L’arrêt rendu par la troisième Chambre civile de la Cour de cassation le 9 février dernier a suscité l’intérêt de plusieurs commentateurs, et il mérite certainement qu’on le lise avec attention.
Un auteur, sur un blog référencé par l’Express, intitule son commentaire : « La Cour de cassation bouscule la réforme du droit des contrats ». Du coup, j’ai relu l’arrêt, que j’avais vu passer sur le blog de mon cher collègue Daniel Mainguy, avec plus d’attention.
L’arrêt sera publié aux deux Bulletins de la Cour de cassation, et il a été mis en ligne sur son site internet.
Il n’est cependant pas, à mon sens, si inquiétant que cela.
I – Que dit l’arrêt ?
L’arrêt est relatif à l’application d’une disposition du Code de commerce, l’article L. 145-7-1. Ce texte est issu d’une loi du 22 juillet 2009, et il dispose que « Les baux commerciaux signés entre les propriétaires et les exploitants de résidences de tourisme mentionnées à l’article L. 321-1 du code du tourisme sont d’une durée de neuf ans minimum, sans possibilité de résiliation à l’expiration d’une période triennale ».
Il vient déroger à l’article L. 145-4, qui prévoit quant à lui que « La durée du contrat de location ne peut être inférieure à neuf ans. Toutefois, le preneur a la faculté de donner congé à l’expiration d’une période triennale, au moins six mois à l’avance, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou par acte extrajudiciaire (…) ».
En 2009, est donc apparue une règle particulière pour les baux relatifs à une résidence de tourisme.
Avant 2009, il était possible au bailleur de mettre fin au bail tous les trois ans.
Après 2009, cela n’est plus possible, puisque l’article L. 145-7-1 nouvellement créé écarte cette possibilité.
La question posée à la Cour de cassation était celle de savoir quel était le régime de la résiliation d’un bail conclu antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi de 2009, et encore en cours à cette date.
Deux baux relatifs à des appartements situés dans une résidence de tourisme étaient conclus en 2007. Le 26 décembre 2012, la locataire donnait congé pour le 1er juillet 2013, à l’expiration de la deuxième période triennale.
Le bailleur estimait que le congé était nul, la locataire ne pouvant résilier les baux.
La cour d’appel validait les congés, en retenant que « les baux, conclus avant l’entrée en vigueur de l’article L. 145-7-1 du code de commerce, sont régis par les dispositions de l’article L. 145-4 du même code prévoyant une faculté de résiliation triennale pour le preneur » et que « l’article L. 145-7-1 créé par la loi du 22 juillet 2009, qui exclut toute résiliation unilatérale en fin de période triennale pour l’exploitant d’une résidence de tourisme, n’est pas applicable au litige ».
Son arrêt est cassé pour violation de l’article L. 145-7-1 du Code de commerce, issu de la loi du 22 juillet 2009, et de l’article 2 du Code civil.
Rappelons que l’article 2 du Code civil dispose : « La loi ne dispose que pour l’avenir ; elle n’a point d’effet rétroactif ».
La Cour de cassation juge par un attendu de principe que « l’article L. 145-7-1 précité, d’ordre public, s’applique aux baux en cours au jour de son entrée en vigueur ».
Donc, dès lors que les baux étaient en cours au 25 juillet 2009, date d’entrée en vigueur de la loi, ils étaient soumis au texte nouveau, et la résiliation ne pouvait plus intervenir à l’expiration d’une période triennale.
II – Pourquoi il n’est pas particulièrement inquiétant ?
Qui conclut un bail relatif à une résidence de tourisme en 2007 pense pouvoir résilier son contrat tous les trois ans. Simplement, quand la loi de 2009 est promulguée, voici qu’il serait privé de cette possibilité.
Commençons par dire qu’il n’y a pas là, selon nous, d’application rétroactive de la loi nouvelle. La loi nouvelle ne remet aucunement en cause la validité d’un bail antérieurement conclu.
Simplement, il y a application de la loi nouvelle à un bail conclu antérieurement. C’est ce que l’on appelle l’effet immédiat de la loi nouvelle.
En matière contractuelle, le principe est que le contrat reste soumis au droit en vigueur au jour de sa conclusion.
Mais la loi nouvelle peut venir régir les effets du contrat conclu antérieurement à son entrée en vigueur dans deux cas :
- soit quand ce sont les « effets légaux » du contrat qui sont en cause ;
- soit quand la loi nouvelle est vue comme relevant d’un ordre public justifiant son application immédiate.
Il n’apparaît pas si choquant que cela de voir le régime de certains baux encadré et modifié par le législateur.
Enfin, s’agissant de la réforme du droit des contrats, je ne crois pas que l’arrêt conduise à remettre en cause la règle, clairement formulée par l’article 9 de l’ordonnance du 10 février 2016, selon laquelle les contrats conclus avant le 1er octobre 2016 demeurent soumis à la loi ancienne.
Bruno DONDERO
Voilà une analyse claire et précise quant à l application de la loi dans le temps.
Merci Monsieur Dondero.
Patrick Foussard
Monsieur le Professeur, c’est toujours un plaisir de vous suivre et de lire vos articles.
Après avoir lu votre article, je partage dans une certaine mesure votre avis en ce sens qu’il serait trop précipité d’admettre que des règles issues de l’ordonnance du 10 février 2016 qui comprennent des dispositions d’ordre public peuvent s’appliquer aux contrats relevant de l’ancien droit.
En effet, il est vrai que le différend a été tranché par la 3e chambre civile de la Cour de Cassation et non de la chambre commerciale de la même juridiction. Pour autant, l’on risquerait une insécurité juridique si l’on venait à appliquer cette décision aux contrats conclus sous l’ancien droit. Notons qu’à ce jour, l’ordonnance susvisée n’a toujours pas été ratifiée par le Parlement…
En conséquence, l’application de cette décision aux nouvelles règles qui comprennent des dispositions d’ordre public aux contrats conclus avant le 1er octobre 2016 est susceptible de constituer une insécurité juridique en cas de refus de la part du Parlement de ratifier cette ordonnance.
Bien à vous,
Brahim Akariouh
A noter un nouvel arrêt de la Cour de cassation, cette fois en chambre mixte et évoquant expressément l’ordonnance.
Cour de cassation Chambre mixte 24 Février 2017
Rejet
N° 15-20.411
Publié au Bulletin
Numéro JurisData : 2017-003187
Résumé
L’évolution du droit des obligations, résultant de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, conduit à apprécier différemment l’objectif poursuivi par les dispositions relatives aux prescriptions formelles que doit respecter le mandat, lesquelles visent la seule protection du mandant dans ses rapports avec le mandataire. L’existence de dispositions protectrices du locataire, qui assurent un juste équilibre entre les intérêts de ce dernier et ceux du bailleur, et la finalité de protection du seul propriétaire des règles fixées par les articles 7, alinéa 1er, de la loi n° 70-09 du 2 janvier 1970 et 72, alinéa 5, du décret n° 72-678 du 20 juillet 1972 conduisent à modifier la jurisprudence et à décider que la méconnaissance des règles précitées doit être sanctionnée par une nullité relative.
Oui Daniel Mainguy l’a commenté sur son blog. Très cordialement