

Europcar

II – Devant la Cour de cassation.

Le dirigeant révoqué contestait l’arrêt d’appel devant la Cour de cassation, et il invoquait pas moins de seize arguments différents ! Ces arguments portaient autant sur la procédure de révocation et sur la qualification de faute grave que sur l’identité du créancier de l’obligation de loyauté. Il était notamment soutenu que l’intérêt de la société ne se confondait pas avec celui de l’actionnaire majoritaire.

Le recours de M. Guillemot est cependant rejeté.

La Cour de cassation reprend les constatations faites par la Cour d’appel de Versailles, selon laquelle :

– les propos, tenus par M. Guillemot lors de réunions avec les cadres du groupe, traduisaient « un doute profond sur les perspectives du groupe et sur la viabilité de son modèle économique, et notamment de son mode de financement, qui fait partie intégrante du “business model” de la société » ;

– « en communiquant directement avec les investisseurs potentiels, en tentant de créer un antagonisme entre la société Europcar et son principal actionnaire susceptible de mettre en danger le projet de refinancement de la dette et en dissimulant des informations », M. Guillemot avait agi au détriment de l’intérêt social ;

– ces agissements étaient constitutifs d’actes déloyaux contraires aux intérêts communs de la société Europcar et de l’actionnaire ainsi qu’aux dispositions du contrat de mandat du dirigeant.

La Cour de cassation ne formule pas d’attendu de principe, mais elle rejette le pourvoi en cassation. Elle juge que la cour d’appel a pu déduire que le comportement de M. Guillemot rendait impossible son maintien dans les fonctions de directeur général et constituait une faute grave.

On retiendra surtout que c’était un ensemble de faits qui étaient reprochés au dirigeant révoqué. Certains portaient surtout atteinte à l’intérêt de la société, d’autres à l’intérêt de l’actionnaire. Les juges ne font pas le tri, puisque les actes déloyaux étaient « contraires aux intérêts communs de la société Europcar et de l’actionnaire ». Il n’est pas dit qu’une déloyauté envers le seul actionnaire aurait justifié une révocation sans indemnité du dirigeant. Mais ici, l’atteinte à l’intérêt de la société Europcar avait été caractérisée… aussi !

Bruno DONDERO

 

 

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