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Nicolas Hulot et le rôle social des entreprises

 

Hulot

Extrait du site du Monde

 

Intervenant hier lundi 11 décembre 2017 devant le MEDEF, Nicolas Hulot, ministre de l’Environnement, a annoncé que les entreprises allaient voir leur objet social modifié, élargi.

C’est une question qui n’est pas nouvelle, puisqu’il y a déjà quelques années, on avait envisagé une modification de l’article 1833 du Code civil, texte relatif à l’objet des sociétés.

Il n’est pas inutile de reprendre les termes du débat sur le rôle social de l’entreprise.

Entreprise et société.

Tout d’abord, lorsque Nicolas Hulot parle des « entreprises », c’est sans doute aux sociétés qu’il fait référence en réalité, car le Code civil ne contient pas véritablement de dispositions sur les entreprises, du moins pas de régime général. En revanche, le Code civil encadre les sociétés.

Une entreprise est une unité économique, qui peut avoir à sa tête une personne physique ou une personne morale, et particulièrement une société.

Une société est la structure juridique que des associés (de un à des centaines, des milliers, ou plus) peuvent employer pour exercer ensemble des activités économiques, et notamment pour exploiter une ou plusieurs entreprises.

Souvent, dans le langage courant ou dans la presse, on confond entreprise et société. C’est assez normal, car une société n’est souvent constituée que pour exploiter une entreprise. C’est son objet social.

Précisons cette notion d’objet à laquelle Nicolas Hulot a fait référence.

Finalité légale et objet social.

Les sociétés ont à la fois une finalité légale et un objet social.

La finalité légale est un objectif général : une société doit soit rechercher la réalisation d’un bénéfice à partager entre ses membres, soit d’une économie dont elle les fera profiter. Par comparaison, une association soumise à la loi du 1er juillet 1901 doit avoir un but autre que le partage d’un bénéfice entre ses membres.

L’objet social est plus individualisé, en fonction de chaque société, qui doit avoir dans ses statuts l’indication de son activité.

Cet objet peut être très large (« la commercialisation de biens mobiliers et immobiliers », « l’exercice de la profession d’avocat ») ou non (« l’exploitation d’un fonds de commerce de farces et attrapes sis au 43 rue de Dunkerque à Paris 10ème » – petite blague en forme de clin d’œil).

Un débat qui n’est pas nouveau.

En 2014, la première version du projet de loi Macron envisageait déjà de modifier l’article 1833 du Code civil, pour intégrer dans l’intérêt de la société des considérations environnementale.

Précisément, l’article 1833 du Code civil aurait été enrichi de la phrase : « [Toute société] doit être gérée au mieux de son intérêt supérieur, dans le respect de l’intérêt général économique, social et environnemental ».

Que l’on agisse sur l’objet social ou que l’on intervienne sur l’intérêt de la société, l’idée est la même : il faut faire prendre conscience au dirigeant qu’il n’y a pas de danger à ce que la société emprunte des chemins qui ne sont pas ceux du pur profit.

C’est une crainte parfois avancée par les dirigeants d’entreprise : ne pas pouvoir faire tel acte non tourné vers un gain économique, de peur de se trouver « hors sujet » par rapport à l’objet ou à l’intérêt de l’entreprise.

La question est en réalité plus large : quel doit être le rôle social de l’entreprise ?

Doit-elle se limiter à la réalisation de profit, à destination de ses actionnaires, et satisfaire pleinement de cette manière son rôle social ? Enrichir ses actionnaires serait le maximum du bien que peut faire la société ou l’entreprise. Business’ business is business, pour reprendre la thèse de l’économiste Milton Friedman.

A l’opposé, beaucoup estiment que l’entreprise (ou la société qui l’exploite) a un rôle plus large que la seule distribution de dividendes. Contribuer au développement de l’éducation, lutter pour l’égalité entre les femmes et les hommes et contre les discriminations, protéger l’environnement : autant de nobles causes auxquelles les entreprises devraient contribuer.

 

Les principes de l’ESS.

Dans sa courte déclaration, Nicolas Hulot évoque les « principes de l’économie sociale et solidaire ». Ceux-ci sont identifiés par la loi du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire (ESS).

L’article 1er de la loi énumère des règles qui, si elles devenaient obligatoires pour toutes les entreprises françaises, provoqueraient une révolution, à tous les sens du terme: « un but poursuivi autre que le seul partage des bénéfices », « une gouvernance démocratique prévoyant la participation des parties prenantes aux réalisations de l’entreprise définie et organisée par les statuts », ou encore le sort des bénéfices, qui verrait ceux-ci « majoritairement consacrés à l’objectif de maintien ou de développement de l’activité de l’entreprise ».

Mais il faut rappeler, avant de parler de révolution, que ces valeurs supposent, d’après l’article 1er de la loi ESS, que les personnes morales concernées y adhèrent.

En clair, on ne saurait être social et solidaire contre sa volonté… du moins selon les idéaux de l’ESS !

Notre législateur voit parfois les choses différemment, comme l’avait illustré la saga digne de Game of Thrones du droit d’information des salariés en cas de cession de leur entreprise.

Maintenant, Nicolas Hulot fait aussi référence à l’intérêt général et à l’environnement, ce qui nous fait sortir des seuls principes de l’ESS.

 

L a position intermédiaire de notre droit.

Entre les deux approches du rôle de l’entreprise, on peut dire que notre droit des affaires n’a pas encore choisi, ou plutôt qu’il a aujourd’hui une position intermédiaire, à mi-chemin entre le laisser-faire et le recrutement des entreprises comme agents de lutte pour les grandes causes.

Nous avons toujours dans le Code civil, à l’article 1832, une définition de la société tournée vers la réalisation d’un profit ou d’une économie.

Mais dans le même temps, de plus en plus de normes prennent en compte le fait que la société exploite une entreprise, que cette entreprise peut avoir des salariés, et qu’elle a un impact sur le milieu social et sur l’environnement.

On va ainsi demander progressivement de plus en plus aux entreprises, comme de favoriser l’égalité entre les sexes en nommant une proportion minimum de membres de chaque sexe dans les conseils d’administration. Ce ne sont aujourd’hui que certaines sociétés qui sont concernées – en synthèse, les plus importantes d’entre elles-

On va aussi leur demander de faire figurer dans le rapport de gestion présenté par les dirigeants aux actionnaires des informations sur les risques financiers liés au changement climatique, ainsi que les mesures prises par la société pour les réduire en mettant en œuvre une stratégie de « bas-carbone dans toutes les composantes de son activité » (art. L. 225-100-1 du Code de commerce).

Faut-il franchir un pas supplémentaire et faire entrer dans notre droit des groupements hybrides, poursuivant à la fois des objectifs économiques et des objectifs d’intérêt général, des sociétés proches des associations ?

On sait que des droits étrangers, les droit américain et anglais particulièrement, admettent des sociétés à finalité mixte : benefit corporation, flexible purpose corporation, etc.

C’est une étape que nous voulons peut-être franchir, mais il faut voir maintenant si cette mesure est destinée :

– à s’appliquer à toutes les entreprises, ou bien si elle ne touchera que les sociétés, et éventuellement seulement celles ayant une certaine taille ;

– à s’appliquer obligatoirement, en imposant un quota minimum d’activité « non-profit », ou seulement à ouvrir une possibilité nouvelle aux entreprises qui le souhaitent… mais alors, faut-il vraiment changer la loi pour cela?

Disons en conclusion qu’il est effectivement possible que l’apparition d’un nouveau « véhicule » d’investissement et de production, assorti d’avantages particuliers pour ses utilisateurs, contribue à diffuser les idéaux de l’ESS et à favoriser la protection de l’environnement.

Bruno DONDERO

 

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Droit d’information des salariés en cas de cession d’entreprise et loi Macron: nouveau mic-mac en perspective ?

Permettre aux salariés de reprendre leur entreprise est une excellente chose. La loi relative à l’économie sociale et solidaire (L. n° 2014-856 du 31 juillet 2014) a voulu favoriser cette reprise. Il est toutefois dommage que pour ce faire, le législateur ait mis en place un dispositif à la fois complexe et imprécis, et assorti d’une sanction de nullité des cessions réalisées, de nature à nourrir les angoisses des parties à une cession d’entreprise et de leurs conseils.

Bien que fondé sur une bonne idée, ce dispositif a très certainement plus fait pour entraver les cessions pour lesquelles un repreneur avait été trouvé qu’il n’a empêché d’entreprises de fermer.

L’article 204 de la loi Macron, dont la promulgation est attendue, après son passage devant le Conseil constitutionnel, vient remplacer la nullité par une sanction différente, d’amende civile égale à 2% du prix de la vente, lorsque cette vente a été faite sans respecter le droit d’information des salariés. C’en est donc fini du risque d’annulation des cessions, à cet égard.

Mais la situation n’est pas si simple que cela…


I – Une redoutable question a été évitée…

Nous avions évoqué sur ce blog la saisine du Conseil constitutionnel par une QPC. Répondant à celle-ci, le Conseil constitutionnel a estimé que la sanction de nullité était inconstitutionnelle (décision n° 2015-476 QPC). Il a ainsi anticipé l’application de la loi Macron quant à la suppression de la possibilité d’annuler une cession pour non-respect du droit d’information des salariés.

Le Conseil constitutionnel avait été saisi d’une demande portant sur l’intégralité du dispositif, reprochant notamment à celui-ci une atteinte excessive au droit de propriété et à la liberté d’entreprendre. Il aurait donc été concevable que le droit d’information des salariés soit supprimé en son entier.

Si cela avait été le cas, la situation aurait été particulièrement délicate, puisque la loi Macron serait venue apporter des modifications à des textes entre-temps supprimés. Quelle valeur aurait eu cette construction faite sur un fondement inexistant ? La loi Macron aurait-elle été dépourvue de valeur normative en ce qu’ayant été établie sur du vide ? Ou bien les dispositions modificatives auraient-elles rendu sa force au texte abrogé ? Cette seconde solution aurait eu pour elle un argument tenant au contenu de la loi Macron, qui procède à la suppression de la sanction de nullité, honnie par le Conseil constitutionnel. Mais peut-on pour autant considérer que la loi qui modifie un texte supprimé rend à celui-ci la vie juridique qui lui manque ?

II – … Mais évitée seulement partiellement.

Cette redoutable question n’a été en réalité que partiellement évitée.

La décision n° 2015-476 QPC dispose en effet que « les quatrième et cinquième alinéas de l’article L. 23-10-1 et les troisième et quatrième alinéas de l’article L. 23-10-7 du Code de commerce issus de l’article 20 de la loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire sont contraires à la Constitution ». Or, lorsque la loi Macron vient substituer à la nullité la sanction de l’amende civile, elle le fait en remplaçant par un nouvel alinéa les deux derniers alinéas de l’article L. 23-10-1 du Code de commerce, d’une part, et les troisième et avant-dernier alinéas de l’article L. 23-10-7, d’autre part, qui sont précisément les alinéas déclarés contraires à la Constitution.

La déclaration d’inconstitutionnalité emportant abrogation des dispositions visées à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d’une date ultérieure fixée par sa décision, aux termes de l’article 62 de la Constitution, la loi Macron a dans une certaine mesure modifié des textes qui avaient entre-temps été supprimés.

La question se pose donc de savoir si la loi ESS est encore pourvue d’une sanction. Si la sanction d’amende civile édictée par la loi Macron n’a pu être valablement adoptée, cela signifie que ce n’est plus la sanction de la nullité initialement prévue, ni la nouvelle sanction, qui sont applicables. Que reste-t-il ? On n’ose suggérer l’application d’une sanction de nullité, à des conditions différentes de celles initialement prévues par la loi ESS. C’est donc vers une action en responsabilité civile soumise aux conditions de droit commun que l’on se tournera et vers elle seule… si la sanction de l’amende civile est effectivement écartée.

En conclusion, la grande saga du droit d’information des salariés continue, pour le plaisir de… mais de qui au fait ?

 Bruno DONDERO

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QPC sur la loi Hamon: inconstitutionnalité de la nullité (C. const., décision n° 2015-476 QPC du 17 juil. 2015)

Le Conseil constitutionnel avait été saisi d’une QPC (question prioritaire de constitutionnalité) visant la loi Hamon du 31 juillet 2014, en sa partie instituant une obligation d’informer les salariés d’une société entrant dans les seuils définis par la loi (les PME, en substance). Nous avons déjà parlé de cette loi, et de ce recours.

Cette obligation d’information a suscité de nombreuses discussions, notamment parce que son champ d’application n’était pas défini avec une grande précision (la cession d’entreprise visée est-elle aussi l’apport ou la donation ?), et aussi parce que la sanction prévue était celle de la nullité de la cession. En clair, qui oubliait d’informer l’un de ses 200 salariés s’exposait à un risque d’annulation de la cession de l’entreprise, avec obligation pour le vendeur de reprendre les parts ou les actions cédées, et de restituer le prix.

La loi Hamon avait fait l’objet d’une QPC, tandis que le décret d’application était visé par un recours pour excès de pouvoir, pendant devant le Conseil d’Etat.

Précisons qu’entre-temps, la loi Macron a été votée, et qu’elle retouche la loi Hamon, en précisant le champ d’application (les seules « ventes ») et en remplaçant la sanction de la nullité par une amende civile de 2% du prix de cession. La loi Macron fait l’objet d’un recours devant le Conseil constitutionnel, mais qui ne porte pas semble-t-il sur cette partie de la loi.

Le Conseil constitutionnel vient donc de répondre à la QPC, et il déclare partiellement inconstitutionnel le dispositif Hamon, en son état antérieur à la loi Macron.

I – Inconstitutionnalité.

Sont contraires à la Constitution les textes édictant une sanction de nullité en cas de non-respect du dispositif d’information obligatoire des salariés.

Le Conseil constitutionnel relève notamment que l’action en annulation peut être exercée par un seul salarié, même s’il a été informé du projet de cession et que la loi ne détermine pas les critères en vertu desquels le juge peut prononcer cette annulation. Il en est déduit que, au regard de l’objet de l’obligation dont la méconnaissance est sanctionnée (qui est de garantir au salariés le droit de présenter une offre de reprise sans que celle-ci s’impose au cédant) et des conséquences d’une nullité de la cession, l’action en nullité porte une atteinte manifestement disproportionnée à la liberté d’entreprendre.

Sont en conséquence supprimés les deux alinéas de l’article L. 23-10-1 du Code de commerce et les deux alinéas de l’article L. 23-10-7 édictant la sanction de nullité, étant précisé que la décision du Conseil prend effet à compter de la publication de sa décision, et qu’elle est précisée être applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à cette date.

Nous n’avons pas connaissance de décisions rendues en ce domaine à ce jour. Mais si un juge était saisi d’une action en annulation pour non-respect de l’obligation d’information des salariés, il ne peut plus prononcer cette sanction aujourd’hui.

II – Constitutionnalité.

Sont en revanche conformes à la Constitution l’obligation d’information elle-même et les mesures d’application de la loi dans le temps qui avaient été prévues. S’agissant de dispositif d’information lui-même, il est jugé qu’il poursuit un objectif d’intérêt général, qu’il fait l’objet d’un encadrement particulier (obligation de discrétion pesant sur les salariés notamment) et que l’obligation d’information n’interdit pas au propriétaire de céder librement sa participation dans la société à l’acquéreur de son choix et aux conditions qu’il estime les plus conformes à ses intérêts.

L’article 98 de la loi Hamon, qui avait prévu que le dispositif ne s’applique qu’aux cessions intervenues trois mois au moins après la publication de la loi, est par ailleurs jugé conforme à la Constitution en ce qu’il ne porte pas atteinte au droit au maintien des contrats.

 Bruno DONDERO

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