Une proposition de loi déposée à l’Assemblée le 6 décembre 2017 et intitulée « Entreprise nouvelle et nouvelles gouvernances » mérite d’être lue avec attention. Cette proposition de loi sera discutée à l’Assemblée lors de trois séances le jeudi 18 janvier.
La Commission des lois de l’Assemblée a examiné le texte, ce qui a donné lieu à des échanges intéressants, notamment sur les notions d’entreprise et de société. La Commission a rejeté le texte, et celui-ci sera examiné en séance publique dans sa version initiale.
Les onze articles de la proposition de loi touchent à des questions fondamentales du droit des sociétés et du droit des affaires. Sans être exhaustif, je reprendrai ici celles qui m’apparaissent comme les mesures les plus importantes du texte, au regard du droit des sociétés.
L’intérêt social élargi (art. 1er).
On a déjà évoqué le sujet sur ce blog. L’article 1833 (et non « L. 1833 », voyons, chers parlementaires!) du Code civil indiquerait que « La société est gérée conformément à l’intérêt de l’entreprise, en tenant compte des conséquences économiques, sociales et environnementales de son activité« .
Le texte ne me semble pas opportun, car au mieux, il ne fait que redire des choses qui existent déjà – un dirigeant de société responsable tient déjà compte des conséquences économiques, sociales et environnementales de l’activité sociale. Au pire, il introduit des directives de gestion que le dirigeant aura du mal à appliquer. Il devra suivre les directives des associés ou des actionnaires, car l’article 1833 dit déjà, et ce n’est pas modifié, que la société est gérée dans l’intérêt commun des associés. Dans le même temps, on va demander au dirigeant de gérer la société dans « l’intérêt de l’entreprise », qui n’est pas défini. L’intérêt de l’entreprise peut être de réduire la masse salariale, ou de prendre des risques, par exemple. Qui appréciera au final ce qu’est « l’intérêt de l’entreprise » ?
Observation complémentaire: toutes les sociétés – on pense aux sociétés civiles immobilières – n’exploitent pas une entreprise.
La SAS dans le viseur! (art. 2)
La société par actions simplifiée (SAS) est une société qui connaît un grand succès depuis quelques années, notamment parce qu’elle est comme la société anonyme (SA) une forme de société commerciale par actions, qu’elle est plus souple d’utilisation que la SA du fait du grand rôle donné aux statuts de la SAS, mais aussi parce que la SAS n’est pas soumise à certaines contraintes qui pèsent sur les SA.
Les SAS échappent ainsi aujourd’hui aux règles sur la représentation équilibrée des sexes au sein des conseils d’administration et de surveillance, et elles échappent aussi aux règles qui imposent aux sociétés dépassant certains seuils de nommer des administrateurs représentant les salariés au sein de leurs conseils.
La proposition de loi remettrait en cause cette situation. Les SAS qui auraient le nombre de salariés déclenchant pour les SA l’obligation de nommer des administrateurs représentant les salariés devraient soit se transformer en société anonyme, soit créer un conseil d’administration ou de surveillance régi par les dispositions applicables aux sociétés anonymes.
Les règles sur la représentation des salariés, mais aussi celles sur la représentation équilibrée des sexes, trouveraient alors à s’appliquer aux SAS.
Les administrateurs représentant les salariés: révolution! (art. 2)
L’institution des administrateurs représentant les salariés serait aussi très renforcée:
- le seuil de 1.000 salariés, qui déclenche l’obligation, serait abaissé à 500, mais la prise en compte du groupe serait supprimée;
- surtout, ce ne sont plus un ou deux administrateurs représentant les salariés qui devraient être nommés, mais jusqu’au tiers ou à la moitié du nombre total d’administrateurs, en fonction du nombre de salariés de la société, ce qui serait une révolution (même si les administrateurs autres que ceux représentant les salariés conserveraient, en cas de partage des voix, une voix prépondérante).
Le droit de vote triple pour les actionnaires les plus anciens (art. 3)
Dans les SA, un droit de vote triple pourrait être attribué par les statuts aux actions détenues au nom du même actionnaire depuis cinq ans au moins.
Aujourd’hui, c’est un droit de vote double qui peut être octroyé aux actionnaires après un délai de deux ans.
La société à mission (art. 10)
Serait introduite dans le Code civil une « société à mission », c’est-à-dire une société à objet social étendu, qui pourrait être un objectif social, environnemental, scientifique ou humain d’intérêt collectif.
Un comité de l’objet social étendu, dont 40% des membres au moins seraient désignés directement ou indirectement par les salariés, examinerait la compatibilité des actes et des décisions de gestion avec l’objet social étendu. Ce comité ferait un rapport annuel sur les moyens mis en œuvre pour atteindre l’objet social étendu, et sur les résultats. Tout intéressé pourrait alerter les organes de direction et le comité en question sur les « faits laissant supposer une violation par la société de son objet social étendu ».
Au vu du positionnement du texte, les sociétés concernées ne seraient pas une nouvelle forme sociale. Ce serait plutôt une modalité affectant la société, comme la variabilité du capital ou la soumission au statut coopératif.
Et après?
Une question qui se pose est celle de l’articulation des mesures contenues dans cette proposition de loi avec celles qui figureront dans le projet de loi sur l’entreprise qui a été annoncé par le ministre de l’Economie et qui est préparé par le Plan d’Action pour la Croissance et la Transformation des Entreprises (PACTE).
Il est possible que la proposition de loi soit rejetée jeudi prochain, mais que certains éléments se retrouvent dans le projet de loi à venir.
Bruno DONDERO