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La cession de parts de SNC non agréée n’est pas nulle mais inopposable à la société et aux associés (Cass. com., 16 mai 2018, n° 16-16498)

La Cour de cassation vient de rendre une décision assez étonnante, relative à la sanction du défaut d’agrément d’une cession de parts de société en nom collectif (SNC). Cette décision du 16 mai 2018 sera publiée au Bulletin des arrêts, et nul doute qu’elle sera beaucoup commentée. Elle n’est pas encore disponible sur le site Légifrance.

L’agrément est une autorisation de la cession des parts ou des actions d’une société. Il peut être requis par la loi, comme c’est le cas pour les SNC, ou par les statuts, comme c’est le cas pour les sociétés anonymes et les sociétés par actions simplifiées.

La loi prévoit parfois que la cession qui n’a pas été agréée est frappée de nullité. C’est ainsi le cas pour les cessions d’actions visées par l’art. L. 228-23 du Code de commerce qui se termine par ces mots: « Toute cession effectuée en violation d’une clause d’agrément figurant dans les statuts est nulle« , disposition à rapprocher de l’art. L. 227-15, qui dispose, en matière de SAS que les cessions intervenues en violation des statuts sont nulles.

S’agissant des sociétés en nom collectif, l’art. L. 221-13 du Code de commerce dispose que « Les parts sociales (…) ne peuvent être cédées qu’avec le consentement de tous les associés. Toute clause contraire est réputée non écrite« .

Il n’était pas absurde de penser que la cession faite sans agrément unanime des associés était frappée de nullité, et c’est d’ailleurs cette sanction qui est retenue par la Cour de cassation s’agissant des cessions de parts de sociétés civiles, qui sont assez proches des SNC (v. ainsi Cass. civ. 3ème, 6 oct. 2004, n° 01-00896, publié au Bull.).

C’est cependant une solution différente qui est retenue par la décision rendue le 16 mai 2018, qui rejette le pourvoi formé contre un arrêt d’appel dans les termes suivants:

« Mais attendu que le défaut d’agrément unanime des associés à la cession des parts sociales d’une société en nom collectif n’entraîne pas la nullité de la cession, laquelle est seulement inopposable à la société et aux associés ; que le moyen, qui postule le contraire en sa seconde branche, et critique, en sa première branche, des motifs erronés mais surabondants, ne peut être accueilli…« 

De manière assez étonnante, la cession non agréée n’est pas nulle, mais simplement inopposable à la société et aux associés. En l’absence d’agrément, la société et les associés peuvent donc considérer que le cessionnaire n’a pas la qualité d’associé, et ne peut donc pas accéder aux assemblées ou percevoir de dividendes. La solution retenue apparaît rigoureuse pour le cessionnaire, qui ne sera pas en mesure de jouir de ses droits d’associés, mais sera tout de même engagé par une cession valable. Il pourra simplement demander la résolution pour inexécution de la cession.

Il est cependant vrai qu’il était jugé, antérieurement, que le cessionnaire ne pouvait se prévaloir du défaut d’agrément pour demander la nullité de la cession (v. ainsi Cass. com., 24 nov. 2009, n° 08-17708).

Bruno DONDERO

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SAS: clauses d’agrément et art. L. 228-24 du Code de commerce (Cass. com., 8 mars 2018, n° 17-40079)

Par cet arrêt en date du 8 mars 2018, la chambre commerciale de la Cour de cassation refuse de transmettre une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) relative à la procédure d’agrément prévue dans les sociétés par actions.

Incidemment, par la justification qui est donnée, l’arrêt fournit une réponse intéressant les sociétés par actions simplifiées (SAS).

La question posée.

La clause d’agrément subordonne le transfert des actions, valeurs mobilières donnant accès à la qualité d’actionnaire ou parts d’une société à l’autorisation d’un organe de cette société.

 

Le champ d’application de la clause est une question récurrente, car elle conduit à entraver un certain nombre d’opérations de transfert de titres. L’applicabilité d’une clause d’agrément à une opération de fusion est une question qui se pose depuis longtemps, et il est jugé par la Cour de cassation depuis longtemps que la clause peut s’appliquer aux fusions (V. not. Cass. com., 3 juin 1986, n° 85-12657 : Bull. IV, n° 115). La réponse n’allait pas de soi, car l’article L. 228-23 du Code de commerce vise les seules opérations de « cession », et dès lors que le droit de céder librement ses actions constitue le principe, l’on est tenté de faire jouer la règle d’interprétation stricte des exceptions, ce qui conduirait à restreindre le champ d’application de la clause aux seules opérations visées par la loi.

 Si la clause d’agrément peut effectivement s’appliquer à une opération de fusion, sa mise en œuvre soulève cependant des difficultés quand, comme en matière de SA, le refus d’agrément implique de racheter les actions du cédant et normalement avec un droit de repentir. S’il y a une fusion et que la SA s’oppose au transfert des actions à l’absorbante en refusant l’agrément, les droits de l’actionnaire ne sont alors plus les mêmes. Comme le soulignait la QPC transmise à la Cour de cassation, l’actionnaire qu’est la société absorbée ne bénéficie pas d’un droit de repentir. Cette différence de traitement n’est pas imputable à la société mettant en œuvre la procédure d’agrément, mais elle résulte de la disparition de la société absorbée, liée à la fusion, disparition qui empêche cet actionnaire de jouir d’un droit de repentir.

Cette situation révèle-t-elle une atteinte au droit de propriété ? À tout le moins, l’application de la clause d’agrément au transfert des actions par voie de fusion soulève des questions délicates.

Parce que la Cour de cassation « botte en touche » en refusant de transmettre la QPC au Conseil constitutionnel, on ne saura pas quelle est son opinion sur l’inconstitutionnalité de l’application de l’article L. 228-24 du Code de commerce aux fusions. À vrai dire, on a assez peu de doutes sur le sujet puisque, comme on l’a vu, cette solution ne s’imposait pas et qu’il a fallu que la Cour de cassation fasse preuve d’une certaine souplesse pour que la clause d’agrément s’applique, tant bien que mal, aux opérations de fusion. On avait davantage d’interrogations sur l’applicabilité de l’article L. 228-24 aux SAS, et l’arrêt commenté apporte ici une clarification.

La clarification apportée au statut de la SAS

C’était une SAS qui avait sollicité, sur le fondement de la clause d’agrément figurant dans ses statuts, la mise en œuvre de la procédure prévue à l’article L. 228-24 du Code de commerce, l’un des associés de la SAS étant une société absorbée par une autre. Le tribunal saisi du litige avait transmis à la Cour de cassation la QPC formulée, mais la Cour juge que la question n’est pas nouvelle, dès lors qu’elle ne portait pas sur l’interprétation d’une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n’aurait pas encore eu l’occasion de faire application, et surtout, il est jugé qu’elle n’est pas sérieuse dès lors qu’ « il ne résulte d’aucune jurisprudence de la Cour de cassation que les dispositions de l’article L. 228-24 du Code de commerce s’appliquent en cas de non-respect d’une clause d’agrément prévue par les statuts d’une société par actions simplifiée ».

Ce faisant, la chambre commerciale de la Cour de cassation apporte une réponse, ou plus exactement un élément de réponse, à une question que l’on se pose depuis longtemps : les SAS sont-elles soumises aux dispositions encadrant l’agrément dans les sociétés par actions, et particulièrement à l’article L. 228-24 du Code de commerce, qui détaille la procédure d’agrément ?

La Cour de cassation indique ici que l’article L. 228-24 ne s’applique pas aux SAS… enfin, pas tout à fait ! Précisément, sa formule est un peu moins claire, pour deux raisons :

1) tout d’abord, il n’est pas dit expressément que l’article L. 228-24 ne s’applique pas aux SAS, mais il est dit qu’ « il ne résulte d’aucune jurisprudence de la Cour de cassation que les dispositions de l’article L. 228-24 du Code de commerce s’appliquent », ce qui n’exclut pas, en théorie du moins, qu’une jurisprudence ultérieure de la Cour de cassation vienne prendre à l’avenir une position différente ;

2) ensuite, le refus d’application aux SAS, en admettant qu’il soit effectivement affirmé par la Cour de cassation, ne concerne pas, à la lettre de la formule employée, l’intégralité de la procédure d’agrément mais simplement le « non-respect d’une clause d’agrément prévue par les statuts d’une société par actions simplifiée ». Il est vrai que cela répond à la QPC qui était soumise à la Cour de cassation, question qui concernait l’application de la clause d’agrément en cas de fusion. On relèvera d’ailleurs que le non-respect de la clause d’agrément contenue dans les statuts d’une SAS est sanctionné par une disposition spéciale, qui est l’article L. 227-15 du Code de commerce, et qui prévoit une sanction de nullité.

Un certain nombre d’auteurs avaient pris parti pour l’application de l’article L. 228-24 du Code de commerce à la SAS, du moins sur certains points, cela se justifiant notamment par le fait que l’article L. 228-24 figure dans un chapitre du Code de commerce intitulé « Des valeurs mobilières émises par les sociétés par actions », et que les SAS figurent dans cette catégorie. Et il ne résultait pas clairement des textes que l’article L. 228-24, détaillant la procédure d’agrément, puisse être écarté par les statuts d’une SAS. Alternativement, c’est à titre supplétif que ce texte pourrait recevoir application aux SAS.

Si l’on déduit de cette décision de la Cour de cassation que les SAS peuvent s’affranchir de l’article L. 228-24 du Code de commerce, les rédacteurs des statuts de SAS disposent de nouvelles possibilités dans la définition de la procédure d’agrément.

Les statuts de SAS osent sans doute déjà prendre des libertés avec les délais prévus par l’article L. 228-24. Rappelons que ce texte prévoit un double délai de trois mois – premier délai pour que la société réponde sur l’agrément du projet qui lui est soumis ; second délai pour que les actions du cédant soient rachetées en cas de refus d’agrément. La doctrine reconnaissait déjà une certaine liberté pour choisir des délais plus longs, tout en recommandant de ne pas allonger trop le délai de réponse par la société, sous peine de rendre les actions inaliénables en fait.

Osera-t-on aller plus loin en faisant fi de l’obligation de la société de racheter ou faire racheter les actions du cédant en cas de refus d’agrément ? Ou si l’on conserve cette obligation, envisagera-t-on de ne pas donner au cédant le droit de repentir qui lui est reconnu par l’article L. 228-24 du Code de commerce ? Le risque qu’il y a à mettre en place un mécanisme d’agrément qui serait jugé non conforme à l’ordre public sociétaire est grand. Imaginons par exemple qu’une SAS se dote d’une procédure d’agrément octroyant à la société un délai très long pour répondre, et qu’un associé conteste ce mécanisme devant le juge. Il serait alors envisageable que le mécanisme d’agrément soit entièrement privé d’efficacité, de la même manière que la clause d’exclusion écartant l’associé visé par la procédure d’exclusion de participer au vote sur celle-ci avait été entièrement privée d’effet par la Cour de cassation (V. particulièrement Cass. com., 9 juil. 2013, n° 11-27235 et n° 12-21238 et 6 mai 2014, n° 13-14960, commenté sur ce blog). Il serait donc utile que la Cour précise prochainement sa vision de la question et dise plus clairement, si c’est bien ce qu’elle pense, qu’il est possible aux rédacteurs des statuts d’une SAS de se soustraire à l’article L. 228-24.

Bruno DONDERO

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