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Fusion et caution: une société cautionnée en absorbe une autre et alourdit l’engagement de la caution (Cass. com., 28 févr. 2018, n° 16-18692)

L’arrêt rendu le 28 février 2018 par la Chambre commerciale de la Cour de cassation concerne une fois de plus la délicate question de l’articulation d’une opération de restructuration et d’une garantie, en l’occurrence un cautionnement. Simplement, il n’est pas question ici de la disparition de la société cautionnée ou du créancier bénéficiaire, comme cela était le cas dans les précédents arrêts de la Cour de cassation, mais d’une autre hypothèse.

Une banque X avait conclu en 2009 avec une société A une convention de compte courant, et elle lui avait consenti une ouverture de crédit de 57.000 euros et une ligne d’escompte dans la limite de 60.000 euros. L’un des gérants de la société s’était rendu caution solidaire de l’ensemble des engagements de la société, cautionnement omnibus qui comportait une double limitation : un plafonnement puisque la garantie était limitée à la somme de 74.100 euros et une limitation dans le temps, puisque l’engagement valait pour une durée de dix ans. Mais trois ans plus tard, alors que le cautionnement était en vigueur, la société A absorbait une société B qui bénéficiait de trois crédits consentis également par la banque X, et une société C, qui était quant à elle bénéficiaire de deux crédits.

Ces opérations de restructuration étaient suivies d’une réaction de la banque, qui se prévalait de l’exigibilité anticipée des crédits des sociétés B et C du fait de la dissolution de ces sociétés. Au début de l’année 2013, la banque X clôturait le compte de la société A, qui était mise en liquidation judiciaire peu de temps après. La banque se tournait alors vers le gérant caution, et elle lui demandait paiement des différents crédits des sociétés A, B et C.

La caution était condamnée à payer à la banque X la somme de 74.100 euros, soit le montant maximum garanti. Le garant formait alors un pourvoi en cassation, qui est rejeté par la Chambre commerciale dans son arrêt du 28 février 2018, destiné à publication au Bulletin et mis en ligne sur le site de la Cour de cassation.

Deux questions étaient posées à la Cour de cassation, toutes deux liées au rapport entre le cautionnement et la transmission universelle de patrimoine (TUP) résultant de l’opération de fusion. La première question était relative à l’étendue de l’engagement de la caution ; la seconde concernait l’obligation d’information due par la banque à la caution.

I – La fusion et l’obligation de la caution.

Le dirigeant caution plaidait tout d’abord qu’il n’était pas tenu de garantir les concours accordés à d’autres sociétés avant leur absorption par la société débitrice. Il invoquait sans surprise la règle selon laquelle le cautionnement ne se présume pas et ne peut s’étendre au-delà des limites dans lesquelles il a été contracté, règle figurant à l’article 2292 du Code civil, et dont la violation était invoquée. Précisément, il était soutenu que le cautionnement de dettes futures ne pourrait valoir que pour des dettes consenties par le débiteur clairement identifiées dans l’acte de cautionnement et non pour des dettes consenties par des entités tierces, ultérieurement absorbées par le débiteur identifié au jour de l’engagement de la caution.

La cour d’appel avait tiré argument du fait que le gérant s’était porté caution « de l’ensemble des engagements de la société [A] présents ou futurs » pour juger que les dettes contractées par les sociétés B et C envers la banque avant leur absorption par A étaient incluses dans l’engagement de la caution. La Cour de cassation approuve l’arrêt d’appel en mentionnant le fait que les sociétés B et C ont été absorbées par A et que « la dissolution sans liquidation [de B et C] a entraîné la transmission universelle de leur patrimoine à la société [A] ».

Certains commentateurs ont critiqué la solution, qu’ils jugent trop rigoureuse pour la caution. Mais lorsque la caution a pris l’engagement de garantir davantage qu’une ou plusieurs dettes déterminées mais bien un ensemble de dettes présentes et futures, peu importe – sauf stipulations particulières – la manière dont les dettes sont transmises au débiteur principal et entrent dans la sphère des engagements garantis par la caution.

Qu’il s’agisse d’une dette acquise par cession de dette, par TUP ou par la conclusion d’un contrat faisant directement naître cette dette, l’engagement de la caution doit couvrir cette dette.

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La solution est différente de celle retenue lorsque la société cautionnée disparaît parce qu’elle est absorbée par une autre société, la caution bénéficiant alors d’un traitement clément : sauf à identifier sa volonté de maintenir son engagement au profit de la société absorbante, l’engagement de couverture de la caution tombe (V. not. Cass. com., 8 nov. 2005, n° 02-18449, Bull. IV, n° 219 ). Mais la solution diffère de celle qui était soumise à la Cour de cassation dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt commenté, puisque la société débitrice principale s’était maintenue, là où les hypothèses traitées antérieurement par la jurisprudence voyait cette société disparaître. Il était donc normal qu’on s’interroge, dans ces autres décisions, sur la survie des engagements de la caution : le débiteur cautionné n’était plus, même si son patrimoine était transmis à une autre société. Dans l’affaire qui nous intéresse, la société cautionnée n’a pas vu sa personnalité morale remise en cause, mais elle a absorbé d’autres entités, qui étaient lestées de dettes à l’égard du créancier bénéficiant du cautionnement.

La caution n’est pas sans protection, mais celles-ci sont assez limitées :

  • obtenir la mise en place de barrières contractuelles à un accroissement excessif des dettes garanties, mais encore faut-il être en position de les stipuler ;
  • exercer le droit d’opposition prévu par l’article L. 236-14 du Code de commerce au profit des créanciers des sociétés parties à la fusion, mais encore faut-il que caution dispose d’une créance certaine, liquide et exigible, ce qui ne sera souvent pas le cas ;
  • invoquer la fraude aux droits de la caution, en établissant que l’enchaînement du cautionnement et des opérations de fusion n’a été réalisé que pour obtenir in fine une garantie des dettes des sociétés absorbées, ce à quoi la caution n’aurait pas consenti si la question lui avait été posée lors de la constitution de la sûreté.

II – La fusion et l’information de la caution.

Autre argument que tentait d’utiliser la caution : la banque aurait engagé sa responsabilité en manquant à son devoir de mise en garde, car elle aurait dû informer la caution des conséquences pour elle de la transmission universelle de patrimoine résultant de l’absorption. La cour d’appel aurait donc méconnu la portée des obligations de la banque et violé l’article 1147 du Code civil, en sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

Là encore la Cour de cassation donne tort à la caution en jugeant que l’arrêt attaqué a énoncé « exactement que la banque n’a pas l’obligation d’informer la caution, qui s’est engagée à garantir l’ensemble des engagements d’une société à son égard, des conséquences de la transmission universelle des patrimoines d’autres sociétés à la société garantie qui les a absorbées ».

On pouvait déjà douter du fait que le gérant qui se porte caution entre dans la catégorie des personnes non averties au sens de la jurisprudence, mais cela se rencontre (Cass. com., 15 nov. 2017, n° 16-16790, à paraître au Bull.). Indépendamment de cela, qu’aurait apporté une extension du devoir de mise en garde aux conséquences d’une fusion ? Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt commenté, cela aurait été un moyen de nuancer la rigueur de l’extension du cautionnement aux dettes contractées par les sociétés absorbées. Mais on peut se féliciter que les juges n’aient pas choisi de céder à cette solution de facilité. Concrètement, il n’aurait déjà pas été très utile d’imposer à la banque de mettre en garde la caution contre la possibilité que la société débitrice aggrave son engagement, alors que le cautionnement portait précisément sur les dettes présentes et futures de la société en cause. Au surplus, la caution, en sa qualité de gérant de la société cautionnée n’était sans doute pas étrangère à l’opération de fusion.

Bruno Dondero

 

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SAS: clauses d’agrément et art. L. 228-24 du Code de commerce (Cass. com., 8 mars 2018, n° 17-40079)

Par cet arrêt en date du 8 mars 2018, la chambre commerciale de la Cour de cassation refuse de transmettre une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) relative à la procédure d’agrément prévue dans les sociétés par actions.

Incidemment, par la justification qui est donnée, l’arrêt fournit une réponse intéressant les sociétés par actions simplifiées (SAS).

La question posée.

La clause d’agrément subordonne le transfert des actions, valeurs mobilières donnant accès à la qualité d’actionnaire ou parts d’une société à l’autorisation d’un organe de cette société.

 

Le champ d’application de la clause est une question récurrente, car elle conduit à entraver un certain nombre d’opérations de transfert de titres. L’applicabilité d’une clause d’agrément à une opération de fusion est une question qui se pose depuis longtemps, et il est jugé par la Cour de cassation depuis longtemps que la clause peut s’appliquer aux fusions (V. not. Cass. com., 3 juin 1986, n° 85-12657 : Bull. IV, n° 115). La réponse n’allait pas de soi, car l’article L. 228-23 du Code de commerce vise les seules opérations de « cession », et dès lors que le droit de céder librement ses actions constitue le principe, l’on est tenté de faire jouer la règle d’interprétation stricte des exceptions, ce qui conduirait à restreindre le champ d’application de la clause aux seules opérations visées par la loi.

 Si la clause d’agrément peut effectivement s’appliquer à une opération de fusion, sa mise en œuvre soulève cependant des difficultés quand, comme en matière de SA, le refus d’agrément implique de racheter les actions du cédant et normalement avec un droit de repentir. S’il y a une fusion et que la SA s’oppose au transfert des actions à l’absorbante en refusant l’agrément, les droits de l’actionnaire ne sont alors plus les mêmes. Comme le soulignait la QPC transmise à la Cour de cassation, l’actionnaire qu’est la société absorbée ne bénéficie pas d’un droit de repentir. Cette différence de traitement n’est pas imputable à la société mettant en œuvre la procédure d’agrément, mais elle résulte de la disparition de la société absorbée, liée à la fusion, disparition qui empêche cet actionnaire de jouir d’un droit de repentir.

Cette situation révèle-t-elle une atteinte au droit de propriété ? À tout le moins, l’application de la clause d’agrément au transfert des actions par voie de fusion soulève des questions délicates.

Parce que la Cour de cassation « botte en touche » en refusant de transmettre la QPC au Conseil constitutionnel, on ne saura pas quelle est son opinion sur l’inconstitutionnalité de l’application de l’article L. 228-24 du Code de commerce aux fusions. À vrai dire, on a assez peu de doutes sur le sujet puisque, comme on l’a vu, cette solution ne s’imposait pas et qu’il a fallu que la Cour de cassation fasse preuve d’une certaine souplesse pour que la clause d’agrément s’applique, tant bien que mal, aux opérations de fusion. On avait davantage d’interrogations sur l’applicabilité de l’article L. 228-24 aux SAS, et l’arrêt commenté apporte ici une clarification.

La clarification apportée au statut de la SAS

C’était une SAS qui avait sollicité, sur le fondement de la clause d’agrément figurant dans ses statuts, la mise en œuvre de la procédure prévue à l’article L. 228-24 du Code de commerce, l’un des associés de la SAS étant une société absorbée par une autre. Le tribunal saisi du litige avait transmis à la Cour de cassation la QPC formulée, mais la Cour juge que la question n’est pas nouvelle, dès lors qu’elle ne portait pas sur l’interprétation d’une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n’aurait pas encore eu l’occasion de faire application, et surtout, il est jugé qu’elle n’est pas sérieuse dès lors qu’ « il ne résulte d’aucune jurisprudence de la Cour de cassation que les dispositions de l’article L. 228-24 du Code de commerce s’appliquent en cas de non-respect d’une clause d’agrément prévue par les statuts d’une société par actions simplifiée ».

Ce faisant, la chambre commerciale de la Cour de cassation apporte une réponse, ou plus exactement un élément de réponse, à une question que l’on se pose depuis longtemps : les SAS sont-elles soumises aux dispositions encadrant l’agrément dans les sociétés par actions, et particulièrement à l’article L. 228-24 du Code de commerce, qui détaille la procédure d’agrément ?

La Cour de cassation indique ici que l’article L. 228-24 ne s’applique pas aux SAS… enfin, pas tout à fait ! Précisément, sa formule est un peu moins claire, pour deux raisons :

1) tout d’abord, il n’est pas dit expressément que l’article L. 228-24 ne s’applique pas aux SAS, mais il est dit qu’ « il ne résulte d’aucune jurisprudence de la Cour de cassation que les dispositions de l’article L. 228-24 du Code de commerce s’appliquent », ce qui n’exclut pas, en théorie du moins, qu’une jurisprudence ultérieure de la Cour de cassation vienne prendre à l’avenir une position différente ;

2) ensuite, le refus d’application aux SAS, en admettant qu’il soit effectivement affirmé par la Cour de cassation, ne concerne pas, à la lettre de la formule employée, l’intégralité de la procédure d’agrément mais simplement le « non-respect d’une clause d’agrément prévue par les statuts d’une société par actions simplifiée ». Il est vrai que cela répond à la QPC qui était soumise à la Cour de cassation, question qui concernait l’application de la clause d’agrément en cas de fusion. On relèvera d’ailleurs que le non-respect de la clause d’agrément contenue dans les statuts d’une SAS est sanctionné par une disposition spéciale, qui est l’article L. 227-15 du Code de commerce, et qui prévoit une sanction de nullité.

Un certain nombre d’auteurs avaient pris parti pour l’application de l’article L. 228-24 du Code de commerce à la SAS, du moins sur certains points, cela se justifiant notamment par le fait que l’article L. 228-24 figure dans un chapitre du Code de commerce intitulé « Des valeurs mobilières émises par les sociétés par actions », et que les SAS figurent dans cette catégorie. Et il ne résultait pas clairement des textes que l’article L. 228-24, détaillant la procédure d’agrément, puisse être écarté par les statuts d’une SAS. Alternativement, c’est à titre supplétif que ce texte pourrait recevoir application aux SAS.

Si l’on déduit de cette décision de la Cour de cassation que les SAS peuvent s’affranchir de l’article L. 228-24 du Code de commerce, les rédacteurs des statuts de SAS disposent de nouvelles possibilités dans la définition de la procédure d’agrément.

Les statuts de SAS osent sans doute déjà prendre des libertés avec les délais prévus par l’article L. 228-24. Rappelons que ce texte prévoit un double délai de trois mois – premier délai pour que la société réponde sur l’agrément du projet qui lui est soumis ; second délai pour que les actions du cédant soient rachetées en cas de refus d’agrément. La doctrine reconnaissait déjà une certaine liberté pour choisir des délais plus longs, tout en recommandant de ne pas allonger trop le délai de réponse par la société, sous peine de rendre les actions inaliénables en fait.

Osera-t-on aller plus loin en faisant fi de l’obligation de la société de racheter ou faire racheter les actions du cédant en cas de refus d’agrément ? Ou si l’on conserve cette obligation, envisagera-t-on de ne pas donner au cédant le droit de repentir qui lui est reconnu par l’article L. 228-24 du Code de commerce ? Le risque qu’il y a à mettre en place un mécanisme d’agrément qui serait jugé non conforme à l’ordre public sociétaire est grand. Imaginons par exemple qu’une SAS se dote d’une procédure d’agrément octroyant à la société un délai très long pour répondre, et qu’un associé conteste ce mécanisme devant le juge. Il serait alors envisageable que le mécanisme d’agrément soit entièrement privé d’efficacité, de la même manière que la clause d’exclusion écartant l’associé visé par la procédure d’exclusion de participer au vote sur celle-ci avait été entièrement privée d’effet par la Cour de cassation (V. particulièrement Cass. com., 9 juil. 2013, n° 11-27235 et n° 12-21238 et 6 mai 2014, n° 13-14960, commenté sur ce blog). Il serait donc utile que la Cour précise prochainement sa vision de la question et dise plus clairement, si c’est bien ce qu’elle pense, qu’il est possible aux rédacteurs des statuts d’une SAS de se soustraire à l’article L. 228-24.

Bruno DONDERO

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