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L’ordonnance n° 2014-863 du 31 juillet 2014 (3): la réforme de l’article 1843-4 du Code civil

La refonte de l’article 1843-4 du Code civil figurait indéniablement parmi les mesures les plus attendues de l’ordonnance n° 2014-863 du 31 juillet 2014. Il faut rappeler le problème suscité par ce texte, ou, plus exactement, par l’application qui en était faite par la jurisprudence (I) avant de voir quelle est la situation après l’entrée en vigueur de l’ordonnance (II).

I – La situation antérieure à l’ordonnance.

Beaucoup a été écrit sur le sujet, et les différentes décisions de la Cour de cassation constituant le courant jurisprudentiel problématique, rendues entre 2007 et 2012, ont été commentées largement. Faisons un très rapide rappel de la situation antérieure à l’ordonnance du 31 juillet 2014.

L’article 1843-4 du Code civil apparaissait surtout fait pour résoudre des situations de blocage : dans l’hypothèse d’un retrait, d’une exclusion, d’un rachat après un refus d’agrément, le transfert de droits sociaux qui doit intervenir suppose en principe un accord sur la chose et sur le prix, par application du droit commun de la vente, et pour éviter que cet accord n’intervienne jamais, le législateur a prévu que le prix pouvait être fixé par un expert désigné par les parties ou par le juge. De manière prévisible au regard de la lettre du texte, qui donnait mission à l’expert de déterminer le prix, la jurisprudence a jugé que ledit expert n’était pas tenu de respecter les indications des parties dans sa mission. Mais de manière plus inattendue, le dispositif a fait l’objet d’une double extension, puisqu’il a été appliqué à des situations dans lesquelles un prix avait déjà été convenu par les parties à la cession ou au rachat, et en outre, à des hypothèses dans lesquelles la cession de droits sociaux avait une origine « purement contractuelle », c’est-à-dire non prévue par la loi ou par les statuts de la société : promesse de cession, pacte d’actionnaires. Le résultat conduisait à piétiner la volonté des parties, puisqu’une promesse pouvait avoir été consentie à un prix variant suivant les circonstances (clause good leaver / bad leaver), et en tenant compte d’autres engagements entre les parties, et si la promesse pouvait être exécutée, la jurisprudence reconnaissait à l’une ou l’autre des parties le droit de recourir à l’expert de l’article 1843-4 pour fixer le prix, en ignorant complétement les stipulations des parties relatives à ce prix.

La loi SSVE avait habilité le Gouvernement à prendre par ordonnance toute mesure afin de « modifier l’article 1843-4 du Code civil pour assurer le respect par l’expert des règles de valorisation des droits sociaux prévues par les parties ». Cette formulation suscitait une certaine perplexité, pour la raison suivante. Lorsque les parties ont prévu un prix déterminé ou déterminable, il n’y a tout simplement pas lieu de faire intervenir un expert. Mais on pouvait à la rigueur se satisfaire de cette formulation, dès lors que l’expert peut être un soutien en présence d’une clause de prix déterminable défaillante ou ambigüe. Simplement, comme on va le voir, l’ordonnance a drastiquement réduit le champ d’application de l’article 1843-4. Cela peut sans doute être vu comme un moyen d’assurer le respect par l’expert des règles de valorisation prévues par les parties, mais la démarche surprend un peu.

II – La situation postérieure à l’ordonnance.

L’article 37 de l’ordonnance modifie de manière conséquente l’article 1843-4 du Code civil, puisque celui-ci comporte désormais deux volets. L’article 1843-4, I vise les transferts de droits sociaux pour lesquels il est fait une référence au texte par le législateur (A), tandis que l’article 1843-4, II vise les transferts prévus par les statuts (B). Il faudra aussi envisager les situations non visées par le texte (C).

A – Les transferts avec référence légale à l’article 1843-4.

Le premier volet de la nouvelle rédaction (art. 1843-4, I) reproduit le texte initial de l’article 1843-4, mais avec une substitution et un ajout.

Tout d’abord, ce n’est plus « dans tous les cas où sont prévus la cession des droits sociaux d’un associé, ou le rachat de ceux-ci par la société » que joue le texte, mais « dans les cas où la loi renvoie au présent article pour fixer les conditions de prix d’une cession des droits sociaux d’un associé, ou le rachat de ceux-ci par la société ». Ce n’est donc pas dans les hypothèses où la loi a prévu que des parts ou des actions devaient être cédées ou rachetées que la fixation du prix à dire d’expert a vocation à intervenir, mais dans les cas où le législateur a expressément fait référence à l’article 1843-4 que celui-ci a vocation à s’appliquer. Cela signifie que si le législateur met en place un mécanisme d’exclusion, de retrait, de rachat, etc., quel qu’il soit, sans renvoyer à l’article 1843-4 du Code civil, alors ce mécanisme ne pourra opérer que s’il y a rencontre du consentement du cédant et du cessionnaire sur le prix de transfert.

Cette nouvelle définition du champ d’application du texte soulève une interrogation, puisque se trouve supprimée ici la référence au caractère futur de la cession ou du rachat. Le texte ancien visait le cas « où sont prévus la cession (…) ou le rachat ». Cela avait conduit la jurisprudence à exclure du champ d’application de l’article 1843-4 la cession déjà réalisée. La nouvelle rédaction du texte, s’agissant du I de l’article 1843-4, ne fait toutefois plus référence à ce caractère futur. Il n’est donc pas exclu qu’une « contestation » puisse intervenir une fois que le transfert des droits sociaux a été réalisé, ce qui va sans doute susciter chez les praticiens de nouvelles perspectives (ou de nouvelles angoisses).

Ensuite, c’est un ajout de taille qui est opéré, puisque le législateur tord le cou à la jurisprudence qui tirait argument de la formulation de l’article 1843-4 pour dire que l’expert était entièrement libre dans sa mission et n’était donc pas tenu des méthodes d’évaluation prévues par les parties. Il est prévu que l’expert « est tenu d’appliquer, lorsqu’elles existent, les règles et modalités de détermination de la valeur prévues par les statuts de la société ou par toute convention liant les parties ». C’est donc le contrepied direct de l’arrêt de la Cour de cassation du 5 mai 2009 qui est ainsi pris, puisque cette décision avait cassé l’arrêt d’appel qui avait estimé que l’expert devait suivre la méthode d’évaluation prévue par les statuts (Com., 5 mai 2009, n° 08-17465, P + B + R + I, D. 2009, AJ, p. 1349, obs. A. Lienhard et jur., p. 2195, note B. Dondero). Tout est donc bien qui finit bien au pays de la force obligatoire du contrat, puisque la volonté des parties, qui était précédemment malmenée par la jurisprudence dans ce domaine particulier de la cession ou du rachat de droits sociaux, sera désormais respectée… L’arrêt Crocus Technology, dont nous parlerons un peu plus loin, avait jugé en mars 2014 que l’article 1843-4 ne devait pas recevoir application en présence d’une cession ou d’un rachat « résultant de la mise en œuvre d’une promesse unilatérale de vente librement consentie par un associé », ce qui invitait à maintenir dans le champ d’application de l’article la cession résultant d’une clause statutaire imposée au minoritaire par les majoritaires. La référence générale aux statuts faite par l’ordonnance invite à penser que cette réserve n’a plus lieu d’être, et que toute clause statutaire, serait-elle injuste, devra être respectée par l’expert. Cela ne met pas à l’abri d’une contestation la cession ou le rachat, et peut-être plaidera-t-on que l’expert qui a donné effet à une clause par trop lésionnaire a commis une erreur grossière. Mais la modification du texte est de nature à satisfaire la pratique. Si en revanche les parties n’ont pas convenu de règles particulières, l’expert désigné sera libre de procéder à l’évaluation comme il le souhaite, étant précisé que le rapport au Président de la République lui reconnaît une « obligation d’impartialité et d’objectivité ». En admettant qu’une telle obligation soit effectivement imposée à l’expert, ce qui n’est pas certain, il faudrait qu’elle soit encore qualifiée d’erreur grossière pour remettre en cause son évaluation.

Les textes ont donc été modifiés pour empêcher que se maintienne une jurisprudence qui suscitait les protestations de la pratique et de la doctrine. Les difficultés liées à l’application de l’article 1843-4 trouvaient pour beaucoup leur fondement, nous semble-t-il, dans l’utilisation par le texte du mot « contestation ». S’il avait été fait référence au défaut d’accord, les choses auraient été plus simples. La loi ou les statuts prévoyaient qu’un transfert de droits sociaux devait intervenir ; soit les parties avaient déjà convenu, dans les statuts ou ailleurs, d’un prix déterminé ou déterminable, et il n’aurait pas dû être question de faire intervenir un expert (sauf à ce que les parties l’aient elles-mêmes voulu) ; soit le prix de ce transfert prévu par la loi ou les statuts restait à déterminer, et l’expert avait alors son rôle à jouer pour apporter l’élément manquant. Mais avec le mot « contestation », il est suggéré que même si les parties se sont mises d’accord sur un prix ou sur une méthode de détermination du prix, alors il est toujours possible que ce prix soit contesté et que cet élément particulier de la relation des parties soit remis en cause, un expert intervenant de manière totalement déconnectée de ce que les parties avaient pu prévoir. Le problème est que le terme de « contestation » a été maintenu… Mais dans le même temps, il est dit que l’expert doit respecter les « règles et modalités de détermination de la valeur » prévues par les statuts ou la convention des parties… Ce qui invite à se poser la question du rôle de l’expert. Imaginons que les statuts d’une société anonyme ou d’une SARL indiquent qu’en cas de refus d’agrément, le rachat des actions ou des parts sociales se fera à leur valeur nominale. Si l’associé qui s’est vu opposer un refus d’agrément souhaite contester cette clause des statuts, l’intervention de l’expert ne lui servira plus, contrairement à ce qu’il pouvait espérer auparavant, puisque l’expert devra appliquer les règles et modalités prévues par les parties, et donc donner effet à la clause statutaire mentionnant la valeur nominale comme prix de rachat. La faculté de repentir du cédant pourra alors être sa planche de salut. On peut tout de même se demander s’il n’aurait pas été plus simple d’indiquer que l’expert ne peut pas intervenir du tout lorsque les parties ont déjà prévu un prix, mais on comprend que la formulation large qui est retenue permettra de faire intervenir l’expert dans un rôle de soutien, de renfort, et d’interprétation des clauses parfois pas si claires que cela (imaginons une « valeur nominale actualisée », et ainsi de suite)…

B – Les transferts prévus par les statuts.

L’article 1843-4, II nouvellement créé est quant à lui applicable « dans les cas où les statuts prévoient la cession des droits sociaux d’un associé ou le rachat de ces droits par la société sans que leur valeur soit ni déterminée ni déterminable ». Dans cette situation, il est prévu qu’un expert désigné dans les conditions du premier alinéa de l’article 1843-4 (c’est-à-dire par les parties ou à défaut d’accord par le juge) déterminera la valeur des droits sociaux. Là encore, il est fait indication à l’expert qu’il est tenu d’appliquer les conventions des parties, précisément, il est « tenu d’appliquer, lorsqu’elles existent, les règles et modalités de détermination de la valeur prévues par toute convention liant les parties ».

C – Les hypothèses non visées par l’article 1843-4.

Le nouvel article 1843-4 du Code civil se déclare donc applicable à deux situations : le cas où la loi opère un renvoi au texte, d’une part, et le cas où les statuts prévoient une cession ou un rachat sans que le prix soit déterminé ou déterminable. Que se passe-t-il dans les autres hypothèses, c’est-à-dire lorsque le transfert de droits sociaux est prévu par une convention autre que les statuts de la société « cible », qu’il s’agisse d’un pacte d’associés ou d’actionnaires ou d’une autre convention (promesse unilatérale ou synallagmatique, par exemple). L’article 1843-4 ne devrait pas s’appliquer, puisque l’hypothèse d’une convention autre que les statuts n’est plus visée par le texte. On est maintenant dans un texte au champ d’application limité de manière très précise là où la disposition avait précédemment vocation à embrasser « tous les cas où sont prévus la cession (…) ou le rachat ».

Par conséquent, si une convention prévoit que des parts ou des actions doivent être cédées ou rachetées, mais sans que les parties se soient accordées sur un prix déterminé ou déterminable, la cession ou le rachat ne peuvent tout simplement pas intervenir. Si l’objet de la convention était essentiellement de mettre en œuvre un transfert de droits sociaux (exemple de la promesse), il lui manque alors un élément essentiel, de nature à remettre en cause son existence. Ce ne sera donc pas une promesse, pour reprendre notre exemple, mais une invitation à négocier. Au vrai, cela ne change rien par rapport à la situation antérieure, dès lors que l’article 1843-4 n’avait pas vocation à fournir à une promesse le prix qui lui aurait manqué. Le texte ne pouvait s’appliquer qu’au cas où étaient « prévus » la cession ou le rachat, ce qui ne se vérifiait pas en l’absence de prix, lorsque celui-ci était l’élément essentiel de la convention en cause.

Doit cependant être envisagé le cas où la convention aura fait une référence expresse à l’article 1843-4 du Code civil. Avant que la jurisprudence ne donne au texte un pouvoir destructeur des méthodes de valorisation prévues par les parties, c’est-à-dire avant 2007, la pratique faisait fréquemment référence à l’expertise de l’article 1843-4, que ce soit comme mode principal de détermination du prix ou comme instrument de résolution des difficultés. Il est vraisemblable qu’un grand nombre de conventions fassent encore référence à ce texte aujourd’hui. Cela pose une délicate question d’application de la loi nouvelle dans le temps. On peut aussi s’interroger sur la possibilité même d’opérer un tel renvoi à l’article 1843-4. Les parties peuvent souhaiter renvoyer à ce texte pour résoudre une situation de blocage, mais l’article 1843-4 est-il encore à même de résoudre des blocages se situant hors de son champ d’application ? On peut penser que les parties auraient aujourd’hui davantage intérêt à faire systématiquement référence à l’article 1592 du Code civil. Le tiers auquel est confiée une mission de détermination du prix d’un bien en application de ce texte est tenu de respecter les indications des parties, comme l’est désormais l’expert de l’article 1843-4. Il conviendra simplement que les parties préviennent les situations de blocage dans la désignation de l’expert en prévoyant que si elles ne s’accordent pas sur l’identité du tiers évaluateur, sa désignation pourra être faite par une tierce partie, par exemple par le juge. Maintenant, une référence à l’article 1843-4 dans une hypothèse non prévue par la loi serait-elle réellement problématique? On peut penser que le juge saisi d’une telle situation, s’il venait à estimer qu’une référence à l’article 1843-4 n’est plus possible, considérerait que les parties auraient dû se référer à l’article 1592, et substituerait ce texte à l’article 1843-4. Le juge ne laisserait probablement pas les parties « dans le vide », en jugeant que leur cession est dépourvue de clause de prix.

L’application du nouvel article 1843-4 aux conventions autres que les statuts devra aussi composer avec la jurisprudence Crocus Technology. La Chambre commerciale de la Cour de cassation a jugé, par une décision du 12 mars dernier assortie de la plus importante publicité, que « les dispositions de [l’article 1843-4], qui ont pour finalité la protection des intérêts de l’associé cédant, sont sans application à la cession de droits sociaux ou à leur rachat par la société résultant de la mise en œuvre d’une promesse unilatérale de vente librement consentie par un associé ». Il était donc jugé que le texte, en sa rédaction ancienne, ne recevait pas application en présence d’une promesse librement consentie – et donc en présence d’une stipulation de prix déterminé ou déterminable. Cette rédaction ancienne étant beaucoup plus large que la nouvelle, il faut en déduire que la solution est a fortiori applicable au nouvel article 1843-4, et que celui-ci ne pourra définitivement plus venir perturber l’application d’une méthode de valorisation contractuellement prévue. Si est en cause une cession ou un rachat visé par le texte, celui-ci impose à l’expert le respect des conventions des parties ; si est en cause une autre situation, il n’est pas certain que le texte puisse simplement recevoir application, tant du fait de son champ d’application désormais réduit que de la jurisprudence Crocus Technology.

Dernière difficulté : la frontière entre les statuts et les pactes d’associés ou d’actionnaires. Un pacte est une convention, et il ne se confond pas avec les statuts, en principe. Dès lors, il se trouve hors du champ d’application de l’article 1843-4, en sa nouvelle rédaction. Toutefois, il est possible que les statuts opèrent un renvoi à un pacte, par exemple en prévoyant que des cessions ou des rachats pourront intervenir dans des conditions prévues par un pacte d’actionnaires. Ce type de situation « à cheval » posera des difficultés, puisqu’il faudra déterminer si la cession tombe du côté des statuts ou hors de ceux-ci, et est donc concernée ou non par l’article 1843-4, II.

 Bruno Dondero

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Le rachat d’actions par les sociétés non cotées (décret n° 2014-543 du 26 mai 2014)

La loi n° 2012-354 du 14 mars 2012 (qui n’est pas la loi Warsmann II, mais la loi de finances rectificative pour 2012, adoptée quelques jours avant) avait inséré dans le Code de commerce, à l’article L. 225-209-2, un dispositif permettant aux sociétés non cotées de procéder au rachat de leurs actions, sous réserve de respecter une série de conditions et de limites.

Ce dispositif n’était pas encore opérationnel, et un décret n° 2014-543 du 26 mai 2014, paru au JO du 28 mai (http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000028990435&dateTexte=&categorieLien=id), rend effectif ce que le législateur avait voulu il y a plus de deux ans maintenant. Le décret procède en outre à quelques retouches de dispositions réglementaires du Code de commerce, notamment relatives au registre des achats et des ventes que doivent tenir la société ou la personne chargée du service de ses titres et portant sur les opérations de rachat (art. L. 225-211 C. com.).

I – Rappel sur le rachat d’actions des sociétés non cotées prévu par l’article L. 225-209-2 du Code de commerce.

Pour mémoire, sont concernées les sociétés dont les actions ne sont pas admises aux négociations sur un marché réglementé ou sur un système multilatéral de négociation qui se soumet aux dispositions législatives ou réglementaires visant à protéger les investisseurs contre les opérations d’initiés, les manipulations de cours et la diffusion de fausses informations. Précisons que le rachat d’actions peut intervenir dans ces sociétés sur le fondement d’autres dispositifs, comme le rachat faisant suite à une réduction de capital non motivée par des pertes (art. L. 225-207), le rachat en vue de l’attribution aux salariés et dirigeants bénéficiaires de certains dispositifs (participation, stock options, AGA, art. L. 225-208) ou le rachat faisant suite à un refus d’agrément (art. L. 228-24).

Dans les sociétés visées par l’article L. 225-209-2, l’assemblée générale ordinaire (le texte s’applique aux autres sociétés par actions, et notamment à la SAS, dont les statuts pourraient prévoir autre chose qu’une décision collective des associés, dès lors que le rachat d’actions n’est pas dans la liste de l’article L. 227-9) peut autoriser le conseil d’administration ou le directoire (qui peuvent eux-mêmes déléguer ce pouvoir) à racheter les actions de la société. L’AGO précise les finalités de l’opération, définit le nombre maximal d’actions rachetables, le prix ou les modalités de fixation du prix ainsi que la durée de l’autorisation, qui ne peut excéder douze mois. Le tout doit se faire dans le respect de l’égalité des actionnaires, et si les actions rachetées ne sont pas utilisées pour l’une des finalités et dans les délais ci-dessous, le texte prévoit que « les actions rachetées sont annulées de plein droit », ce qui surprend un peu ! Les actions rachetées peuvent encore être annulées dans la limite de 10% du capital par périodes de 24 mois, avec intervention de l’AGE pour réduire le capital.

Le rachat doit respecter l’une des trois finalités suivantes. Les actions sont rachetées pour les offrir ou les attribuer :

1. dans l’année de leur rachat, aux bénéficiaires d’un certain nombre d’opérations (participation, plans d’épargne salariale, stock options, AGA);

2. dans les deux ans de leur rachat, en paiement ou en échange d’actifs acquis par la société dans le cadre d’une opération de croissance externe, de fusion, de scission ou d’apport ;

3. dans les cinq ans de leur rachat, aux actionnaires qui manifesteraient à la société l’intention de les acquérir à l’occasion d’une procédure de mise en vente organisée par la société elle-même dans les trois mois qui suivent chaque AGO annuelle.

En plus de ces finalités, il y a une condition de seuil. Le nombre d’actions acquises par la société ne peut excéder : 

― 10 % du capital de la société lorsque le rachat est autorisé en vue d’une opération 1. ou 3.

― 5 % du capital de la société lorsque le rachat est autorisé en vue d’une opération 2.

Le décret nouveau vient préciser la mission de l’expert indépendant qui statue sur le prix de rachat. L’article L. 225-209-2 dispose en effet que l’assemblée définit le prix ou les modalités de fixation du prix, comme on l’a dit. Le texte légal ajoute qu’elle « statue au vu d’un rapport établi par un expert indépendant, dans des conditions définies par décret en Conseil d’Etat, et sur un rapport spécial des commissaires aux comptes faisant connaître leur appréciation sur les conditions de fixation du prix d’acquisition » et que « le prix des actions ne peut, à peine de nullité, être supérieur à la valeur la plus élevée ni inférieur à la valeur la moins élevée figurant dans le rapport d’évaluation de l’expert indépendant communiqué à l’assemblée générale ».

II – L’apport du décret nouveau.

Le décret du 26 mai 2014 crée trois nouveaux articles au sein de la partie réglementaire du Code de commerce.

Le premier texte (article R. 225-160-1) est relatif à la désignation de l’expert. Il est désigné à l’unanimité des actionnaires ou, à défaut, par le président du tribunal de commerce statuant sur requête à la demande des dirigeants sociaux. Il est choisi parmi les commissaires aux comptes inscrits sur la liste prévue à l’article L. 822-1 du Code de commerce ou parmi les experts inscrits sur les listes établies par les cours et tribunaux. Il ne doit pas présenter avec la société des liens portant atteinte à son indépendance au sens de l’article L. 822-11.

Le deuxième texte (article R. 225-160-2) est relatif au contenu du rapport. Il doit mentionner les actions faisant l’objet de l’offre de rachat en application du huitième alinéa de l’article L. 225-209-2, et indiquer les modalités d’évaluation adoptées pour déterminer la valeur minimale et la valeur maximale du prix de rachat de ces actions et les motifs pour lesquels elles ont été retenues.

Le dernier texte (article R. 225-160-3) est relatif à la diffusion du rapport. Celui-ci est déposé au siège social quinze jours au moins avant la date de l’assemblée générale appelée à se prononcer sur le rachat. Il est tenu à la disposition des actionnaires et des commissaires aux comptes qui peuvent en prendre connaissance ou obtenir la délivrance d’une copie intégrale ou partielle.

III – Observations.

On comprenait déjà à la lecture de l’article L. 225-209-2 que le rapport devait indiquer une fourchette de prix, c’est-à-dire une valeur maximale et une valeur minimale, ce que confirme donc le décret, comme cela était attendu.

Une question intéressante sera de voir dans quelle mesure les statuts ou d’autres conventions pourront influer sur la détermination des valeurs à définir par l’expert, et ce à la lumière de l’ordonnance à intervenir au mois de juillet et procédant à la réforme de l’article 1843-4 du Code civil.

On notera enfin qu’il aura fallu attendre plus de deux ans entre la création du dispositif légal de rachat d’actions et son entrée en vigueur effective, avec la parution du décret nécessaire à l’application de l’article L. 225-209-2. Le décret entre en vigueur le 29 mai 2014.

Bruno Dondero

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SAS : la distinction entre promesse de vente des actions contenue dans un pacte et clause d’exclusion statutaire (Cass. com., 6 mai 2014, n° 13-17349)

La Cour de cassation a rendu le 6 mai 2014 (n° 13-17349) une décision qui tranche une question à la fois simple et redoutable, comme c’est souvent le cas en droit des affaires (et qui n’est au surplus pas nouvelle pour beaucoup de praticiens) : la promesse de vendre ses actions, consentie par un associé dans le cadre d’un pacte, constitue-t-elle une clause d’exclusion ?

 Précisons que l’arrêt ne sera pas publié au Bulletin.

 En l’espèce, trois personnes physiques avaient constitué une SAS en janvier 2009. Les associés se partageaient les différents aspects du développement de la société, l’un d’eux, M. V., se voyant confier la responsabilité du marketing. Moins de quarante jours plus tard, ayant peut-être réalisé qu’ils ne couvraient pas certains champs d’activité, nos trois associés décidaient une augmentation de capital, et ils étaient rejoints par deux nouveaux associés, dont un fonds commun de placement. Ce fonds signait (par le biais suppose-t-on de sa société de gestion) un pacte d’associés avec les associés fondateurs. Ce pacte mettait à la charge de M. V l’engagement de céder ses actions dans certaines circonstances.

 Trois mois plus tard, un autre associé (il faisait partie du trio initial), M. P., estimant que les conditions requises pour faire jouer la promesse étaient satisfaites, levait l’option d’achat des actions de M. V. Celui-ci répondait en faisant assigner P. ainsi que la société en annulation de la clause, et en plaidant, subsidiairement, que les conditions d’application de la promesse n’étaient pas réunies. La cour d’appel saisie du litige donnait tort à M. V. et le déboutait de ses demandes.

 La partie la plus importante du débat, devant la cour d’appel et devant la Cour de cassation, portait sur la question de l’assimilation de la promesse contenue dans le pacte à une clause d’exclusion. Nous ne reviendrons pas sur la question des conditions de déclenchement de l’engagement du promettant de céder ses titres. On peut estimer que trois thèses étaient en présence.

 Le demandeur au pourvoi plaidait une assimilation totale des deux. La promesse de vente contenue dans le pacte était pour lui une « clause d’exclusion-sanction qui comme telle était nulle, faute d’avoir été insérée dans les statuts de la société, de prévoir les motifs d’exclusion de façon suffisamment précise ainsi que les conditions de sa mise en œuvre dans le respect des droits de la défense de l’associé évincé ».

 La Cour d’appel de Paris, dans son arrêt, avait pris le parti d’une assimilation limitée. La cour d’appel avait en effet retenu la validité de la clause, mais elle avait en outre relevé des éléments de nature à conforter cette validité, et ce faisant, elle rapprochait finalement cette promesse contenue dans un pacte d’une clause d’exclusion statutaire. Les juges du fond avaient ainsi relevé que la clause poursuivait « un but d’intérêt social », qu’elle résultait d’une décision unanime des associés, qu’elle répondait « à des motifs justes et précis en faisant reposer la levée d’option (…) sur des conditions objectives » et que « l’option d’achat [respectait] l’égalité des associés ».

 La Cour de cassation distingue quant à elle clairement les deux institutions. La cour d’appel avait relevé que « chacun des associés fondateurs s’était engagé, dans l’hypothèse où il viendrait à quitter ses fonctions au sein de la société, dans les cas visés par cette clause, à céder à un prix déterminé, à l’investisseur et aux autres fondateurs, si l’un ou plusieurs d’entre eux en faisaient la demande avec l’accord de l‘investisseur, ou, à défaut, à la société, si celle-ci en faisait la demande, tout ou partie des actions qu’il détiendrait à la date effective de départ ». De ce constat, la cour d’appel « a exactement déduit que l’engagement ainsi souscrit par M. V., conférant aux autres parties, aux conditions qu’il prévoit, une option d’achat de ses droits sociaux en cas de cessation de ses fonctions, devait recevoir la qualification de promesse unilatérale de vente ».

 Quant aux éléments relevés par la cour d’appel pour conforter la validité de la promesse au regard des conditions exigées d’une clause d’exclusion, la Cour de cassation juge qu’ils sont surabondants, ce qui confirme bien que promesse de vente et clause d’exclusion sont distinctes.

 A quoi se résume cette distinction ?

 Une clause d’exclusion est insérée dans les statuts d’une SAS et modifiée à l’unanimité (art. L. 227-19 C. com.), la décision d’exclusion est généralement prise par un organe social mais ce n’est pas un critère de validité, et le caractère déterminable ou déterminé du prix qui sera versé à l’exclu n’est pas une condition de validité de la clause – à défaut de fixation par les statuts ou par un accord des parties, il sera déterminé par application de l’article 1843-4 du Code civil, et donc par un expert nommé au besoin par le juge. La jurisprudence impose le respect des droits de la défense de l’exclu, qui doit participer à la décision collective des associés statuant sur son exclusion, si c’est ainsi que l’exclusion est décidée.

 Une promesse unilatérale de vente est quant à elle une convention qui ne lie pas nécessairement tous les associés, qui peut figurer dans les statuts, mais aussi dans un pacte ou dans un acte ne liant que le promettant et le bénéficiaire. Elle ne suppose que l’accord des parties à la promesse, et pas nécessairement de tous les associés. Le prix doit être déterminé ou déterminable ; si c’est un tiers qui fixe le prix, cela doit être prévu par l’accord des parties. La promesse ne suppose pas que l’on respecte les droits de la défense du promettant, la question ne se posant pas, dès lors que celui-ci ne fait pas l’objet d’une sanction, comme l’est en revanche l’exclusion. L’exécution forcée en nature de la promesse unilatérale de vente n’est en revanche pas assurée, en l’état de notre jurisprudence, comme on le sait.

 Le doute sur la distinction entre les deux institutions naît de deux éléments. D’une part, l’exécution d’une promesse unilatérale de vente produit in fine le même effet que le jeu d’une clause d’exclusion, l’associé devant quitter la société. D’autre part, la formulation de l’article L. 227-16 du Code de commerce, relatif à la clause d’exclusion dans la SAS, entretient le doute, car le texte dispose que « dans les conditions qu’ils déterminent, les statuts peuvent prévoir qu’un associé peut être tenu de céder ses actions », ce qui pourrait définir aussi une promesse statutaire.

 On sait que la jurisprudence de la Cour de cassation a paralysé les clauses d’exclusion présentes dans les statuts de nombreuses SAS, en invalidant dans un premier temps la clause statutaire, très fréquente jusqu’alors, selon laquelle l’associé dont l’exclusion était en discussion était écarté de la décision collective (Cass. com., 23 oct. 2007) et en jugeant dans un second temps que la clause en question devait être régularisée, donc à l’unanimité des associés, et que l’on ne pouvait se contenter de faire voter aussi l’associé dont l’exclusion était en cause (Cass. com., 9 juil. 2013, deux arrêts). La promesse de vente, en dépit de sa faiblesse en cas de refus d’exécution, pourrait être une solution alternative intéressante. Peut-être pourrait-on tenter de sauver certaines clauses d’exclusion en les qualifiant de promesses statutaires, cette position statutaire pouvant d’ailleurs renforcer de manière générale les promesses unilatérales ?

Bruno DONDERO

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Quatre arrêts importants des six derniers mois en droit général des sociétés.

Entre novembre 2013 et mars 2014, la Cour de cassation a rendu quatre décisions importantes intéressant le droit des sociétés, et plus précisément le droit général des sociétés, puisque les solutions formulées par chacun des quatre arrêts présentés ci-dessous ne trouvent pas leur fondement dans un régime spécifique (SARL, SAS, etc.), même si c’est toujours une société d’un type déterminé qui était en cause, bien entendu.

J’ai renvoyé au commentaire que j’avais fait sur chacune de ces décisions sur ce blog. Elles ont bien entendu été commentées aussi dans les revues juridiques.

De l’arrêt le plus récent au plus ancien :

 

1. Cass. com., 11 mars 2014 : évolution sur l’article 1843-4 du Code civil.

 La Cour de cassation fait un revirement selon les uns (je le pense), ou confirme sa pensée, selon d’autres commentateurs. Elle soustrait à l’article 1843-4 du Code civil, qui permet de demander au juge de nommer un expert pour déterminer la valeur des parts ou des actions dont la cession est prévue, la promesse unilatérale de vente librement consentie.

C’est un arrêt à diffusion maximale : publication aux deux Bulletins, mention au Rapport annuel et diffusion sur le site internet de la Cour de cassation (P+B+R+I). Il a sa page Facebook personnelle (je plaisante… mais tout peut arriver).

 Commentaire plus approfondi ici : https://brunodondero.wordpress.com/2014/03/18/article-1843-4-quapporte-larret-du-11-mars-2014/

 

 2. Cass. com., 18 février 2014 : la faute séparable des prérogatives de l’associé.

 Des arrêts le laissaient entendre, cette décision le dit clairement. Ce n’est que s’il commet une faute intentionnelle, d’une particulière gravité, incompatible avec l’exercice normal de ses prérogatives, que l’associé engage sa responsabilité personnelle à l’égard des tiers. Est ainsi transposée à l’associé la faute séparable des fonctions du dirigeant. L’arrêt est publié au Bulletin.

Commentaire plus approfondi ici : https://brunodondero.wordpress.com/2014/03/11/la-faute-separable-des-prerogatives-de-lassocie-cass-com-18-fevr-2014/

Synthèse sur la faute séparable des fonctions du dirigeant là : https://brunodondero.wordpress.com/2014/02/16/principe-dirresponsabilite-civile-du-dirigeant-de-societe-a-legard-des-tiers-la-regle-et-ses-limites/

  

3. Cass. com., 21 janvier 2014 : l’associé indivisaire peut participer aux décisions collectives, alors même que les indivisaires ont un représentant unique à l’assemblée.

Outre que la qualité d’associé de l’indivisaire est affirmé clairement par cet arrêt (mais ce n’est pas une nouveauté), il juge que les indivisaires peuvent se rendre à l’assemblée (y compris par le biais d’un mandataire) alors même qu’ils sont tous représentés à cette assemblée par un mandataire unique. L’arrêt est publié au Bulletin.

 

Commentaire plus approfondi ici : https://brunodondero.wordpress.com/2014/02/07/lassocie-indivisaire-represente-deux-fois-a-lassemblee-cass-com-21-janvier-2014/

 

4. Cass. com., 13 novembre 2013 : une société peut rendre ses statuts « non invocables » par les tiers.

 Une clause des statuts peut interdire aux tiers de s’en prévaloir. La loi dit pour les différents types de société que les limitations statutaires aux pouvoirs des dirigeants sont inopposables aux tiers, et la jurisprudence en tirait argument pour dire qu’a contrario, les tiers peuvent se prévaloir des limitations statutaires. Pas si les statuts le leur interdisent, dit cet arrêt, non publié au Bulletin il est vrai.

 

Commentaire plus approfondi ici : https://brunodondero.wordpress.com/2014/02/23/une-societe-peut-empecher-les-tiers-dinvoquer-ses-propres-statuts-contre-elle/

 

 

Bon travail à mes étudiants qui révisent… et aux autres !

 

Bruno DONDERO

 

 

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Article 1843-4: qu’apporte l’arrêt du 11 mars 2014 ?

 

La Cour de cassation a rendu une décision importante le 11 mars 2014 (n° 11-26915, http://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechExpJuriJudi&idTexte=JURITEXT000028730333&fastReqId=414336376&fastPos=1), relative à l’application de l’article 1843-4 du Code civil, texte qui prévoit que « Dans tous les cas où sont prévus la cession des droits sociaux d’un associé, ou le rachat de ceux-ci par la société, la valeur de ces droits est déterminée, en cas de contestation, par un expert désigné, soit par les parties, soit à défaut d’accord entre elles, par ordonnance du président du tribunal statuant en la forme des référés et sans recours possible ».

 

Cette décision, que je commenterai prochainement au Recueil Dalloz (v. également les observations de Me Samuel SCHMIDT, http://lecercle.lesechos.fr/entrepreneur/juridique/221193322/determination-prix-promesses-revirement-on-attendait-plus), fait l’objet de la plus importante diffusion possible (publication aux deux Bulletins, au Rapport annuel et diffusion sur le site internet de la Cour). La Chambre commerciale limite de manière inédite le champ d’application de l’article 1843-4, en en excluant la promesse de vente librement consentie par un associé, ce qui constitue selon moi un revirement.

 

Le contexte.

La question est comme on le sait très importante, car jusqu’à présent, la situation, fort gênante pour la pratique, était la suivante. Un associé prenait l’engagement de céder ses parts ou ses actions, en signant une promesse. Cette promesse prévoyait un prix, déterminable ou déterminé, et qui pouvait être intentionnellement surévalué ou au contraire sous-évalué, en fonction des circonstances. Le dirigeant et associé qui cédait ses titres après s’être maintenu dans la société pendant une certaine période pouvait ainsi percevoir un prix plus important, ou être pénalisé en cas de cession intervenant avant l’expiration de cette période (clauses de good leaver / bad leaver, déjà abordées dans ce blog : https://brunodondero.wordpress.com/2013/05/11/le-respect-de-la-procedure-prevue-par-le-pacte-clause-good-leaver-bad-leaver-c-a-paris-19-mars-2013-n-rg-1203448/). Le prix pouvait aussi être d’un montant tel qu’il garantisse à un associé investisseur une possibilité de sortir de la société pour un prix en rapport avec son investissement. Or, depuis quelques années, les prévisions des parties en ce domaine pouvaient se trouver bouleversées du fait de l’application que les juges faisaient de l’article 1843-4, puisque, alors que les parties s’étaient accordées sur un prix, il était possible à l’une d’elles d’obtenir la désignation d’un expert (qui n’est pas un expert au sens traditionnel du terme, mais un tiers qui va donner le prix de cession de droits sociaux et lier le juge et les parties par son évaluation, sauf erreur grossière) et que celui-ci n’est aucunement tenu par les stipulations des parties.

 

L’arrêt rendu par la Cour de cassation intervient dans un contexte particulier, car la solution qu’il remet en cause avait été critiquée au point que le législateur se saisisse de la question… pas personnellement, à vrai dire : c’est à une ordonnance, non encore publiée, que la mission de régler le problème a été confiée. La loi n° 2014-1 du 2 janvier 2014 a en effet habilité le gouvernement à réformer l’article 1843-4 par voie d’ordonnance, « pour assurer le respect par l’expert des règles de valorisation des droits sociaux prévues par les parties ». La Cour de cassation procède ici différemment, puisqu’elle limite le champ d’intervention de l’expert, plutôt que de le contraindre à respecter la volonté des parties. Les rédacteurs de l’ordonnance devront tenir compte du nouvel élément que fournit l’arrêt du 11 mars 2014.

 

Que dit cet arrêt ?

 

Un actionnaire avait signé un pacte aux termes duquel, en cas de cessation de ses fonctions de direction, il promettait de céder à la société une partie de ses actions pour un prix égal à leur valeur nominale. La société prétendait faire jouer la clause du pacte, mais l’associé se prévalait de l’article 1843-4 et obtenait gain de cause devant la cour d’appel saisie du litige.

 

L’arrêt d’appel est cependant cassé pour violation de l’article 1843-4 du Code civil, au motif que « les dispositions de ce texte, qui ont pour finalité la protection des intérêts de l’associé cédant, sont sans application à la cession de droits sociaux ou à leur rachat par la société résultant de la mise en œuvre d’une promesse unilatérale de vente librement consentie par un associé ».

 

La situation du droit positif est donc aujourd’hui, me semble-t-il, la suivante :

–                     la promesse prévoyant un prix ou une méthode de détermination du prix, figurant dans un pacte ou dans un autre contrat, est clairement exclue du champ d’application de l’article 1843-4, puisque l’associé y aura consenti ;

–                     lorsque les statuts prévoient une cession ou un rachat de droits sociaux, et même si l’arrêt ne vise pas cette hypothèse, je pense qu’il convient de s’assurer que l’associé à qui on impose de céder ses parts ou ses actions a consenti à leur valorisation et que la clause statutaire ne lui a pas été imposée par un vote majoritaire. De même que certaines clauses doivent toujours être adoptées à l’unanimité (les clauses d’exclusion, d’inaliénabilité ou d’agrément dans les SAS, par exemple, comme le prévoit l’art. L. 227-19 C. com.), il convient que les clauses statutaires – les seules pour lesquelles la question se pose vraiment – relatives à la détermination du prix aient été acceptées par tous ceux auxquels on prétend les appliquer ;

–                     une question demeure, qui est celle du cas où c’est la loi qui prévoit la cession ou le rachat. Dans ce cas, l’article 1843-4 est applicable (le législateur le prévoit souvent expressément, d’ailleurs). Une valorisation à laquelle l’associé aurait consenti est-elle alors de nature à écarter l’intervention de l’expert ? C’est une question à laquelle nous n’avons pas encore de réponse certaine. L’arrêt du 11 mars 2014 ne vise pas ce cas, et la jurisprudence antérieure laisse penser que l’expert peut écarter la méthode de fixation du prix ou le prix prévu par les parties. Mais la loi du 2 janvier 2014 veut voir l’expert respecter les règles de valorisation prévues par les parties!

 

La solution retenue par la Cour de cassation n’est pas véritablement coordonnée avec la réforme annoncée par la loi n° 2014-1 du 2 janvier 2014. Puisque, ainsi qu’on l’a dit, l’ordonnance à intervenir devrait réformer l’article 1843-4 « pour assurer le respect par l’expert des règles de valorisation des droits sociaux prévues par les parties », la Cour de cassation fait autre chose que d’anticiper cette solution, puisqu’elle limite le champ d’intervention de l’expert, plutôt que de le contraindre à respecter la volonté des parties. La solution retenue par l’arrêt du 11 mars 2014 est néanmoins très opportune, car elle revient à dire que l’on ne peut revenir sur un prix ou une méthode de détermination du prix auquel on a consenti dans une promesse de vente, y compris figurant dans un pacte.

 

En conclusion, ce ne serait que (i) la valorisation à laquelle n’a pas consenti l’associé dont les titres doivent être cédés qui pourrait être remise en cause par l’intervention de l’expert de l’article 1843-4 et (ii), mais la solution est aujourd’hui incertaine, la valorisation convenue par avance en cas de cession ou de rachat prévu par la loi. Reste à voir ce que l’ordonnance à intervenir fera dans ce contexte renouvelé !

 

Bruno DONDERO

PS: le projet d’ordonnance est consultable en ligne: http://bit.ly/1pb1Urt
La solution qu’il propose (limiter l’application de l’article 1843-4 aux seules cessions prévues par la loi) ne correspond pas vraiment à ce que demandait le législateur (faire en sorte que l’expert respecte les méthodes de valorisation des parties), sans recouper parfaitement la solution de la Cour de cassation…

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