Archives quotidiennes : juillet 12, 2014

Mon juge est un robot – la justice automatisée

La Justice Automatisée

Lorsqu’on évoque la possibilité d’une automatisation de la justice, le premier réflexe que l’on a est celui d’une grande hostilité à cette idée. Comment peut-on envisager que ce ne soit plus des hommes, et des femmes, qui jugent les autres hommes et femmes ?

 A une petite échelle, cette justice automatisée existe déjà : ce sont les radars routiers. Si je roule au-dessus de la limite de vitesse autorisée, si je franchis un feu rouge, si j’emprunte une voie réservée aux autobus, mon infraction est constatée, et je suis automatiquement jugé et condamné par la machine.

Mais est-il concevable d’étendre cette justice automatisée à d’autres matières, par exemple au droit de la famille ou au droit du travail ? Essayons d’imaginer ce que serait une justice faite par des ordinateurs.

Prenons le droit du travail. Imaginons un salarié qui arriverait systématiquement en retard sur son lieu de travail. Voilà sans doute une cause réelle et sérieuse de licenciement. Si l’accès aux locaux de l’entreprise est automatisé, l’employeur a les moyens de rapporter la preuve de ce que le salarié a manqué à ses obligations contractuelles, qui imposaient une présence dans l’entreprise. L’employeur pourrait donc adresser à la JA (Justice Automatisée) une demande de licenciement en quelques clics, en indiquant l’identité du salarié visé, et en communiquant à la JA à la fois le contrat de travail du salarié en cause et les preuves électroniques des manquements. S’il est concevable que le salarié reçoive automatiquement une lettre de licenciement sur la base des démarches de l’employeur, qui auront été faites exclusivement depuis un ordinateur et en quelques minutes, on sent bien le danger pour l’idée même de justice : il faut que le salarié puisse exposer son point de vue avant qu’une décision aussi importante le concernant puisse produire ses effets.

La justice ainsi automatisée peut fonctionner, mais à plusieurs conditions.

Première condition : les litiges concernés doivent être simples, ce qui ne veut pas dire qu’il ne s’agira que de petits litiges.

Une voiture qui roule trop vite, un bien qui n’est pas livré à temps, un paiement qui n’est pas fait à l’échéance, peuvent déclencher des sanctions de manière automatisée. C’est d’ailleurs déjà le cas, dans la réalité, de manière contractuelle : par exemple, des intérêts et pénalités seront prélevés automatiquement sur mon compte par ma banque si je suis à découvert.

En revanche, le salarié licencié parce qu’il a perdu la confiance de l’employeur, le bien défectueux ou qui ne rend pas les services désirés, le préjudice que cause une entreprise à une autre par de la concurrence déloyale, ne sont pas des hypothèses éligibles à un traitement par la JA.

Seconde condition : il faut, si l’on veut mettre en œuvre une telle manière de rendre la justice, laisser une possibilité de contestation à la partie qui supporte les conséquences de l’automatisation. Si l’on admettait un jour que le salarié puisse être licencié de manière quasi-automatique (c’est-à-dire sur la seule demande formulée par son employeur) sur la base d’une non-présentation de son badge à la porte de l’entreprise aux heures contractuellement prévues, il faudrait que le salarié puisse suspendre le licenciement à sa guise, pour démontrer que celui-ci est infondé. On repasserait alors à une procédure telle qu’elle se déroule actuellement, avec des audiences, auxquelles participeraient le salarié et l’employeur, assistés de leurs avocats ou de représentants syndicaux, comme c’est le cas actuellement.

Dans le cas des radars automatiques, la possibilité de « repasser à l’humain » est prévue par l’article L. 130-9 du Code de la route, qui dispose :

« Lorsqu’elles sont effectuées par des appareils de contrôle automatique ayant fait l’objet d’une homologation, les constatations relatives à la vitesse des véhicules, aux distances de sécurité entre véhicules, au franchissement par les véhicules d’une signalisation imposant leur arrêt, au non-paiement des péages ou à la présence de véhicules sur certaines voies et chaussées, font foi jusqu’à preuve du contraire. (…) »

En somme, quoiqu’ait dit la machine, il est toujours possible de contester le relevé fait par un radar automatique. Il faudra pour cela saisir un juge, et être en mesure de démontrer que l’infraction n’était pas constituée, parce que le radar était défectueux, parce que le véhicule concerné ne pouvait atteindre la vitesse relevée, parce que la personne conduisant le véhicule n’était pas celle qui a été considérée comme responsable, etc.

On voit tout de même, avec l’exemple du radar, que la tâche de celui qui veut contester est théoriquement possible, mais sera rarement exercée en pratique, hors du cas où le conducteur ne sera pas le bon. Dès lors qu’il faudra recourir à des expertises techniques pour établir que l’infraction n’était pas constituée, les moyens à mettre en œuvre seront plus importants que le montant de l’amende en jeu.

Les conséquences d’une Justice Automatisée généralisée

Si le système de la JA était mis en place de manière généralisée, quelles en seraient les conséquences ?

 Reprenons l’exemple du droit du travail. Un certain nombre d’audiences n’auraient plus lieu, ce qui réduirait d’autant les coûts de la justice prud’homale et permettrait une légère accélération des délais des autres procédures, celles qui se tiennent « en dur ». Mais un tel système aurait des inconvénients difficiles à résoudre. Ainsi, si le salarié ne se rend plus sur son lieu de travail parce qu’il fait l’objet de harcèlement moral de la part de son employeur, celui-ci pourra facilement se débarrasser du salarié en utilisant la justice automatisée, et le salarié se trouvera placé dans une situation très difficile avant de pouvoir s’y opposer véritablement.

 L’exemple que nous prenons est particulier, car le salarié est dans une position d’infériorité qui se révèle surtout au moment du licenciement, et la procédure prud’homale, par ses lenteurs, ajoute paradoxalement à cette situation de faiblesse. Aujourd’hui, un salarié licencié de manière injustifiée devra saisir la juridiction prud’homale, ce qui implique qu’il prenne un avocat, s’adresse à un représentant syndical ou assure lui-même le suivi de son dossier, qu’il engage des frais, et qu’il obtienne une décision favorable. Cette décision n’interviendra qu’après une première audience de conciliation. Sur la région parisienne, cela signifie concrètement que le salarié doit attendre deux ans pour avoir une décision. Si le salarié n’obtient pas une décision favorable, il devra faire appel – ce qui suppose de nouveaux frais et au moins une année supplémentaire d’attente au moins. Pour peu que l’employeur « joue la montre », en demandant par la voix de son avocat des délais supplémentaires, le salarié devra attendre encore plus pour qu’une décision reconnaisse que son licenciement était injustifié. Entretemps, le salarié aura vécu avec son licenciement, et sans que personne d’autre que lui, ses proches et éventuellement son avocat, ne croie au caractère injustifié dudit licenciement.

Accélérer les délais de la justice est donc une question primordiale, et l’automatisation peut y aider. Il faut cependant limiter l’automatisation de la justice aux cas dans lesquels il est absolument certain que cette dernière n’aura pas à en souffrir, mais ne pourra qu’en tirer des avantages.

 Bruno Dondero

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