Le jeu Ingress: jusqu’où le virtuel peut-il envahir le réel ?

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Le logo du jeu Ingress

Les principes sur lesquels repose le jeu Ingress, créé par la société Niantic Labs, filiale de Google, sont assez simples.

En synthèse, ce jeu se joue avec un smartphone, mais à la différence des Tetris et autres Candy Crush, on ne se contente pas de regarder l’écran, car il faut bouger dans le monde réel.

Le jeu fait s’affronter deux camps, les bleus et les verts, pour prendre le contrôle de « portails », qui sont des éléments de la réalité (et qui vont des statues de nos parcs à des plaques commémoratives en passant par des boulangeries !). Il faut être physiquement proche du portail, et armé de son smartphone pour effectuer, grâce au clavier, les actions nécessaires pour conquérir le portail. J’avoue pour ma part ne pas encore avoir remarqué des personnes en cercle autour des statues des Tuileries ou du Luxembourg, concentrées sur leurs smartphones tout en regardant nerveusement autour d’elles pour savoir si l’autre est un ami ou un ennemi, s’il est en train de détruire le portail ou de le consolider.

Le nombre de joueurs d’Ingress est élevé, puisque selon les sources, déjà un peu anciennes, c’est de 5 ou 7 millions de personnes inscrites à Ingress dans le monde dont il est question.

Cela signifie qu’une fraction non négligeable des personnes que nous côtoyons sont préoccupées par le combat qu’elles doivent mener contre les bleus ou les verts, ce qui suscite des questions intéressantes du point de vue social, économique et environnemental.

Quelle est l’empreinte carbone de ce jeu, si les joueurs se déplacent dans le monde réel juste pour aller réaliser un objectif qui leur a été donné dans le jeu?

Ne risque-t-on pas de multiplier les accidents de la circulation et les bousculades si les uns et les autres n’ont plus pour objectif que de se rapprocher d’un portail pour ne plus en bouger? Ne verra-t-on pas des attroupements gênant la circulation lorsqu’il sera donné la consigne d’aller consolider ou détruire tel ou tel portail situé dans une zone de circulation intense ? D’un point de vue juridique, on peut se poser des questions intéressantes, comme celle de savoir qui est le gardien (et donc le responsable) du vélo qui me bouscule parce que son conducteur a pour mission d’aller détruire le portail au coin de la rue.

Enfin, économiquement, des entreprises commencent à se prendre au jeu et à nouer des partenariats avec Niantic Labs, et l’on peut se demander dans quelle mesure cela peut affecter leur activité. Une entreprise choisira-t-elle un camp, au risque de perdre ses clients « bleus » parce qu’elle s’est alliée aux « verts » ? Demandera-t-elle à ses salariés d’aller détruire des portails sur leur temps de travail ?

Dernière question: que se passerait-il si nous pratiquions tous ce jeu ?

Autant de questions passionnantes et troublantes que suscitent une fois encore les nouvelles technologies, même si le concept du jeu à grande échelle se déroulant dans le monde réel existait bien avant les smartphones (le jeu Killer, notamment).

Bruno DONDERO

4 Commentaires

Classé dans Le droit est partout, Nouvelles pratiques

4 réponses à “Le jeu Ingress: jusqu’où le virtuel peut-il envahir le réel ?

  1. J’adore ce genre de jeu qui tend à envahir le réel, non seulement parce qu’ils s’avèrent terriblement amusant mais aussi parce qu’ils posent de nombreuses questions sur ce qu’est un jeu vidéo ou sur les thèmes abordés dans cet article. Je trouve ces réflexions intéressantes, même si je pense que l’impact sur le monde réel comme l’empreinte carbone ou l’influence sur des entreprises ne peuvent pas réellement prendre autant d’ampleur que cela. Il serait nécessaire qu’un nombre incroyable de personnes y jouent et surtout que le jeu revête une plus grande importance, avec des récompenses financières à la clés par exemple… Dans ce cas, oui, l’influence d’un jeu vidéo (si on peut encore l’appeler de cette manière) pourra être considérable.

  2. Pingback: Le jeu Ingress: jusqu’où le virtuel peut-il envahir le réel ? | Les Liens d'Epholys

  3. Mathieu

    Bonjour monsieur,

    Ma petite soeur est une de vos assidues élèves et, connaissant mes passions, elle m’a transmis le lien vers votre billet fort intéressant.

    Je joue à Ingress depuis septembre dernier et grâce à ce petit plaisir vidéoludique et sans m’en rendre du tout compte, j’ai parcouru (à pieds, uniquement, car au delà d’une « vitesse de cycliste », le système de comptabilisation se coupe), j’ai pu parcourir près de 900 kilomètres. Mon bilan carbone est plutôt bon, quant à mon loisir. Cependant, l’architecte producteur du jeu, Niantic Labs, n’est pas exempt de toutes formes de reproches, car il s’agit d’une concrète émanation du « grand G » (Google). Ce qui, d’une autre manière, n’est pas non plus la garantie d’un système lisse (rétention de données, (anti)trust, etc…).

    Il est vrai que, parfois, nous sommes rivés sur nos écrans, l’air hagard, mais uniquement dans certains cas. Malgré tout, le jeu (anglophone) est extrêmement riche en règles, claires, bien dynamisées par les équipes des fondateurs qui, au delà de ça, font respecter scrupuleusement les ToS (Terms of Service). Chaque infraction peut mener à un bannissement (efficace) d’un joueur. Dans ces ToS, il est clairement rappelé à X reprises que l’utilisation conjointe d’un véhicule et du jeu est proscrite. D’autre part, les règles élémentaires de sécurité sont rappelées. Peut-être serons-nous confrontés, à l’instar de quelque golfeur ayant catapulté sa balle dans la tête d’une personne, à quelques péripéties juridiques cocasses. A quelques reprises, la communauté Ingress a remonté des escarmouches entre joueur (pas encore de crime, selon moi :D).

    Par contre, nous ne sommes jamais immobile plus de 10 secondes près des portails. (fin de la parenthèse)

    Le seuls réelles bousculades auxquelles – je le confesse – j’ai participé, sont celles que l’on pratique dans les bars, avec sa faction (la mienne est verte, c’est clairement la meilleure ici-bas), et régulièrement en « cross-faction » (bleu/vert). On boit, on discute, on fait de l’intox, on se « tire la bourre ».

    J’ai quitté le jeu quelques temps afin de pratiquer une forme de boycott. Partout dans le monde, AXA (un triste rouage économique) sponsorise certains objets du jeu, obtenus gratuitement, mais rares à récolter. Je n’apprécie guère cette société, mais le jeu l’a emporté sur un bout de mes convictions… mes jambes m’en remercient.

    Les entreprises ne pourront pas prendre part pour telle ou telle faction, mais placer des publicités « in-game ». C’est déjà le cas. Arrivera, pour moi, un point de rupture, probablement.

    Il est intéressant d’imaginer la quantité de données que cette filiale de Google remonte sur nos trajets et habitudes (transports, « pendulaires », horaires, etc.). Une application de tourisme, tirée de nos habitudes de jeu est déjà sortie. Pourquoi pas. Je ne joue que d’un oeil, parfois. Un adage que j’ai appris dans le marketing numérique dit que « lorsque c’est gratuit pour NOUS, NOUS sommes le produit ». Ne nous leurrons pas.

    Les entreprises ne pourront pas recruter (donc discriminer) selon la faction, légalement, j’entends. J’ai d’ailleurs une anecdote à ce sujet, mais je la tais.
    Si vous en avez l’occasion (chez les verts (« enlightened »), j’espère), jetez un oeil, du côté du siège de la BNP, à la lisière Montreuil/Saint-Mandé/Paris… certaines boîtes et certains camarades de jeu sont en joute constante, entre les bâtisses modernes.

    Le prochain défi, à mon humble avis, sera d’ordre diplomatique, sur le terrain. J’imagine très probablement une 3ème faction, remettant tout le jeu en cause, dans le bon sens. L’humain prendra(it) encore davantage sa place; la négociation, les petits accords, loin du bipartisme manichéen du joujou.

    Au plaisir, et merci à ma soeur (dont je tairai le nom) pour le lien. Content de lire ce billet d’intérêt pour ce sport (car nous sommes, en effet, à mille lieues de Candy Crush).

  4. Shishou

    Je pense que votre article n’aura jamais été si actuel qu’aujourd’hui avec ce qu’est devenu le nouveau projet de Niantic Inc, Pokemon Go ! Les questions que vous y posez s’appliquent parfaitement à la situation actuelle et au vu de la ferveur des utilisateurs, vous avez désormais toutes vos réponses ! 🙂
    Rares sont les professeurs qui nous proposent de nous intéresser à la réalité virtuelle dans les jeux vidéos et surtout d’opter pour une approche plus intellectuelle. Encore une fois, votre réflexion fait preuve d’une grande clairvoyance et nous ouvre l’esprit !

    Pour avoir suivi le MOOC cette année ainsi qu’un M1 de Droit des Affaires au CAVEJ, je ne peux que vous remercier de tenir compte des attentes et des besoins de vos étudiants pour leur offrir une formation pratique et de qualité. Du tout petit haut de mon M1 fraîchement validé, je vous encourage à poursuivre vos initiatives qui sont plus que bénéfiques pour le monde du droit (un peu poussiéreux), tel qui existe actuellement !

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